Édition du 7 mai 2024

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Afrique

Afrique : Covid-19, « élites », dette, capitalisme et le « temps d’après »

Le nouveau virus corona ou Coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2), causant la maladie dite Covid-19, s’est manifesté en Afrique à partir de la mi-février 2020, soit presque trois mois après le premier cas de Covid-19 en Chine (novembre/décembre 2019). Sans, jusqu’à présent, produire l’hécatombe tant pronostiquée [1], redoutée, à cause du très mauvais état de la santé publique dans tous les pays africains, de l’habitat urbain considéré comme très majoritairement caractérisé par la promiscuité, voire une censée forte densité urbaine [2], etc.

Tiré du site du CADTM.

À la date du 30 août 2020 (selon « Covid-19 pandemic by country and territory » et « Covid-19 pandemic in Africa » de l’encyclopédie Wikipedia), sur les 24 997 328 cas confirmés et 842 522 décès dans le monde, l’Afrique (55 pays) comptait 1 249 461 cas confirmés et 29 598 décès, soit respectivement le vingtième et le vingt-huitième des cas et décès dans le monde, alors que l’Afrique représente le sixième de la population mondiale. Comparativement aux pays occidentaux dits développés, l’Afrique a 4,8 fois moins de cas confirmés et 6,2 fois moins de décès que les États-Unis d’Amérique (presque quatre fois moins peuplée : 332 639 000 d’habitant·e·s contre 1,3 milliard pour l’Afrique) avec ses 6 008 588 cas et 184 353 décès. Si elle a 3,7 fois plus de cas confirmés que le Royaume-Uni (332 752) qui est 19,5 fois moins peuplé, celui-ci (pays le plus éprouvé d’Europe) a 11 900 décès de plus qu’elle. Quant au pays le plus éprouvé de l’Union européenne, l’Italie avec 4,6 fois moins de cas confirmés que l’Afrique, elle compte 5875 décès de plus que celle-ci, 21,5 fois plus peuplée. De même que la France (19,2 fois moins peuplée) avec ses 272 530 cas, soit 4,5 fois moins que l’Afrique, la dépasse néanmoins de 1004 décès.

Après leurs premiers cas, les États africains ont généralement été réceptifs, diversement certes, au « théâtre de la pandémie » [3] dont relevaient les appels – souvent considérés comme alarmistes, catastrophistes – lancés par le secrétaire général de l’ONU, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), etc. Ils ont ainsi instauré soit certaines des mesures préventives, soit toutes celles qui s’appliquaient déjà ailleurs : état d’urgence sanitaire, fermeture des établissements scolaires, des lieux de culte, des bars, restaurants et autres lieux de regroupement, arrêt des activités économiques jugées non essentielles, distanciation physique, port du masque, lavement régulier des mains, fermeture des frontières, instauration du couvre-feu nocturne, isolement de certaines villes, voire le confinement partiel ou total (considéré comme la mesure la plus efficace pour contrer une large propagation du virus, mais assez vite levé dans quelques cas). La majorité des États africains n’a pas confiné. En Tanzanie, par exemple, le président s’en est tout simplement remis à Dieu. C’est cette réaction assez rapide, dans sa diversité qui explique, entre autres [4], que l’Afrique ne connaît pas, jusqu’à présent, l’hécatombe annoncée. Même s’il faut souligner la rapide progression depuis deux mois : au 30 juin, l’Afrique avait 370 661 cas confirmés et 9 480 décès, contre respectivement 141 599 et 4 070 au 30 mai – soit trois mois et demi après le premier cas déclaré en Égypte. En trois mois, de fin mai à fin août, le nombre de cas confirmés a été multiplié par 8,8 (contre 4,1 fois au niveau mondial) – conséquemment sans doute à l’augmentation des tests réalisés –, et le nombre de décès a été multiplié par 7,2 (2,2 fois au niveau mondial) avec « dix pays [africains qui] signalent des taux de létalité comparables ou supérieurs au taux mondial de létalité de 3,5 % », de 4 % en Sierra Leone en Algérie à 8 au Tchad, en passant par 5% en Égypte et 6 % au Liberia [5] (précédemment frappé par Ebola).

Une situation africaine dont l’exceptionnalité pouvait néanmoins être relativisée jusqu’en mai, car une hécatombe était aussi annoncée, par exemple [6], pour l’Inde (voisine occidentale de la Chine, toutes deux membres des BRICS, et dont la population est presque semblable à celle de l’Afrique, 1,3 milliard d’habitant·e·s) ayant eu son premier cas dès le 30 janvier. Mais à l’instauration du confinement (24 mars, soit presque deux mois après), malgré son leadership mondial en matière de maladies respiratoires, elle en était à 519 cas confirmés et dix décès [7] (après un boom de 390 cas en une semaine). Ainsi Arundhati Roy, par exemple, exprimait sa surprise : « En Inde, il nous est difficile de réaliser ce qui se passe. Jusqu’à présent, nous avons eu peu de cas de coronavirus. Est-ce parce que l’Inde réalise très peu de tests ? […] Personne ne nous dit exactement ce qu’il en est. Mais il est certain que si le coronavirus frappe l’Inde comme il a frappé l’Europe, ce sera un cataclysme. Nous n’avons pas un système de santé à proprement parler pour les pauvres, ni d’ailleurs pour la classe moyenne […] La semaine dernière, notre Premier ministre Narendra Modi nous a dit “Venez sur vos balcons et frappez dans vos mains dimanche contre le coronavirus !”. Mais combien de gens ont des balcons en Inde [8] ». Un mois plus tard, malgré les conditions de retour dans leurs villages (au lendemain du 24 mars) de la main d’œuvre migrante, une centaine de millions de personnes – « le confinement destiné à assurer la distanciation sociale a eu le résultat inverse : la contiguïté physique à une échelle inconcevable [9] » déplorait A. Roy – l’Inde avait alors officiellement 144 950 cas confirmés et 4 162 décès (dixième rang mondial). Soit beaucoup moins que les États-Unis (déjà 1er rang mondial avec 1 662 302 cas et 98 000 décès, pays 4 fois moins peuplé) ou celui qui avait été sa puissance coloniale, le Royaume-Uni (quatrième rang mondial avec 262 547 cas et 39 996 décès, et 20 fois moins peuplé que son ancienne colonie). Celui-ci était suivi par des pays de l’Union européenne : Espagne, Italie, Allemagne et France qui dépassaient l’Inde de 90 milliers de cas confirmés (Espagne) à 3 centaines de cas (France) et concernant les décès, du septuple en Italie – à quasiment le double en Allemagne. Les populations de ces quatre pays étant soit supérieure à celle du Royaume-Uni d’une dizaine de millions concernant l’Allemagne, soit presque semblable pour la France, soit encore inférieures concernant l’Italie (de 6 millions) et l’Espagne (presque 20 millions). L’Inde dépassait alors l’Afrique (ayant une population quasiment semblable) de 29 068 cas confirmés et 683 décès. Ainsi, il a été aussi question d’« “Exception” Indienne ou Inversion du Monde ? [10] ». C’est à partir de juin que le nombre de cas a pris l’ascenseur en Inde, jusqu’à occuper, au 30 août, le troisième rang mondial (derrière les États-Unis d’Amérique et le Brésil) en nombre de cas confirmés (3 542 733) et au quatrième rang pour les décès (63 498), soit 1,6 fois moins de cas confirmés (2 465 855 de moins) et 2,9 fois moins de décès que les États-Unis d’Amérique (qui à presque 2 000 000 de cas, dans la première décade de juin, affichaient déjà 111 000 décès), 22 000 décès de plus que le Royaume-Uni, 28025 de plus que l’Italie, 2 fois plus décès de plus que la France, des pays moins peuplés que l’Inde dans les mêmes proportions qu’avec l’Afrique (de 4 à 21,5 moins).

