Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Première partie

Justin Trudeau n’est pas votre ami

Tout le monde aime Justin Trudeau mais ses politiques sont dommageables pour les travailleurs-euses, l’environnement et tous ceux et celles qui luttent quelque part.

Traduction, Alexandra Cyr.

À Kingston en Ontario, le mois dernier, le groupe rock chéri des Canadiens-nes, The Tragically Hip, donnait son dernier concert. Justin Trudeau était dans les estrades. Il était resplendissant dans son smoking bien canadien : veste de denim, jeans et t-shirt à l’effigie du groupe. Il était accompagné de son vieil ami Gerry Butts. Ils se connaissent depuis leurs années d’études à l’université McGill et M. Butts est maintenant devenu le conseiller politique du premier ministre. Plus tôt, M. Trudeau avait posté une photo de lui-même avec le chanteur du groupe, Gord Downie sur son site Twitter. Gord Downie avait interpelé le Premier ministre depuis la scène. Il lui demandait d’en faire plus pour les autochtones. M. Downie est une icône de la culture canadienne anglaise nationaliste de gauche comme le sont la peintre et musicienne Joni Mitchell, l’auteure Margaret Atwood et le cinéaste David Cronenberg. Il semblait convaincu, ce soir-là que M. Trudeau « ferait ce qu’il faut » et « aiderait ces gens ».

Les progressistes du Canada et une partie des membres du mouvement ouvrier partagent l’espoir sincère de Gord Downie à l’effet que le jeune Trudeau représente un tournant progressiste pour le pays. Après tout n’a-t-il pas fait campagne à la gauche du Nouveau parti démocratique (NPD ?

Avec son chef Thomas Mulcair, fan avoué de Margaret Tatcher et maintenant évincé de ce poste, le NPD a fait campagne avec une plateforme conservatrice au plan fiscal. Justin Trudeau s’est mis aux enchères comme un candidat opposé a l’austérité. Il a promis des mesures sociales significatives dont la légalisation de la marijuana.
Même s’il ne partage que peu de ses engagements politiques, la campagne de M. Trudeau avait des allures de celles de Pablo Iglesias, chef du Parti espagnol, Podemos. D’une certaine façon il était un candidat de gauche. Mais comme son voisin du sud, M. Obama et comme son père avant lui, il sait comment faire appel à la conscience des Canadiens-nes.

Il se dit féministe et son cabinet est formé d’un nombre égal d’hommes et de femmes. Il a aussi nommé un nombre significatif de personnes de couleur dont l’agressif ministre de la défense, M. Harjit Sajjan. Ancien agent de renseignement en Afghanistan, il a été mêlé au transfert de prisonniers afghans aux policiers de ce pays qui les ont torturés. Les médias ont fait peu de cas de cette information et ont préféré se concentrer sur l’administration multiculturelle du nouveau Premier ministre.

C’est là que se cache l’insidieux danger que représente Justin Trudeau. Il est l’emblème des « libéraux blancs crispés ». Il est la représentation d’une Ted Talkii bien vivante, un George W. Bush cosmopolite appliquant les politiques de Jeb Bartlettiii. C’est une image bien calculée et mise en scène qui fait écran aux politiques qui penchent bien plus à droite que ne le laissent entendre ses photos sexys et ses parades …..

Papa Pierre

Jusqu’à l’élection en 1968 du père de Justin, Pierre Trudeau, le Parti libéral du Canada était perçu comme le lourd et noble parti de l’élite laurentienne traditionnelle du Canada. Papa Pierre, qui à une époque admirait Pétain et Franco, s’est entiché de Marshall McLuhaniv, a souhaité la bienvenue à John Lennonv et Yoko Onovi durant leur tournée en faveur de la paix.

Cette rencontre avec ces deux vedettes à mis en relief la décision du Premier ministre de ne pas participer à la guerre du Vietnam. Mais ça n’empêchait pas pour autant l’industrie aéronautique canadienne d’amasser des profits fabuleux grâce à cette guerre.

Oui, il y a eut des avancées progressistes durant cette période. Mais P. Trudeau ne peut s’en attribuer tout le mérite. Elles ont eut lieu grâce aux intenses pressions du mouvement social, des citoyens-nes américaines qui, fuyant la conscription dans leur pays, se sont installé au Canada sans trop de difficulté. En 1975, pendant le gouvernement minoritaire, M. Trudeau a fondé la compagnie pétrolière nationale, Petro-Canada. Il a pu le faire grâce à l’accord du NPD qui aurait pu faire tomber son gouvernement.

