Édition du 30 avril 2024

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Canada

Une éthique relationnelle avec les peuples autochtones

Les relations éthiques, entre peuples dans la mesure macrosystémique et entre individus dans la mesure microsystémique, visent à aplanir, s’ils ne visent pas à supprimer, les rapports inégalitaires et les rapports de pouvoir qui favorisent un parti au détriment de l’autre. Quand j’observe la question des peuples colonisés au Québec et au Canada, je m’interroge sur la nature et la qualité de ces relations.

Considérer les relations entre autochtones et allochtones sur le seul binôme dichotomique des peuples et des nations qui s’opposent est insuffisant pour choisir des comportements éthiques. Je crois qu’il faut mesurer l’importance de la culture et du territoire dans ce type de relations, car ils façonnent l’identité des uns et des autres au cœur de nos rapports historiquement et actuellement inégalitaires.

Si on ne peut pas réduire les enjeux sur le territoire à l’un ou l’autre des groupes qui le partagent ou qui le disputent, on peut apprendre à mesurer ces enjeux dans la façon que nos cultures appréhendent le territoire. Tandis que d’un côté les cultures coloniales nourrissent des ambitions de conquête, de croissance et d’exploitation, les autres ont subi des transformations au profit des colonisateurs, elles sont toutes valides puisqu’elles s’inscrivent toutes dans une stratégie de survie au génocide en réponse aux stratégies coloniales de sédentarisation, d’acculturation, d’aliénation et de dépossession.

Afin d’adopter des comportements éthiques envers les autres, envers les autochtones en l’occurrence, je crois qu’il faut apprendre à les connaître. Au bout d’un certain temps, on finit par comprendre la diversité que constitue les communautés autochtones et leurs membres. Certains autochtones vivent sur les réserves tandis que près de la moitié d’entre elleux se trouvent dans les centres urbains. Si on compte parmi les autochtones des traditionalistes et des abolitionnistes, on peut compter également des libéraux qui rêvent d’un Canada inclusif et décolonial. Quoi qu’il en soit, je crois que l’on gagne toujours à les écouter avec son cœur afin de saisir l’ontologie qui oriente la culture de nos camarades autochtones, c’est un devoir fondamental avant de se présenter comme un·e allié·e.

La culture peut s’appréhender selon des dimensions différentes : il y a les cultures transversales des groupes sociaux, locaux et communautaires, et il y a la culture personnelle d’un individu. La culture peut être visible comme les patrimoines formels que sont les artefacts, les symboles, les pratiques telles que les arts et l’architecture, les langues, les couleurs, les costumes, les traditions et l’étiquette sociale. Ce sont les signes extérieurs de l’altérité. La culture peut être invisible comme les patrimoines informels que sont l’histoire, le vécu et les récits , les hypothèses tacites, les croyances, les valeurs , et les processus culturels tels que l’acculturation, l’enculturation, la socialisation et la diffusion, ces dernières sont au cœur de nos préoccupations décoloniales. Ce sont des signes qui exigent d’entretenir les relations significatives à l’autre afin d’en être instruit·e.

La guérison des peuples autochtones est indissociable de plusieurs relations cruciales, dont la relation au territoire, où ont lieu toutes les autres : la relation au patrimoine, la relation au sacré, la relation à la mémoire, la relation aux ancêtres et aux générations futures, la relation aux animaux, la relation aux vivants, la relation entre les peuples et le rôle des institutions où ils se rencontrent et font société.

La restitution des terres aux autochtones ne pourrait pas se faire sans que ne soient rapatriés les objets sacrés. Outre que le lien sacré avec le vivant entre dans un jeu avec les matériaux d’origines animale et végétale qui servent à la confection des objets traditionnels, ces artefacts servent aux pratiques traditionnelles nécessaires à la survie et à la transmission du mode de vie et de l’étiquette sociale millénaires qui assurent le bien-être des générations futures.

