Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Soirée Nouveaux Cahiers du Socialisme

Vrais problèmes faux débats

Les Nouveaux Cahiers du Socialisme avaient organisé jeudi le 24 octobre dernier une soirée débat sur le thème « Comment penser une Charte pour tout le monde ». Bochra Manaï de l’INRS, Sylvail Malette de la FAE et Caroline Senneville de la FNEEQ-CSN ont brossé un portrait des enjeux liés à la citoyenneté et à l’enseignement. Dans un deuxième temps Andrès Fontecilla président et co porte-parole de Québec solidaire, Daniel Baril, du Rassemblement pour la laïcité et Francine Pelletier, journaliste au journal Le Devoir ont apporté leur contribution sur la façon de repenser le débat.

La petite salle de l’UQAM était remplie à capacité. Trois mois après le premier ballon lancé par le PQ on se surprend à constater à quel point ce débat suscite encore un intérêt aussi vif et des discussions aussi passionnées.

Pour Bochra Manaï, Tunisienne d’origine, qui prépare un doctorat sur la communauté maghrébine à Montréal le projet de charte, alors qu’il devait réunir, aura des conséquences sociales importantes en raison de son aspect électoraliste. Le regard sur les femmes voilées aura changé, que l’on soit dans la position de les appuyer ou non. La charte renvoie aux citoyens la responsabilité de l’État. Cette charte aura au moins une conséquence « saine », celle d’obliger les arabo-musulmans de se réorganiser, de se donner une voix et une place dans la société. On voit une augmentation de la présence de toutes les tendances. Il faut regarder le phénomène charte avec d’autres éléments, dont la Commission Bouchard-Taylor. « Les grands oubliés de ce débat : la deuxième génération. Si on prend le modèle de la France, on aura les mêmes conséquences : exclusion, hiérarchie », ajoute-t-elle.

Pour Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement, il y a un débat occulté, celui de l’école dont un des rôles est l’intégration sociale. Le débat sur la charte n’amène pas plus de cohésion sociale. Il y a aussi des incohérences comme celle du financement public des écoles privées dont la moitié est confessionnelle. Pour lui, la laïcité s’exprime par l’institution et non par les individus. L’école est surtout prise avec des cas d’accommodement raisonnable. Le voile crée certes un malaise, mais il n’a observé aucun cas de prosélytisme.
Il déplore le fait que les commissions scolaires ont recours aux profs magrébins pour la suppléance (dépannage), sans mesures d’intégration alors que l’on sait que ces personnes ont souvent une conception plus républicaine de l’école, etc. Il pense que si le voile est interdit aux enseignantes, il le sera plus tard aux élèves, c’est la logique.

Pour sa part, Caroline Senneville, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), a posé des questions pertinentes. Même si la fédération n’a pas encore de position ferme, elle y a quand même réfléchi au moment de la Commission Bouchard-Taylor. Il y a consensus sur l’interdiction de signes ostentatoires pour les juges, policiers, etc. Il y a du mou pour le secteur de la santé et pour les cégeps et les universités. Le cœur du débat se situe au niveau de la profession enseignante et des services à la petite enfance.

Le voile est un symbole fort. On a beaucoup parlé des femmes voilées, mais peu parlé de la signification pour ceux qui voient le voile et aussi pour les relations entre les hommes et les femmes. Peut-on porter un regard critique sur le voile sans l’interdire ? L’interdiction ne va pas bien avec l’éducation. La laïcisation est un processus, ce n’est pas une lutte à finir. Il faut des jalons. Le débat est nécessaire, car le contexte est différent de celui de la Révolution tranquille.

Selon Andrès Fontecilla, le retour du PQ au nationalisme identitaire a pour but de freiner la désertion du giron politique du PQ de larges secteurs électoraux des banlieues de Montréal et de larges secteurs du Québec. Il a expliqué que la Charte crée un clivage important entre la population issu de la majorité canadienne-française et les minorités issues de l’immigration surtout la communauté arabo-musulmane et de ce fait exclut l’éventuel appui à l’indépendance du Québec d’une bonne partie de cette communauté.

Pire encore, cela les confortera dans une croyance de l’État fédéral protecteur des droits des minorités vivant au Québec a-t-il ajouté « Les communautés issues de l’immigration considèrent cette Charte comme une imposition de la majorité sur la minorité, exactement comme le Canada-anglais par rapport au Québec . » Selon lui la démarche d’accession à l’Indépendance doit passer par une politique d’addition des appuis dans toutes les composantes de la collectivité québécoise.
Il a poursuivi en expliquant que l’émancipation des femmes ne passe pas par une politique d’exclusion sociale d’autant plus si on considère que le taux de chômage est de 30% dans la communauté magrébine. Il a indiqué qu’une telle politique d’exclusion dans le secteur public pourrait inciter le secteur privé à faire de même : « La politique de discrimination existante qui ne se limite pas aux personnes portant des signes religieux sera accentuée par cette bénédiction de l’État. »

Aux propos de Daniel Baril qui affirmait que les musulmans s’auto excluaient du marché du travail : « Il y a deux fois plus de chômage chez les immigrants au Québec alors qu’en Ontario c’est 2% de moins, et selon Cyrano c’est probablement des facteurs culturels et religieux au Québec parce que ce n’est pas la même provenance d’immigration », Andrés Fontécilla a répliqué que les gens de sa communauté, les latinos, portent effectivement un signe ostentatoire, le crucifix. Ils sont également touchés par un fort taux de chômage. Le problème c’est la discrimination à l’embauche. C’est la même chose pour les gens de couleur, probablement qu’ils ont eux, une couleur ostentatoire.