En 1970, c’est le recours aux Mesures de guerre qui suspendent l’Habeas Corpus et renforcent considérablement les pouvoirs policiers. Cette décision est prise par le gouvernement Trudeau en réponse (au Front de libération du Québec, FLQ) qui a kidnappé l’attaché commercial Britannique et le ministre du travail du Québec.
Tommy Douglas, le chef du NPD et son Parti se sont opposé à cette déclaration. Des journalistes ont demandé à M. Trudeau comment il comptait s’y prendre pour en finir avec les séparatistes (québécois). Sa réponse fut fabuleuse : « Regardez-moi aller » ! N’avait-il pas fait face à des souverainistes qui appelaient à sa pendaison au cours de la campagne électorale ?

En 1969, son gouvernement publie un livre blanc qui prévoit le retrait du statut d’indien pour les populations autochtones le détenant pour qu’elles s’assimilent sous la bannière libérale du multiculturalisme. La fin des réserves était prévue ; c’était mettre en vente les terres des Premières nations. Ce que Gord Downie demande au jeune Trudeau de corriger, ce sont les horreurs que son Premier ministre de père a mis en place.

Un petit peu de compassion

Justin a grandit sous les projecteurs, équivalent canadien de JFK junior. Que ce soit lorsque le Président des États-Unis, Richard Nixon et son épouse lui offraient Snoopy comme toutou, lorsqu’il visionnait L’empire contre attaque avec son père, lorsqu’il s’amusait au cours d’une balade en canot ou se montrait avide de séance de caméra, les médias étaient présents ; ils ont suivi son enfance sans arrêt.

Après ses études à l’Université McGill et le développement de son amitié avec M. Butts, comme beaucoup de jeunes canadiens riches, il s’est installé en Colombie Britannique. Il y a fait beaucoup de ski ! Il y a aussi reçu une formation en pédagogie pour ensuite enseigner dans des collèges de la province.

En 1998, son frère Michel est décédé dans une avalanche. Cet événement l’a ramené dans la sphère publique comme avocat de la sécurité. Le jeune canadien emblématique et sérieux est devenu omniprésent dans les médias, surtout sur la côte ouest du pays. Il s’est fait le défenseur de toutes sortes de causes libérales allant du devoir de sauver le Darfour jusqu’à celui de soutenir les jeunes autochtones.

Comme la plupart des Canadiens-nes aisés-es il a toujours pensé qu’il était sur terre pour sauver le monde entier. La bourgeoisie canadienne ne voit pas de problèmes dans ses structures sociales ; elles ne devraient qu’être un peu mieux réfléchies avec un léger ajout de compassion.

Mais, c’est au moment des funérailles de son père que Justin Trudeau est réellement entré dans la vie publique. Fidel Castro, Jimmy Carter et toutes sortes de personnes de type Davosvii y participaient également. On a qualifié l’éloge funèbre qu’il a prononcé d’historique. On l’a même comparé à Périclès. Ce fut le lancement de sa carrière politique publique et nationale. Sept ans plus tard il était élu député du comté de Papineau à Montréal.

À compter de ce moment, Gerry Butts a pris les choses en main et a élaboré son plan de montée vers les sommets. Au cours de cette période, J. Trudeau a souvent servi à la ligne d’attaque, sorte de G.W. Bush canadien mieux connu pour ses matchs de boxe caritatifs et son absence de positions engageantes. Il a quand même été du côté du chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, et dénoncé les Conservateurs d’extrême droite du gouvernement Harper qui faisaient adopter et appliquaient les mêmes lois que les gouvernements libéraux précédents.

Des étoiles dans les yeux

On ne peut nier qu’il soit aimé et admiré et pas seulement au Canada. Les médias du monde entier saluent le « Smoking-hot Syrupy Fox », le Premier ministre « cool ». Donald Trumpviii peut bien dire qu’on l’aime en Chine, c’est sûr que Justin Trudeau y est aimé. Nonobstant ses commentaires superficiels sur les droits humains dans ce pays, que les médias d’État chinois ont qualifié de « décevants », il y est une star. Ces commentaires n’étaient d’ailleurs faits que pour la forme. Il n’en a jamais dit autant de l’Arabie saoudite ou d’Israël. Le multimillionnaire Jack Ma, fondateur et p.d.g. d’Alibabaix, l’a qualifié de « futur du Canada ». Les magazines féminins et de la jeunesse l’ont décrit semblable à l’ami de son père, John Lennon.