Quand un objet sacré est retiré du quotidien autochtone, il s’ensuit des conséquences néfastes qui touchent toutes les relations sacrées en jeu dans les pratiques traditionnelles : en plus d’aliéner les communautés à un objet de survie, cela les acculture des connaissances ancestrales, qui constituent les sciences et les techniques autochtones. Cette acculturation participe des stratégies d’aliénation au territoire comme l’enculturation au mode de vie sédentaire et aux marchandises coloniales.

Je dois mentionner la mission de « socialisation » des pensionnats indiens ainsi que le dialogue entre les communautés autochtones et les institutions coloniales à travers le prisme de la culture coloniale, tout comme la diffusion de la culture autochtone au sein de ces institutions , gourmandes de gloire, de récits de voyage, d’exotisme et de mysticisme. Notons que le gentilé « Amérindien » s’inscrit dans une perspective eurocentrique qui calque sur l’orientalisme sa fascination pour un folklore superficiel. Cette perversion folklorique des signes ostensibles, qui exacerbe les symboles détournés, contribue à acculturer les peuples colonisés de leur histoire et des fondements de leur société, tout en se pliant aux injonctions systémiques de production et de consommation de marchandises coloniales au profit des Capitalistes. Le détournement de symboles déplace la Guerre de classes, selon laquelle on revendique des conditions économiques et politiques, vers la Guerre culturelle, selon laquelle on revendique une identité et une visibilité. Si la première est déterminante pour la seconde, la seconde seule reste insuffisante pour mener les luttes anticolonialistes jusqu’à l’utopie post-coloniale.

Heureusement que les pratiques éthiques tendent à évoluer avec la mise sur pied de protocoles qui remettent au centre des prises de décision la volonté collective et individuelle des autochtones comme celui du NAGPRA, qui toutefois demeure un appareil hétéronome de l’État colonial américain. En effet, les exigences du NAGPRA sont de calibre scientifique et universitaire, elles ne sont pas accessibles pour plusieurs communautés ou personnes novices en anthropologie et en muséologie. Ces acteurs autochtones sont dépendants de personnes qualifiées pour défendre leurs intérêts auprès des institutions à cause du rapport d’hétéronomie.

Tandis que le cadre formel occidental est un cadre qui privilégie les Eurocanadiens, c’est un cadre qui disqualifie les autochtones de façon systémique à cause du fossé culturel que leurs conditions inéquitables de vie creusent. Tandis que perdurent les legs coloniaux des pensionnats indiens qu’est la perte systémisée des traditions religieuses, des connaissances ancestrales et des techniques traditionnelles pour fabriquer des artefacts, la science coloniale a fait des gains grâce aux expériences menées dans les institutions coloniales sur les peuples colonisés à leur détriment probablement depuis les années 1830, notamment sur le territoire colonial de l’Ontario. Le rapport culturel inégalitaire qui favorise les Eurocanadiens plutôt que les autochtones est un héritage du génocide culturel sur lequel s’est érigée la nation eurocanadienne.

Heureusement que dans notre coin du territoire, nous bénéficions des protocoles autonomes comme le PCAP, qui repose sur les valeurs de respect, d’équité et de réciprocité. Ce protocole valorise la contribution des communautés et des personnes autochtones dans la production de connaissances institutionnelles. Je vois qu’à chaque étape de la relation chercheur·es-participant·es, les communautés et les personnes autochtones participent à la définition des termes du projet en regard de leurs intérêts et de leur culture.

Voilà un protocole qui peut apporter des fondements éthiques aux autres institutions eurocanadiennes. Je suis d’avis que franchir ce pas favorisera la réconciliation et la guérison à l’échelle macrosystémique.

Les recherches sur les langues autochtones sont cruciales dans la reconstruction des connaissances ancestrales et dans l’étude des cultures autochtones. Dans une mesure plus quotidienne, la langue est un outil de socialisation et de consultation auprès des autochtones, dont les aîné·es sont les passeur·es et les gardien·nes. À l’échelle intersubjective et relationnelle, la langue est le médium de la conversation par laquelle on parvient à convenir des façons de référer aux objets des cultures autochtones.