Daniel Baril pose quant à lui la question de la limite de la liberté de religion. : « Comment on en est arrivé dans le débat actuel à avoir rentré dans la tête à coup de déclarations démagogiques que l’interdiction des signes religieux venait brimer la liberté de religion ? » Selon lui ce sont les choix individuels religieux qui briment les possibilités d’embauche, comme ceux qui refuseraient de travailler le dimanche. Il ajoute que les employeurs ont le droit d’exiger un code vestimentaire pour coller à l’image de marque de leur entreprise. Selon lui il en va de même pour l’image de l’État qui veut véhiculer une image de neutralité.

Mais il ajoute que si tout le monde peut porter des signes ostentatoires, alors pourquoi les chrétiens ne le feraient-ils pas : « C’est déjà commencé, il y a des personnes qui ont commencé à porter des croix ostentatoires dans les universités pour démontrer leur appartenance religieuse. Et pourquoi ce serait uniquement les chrétiens et les gens sans religion qui assumeraient les exigences de la neutralité de l’État ? »

Selon lui,le port de signes religieux relève simplement d’une décision individuelle volontaire : « Il n’y a aucune religion qui oblige de port de signes religieux. 100% des musulmans masculins ne portent pas de signes religieux sauf pour aller à la Mosquée, mais ils ne le portent pas pour aller au travail. 85% des musulmanes au Québec ne portent pas de signes religieux »

Au sujet des CPE il explique qu’on n’est pas obligé de tenir un discours d’une demi-heure pour entrer des choses dans la tête de l’enfant. Les signes religieux ostentatoires portés en permanence ça véhicule un message. Il cite un cas où l’éducatrice aurait fait la prière devant des enfants et un autre où on sépare les garçons des filles au moment du lunch. Il en conclut que « Le voile n’arrive jamais seul » et qu’il y a danger.

Francine Pelletier a quant à elle participé à remettre les éléments dans leur contexte. Partisane d’une vision large et inclusive elle affirme que nous vivons le plus grand débat que le Québec moderne ait connu tout en s’inscrivant en faux sur la façon dont le débat a été mené : « Je suis d’accord à l’effet que le PQ a quelque-chose derrière la tête et que par conséquent le débat est un peu faussé ». Selon elle il n’y avait pas de crise sur la place des religions au Québec mais pense que des balises sont bienvenues et qu’il faut officialiser la séparation de l’Église et de l’État. Mais elle croit également qu’il y a un énorme consensus au Québec sur toutes ces questions fondamentales de la laïcité. « Et pourtant nous n’avons jamais connu de division si importante et si profonde » ajoute-t-elle.

Selon elle, cela est dû pour beaucoup à la façon dont le débat a été mené. On a moussé une crise qui n’existe pas : « On prétend que cette question touche l’égalité homme-femme alors que ça n’a rien à voir. La vraie égalité homme femme a à voir avec comment on traite les femmes dans la société au niveau économique d’abord et ensuite politique et social, mais ça a très peu à voir avec la question du foulard parce que c’est devenu une question qui cible les religions plus ostentatoire. C’est de l’hypocrisie, juste privilégier une religion qui a des signes moins ostentatoires, il y a vraiment deux poids deux mesures et c’est de mauvais augure. Cela montre à mon avis les intentions du gouvernement québécois. Parce que la souveraineté ne se vend plus, il décide de prendre cette question oh combien importante et combien sérieuse pour trouver un produit qui se vendrait davantage. »

Francine Pelletier explique que le PQ est passé d’un nationalisme qui était progressiste, ouvert sur le monde, « ce qui n’est pas le fait de tous les nationalismes dans le monde » tient-elle à ajouter, à la création d’un mouvement de nationalisme identitaire moussé par nos intellectuels de droite. Elle ajoute : « Le nationalisme identitaire, ça veut dire par définition « nous et eux », ça crée des divisions instantanées dans la société québécoise, une société qui par ailleurs est extrêmement accueillante et tolérante.

Elle relate le processus de son film où elle tentait de comprendre les raisons du port du voile. Elle a réalisé que c’est possible d’être une femme pour la justice sociale tout à fait indépendante et porter le voile : « Et j’ai compris que pour beaucoup porter le voile correspond à une revanche identitaire, une conséquence du 11 septembre où il y a eu toute une vague islamophobe partout en Amérique du nord et en Europe. Pour ces femmes, c’était important de défendre leur identité. »

Elle conclut en disant qu’elle fait confiance à la société québécoise, et qu’il faut rejeter les politiques d’exclusion qui, comme en France, créent des radicalismes dans des ghettos parce que ces gens-là n’ont pas de place dans la société. « Une société uniforme où tout le monde est pareil, j’en veux pas, ça fait partie des libertés fondamentales » a-t-elle ajouté. Elle condamne les attaques contre les droits fondamentaux qui ne défendent pas seulement le droit de religion mais le droit à la conscience : « Ce n’est pas juste dommageable pour eux, c’est dommageable pour notre démocratie, pour la liberté pour laquelle les femmes se sont battues. »

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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