Édition du 7 mai 2024

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Planète

Urgence climatique : quels défis relever pour passer à la vitesse supérieure ?

Sidérant. Il est proprement sidérant de voir avec quel désintérêt Emmanuel Macron et son gouvernement ont accueilli le récent rapport publié par le GIEC pour contenir le réchauffement à 1,5°C. Alors que les marches pour le climat ont été un succès, plusieurs défis vont devoir être relevés pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses qui ne viennent pas et dont nous avons besoin.

Tiré du blogue de l’auteur.

Le succès des marches pour le climat de ce samedi 13 octobre ouvre une nouvelle phase : le mouvement « climat » s’enracine et montre qu’il est capable de durer dans le temps et de ne pas se limiter à des coups d’éclat. L’inquiétude générée par les évènements climatiques extrêmes de l’été et l’émotion suscitée par la démission de Nicolas Hulot, qui pouvaient expliquer les défilés très fournis du 8 septembre dernier, ne suffisent plus pour rendre compte d’une mobilisation qui s’inscrit dans la durée : réunir 120 000 personnes dans 86 villes et villages transcrit dans l’espace public un besoin et une envie d’engagement collectif jusqu’ici jamais constaté en matière d’urgence climatique. C’est aussi l’espoir d’embarquer des millions de personnes et de bousculer « le système » qui s’exprime ici. C’est nouveau. C’est précieux. Celles et ceux qui contribuent, facilitent, aident, encouragent, soutiennent ce mouvement citoyen doivent donc être à la hauteur de cette espérance.

Revenons d’abord sur les dix enseignements à tirer de la séquence que nous venons de vivre, qui s’étend de l’été caniculaire à la publication du rapport du GIEC, en passant par la démission de Nicolas Hulot et l’ampleur – inédite – de la mobilisation citoyenne :

 le réchauffement climatique se conjugue au présent et ici, pas (uniquement) au futur et ailleurs ;

 il n’y aura pas plus de sauveur de l’humanité que de solution miracle ;

 la stratégie des « petits pas » des pouvoirs publics ne fonctionne pas et elle est discréditée aux yeux de l’opinion ;

 il n’y a pas de politique climatique à la hauteur des enjeux dans un cadre néolibéral, productiviste, consumériste et croissantiste ;

 le sérieux a changé de camp : affirmer qu’il faut transformer profondément notre système économique et social ne fait plus sourire, c’est devenu un passage obligé ;

 la dissonance entre les discours des décideurs politiques et économiques, toujours plus verts, et leurs décisions, qui ne le sont que trop rarement, n’a jamais été si grande et si bien perçue par l’opinion publique ;

 contenir le réchauffement climatique en-deçà de 1,5°C est encore possible au prix de « profondes réductions d’émissions dans tous les secteurs » ;

 si les impacts sur les milieux naturels et les populations varient fortement entre 1,5°C et 2°C de réchauffement, les solutions à mettre en œuvre sont identiques ; seule l’intensité et la rapidité d’application varient (autrement dit, quand on rate son arrêt de bus, on n’attend pas le terminus pour descendre, mais on descend à l’arrêt suivant)

 nous sommes bien plus nombreux à être prêts à nous mobiliser durablement et avec détermination que beaucoup d’observateurs ne l’affirmaient ;

 la participation aux manifestations et l’intérêt observé sur les réseaux sociaux se transcrivent dans une très forte demande d’actions et mobilisations concrètes, allant de la généralisation des petits gestes individuels à des actions plus engagées de désobéissance civile ;

Ces 10 enseignements sont autant de clarifications que nous devons exprimer, expliciter et défendre. Ce ne sont pas des acquis : ils peuvent être très éphémères en cas d’incapacité collective à faire vivre, renforcer et étendre ce mouvement citoyen sur le climat.

Plusieurs défis à relever

Prendre au sérieux l’urgence climatique c’est reconnaître l’étendue de la tâche et la nécessaire humilité individuelle et collective qui doit en découler. Qui plus est alors que les pouvoirs publics démontrent une fois de plus leur incapacité à se placer à la hauteur des enjeux : en guise de réaction au rapport du Giec, Emmanuel Macron s’est contenté d’un seul tweet renvoyant la responsabilité à autrui tandis que François de Rugy, en visite au salon de l’auto le jour de la publication du rapport, s’est fendu d’une série de tweets pour (mal)défendre le bilan du gouvernement en la matière.

Disons-le autrement : un rapide coup d’oeil dans le rétro vous fera constater le silence assourdissant des grands leaders politiques et économiques du monde suite à la publication du rapport du GIEC alors que la presse, les ONG et les militant.e.s du climat s’en sont saisis comme il se doit. A se focaliser sur le dixième de point de croissance à obtenir, les leaders de ce monde n’ont qu’une indifférence à peine gênée à proposer à l’opinion publique.

De ce constat découle une réalité crue, à la fois dure et indigeste : ni l’ONU, ni l’UE – incapable de revoir ses objectifs climatiques à la hausse – ni Emmanuel Macron ne vont se saisir du rapport du GIEC pour proposer un plan d’urgence pour le climat. Autrement dit, les superbes manifestations des 8 septembre et 13 octobre ne suffiront pas pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses dont nous avons besoin. Un rapport de force autrement plus puissant est nécessaire. Il en découle trois défis majeurs pour toutes celles et ceux convaincus de l’urgence à agir.

