Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique canadienne

Avec ou sans Bev Oda, les organisations de coopération internationale réclament un dialogue !

La tempête Bev Oda fait rage. Dans toute démocratie qui se respecte, la Ministre aurait plié bagage depuis longtemps. En marge, certains démagogues de droite souhaitent profiter de l’occasion pour re-planter le même clou contre l’existence même des organisations non-gouvernementales… déjà vu… Mais le vrai débat est ailleurs, car les récentes décisions du gouvernement conservateur en coopération internationale vont bien au delà de quelques coupures drastiques et injustifiées. Elles ont comme conséquence immédiate de priver le pays de l’expertise et de la présence efficace de plusieurs organisations de coopération qui animent, éduquent et impliquent une très large base québécoise et canadienne, citoyenne, bénévole et philanthropique.

La crise provoquée par la Ministre Bev Oda aura eu le mérite de faire la lumière sur plusieurs enjeux et de faire consensus sur au moins l’un d’entre eux ; on ne peut mentir à la chambre des députés et donc à l’ensemble des canadiens sans conséquence. C’est en partie la raison des tergiversations de la Ministre, mais davantage, c’est à cause d’un aveu, celui d’un gouvernement qui s’autorise à politiser une décision au point de ne tenir aucun compte des processus de validation de tout un Ministère. C’est un aveu qui dérange... même au sein du parti actuellement au pouvoir.

C’est justement pour éviter que des questions humanitaires deviennent des questions de politiques étrangères que l’État canadien a créé l’Agence canadienne de développement international - ACDI en 1968, puis l’a doté d’une mission et d’objectifs humanitaires et de développement et qu’enfin fut adopté en 2008, la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle. L’ACDI et ces politiques reconnues deviennent un tampon institutionnel entre le politique et les projets de développement ce qui permet de ne pas évaluer les organisations en fonction de leurs opinions ou des opinions d’un élu, mais en fonction de la réalisation des projets qu’ils proposent. Le problème qui nous préoccupe est justement là. L’ACDI a évalué les organisations et projets pour leur cohérence avec des critères administratifs et des politiques établies, et a déterminé d’appuyer la proposition de Kairos, mais la ministre en fait fi et change la décision pour des raisons qui sont, dans ce cas, bel et bien idéologiques, et n’ont rien à voir avec le développement ou l’aide humanitaire.

On comprend que la Ministre a sa propre idée, mais en bout de piste, est-ce légitime pour une organisation de coopération internationale d’avoir aussi une vision propre sur le développement ?

Bien évidemment ! Le site Internet de l’ACDI précise même qu’ « afin d’aider le Canada à atteindre ses objectifs, l’ACDI vise aussi à s’engager dans l’élaboration de politiques de développement au Canada et sur la scène internationale au chapitre du développement ». Les partenaires de l’ACDI doivent aussi pouvoir contribuer dans ce sens et l’ACDI, jusqu’à tout récemment, avait créé tout un département du Partenariat à cet effet !

Mais en juillet dernier, l’ACDI annonçait une toute nouvelle approche de partenariat entre l’ACDI et les organisations citoyennes de coopération internationale. Dans ce nouveau mécanisme de financement, la poursuite d’un but commun, soit celui de renforcer les organisations du Sud afin qu’ils deviennent des acteurs essentiels et de plein droit de leur développement apparaît comme une valeur oubliée ! Le système sera désormais le fruit d’un système concurrentiel d’appels de propositions où les organisations canadiennes seront considérées comme des sous-traitants sans possibilité d’influer sur les stratégies !

Pendant plus de 30 ans, grâce à ses mécanismes de consultations et de financement réactifs , l’ACDI a joué un rôle de catalyseur, renforçant la capacité des organisations à être des acteurs efficaces du développement, lesquels en retour ont pu mettent à contribution leurs vastes expertises et réseaux au service de partenariats multiples qui touchent nombre de secteurs et de pays. Cette symbiose, maintenant brisée, faisait toute la richesse de la coopération canadienne.

Au delà donc de la crise actuelle qui secoue le Ministère de la coopération, les organisations de coopération internationale redisent l’importance de leur participation à l’élaboration des orientations de la politique gouvernementale en matière de coopération internationale. Convaincus de l’importance de la participation citoyenne dans nos sociétés, nos organisations doivent redevenir, d’authentiques partenaires de l’ACDI pour continuer à favoriser le dialogue entre le gouvernement et la société civile que nous animons dans de nombreuses initiatives de solidarité.

Michel Lambert

Directeur général d’Alternatives.

http://journal.alternatives.ca

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