Je crois que la restitution des terres aux autochtones nécessite la reconstitution des référents et des toponymes en langues autochtones de sorte que nos choix langagiers autochtonisent notre façon de concevoir ces réalités. Je crois qu’une saine réconciliation nécessite une transformation des façons de nommer le territoire que nous occupons. Puisque la langue façonne nos représentations du monde, un monde décolonisé exige que nous redonnions aux lieux leurs noms précoloniaux dans la plus large mesure possible. Les relations respectueuses, équitables et réciproques entre autochtones et allochtones sont cruciales dans cette transformation des discours et des cultures en dialogue. Si les premiers fournissent la matière première que sont les langues autochtones, les seconds sont majoritaires au sein des institutions qui peuvent outiller les participant·es à une telle revitalisation des connaissances ancestrales et à l’autochtonisation des coutumes langagières.

Par exemple, afin de s’entraîner à être un·e bon·ne allié·e, on peut, quotidiennement et de façons tout à fait formelle et informelle, substituer au toponyme colonial de Montréal l’appellation kanienˈkeháːka « tioˈtiáːke » ou l’appellation anicinapek « mooniyaang ».

Pour être un bon·ne allié·e des peuples autochtones qui pratique l’éthique relationnelle au quotidien, il faut nécessairement côtoyer les autochtones. Certain·es seront plus ouverts à la conversation en personne, aux échanges informels et à l’entraide au quotidien, d’autres seront plus volubiles sur les réseaux sociaux, d’autres encore sont de véritables activistes de terrain. Pour côtoyer un·e autochtone, je recommande fortement de se présenter à l’un de leurs événements publics, d’être récepti·f·ve, d’écouter beaucoup et de converser finalement avec des questions qui intéressent vos interlocut·eur·rices.

J’occupe la position d’alliæ colonisæ, je n’ose pas me réclamer de racines autochtones quoi qu’en laisse paraître ma physionomie. En tant que personne adoptée par une adoption douloureuse et en étant visiblement racisée, je comprends qu’il existe des rapports inégalitaires et des rapports de pouvoir entre les colonisateur·es, les colons et les personnes colonisées. Afin d’être un bon alliæ et de guérir moi-même de mes blessures coloniales, je tâcherai d’autochtoniser mes représentations culturelles et langagières, il en va de mon éthique relationnelle à mes camarades autochtones. ■

clodius est an militanz racisæ alliæ des peuples autochtones.


RÉFÉRENCES

Auteur·es collecti·f·ves (2014) Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador, APNQL, document consulté le 14 novembre 2021 [https://cerpe.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/29/2016/08/Protocole-de-recherche-des-Premieres-Nations-au-Quebec-Labrador-2014.pdf]
Auteur·es collecti·f·ves, Truth and Reconciliation, Atlas, History of Residential Schools, Indigenous peoples atlas of Canada, article consulté le 14 novembre 2021 [https://indigenouspeoplesatlasofcanada.ca/article/history-of-residential-schools/]
CONATY, Gerald T. (2004) Anthropologie et Sociétés, vol. 28, n° 2, p. 63-81.
HOBEILA, Simon (2014) Formation à l’éthique de la recherche, Centre international de criminologie comparée CICC, Université de Montréal, Montréal, vidéo consultée le 14 novembre 2021 [https://youtu.be/Du6KF6oK9Nw]
LAUGRAND, Frédéric B. et Jarich G. Oosten (2014) Anthropologie et Sociétés, vol. 38, n° 3, p. 113-136.
SWIFTWOLFE, Dakota, Trousse d’outils pour les alliées aux luttes autochtones, Réseau·MTL·Network, document consulté le 14 novembre 2021 [http://reseaumtlnetwork.com/wp-content/uploads/2019/02/Trousse.pdf]
TIPI, Şükran (2021) Relations collaboratives et application des principes d’éthique de recherche en milieu ilnu. Dans C. Delamour, J. Joncas, D. Bernard et al. (dir.), Kasalokada ta lagwosada. Réalités et enjeux de la recherche collaborative en milieux autochtones (chapitre 3, p. 97-121). Éditions Peisaj, Collection e-cogito. [https://rb.gy/dtarbv]

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