Un défi stratégique

Le premier défi est d’ordre stratégique : un mouvement s’entretient et se développe par des victoires. Compte-tenu du rapport de force dégradé et de l’inertie des pouvoirs publics, même de petites victoires sont bonnes à prendre. Car si les petits pas gouvernementaux sont à proscrire, il n’en est pas de même d’un mouvement pérenne et dynamique qui se nourrit justement de victoires à sa portée, lui permettant d’emmagasiner de la force et de maintenir son attrait vis-à-vis de l’extérieur. Avant même de discuter de prochaines dates de mobilisations et des formes qu’elles pourraient prendre, il paraît donc nécessaire de s’accorder sur quelques cibles prioritaires et gagnables.

Dans un mouvement citoyen qui émerge, les organisations de la société civile peuvent justement servir d’aiguillon. C’est d’ailleurs ce que fait le site Ilestencoretemps.fr qui regroupe les campagnes de nombreuses associations et ONG. Citons celle d’Attac France et 350.org qui a la force de l’évidence : les 24 millions de détenteurs d’un Livret de développement durable et solidaire (LDDS) sont légitimes à exiger que pas un euro de leur épargne n’aille à des entreprises qui détruisent la planète. Ou celle des Amis de la Terre qui cible les banques privées comme la Société générale. Ou encore la mobilisation en cours pour stopper le projet d’extraction aurifère en Guyane. Gagner sur l’une ou l’autre de ces mobilisations – ou toutes – sans perdre de vue un horizon plus global et systémique, serait de nature à nourrir et développer ce mouvement citoyen sur le climat.

Un défi organisationnel

Le second défi est d’ordre organisationnel et pose une question de taille aux ONG, associations et organisations existantes : que sont-elles prêtes à mettre au pot commun pour soutenir et développer ce mouvement citoyen ? Prendre au sérieux l’urgence climatique et les transformations à opérer indique tout de suite l’ampleur de la tâche : il ne s’agit plus de défendre son pré carré médiatique ou politique mais de se mettre au service d’une mobilisation citoyenne qui nous dépasse. Cela ne veut pas dire que les organisations doivent disparaître : leur rôle est fondamental par leur capacité à s’inscrire dans le temps long et à dégager des ressources pour le faire. Mais la question est ici de savoir si les ONG vont savoir se réinventer au service d’une cause qui dépasse chacune d’entre elle.

Disons-le autrement : là où les syndicats – quelle que soit l’appréciation que l’on peut avoir de leur action et de ce qu’ils sont et/ou sont devenus – ont été outillés pour être présents sur un maximum de terrains (site de production, entreprise, branche, interprofession, etc), pour former et encadrer des centaines de milliers de membres et pour construire et faire durer des mobilisations de masse sur des temps longs, les ONG ont, elles, principalement été outillées pour récolter des dons, développer une expertise citoyenne et déployer une communication grand public au service d’un plaidoyer politique auprès des institutions. Pour débloquer, nourrir et déployer la transition écologique, nous avons besoin de tout autre chose. Par exemple, aucune organisation n’est outillée pour former et encadrer des centaines de milliers de personnes en mesure d’insuffler des mobilisations et pratiques de transition, du local au global, en milieu rural et urbain, dans les entreprises et les institutions, etc. C’est pourtant décisif pour la suite.

Un mouvement citoyen ne peut perdurer dans le temps, se renforcer et s’étendre au plus profond de la société qu’en étant porteur d’un récit qui fait sens, dessinant un futur à la fois viable et enviable, en un mot désirable. En l’occurrence, il doit ici être capable de susciter un niveau d’engagement individuel et collectif rarement atteint dans l’histoire de l’humanité. Transformer les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale n’est pas une mince affaire : se limiter à la mobilisation de savoirs techniques ou à la juxtaposition de dates de mobilisation et de campagnes à mener, aussi essentiels soient-ils, ne sont pas suffisants pour donner du sens à la transition désirée.

Une partie de cet immense défi consiste à donner du sens à l’engagement de chacun.e. On le voit quotidiennement : beaucoup s’engagent aujourd’hui après avoir changé leur mode alimentaire (bio, local, réduction de sa consommation, etc) ou leur pratique quotidienne (se déplacer en vélo, etc). Loin d’être un frein à l’engagement collectif, ces actions individuelles peuvent en être un des moteurs. Pendant longtemps, on a opposé les engagements individuels aux engagements collectifs, les premiers étant supposés naïfs et insuffisants d’un côté quand les seconds étaient jugés illusoires et déconnectés de la réalité des gens. De ce point de vue, nous avons beaucoup à apprendre du mouvement féministe, de son histoire, de ses victoires et de ses échecs, pour réarticuler avec sérénité et détermination, plutôt que les opposer, les petits gestes de la vie quotidienne avec les mobilisations collectives.

Autre aspect de ce défi politique : l’articulation du local et du global. Le mouvement Alternatiba, et les nombreux villages organisés depuis cinq ans, ont montré la diversité des mesures et propositions alternatives qui peuvent être mises en œuvre à un niveau local, sans attendre. En même temps, le nombre limité de communes portant des projets territoriaux réellement alternatifs illustrent les difficultés et les verrous qu’il faut lever, souvent parce que les réglementations nationales ou internationales ne sont pas adaptées. C’est un des axes à développer : utiliser les interstices du système politique et économique tel qu’il existe pour déployer des alternatives locales, tout en faisant s’appuyant sur elles pour faire évoluer les réglementations qui empêchent leur généralisation.

Disons-le autrement : en 2013, Alternatiba appelait à construire 10, 100, 1000 Alternatiba pour donner à voir les alternatives et résistances locales. N’est-il pas temps d’appeler à 10, 100, 1000 projets territoriaux alternatifs afin de déployer des mesures alternatives et construire le rapport de force nécessaire à leur généralisation ?

« Si nous ne faisons pas l’impossible, nous devrons faire face à l’impensable ! », écrivait Murray Bookchin en 1982, dans The Ecology of freedom. Chaque jour qui passe renforce cette exigence.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.

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