Si l’Afrique était un pays, avec ses 1 249 461 cas confirmés (au 8 août), elle occuperait le quatrième rang mondial, soit entre l’Inde et la Russie (995 319 cas, pour une population de 146 780 700, en 2019), et avec ses 29 598 décès, elle serait au huitième rang. Cependant seuls 15 des 55 pays africains dépassent les 10 000 cas confirmés (des 10 045 cas de la RD du Congo aux 625 056 de l’Afrique du Sud – sixième rang mondial, après le Pérou et devant la Colombie –, en passant par les 98 497 de l’Égypte, 43 781 de l’Algérie, 34 057 du Kenya, 19142 du Cameroun), et seuls 8 des 55 dépassent les 500 décès, des 574 du Kenya aux 14 028 de l’Afrique du Sud (13 rang mondial). L’Érythrée et les Seychelles affichent zéro décès avec respectivement 318 et 136 cas confirmés – la population seychelloise étant de 98 055, la moins nombreuse d’Afrique. Certes des réserves sont émises sur les statistiques africaines (la non encore surmontée « tragédie des statistiques africaines » que pointait, dans un article éponyme, Shanta Devarajan, alors économiste en chef de la division Afrique à la Banque mondiale et animateur du blog Africa Can End Poverty, 2011) par une équipe de chercheurs et enseignants en médecine (6 Africains sur les 7) ayant affirmé, tout récemment que « les chiffres officiels ne peuvent pas refléter à eux seuls la diffusion réelle de la pandémie » [11] (par exemple, les données tanzaniennes sont gelées depuis mai, sans que soit annoncée une maîtrise de la pandémie semblable à celle accomplie à Maurice qui n’avait pas eu un seul cas positif pendant trois mois, jusqu’à la première quinzaine d’août, mais affiche 10 cas actifs au 30 août ). Eu égard, par exemple, au faible dépistage que pratique la grande majorité de pays africains. En précisant toutefois qu’il ne s’agit pas d’une particularité africaine, car « aux États-Unis […] les cas pourraient être dix fois plus nombreux que ce que les statistiques indiquent ».

Ainsi, c’est de façon hâtive que certaines voix africaines, et d’ailleurs, ont applaudi la gestion de la crise sanitaire par les gouvernants africains. Voire – comme par inversion du catastrophisme non dépourvu de relents coloniaux – les ont érigés en exemples [12], alors qu’ils n’ont fait qu’imiter ce qui s’était imposé ailleurs (la chronologie étant souvent évacuée). Ils n’ont fait que s’adapter (l’adaptation étant une injonction néolibérale selon la philosophe Barbara Stiegler). La faible contamination relevant par ailleurs de facteurs indépendants de quelque action/volonté humaine (cf. par exemple, les hypothèses recensées par O. Marbot, op. cit.) [13]. En même temps, il était question, après un trimestre à peine, de “résilience” effective particulière de l’Afrique (combien de sociétés effondrées hors d’Afrique ? Indiquons que d’un point de vue « humaniste », la résilience peut être définie comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères » [14]). Alors qu’en cette mi-août la pandémie n’est pas encore finie, continuant son cours, avec depuis quelques semaines une dite deuxième vague, ici et là, dans presque toutes les régions du monde. Une vie de la pandémie aux conséquences socio-économiques déjà déplorables, avec des pronostics alarmants sur le vécu à venir des classes populaires, africaines en l’occurrence, pouvant être pire que sous l’urgence sanitaire [15].

En Afrique, où c’est dans l’économie dite informelle que s’active la grande majorité (« le taux d’emploi informel le plus élevé au monde (85,8 % de l’emploi total) » selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies/CEA, mars 2019 et les femmes y sont majoritaires, sauf surtout dans la partie septentrionale,), vivant souvent au jour le jour, certaines de ces mesures préventives ont certes favorisé l’évitement, dans un premier temps, d’une large propagation de Covid-19, mais ont aussitôt exposé à « Pochvid-20 [16] » celles/ceux qui n’avaient qu’une faible épargne. La situation ne pouvant qu’être pire, pour celles et ceux qui n’en avaient pas, n’en ont pas d’ordinaire, dans ces sociétés plus basées sur la solidarité familiale – souvent mise à mal, ces derniers temps surtout en milieu urbain, par la croissance de la pauvreté, des pauvres, facteur d’exode rural et de croissance des bidonvilles –, plutôt que par des mécanismes d’aide sociale allouée par l’État aux plus démuni·e·s (allocation n’existant, en temps ordinaire, qu’exceptionnellement, dans quelques pays : « 11 % seulement des 20 % des ménages les plus pauvres sont pris en charge par l’assistance en Afrique subsaharienne, contre 21 % en Asie du sud, 50 % en Europe orientale et en Asie centrale, et 58 % en Amérique latine » selon la CEA, mars 2019). Ce qui devrait être de règle, surtout avec la croissance de celles/ceux-ci dans les cas de confinement, voire d’état d’urgence sanitaire. Que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural, où les récoltes agricoles n’ont pu être effectives ou être normalement vendues, presque autant pour l’élevage. Une grande précarisation donc. Par exemple, en Afrique du Sud, où existe un programme d’aide sociale aux enfants des familles très pauvres, sous forme des cantines scolaires gratuites, la fermeture des écoles a produit des situations où certain·e·s des enfants, en bénéficiant d’habitude, s’évanouissaient de faim, les parent·e·s n’étant pas en mesure de suppléer au devoir de l’État. Ou comme « In Peddie in the Eastern Cape, children are eating wild plants to survive, as the Covid-19 pandemic and the lockdown take their toll. The number of households going hungry has doubled, according to a new research [17] ». Une situation dramatique qui a été aggravé par le caractère prédateur des gouvernants locaux sud-africains, s’étant adonnés remarquablement, presque partout, au détournement d’une partie de l’aide alimentaire destinée aux plus démuni·e·s de leurs administré·e·s, non seulement pour la partager à leurs proches, mais aussi pour la revendre [18] ; la cupidité étant un ressort du militantisme des dirigeants de l’ANC.

