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UE : au Canada, la cheffe de la Commission vante un CETA toujours aussi peu légitime

Ursula von der Leyen s’est encore félicitée mardi des bienfaits du traité de libre-échange avec le Canada. Mais onze États membres de l’UE rechignent encore à ratifier le CETA, entré en vigueur en... 2017. Un révélateur des failles démocratiques de la politique commerciale de l’Union.

9 mars 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Justin Trudeau et Ursula von der Leyen lors d’une réception au musée canadien de la guerre à Ottawa, le 7 mars 2023. © Photo Spencer Colby / CP / Abaca
https://www.mediapart.fr/journal/international/090323/ue-au-canada-la-cheffe-de-la-commission-vante-un-ceta-toujours-aussi-peu-legitime

Ursula von der Leyen a manifestement le goût de l’ellipse. Lors de son déplacement au Canada les 7 et 8 mars, la présidente de la Commission européenne n’a pas manqué de se féliciter, en compagnie du chef du gouvernement canadien, Justin Trudeau, des bienfaits du CETA, cet accord de libre-échange entre l’UE et le Canada entré en vigueur, pour la majorité de ses chapitres, en 2017.

Dans un communiqué conjoint publié pour l’occasion, la conservatrice allemande et le libéral canadien écrivent que le CETA a « grandement contribué à stimuler la croissance économique et la création d’emplois ». Les deux s’étaient déjà réjouis des fruits de cet accord lors de l’anniversaire des cinq ans de son entrée en vigueur, au cours d’une entrevue new-yorkaise en septembre 2022.

Mais Ursula von der Leyen n’a pas jugé nécessaire de rappeler un chiffre, lors de son passage par Ottawa : à ce jour, il reste encore à faire ratifier ce texte controversé par onze États membres de l’UE, si l’on s’en tient au décompte tenu par le Conseil, l’institution qui porte la voix des capitales à Bruxelles. Tant que le total n’y est pas, le texte est en application partiellement, et « à titre provisoire ».

De quoi nourrir les critiques de celles et ceux qui, du côté de la société civile, dénoncent un « déni démocratique ». Même si le CETA est sorti des radars médiatiques, ses opposant·es continuent de formuler deux grandes séries de critiques : il ne serait pas compatible avec les engagements de l’accord de Paris sur le climat et il réduirait la capacité de réglementer des États face aux entreprises.

En 2022, deux États de l’UE, et pas des moindres, ont tout de même basculé. En juillet, le Sénat des Pays-Bas, qui l’avait rejeté une première fois en 2020, a fini par donner son feu vert au texte, à l’issue d’un vote très serré (40 pour, 35 contre), en raison d’un changement de pied des sociaux-démocrates du PvdA.

« À l’approche du vote, la pression sur les sociaux-démocrates était devenue très forte, y compris depuis Bruxelles, se souvient Sara Murawski, qui a coordonné la plateforme des collectifs opposés au CETA aux Pays-Bas. Il y avait l’idée qu’un seul pays ne devait pas à lui seul bloquer tout le processus de ratification du texte, que le Canada était un partenaire historique de l’UE mais aussi qu’il fallait se montrer unis, alors qu’une guerre était en cours aux portes de l’Europe. »

Les écologistes allemands favorables à un CETA « amélioré »

Mais c’est à Berlin que le mouvement le plus spectaculaire s’est produit. Après de longues négociations, la coalition d’Olaf Scholz, qui mêle sociaux-démocrates, écologistes et libéraux, a fini par s’entendre, à l’été 2022, sur la teneur de sa politique commerciale. Résumé à très gros trait, ce compromis préparait le terrain à une sortie de l’Allemagne du traité sur la charte de l’énergie (demandée par les écologistes) mais validait la ratification, sous certaines conditions, du CETA (sous la pression des libéraux).

Afin de ne pas perdre la face, les Verts allemands, opposés au CETA pendant des années au Parlement européen, ont réclamé qu’une « déclaration interprétative » soit ajoutée au texte, pour limiter les effets pervers du « mécanisme d’arbitrage ». Ce mécanisme est l’un des points de crispation du traité, qui autorise des entreprises étrangères à attaquer les États devant une justice spécialisée, si celles-ci estiment leurs investissements menacés par une éventuelle nouvelle législation.