Le Canada et la Chine entretiennent des rapports (diplomatiques et commerciaux) depuis longtemps ; le Canada a toujours fait des affaires avec les « communistes ». Mais le gouvernement Harper les avait un peu refroidis. Les bourgeoisies canadiennes et chinoises se qualifient de moins protectionnistes que leur contre partie américaine. De fait, sous le leadership de J. Trudeau, le gouvernement canadien a recommencé à rouspéter contre les tarifs américains principalement dans le secteur du bois d’œuvre.

Ce genre d’authentique néolibéralisme attaché au libre échange avec un soupçon de mesures sociales constitue le fondement du Parti libéral. On peut pardonner aux jeunes Chinois et aux multimillionnaires de se jeter là-dessus mais le mouvement ouvrier canadien devrait se méfier un peu plus.

Bien sûr, le Parti ouvrier traditionnel au pays, le NPD, n’est pas vraiment une alternative. Et M. Trudeau a fait sa campagne avec des propositions tirées de Keynes et Piketti ce que son adversaire Tom Mulcair n’a pas fait. Mais l’actuelle histoire d’amour entre J. Trudeau et le mouvement ouvrier est différente du bon vieux lèche cul de quiconque détient le pouvoir qui était sa stratégie antérieure. Hassan Yussuf, le président du Congrès du travail du Canada, encense M. Trudeau avec effusion et il n’est pas le seul. Cette approbation du pouvoir libéral diminue radicalement les attentes que le monde ouvrier du pays peut avoir et entache la possibilité de produire des analyses rationnelles.

Il n’y a qu’à voir le récent règlement entre Poste Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleurs des postes du Canada, un des plus importants syndicats du pays avec une culture de liens actifs avec sa base et une orientation très à gauche. Ce syndicat est resté sur ses positions et a réussi à développer un très large appui populaire à sa cause. La fin de la distribution du courrier à domicile décrétée par le gouvernement Harper a renforcé ces appuis. Il a réussi à conserver le régime de pension à prestations déterminées alors que l’employeur voulait introduire un plan à cotisations déterminées. L’État pouvait imposer un arbitrage obligatoire ou obliger les travailleurs et travailleuses à reprendre le travail en cas de grêve. Mais alors que le syndicat pouvait entrer en grève légale, la ministre du travail a nommé un médiateur. Le syndicat a maintenu ses positions, retenu les concessions possibles. C’est une importante bataille (victorieuse) qui établit les bases de son approche visionnaire pour les services publics.

M. Yussuf et les libéraux guillerets du Toronto Star y voient la démonstration que M. Trudeau est l’ami du monde ouvrier. Le gouvernement Trudeau serait d’accord pour entreprendre des discussions pour améliorer le Plan de pension du Canada. En n’imposant pas une convention collective aux travailleurs et travailleuses des postes, en laissant le cours normal des négociations se poursuivre, il est perçu comme un héro.

Mais quand il s’agit de l’avenir des négociations dans les secteurs publics et privés, les perspectives avancées par M. Trudeau sont terribles. Il défend le traité de libre échange avec l’Europe, (AECG) qui attribue des privilèges aux entreprises aux dépends des travailleurs-euses. Mme Linda McQuiagx souligne : « les investisseurs auront toujours la possibilité de poursuivre les gouvernements à cause de législations qu’ils n’aiment pas. Ces poursuites seront présentées à un tribunal spécial où ils jouiront de plus fortes protections légales que celles consenties à tout autre groupe selon les lois nationales ou internationales ».

Remarquablement, le jour de la fête du travail, aucune organisation syndicale n’a appelé au rejet complet de ce traité. Dans le passé, la bureaucratie syndicale du Canada s’est battue contre des traités qui allaient contre les intérêts de la classe ouvrière. Aujourd’hui, elle est trop occupée à se pâmer d’admiration devant M. Trudeau pour travailler à la protection des intérêts des travailleurs-euses.

Jordy Cummingsi, jacobinmag.com, 9 septembre 2016,

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