Pochvid-20 n’a pas frappé que dans l’économie dite informelle, car l’état d’urgence sanitaire, le confinement ont concerné, concernent aussi, évidemment, l’économie dite formelle qui est principalement privée dans le contexte quadri-décennal de néolibéralisation. Les secteurs considérés comme non indispensables ou non essentiels ont été mis en arrêt temporaire, ou en activité restreinte, du fait aussi de la quasi paralysie de différentes chaînes de l’économie mondiale, Ainsi nombre de salarié·e·s africain·e·s (2 %, selon la cinquième édition de Le Covid-19 et le monde du travail par l’Observatoire de l’OIT, 30 juin 2020, avec plus de salariées dans nombre de cas [19]), surtout dans des micro et petites entreprises, s’est retrouvé, se trouve encore, en précarisation sociale, en attendant le déconfinement, complet là où il est déjà partiel, la fin de l’état d’urgence sanitaire, voire la « relance économique ». Au Cameroun, par exemple, champion économique de la sous-zone Afrique centrale du Franc CFA (CEMAC), c’est, selon le patronat local (relayé par Jeune Afrique, 15 juillet 2020), « un salarié sur six du secteur privé mis au chômage technique », soit 53 000 salarié·e·s, et 14 000 ont été licenciés. Cette précarisation de salarié·e·s, tout comme la restriction de la circulation entre les zones urbaines et rurales – en dépit d’un relatif exode urbain (vers les villages) constaté dans plusieurs pays –, voire d’un pays à un autre [20], ont évidemment impacté la chaîne de solidarité ou d’entraide familiale, fragilisant ainsi la stricte observance du confinement par les plus démuni·e·s. Il s’agissait, il s’agit encore ici et là, de choisir entre Covid-19 et Pochvid-20 [21]. Car, comme l’ont relevé plusieurs voix, dans les premières semaines de confinement de certains États africains, à l’instar de celle de l’universitaire à la retraite et marxiste, Issa Shivji : « without humongous feeding schemes, lock-down is not possible and without lock-down it will be impossible to control transmission » [22]. Ainsi, certain·e·s, en quête de moyens de subsistance, ont été blessé·e·s, voire tués, par les forces dites de l’ordre, dans certains pays. Par exemple, au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique et disputant avec l’Afrique du Sud la place de l’économie (capitaliste) africaine la plus dynamique : « At least until the end of April 2020, the security forces killed more people policing the lockdowns in the various states than those people who actually died of coronavirus. » ; au Kenya : « In Kakamega county, around 1 April, Idris Mukolwe, a tomato seller, was hit by a teargas-cannister police threw at him. It exploded in his face and as he started suffocating, they laughed at him before he died » [23] – des collègues kenyans de Derek Chauvin (le policier blanc états-unien assassin du noir George Floyd).

De façon générale, les États africains ont réagi, imposé des mesures, y compris le confinement, sans véritable préparation, par exemple concernant l’aide sociale pour celles/ceux qui seraient confronté·e·s à Pochvid-20. Et, comme d’ordinaire, selon une conception assez tronquée de la consultation démocratique, voire avec comme un zeste de mépris à l’égard de certaines catégories sociales : le « président de la République […] a consulté tout le monde sans nous, les organisations paysannes. Aucune plateforme du secteur n’a été reçue par le chef de l’État comme cela a été fait avec les hôteliers, les rappeurs, les partis politiques, etc. », déplorait le porte-parole du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux, du Sénégal, Sidy Ba [24] (l’agriculture paysanne occupe autour de 50 % de la population active sénégalaise).

Dans cette Afrique dont le taux moyen de croissance du PIB a été présenté en ce 21e siècle comme l’expression d’une assez bonne santé économique, considérée comme destinée à s’“améliorer” – il était « estimé à 3,4 % pour 2019, devrait s’accélérer pour atteindre 3,9 % en 2020 et 4,1% en 2021 », selon les Perspectives économiques en Afrique 2020 du Groupe de la Banque africaine de développement – on ne pouvait, avant l’arrivée de la pandémie, en dire autant du système de santé publique, de l’accès des classes populaires (constituant partout la majorité de la population) à des soins médicaux nécessaires et de qualité. La grande majorité des États n’étant pas suffisamment équipée, en matériel de santé nécessaire, et dotée en personnel requis, ainsi sont-ils généralement très mal classés dans l’indice mondial de sécurité sanitaire, ou concernant la couverture universelle, à l’exception d’une trop infime minorité. D’où la tradition chez les gouvernant·e·s de presque tous les États africains de se faire ausculter à l’étranger, hors d’Afrique de préférence, plutôt que de suffisamment doter en personnel qualifié et en équipement le système de santé publique des pays qu’elles/ils sont censé·e·s gouverner. Les classes populaires devant, quant à elles, se contenter souvent des soins médicaux très approximatifs ; l’assainissement de leurs environnements favorisant certaines maladies est on ne peut plus négligé par les pouvoirs dits publics. Avant la pandémie, en cette période d’hégémonie, davantage qu’auparavant, du paradigme capitaliste (néolibéralisé), les conséquences sociales dans les classes populaires des politiques relevant de ce paradigme, en l’occurrence leur (non)accès aux soins médicaux de qualité, ne constituaient pas vraiment un critère dans l’appréciation de la gouvernance des États par la « communauté internationale ».