La chambre basse allemande, le Bundestag, a fini par approuver le CETA en décembre 2022. À ce sujet, la stratégie des écologistes au sein de la coalition interroge, puisque les élu·es Grünen ont voté le texte, alors même que les discussions entre l’UE et le Canada pour l’ajout d’une « déclaration interprétative », poussée par Berlin depuis l’été, n’ont toujours pas abouti.

Dans ce contexte, une eurodéputée écologiste belge, Saskia Bricmont, a commandé une étude universitaire, publiée en fin d’année dernière, qui réfute l’intérêt d’ajouter un énième protocole au CETA dans le but d’apaiser les inquiétudes. D’après l’exposé, cette « déclaration interprétative » voulue par les Grünen ne viendrait que créer de nouvelles zones de flou, et donc alimenter de nouvelles batailles devant les tribunaux.

Beaucoup de pays encore opposés

Le paysage ailleurs en Europe reste très incertain, malgré les satisfecit d’Ursula von der Leyen sur le sujet. En France, une majorité a validé le texte à l’Assemblée nationale, à l’été 2019. Mais l’exécutif rechigne depuis à le mettre à l’agenda du Sénat, conscient que le texte serait probablement rejeté, vu l’opposition de LR, première force de la Chambre haute. En attendant, les sénateurs et sénatrices mènent des auditions sur le sujet, faute de mieux.

Du côté de la Belgique, la ratification avait mal commencé, avec le veto spectaculaire de la Wallonie (le Sud francophone du royaume), à l’automne 2016, incarné par le socialiste Paul Magnette. Depuis, le Parlement de la région flamande mais aussi le Parlement fédéral ont donné leur feu vert, dès 2018, au traité. Il reste encore, notamment, le délicat feu vert de la Wallonie à négocier, alors que les marxistes du PTB y sont influents.

En novembre 2022, la Cour suprême irlandaise a jugé que le Parlement national ne pouvait ratifier le CETA qu’à condition, en premier lieu, de réviser sa propre législation sur l’arbitrage, pour la rendre compatible avec le mécanisme d’arbitrage prévu dans le traité. Un long marathon s’engage donc à Dublin.

Alors que le CETA pourrait enfin être mis à l’agenda parlementaire en Slovénie au printemps, un réseau d’ONG opposées au texte a prévenu, début mars, que celles-ci souhaitaient vérifier, auprès de la Cour constitutionnelle, la compatibilité du traité avec la Constitution. Le texte a par ailleurs déjà été rejeté, une première fois, par le Parlement chypriote, à l’été 2020.

Dans un entretien à Mediapart alors qu’il était encore secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune avait déclaré : « La situation sur le CETA n’est pas satisfaisante, et je pense même qu’elle est en partie inextricable. »ꉁ Pour l’activiste néerlandaise Sara Murawski, adversaire du CETA, ce mécanisme d’entrée en vigueur provisoire d’un traité, alors même que l’ensemble des parlements nationaux des 27 ne l’ont pas encore voté, constitue « l’une des failles principales de la politique commerciale de l’UE ».

Depuis que l’Allemagne a exhorté la Commission, à l’été 2022, à négocier une clé d’interprétation supplémentaire au texte, la situation s’est encore compliquée : des États qui s’étaient dépêchés de ratifier le texte, par exemple l’Espagne, Malte ou la République tchèque dès 2017, ont ainsi validé une version du traité qui sera bientôt caduque...

Ces anomalies, sur le plan démocratique, rappellent celles qui accompagnent un autre texte, lui aussi devenu sulfureux dans la capitale belge : l’accord aérien conclu entre l’UE et le Qatar en 2021, que le Parlement européen se refuse désormais à ratifier, s’inquiétant d’une ingérence de l’émirat, sur fond de Qatargate. Sauf que l’accord est déjà entré en vigueur de manière provisoire, sans attendre le feu vert de l’hémicycle, qui se trouve ainsi privé d’une véritable arme de sanction à l’égard du Qatar.

De toutes ces failles démocratiques, la présidente de la Commission n’a bien sûr pas dit un mot, lors de ses échanges avec l’allié Justin Trudeau.

Ludovic Lamant

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