Certes, des agences onusiennes dont le champ d’action est ledit social, en l’occurrence l’OMS, essaient – aussi pour justifier leur propre existence, pour leur propre survie – d’atténuer le cynisme social du système, à travers, par exemple, l’attention portée sur les Objectifs du développement durable/ODD 2015-2030 (3e objectif : accès à la santé ; 6e : accès de tous/toutes à l’eau saluble et à l’assainissement). Mais, tout en se subordonnant, en cette période néolibérale, davantage aux orientations du Capital, comme d’ailleurs le font les États dont les visions en matière de santé publique sont censées synthétisées par l’OMS, pouvant aussi les inspirer, voire contribuer à la coordination des actions. Ainsi, elle semble, eu égard à sa pratique, avoir oublié la définition de celle-ci dans sa Constitution : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, 1948) ». Définition dont on peut au moins retenir que la santé ne relève pas que de la médecine, mais dépend aussi des conditions socio-économiques, écologiques. D’où, par exemple, la question de savoir si la bonne santé est possible dans des sociétés dont les inégalités, les injustices sociales sont structurelles – aux dépens des classes sociales populaires, constituant la majorité – et permettent l’exposition des populations à certaines maladies. Par conséquent, la disparition de celles-ci, dont des plus meurtrières que la Covid-19, telles que la tuberculose, le paludisme, etc., dépend de l’éradication de ces inégalités et injustices sociales et environnementales. Éradication qui serait en même temps celle de l’avidité insatiable d’accumuler, caractéristique des capitalistes, nocive non seulement pour la santé de celles/ceux qu’elles/ils exploitent, dominent, mais aussi pour leur propre santé (selon la définition de l’OMS), mentale principalement (la non conscience de pratiquer l’injustice, par exemple, voire le fait d’en tirer des plaisirs – du sadisme – ou du prestige recherché, dont elles/ils ne peuvent être guéri·e·s que par la révolution sociale). La déclaration produite à l’issue de la Conférence internationale de Alma-Ata sur les soins de santé primaires (trentième anniversaire de l’OMS, 1978) avait rappelé qu’il s’agit d’ « un droit fondamental de l’être humain, et que l’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socioéconomiques autres que celui de la santé », et projeté que « L’humanité tout entière pourra accéder à un niveau acceptable de santé en l’an 2000 ». Ce qui ne s’est pas réalisé, à cette date-là. Ni vingt ans plus tard. Par contre, certaines maladies, que l’on pensait avoir éradiquées en certains endroits (des sociétés du capitalisme central traditionnel) ressurgissent, s’ajoutant à celles causées ou développées par le consumérisme, la malbouffe et autres nocivités du productivisme, industrie agro-alimentaire incluse, et dont l’Afrique n’est plus actuellement épargnée.

Il n’est pas superflu de rappeler que le contexte de la Conférence de Alma-Ata était celui de la revendication par les États dits non-alignés, au sein des Nations unies, d’un nouvel ordre économique international, contre l’échange inégal et autres caractéristiques des “rapports Nord/Sud”. En même temps qu’était expérimentée dans un pays dit du Tiers-Monde ou du Sud – au Chili du général et dictateur Augusto Pinochet en l’occurrence – l’économie néolibérale, qui deviendra par la suite le véritable nouvel ordre économique mondialement dominant, à la place de celui revendiqué par les non-alignés. L’une des caractéristiques de la gouvernance néolibérale est la réduction de la part budgétaire consacrée à la santé publique, la priorité étant accordée au remboursement de la dette publique extérieure par des États, africains en l’occurrence, surendettés, et soumis au programme d’ajustement structurel néolibéral (PAS) piloté par la Banque mondiale et le FMI. Ledit PAS étant censé mettre un terme au capitalisme périphérique post-colonial antérieur caractérisé (en s’inspirant de l’hétérodoxie post-Seconde Guerre mondiale en vigueur dans le capitalisme central) par l’existence d’un relativement important secteur économique d’État coexistant avec un secteur privé, essentiellement occidental dominant la vie économique dite nationale. Il ne pouvait plus être question d’atteindre « la santé pour tous en l’an 2000 ». C’est ainsi, par exemple, que l’Initiative de Bamako (1987), dans le droit fil d’Alma-Ata, mettant l’accent sur la santé communautaire, a néanmoins abouti à une exclusion pratique des pauvres du supposé accès aux soins de santé primaires, car conditionné par l’état du portemonnaie.

En fait, l’OMS a accompagné cette accentuation de la précarité de la santé publique en Afrique et ailleurs dans le Tiers-Monde, tout en coorganisant, certes, des campagnes sanitaires nationales ou internationales, sans grand impact car n’allant pas, en règle générale, jusqu’aux facteurs socioéconomiques et environnementaux des maladies, conformément à cette caractéristique des agences onusiennes du social : une ambiguïté subordonnée en dernier ressort à l’ordre capitaliste, hétérodoxe hier (mi-années 1940 à fin années 1970), puis néolibéral (à partir des années 1980). D’autant plus que ses principaux financeurs actuels, publics (à l’instar des États-Unis d’Amérique, d’avant la décision de s’en retirer prise par le président « agent orange » [25] – sobriquet attribué à Donald Trump par le cinéaste Spike Lee) autant que privés (à l’exemple de la Fondation Melinda et Bill Gates), sont, de notoriété publique, des activistes et bénéficiaires du néolibéralisme. Certain·e·s sont, par exemple, actionnaires de ces firmes pharmaceutiques (s Pharma) profiteuses de la sur-médicamentation. Ce qui, entre autres, expliquerait les rétropédalages de l’OMS concernant l’hydroxychloroquine (+ l’azithromycine) comme traitement curatif de la Covid-19.

Du fait de cette néolibéralisation, articulée au principe de prédation du trésor public comme mode d’accumulation primitive de capital par les mafias politiques qui dirigent, généralement, les États africains, l’engagement pris par ceux-ci, à Abuja (Nigeria), en 2001, à consacrer au moins 15 % de leurs dépenses publiques à la santé (considéré comme un taux favorisant plus d’accès aux soins au sein de la population) n’est tenu que par une infime minorité : quatre États (Gambie, Éthiopie, Eswatini – ex-Swaziland –, Malawi), en 2014, parmi les 55 que compte l’UA (29 se situant en deçà des 10 %). Ce au cours d’une période de célébration, par la « communauté internationale », de la croissance du taux moyen du PIB de l’Afrique. Comme indiqué plus haut, ladite croissance moyenne du PIB africain était même, en début 2020 (avant que l’économie mondiale soit ralentie par l’expansion de Covid-19), estimée (par la BAD) en cours d’accélération (rapportée au recul amorcé en 2015-2016). Voire certaines économies nationales étaient, même pendant la période de recul du taux moyen de croissance du PIB africain, considérées, par des universitaires panafricanistes, comme sur la voie de l’émergence [26]. En bonne logique néolibérale, économiciste, dans cette appréciation des supposées performances africaines, l’économique était découplée du social, du social populaire, ainsi n’entraient pas en ligne de compte les (mauvaises) politiques de santé publique menées par les États. L’essentiel étant la libéralisation du secteur de la santé.

Par ailleurs, le bruit de cette célébration des économies d’Afrique couvrait relativement la sonnette d’alarme tirée depuis trois ou quatre ans, concernant la croissance, l’insoutenabilité [27] de la dette de certains États. En cette année 2020, avant la pandémie, au moins un tiers des États africains était, en train de repasser sous les fourches caudines du FMI [28]. Les mesures imposées (une version mise à jour des programmes d’ajustement néolibéral, relativement adaptée au degré de néolibéralisation atteint par chaque État), telles que l’austérité budgétaire, aux dépens surtout du social populaire, la continuation de la privatisation des entreprises publiques, de la libéralisation, l’exigence de respecter l’échéancier de remboursement de la dette, etc., ne peuvent aller de pair avec la lutte contre une pandémie prévue, au début, par les experts comme ne pouvant qu’être en Afrique pire que partout ailleurs. À cause justement de la précarisation de la santé publique qui ne compte pas les gouvernant·e·s, les classes dirigeantes, parmi ses usager·e·s. Ainsi au délabrement des structures publiques de santé s’ajoutait le nouveau fardeau du service de la dette pour accueillir le SRAS-CoV-2 et sa Covid-19. Leur dynamique expansive allait affecter les économies. Les économies africaines ont, par exemple, été impactées assez vite par le ralentissement de l’économie chinoise (importatrice majeure de leurs matières premières, généralement leurs principaux produits d’exportation), et, par la suite, par celui des économies du centre capitaliste traditionnel ayant opté pour l’urgence sanitaire, le confinement. Un contexte qui ne peut favoriser une lutte efficace contre la propagation de la Covid-19, en même temps que l’assomption du service de la dette, surtout pour les États aux ratios dette/PIB les plus élevés et ayant décrété le confinement. Les trésors publics étant aussi, évidemment, très impactés (fiscalement) pendant l’état d’urgence sanitaire, le confinement, par le ralentissement de l’économie locale (avec son lot de faillites d’entreprises, ici et là).

De la demande d’annulation de la « dette africaine » au moratoire

Compte tenu du mauvais état, généralement admis, de la santé publique en Afrique, il s’est alors dégagé comme un consensus au sein de la « communauté internationale » sur la nécessité d’aider les États africains à prévenir ou faire face à la catastrophe sanitaire annoncée. D’autant plus que même des équipes dirigeantes des États leaders de ladite « communauté internationale » préjugés aptes à affronter les épidémies [29], supposés bien équipés et suffisamment dotés en personnel, ne brillaient pas par une gestion locale intelligente ou exemplaire de l’épidémie, ayant vite tourné en crise sanitaire. La pénurie de masques, par exemple, le débordement de certains services de santé publique, l’épuisement des personnels soignants, résultant de la gouvernance néolibérale de la santé publique ne pouvant pas être mis au compte d’un délire médiatique sur la pandémie. Ce qu’indiquent assez bien les chiffres de décès, indiqués plus haut, y compris parmi le personnel soignant, insuffisamment protégé, aux États-Unis d’Amérique et dans plusieurs pays d’Europe occidentale, même s’il ne s’agit pas, jusqu’à présent, de l’épidémie la plus meurtrière depuis le 20e siècle. C’est ainsi que, du chef de l’État sénégalais Macky Sall, à son pair français Emmanuel Macron, en passant par une commission d’experts de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (CEMAC), il a été question, en fin mars et dans la première décade d’avril, d’annulation de la dette des États africains, comme une des modalités d’aide de la « communauté internationale » à l’Afrique (ainsi qu’aux États d’Amérique dite latine et d’Asie confrontés aussi en même temps à la pandémie, à la crise sanitaire et à l’insoutenabilité de leurs dettes). Ce qui représentait une adhésion extraordinaire à la revendication d’annulation (totale) de la dette publique extérieure insoutenable des États d’Afrique (comme d’Amérique dite latine et d’Asie), ainsi sortie de la quasi-marginalité dans laquelle elle est placée depuis la fin des années 1980, en Afrique comme ailleurs dans le “Sud Global”.

Par son appel lancé publiquement le 25 mars, « pour une annulation de la dette publique et pour un rééchelonnement de la dette privée [30] », le chef de l’État sénégalais, Macky Sall, a rompu le silence généralement observé par les chefs d’État africains en matière de revendication de l’annulation de la dette publique extérieure. L’appel précédent, mémorisé, d’un chef d’État africain au non-remboursement de la dette par les États, est celui lancé, à la tribune de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA, prédécesseure de l’UA) en juillet 1987, par l’alors président du Burkina Faso, Thomas Sankara. Appel n’ayant pas été vigoureusement relayé, après son assassinat, ni par aucun autre chef d’État, ni par l’organisation panafricaine (l’OUA ayant certes sollicité, timidement, l’annulation de la dette dans la Déclaration d’Abuja, 2001, par exemple). Malgré le fait qu‘à partir de la fin de la décennie 1980, des réseaux (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, Jubilé Sud, etc.) se sont constitués à travers le monde, argumentant, sensibilisant sur la nécessité d’annuler la dette publique extérieure des États africains, aux conséquences sociales dramatiques pour les classes populaires. D’autant plus que ladite dette était, est souvent illégitime ou illégale, parfois odieuse. À l’instar de celle de l’État sud-africain, de l’odieux régime d’apartheid, héritée par l’État post-apartheid. Mais à l’égard de laquelle, malheureusement, le nouvellement chef de l’État sud-africain Nelson Mandela, ayant déjà fait son chemin de Davos (1991) avant l’élection à la présidence quasiment programmée (1994), s’avérait sourd aux appels, de l’altermondialisme sud-africain, aussi bien qu’extra-sud-africain, à la répudiation pure et simple de cette dette odieuse. Le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, 2001) s’en tenait à l’objectif d’« un allègement de la dette qui aille au-delà des niveaux actuels », en l’occurrence l’Initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) des institutions financières internationales (IFI, dont les États africains sont membres, mais en position subalterne). L’UA a paru, par la suite, manifester quelque intérêt pour le sujet, en organisant par exemple un atelier à propos de la dette africaine, en 2005 – qui n’était pas le moment le plus critique –, mais sans lendemain, car les participant·e·s officiel·le·s et “para-officiel·le·s” ayant été plutôt contre une telle revendication, au mieux timoré·e·s [31]. Une attitude exprimant généralement la crainte d’une répression par les IFI et autres créanciers. Pourtant, la répudiation collective appelée par T. Sankara aurait permis de mettre les États de l’OUA à l’abri de la répression qui suivrait un acte isolé de répudiation [32].

Cette attitude exprime aussi une adhésion générale des gouvernant·e·s africains (et des candidat·e·s à la gouvernance, les oppositions politiques qui ne s’opposent pas, généralement, à l’orientation économico-sociale capitaliste néolibérale) à la néolibéralisation de l’ordre capitaliste mondial. Car ce contexte néolibéral – de privatisation des entreprises d’État et de libéralisation – permet aux kleptocrates de faire fructifier localement la part de leurs forfaits financiers (y compris une part de l’argent emprunté) – souvent la moins importante – non placée, non investie à l’étranger, couplant ainsi la domination politique avec la participation à la domination économique (généralement de concert, malgré la concurrence possible, avec le grand capital extra-local, voire le capital privé local). Cette kleptomanie des dirigeants politiques – légitimant la revendication d’annulation de la dette publique, en faveur des secteurs sociaux (éducation publique, santé publique, etc.) – ne peut être ignorée des créanciers tels que la Banque mondiale [33], la Banque africaine de développement, le Fonds monétaire international, les États capitalistes développés (Chine incluse), dont l’indifférence à l’égard de ses conséquences sur les classes populaires est motivée par, entre autres, l’aubaine de la libéralisation découlant de leur “mauvaise gouvernance”. On pourrait même parler d’indifférence complice.

Cependant cette revendication par des officiels d’une annulation de la dette publique, afin de faire face au SRAS-CoV-2 et la Covid-19, n’a abouti principalement qu’à la décision – prise le 15 avril par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 – d’un moratoire sur le remboursement de la dette bilatérale (aux États) : gel pendant huit mois (de mai à décembre 2020) du remboursement de la dette d’une quarantaine d’États africains, parmi les 77 États les plus pauvres de la terre, appartenant à l’ancien Tiers-Monde. Avec une promesse d’application aussi par les créanciers privés (soit 77 milliards $ de dette africaine, soit beaucoup moins d’un millième des actifs de ces créanciers, et beaucoup moins que la cinquième fortune mondiale, de Warren Buffet, celui qui avait affirmé que sa classe remportait la lutte des classes : 80 milliards $) – pour lesquels le FMI a efficacement servi de rabatteur ces dernières années, en Afrique. Mais, pour le moment, ces créanciers privés paraissent ne pas suivre le G20, et proposent leurs propres conditionnalités. En fait, très attachés au principe de remboursement du moindre sou prêté ainsi qu’à la suprématie des intérêts financiers sur la souveraineté des États et les droits humains, ces créanciers privés préfèrent procéder, par exemple, au cas par cas. Voire agitent le bâton de la dégradation de la notation sur les marchés financiers des États qui solliciteraient le moratoire. Avec pour conséquence, la hausse des taux d’intérêts (déjà plus élevés d’ordinaire que ceux des créanciers bilatéraux et multilatéraux, de 12 % jusqu’à même 16 %, alors que ces derniers temps, du côté de certains créanciers publics, les taux sont généralement assez bas, et même “négatifs”) pour leurs prochains emprunts, car ils seront considérés comme des débiteurs peu fiables. D’ailleurs, comment ces créanciers privés pourraient-ils instaurer à leur tour un moratoire du même type, alors que celui des créanciers publics permettrait aux États débiteurs, aux ressources réduites, de respecter les échéanciers, de payer ce qui leur est dû. Des conséquences sociales (populaires) du remboursement de ces créances sur la lutte contre la pandémie, ils n’ont cure – du cynisme par avidité capitaliste (un problème de santé mentale institutionnelle ?).

Ledit moratoire, rejoint ainsi la position des créanciers multilatéraux que sont la Banque mondiale et le FMI (encore une fois, les États africains sont membres de ces institutions inégalitaires) telle qu’exprimée déjà début avril par le Bureau de l’économiste en chef pour la région Afrique à la Banque mondiale : « Le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont appelé à un “gel de la dette” [34] », non à une annulation. En fin de compte, comme “annulation”, il n’y a que celle “concédée” par le FMI : « Nos pays membres les plus pauvres et les plus vulnérables recevront […] des dons qui couvriront leurs obligations envers le FMI pour une phase initiale de six mois » [35]. Plus clairement : le FMI va puiser dans un fonds qu’il gère, alimenté par d’autres, de quoi rembourser partiellement la dette de ces 25 États les plus pauvres, dont 19 africains, au … FMI. Ce qui, certes, va alléger momentanément leur fardeau, mais est très loin de l’annulation revendiquée, espérée. Autrement dit, rien de nouveau par rapport à ce qui est pratiqué (réduction partielle sélective), sans la couverture médiatique actuelle, depuis trois décennies par le Club de Paris, des États extérieurs au Club de Paris comme la Chine, les institutions de Bretton Woods (à l’instar de leur initiative Pays pauvres très endettés/PPTE), etc. En fait, beaucoup de bruit pour presque rien, pour pasticher l’autre.

Interventions africaines non officielles : Des technocrates aux panafricanistes

En dehors des officiels africains, des collectifs aussi se sont prononcés sur le sujet, avant (à partir de mars) et après la décision du G20. Non seulement concernant le présent de la pandémie, mais aussi à propos de ce qui a été couramment dénommé le « jour d’après », l’organisation possible du futur. Il n’est pas question ici de faire le tour de ces prises de position, mais d’en présenter quelques-unes, choisies en fonction de la notoriété des signataires, du rapport (non)établi avec d’autres aspects (capitalisme, écologie, post-Covid-19, etc.). En commençant par un appel de technocrates africain·e·s de la finance – en compagnie d’un grand capitaliste africain –, ayant publié « La dette de l’Afrique doit être allégée pour lui permettre de lutter contre le Covid-19 » [36].

Technocrates africain·e·s de la finance : d’un appel à l’autre

Il y est question, après avoir affirmé le soutien à « l’allègement bilatéral de la dette des pays à faible revenu » demandé par la Banque mondiale et le FMI, mais que le collectif souhaite étendu aux « pays à revenu moyen », de la demande d’« une suspension de deux ans du remboursement de toutes les dettes extérieures, qu’il s’agisse du paiement des intérêts ou de la dette elle-même » [37]. Une demande apparemment entendue par le FMI qui s’est mis à parler postérieurement d’« allègement [qui] pourrait être prolongé jusqu’à deux ans maximum, sous réserve de disponibilité des ressources du fonds fiduciaire ARA [assistance et riposte aux catastrophes] ». Soit, un peu plus que la décision prise par la réunion des financiers du G20. Ainsi, tout en la considérant dans un second texte comme « un bon début », le collectif (légèrement modifié) pense qu’« il faut faire plus et viser plus haut » [38]. Par exemple, en réitérant sa demande d’extension du moratoire, incluant aussi les États (Afrique du Sud, Algérie, Angola, Égypte, Libye, Maroc, Tunisie) que la Banque mondiale « considère qu’ils peuvent se financer sur les marchés » ; une plus grande participation des créanciers privés au moratoire ; plus de liquidités du FMI à disposition des banques centrales et des entreprises privées [39] ; une gestion transparente de ces ressources par les États, avec implication possible « des ONG et des sociétés spécialisées » – une gageure pour la “démocratie” en vigueur dans ces sociétés, surtout dans les « démocratures » ( “dictatures d’allure démocratique”, selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano) à l’instar de celles d’Afrique centrale. Toutefois, même ce « faire plus et viser plus haut » reste bien en dessous de l’annulation de la dette [40] qui, à titre de rappel, avait déjà été revendiquée, par exemple, par Macky Sall, chef d’un État sénégalais qui n’est pas le plus endetté, tout en étant en continuel endettement sans “développement” depuis 1960 [41]. De même que par l’Observatoire tunisien de l’Économie ayant appelé à « L’annulation de la dette et la mise à disposition de nouveaux financements. Et ce sans exiger de réformes politiques favorables aux marchés et axés sur l’austérité dans les pays en développement [42] ». Ce que ces IFI ne veulent pas faire : la succession de décaissements pour « aider le[s] pays à faire face à la pandémie de Covid-19 » s’accompagne généralement d’un appel à poursuivre, par la suite, les « mesures et réformes structurelles » ou, le cas échéant, à appliquer, dans un très proche avenir, l’accord encore soumis à « l’approbation de la direction du FMI et du Conseil d’Administration ».

Sans surprise, il n’est nullement question, dans les deux textes de ce collectif de technocrates, de sortir de la logique financière néolibérale dont le respect par les États est assuré principalement par les institutions de Bretton Woods. Même s’il y est affirmé que « les dirigeants des pays avancés, avec sagesse, ont déjà jeté aux orties toute notion d’orthodoxie financière et l’Afrique doit faire de même », il va de soi que non seulement comme disaient les Grecs/Grecques antiques « ce qui est permis à Jupiter ne l’est pas au bœuf ». Mais c’est aussi en attendant des jours meilleurs pour le si résilient capitalisme. La prétendue hétérodoxie financière des États capitalistes développés, eu égard au contenu du « faire plus et viser plus haut » est en fait une « hétérodoxie néolibérale » visant à sauver non seulement le capitalisme, mais aussi sa forme néo-libérale, tout comme le keynésianisme, en tant qu’hétérodoxie, devait (pour son théoricien, John Maynard Keynes, apparemment effrayé par la révolution socialiste de 1917 et le dynamisme du mouvement ouvrier en Europe, quasiment comme l’avait été avant lui concernant celui-ci, à la fin du 19e siècle, le chancelier Bismarck, initiateur de l’État capitaliste “social” ) et a eu à sauver le capitalisme dans une partie du 20e siècle. Telle est, d’ordinaire, la fonction de l’hétérodoxie : revitaliser l’orthodoxie menacée, ébranlée.

Par ailleurs, serait-ce inconsciemment qu’a disparu du second appel la mention des « travailleurs […] fragilisés », des « organisations populaires » ? Comme remplacée par le rappel que « la Tunisie ait été l’épicentre du Printemps arabe, avec les risques potentiels que cela implique, devrait être pris en considération », qu’il faut « éviter une déstabilisation politique et sociale ». Expression assez claire d’une certaine phobie des irruptions populaires dans l’espace politique, pouvant impacter l’ordre économique, voire prétendre à un changement fondamental (ainsi l’“accompagnement” par la Banque africaine de développement, la Banque mondiale et le FMI de l’actuelle transition au Soudan – dont le Premier ministre, Abdalla Hamdok, appartient à ce sérail de la fonction publique internationale, plus proche du Capital que des administré·e·s). Par contre, l’insistance sur le rôle (moteur) du capital privé – le « suprématisme du secteur privé » (Naomi Klein, La stratégie du choc, 2007) – et l’aide à lui apporter étant conservée dans les deux textes.

En bonnes consciences capitalistes, ces technocrates n’ont pas jugé utile de consacrer rien que quelques lignes aux facteurs ayant favorisé le passage du virus de quelque animal à l’animal spécifique qu’est l’être humain, au contexte favorisant une telle pandémie et déterminant d’une certaine façon le futur de l’Afrique, de l’humanité. Comme s’il ne s’agissait que d’un phénomène biologique, exogène à l’économique, au stade néolibéral de la mondialisation capitaliste. Même si en même temps, certains économistes n’ont pas hésité à présenter, faussement [43], le virus comme la cause du “mauvais” vent ayant soufflé sur les bourses, voire de ce qui s’annonce, pourtant depuis quelque temps, comme une future crise économique. Mais, un Strive Masiwiya (capitaliste transnational, 19e rang des milliardaires africain·e·s), par exemple, pouvait-il partager la mention du facteur destruction de la forêt par le productivisme dans l’émergence des maladies zoonotiques (transmises par des animaux à cet autre animal qu’est l’humain, et vice versa) [44], des menaces virales qui pèsent actuellement sur les sociétés (selon des épidémiologistes), alors qu’il est président honoraire de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA, lancée par les fondations Ford et Gates, avec l’ex-secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, comme premier président), révolution verte qui ne s’est pas arrêtée ailleurs (Amérique dite latine, Asie) au seuil des forêts (dont le recul en Afrique s’est accéléré dans la dernière décennie, malgré le gel de certains projets de culture des palmiers à huile, si mangeuse d’espaces forestiers) [45] ?

Quant à l’« évidence [de] la nécessité de […] renforcer les systèmes de santé de l’Afrique », elle est énoncée sans avoir au préalable parlé des facteurs de la précarité actuelle de la santé publique, dont, évidemment, les programmes d’ajustement structurel néolibéral ou d’austérité, non seulement en Afrique, mais dans le monde, en général. Ainsi, après avoir organisé le sous-financement de la santé publique, sa précarisation, afin de rembourser la dette dans les années 1980-1990, le FMI et la Banque mondiale organisent maintenant la croissance de la dette des États africains afin d’atténuer les effets (nocifs) de ce sous-financement présenté auparavant comme un remède. Et ce n’est même pas assez probable que les États africains se trouvant dans une situation lamentable en matière d’infrastructures de santé publique, d’équipement et de personne, d’unités de production pharmaceutique locales, etc., s’orientent désormais vers une rectification de leurs politiques de santé publique. À un point tel que, par exemple, les dirigeants des États africains se mettraient à fréquenter les hôpitaux/centres de santé public de leurs propres pays, qu’ils méprisent d’ordinaire.

Sortir de cette assez fragmentaire et courte vue, ascientifique, aurait conduit ces technocrates à une critique, une mise en accusation du système dont elles/ils sont des technocrates, dont elles/ils profitent, et sont par conséquent attaché·e·s à sa perpétuation.

Capitalistes et intellectuel·le·s (altermondialites inclus·es) « Plus fort[e]s ensemble »

Une critique du système qui est aussi évitée dans l’appel signé par une vingtaine d’intellectuel·le·s africain·e·s : « Coronavirus : Pour en sortir plus forts ensemble » [46]. Un appel adressé non plus aux décideurs politiques et de la finance internationale mais « à tous les intellectuels africains, aux chercheurs de toutes les disciplines, aux forces vives de nos pays, à rejoindre le combat contre la pandémie du Covid-19, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, nous enrichir des fruits de leurs recherches et tous de leurs propositions constructives ». Il n’y est pas question du fardeau de la dette, pourtant alors à la une, sinon sous-entendue dans « les initiatives multiples prises pour mobiliser des ressources financières suffisantes afin d’éviter que s’ajoute une crise économique majeure à la crise sanitaire annoncée sont à saluer ». Comme dans l’explication de la situation de la santé publique en Afrique : « il faut reconnaître pour s’en souvenir, l’effet catastrophique des décennies d’ajustement structurel sur la santé publique et l’offre sanitaire dans les pays africains ». Du passé, en quelque sorte. Alors qu’en 2019, Eurodad (European network on debt and development) constatait, à propos des programmes approuvés par le FMI en 2016 et 2017, qu’« In many countries, for instance Chad and Gabon, austerity measures have sparked cuts in the health sector, which has had a grave impact on health service delivery and health personnel. This has reduced access to health services for the population as out-of-pocket payments have increased [47] ». Ainsi, à la différence de l’appel des technocrates de la finance, il n’y a pas ici de prise de position explicite sur la question de l’allègement ou de l’annulation de la dette. Sans grande importance, peut-être. Ou par manque de consensus au sein du collectif de rédaction. Par exemple, des signataires comme Aminata Dramane Traoré et Demba Moussa Dembelé sont encore des figures de l’altermondialisme africain, des activistes du mouvement international pour l’annulation des dettes africaines [48]. À l’opposé de leur cosignataire Felwine Sarr [49] qui compte parmi les voix africaines s’étant ouvertement exprimées contre la revendication d’annulation ou d’allègement de la dette publique extérieure pour combattre la Covid-19 (voix individuelles, mais aussi officielles, à l’instar de l’État kenyan, ou de l’État béninois – faisant preuve, sous la présidence Talon, d’un certain zèle néolibéral – qui s’est publiquement opposé en la matière, dans la sous-région ouest-africaine, à l’État sénégalais).

Toutefois ces deux textes ont en commun de ne donner aucun éclairage sur les facteurs de la pandémie. C’est comme si, pour ces intellectuel·le·s aussi, est à considérer comme superflue l’esquisse d’une compréhension de cette pandémie, la connaissance de ses causes, afin de bien se préserver d’autres virus et épidémies possibles (considérées comme en “réserve”, selon des épidémiologistes et autres spécialistes) [50]. Serait-ce pour éviter la question des rapports de l’épidémie avec le capitalocène (ère géologique de manifestation d’une grande intensité des effets du Capital sur la nature) ou de la pandémie avec le néolibéralisme ? Ou serait-ce l’expression, au nom de quelque “épistémologie africaine”, d’une non-adhésion à cette hypothèse d’une zoonose particulièrement déterminée par le contexte économique, mais qui relèverait plutôt de la “science occidentale”, voire de l’idéologie marxiste supposée déterministe économiste ? Ainsi s’expliquerait, par exemple, le manque de rigueur ou déficit de l’attention exprimé par la surprenante confusion– de la part d’intellectuel·le·s très habiles d’ordinaire dans le maniement des notions/concepts – établie (déjà brocardée, par un bloggeur du journal en ligne Mediapart [51]), d’abord dès les premiers mots du dit appel, entre le nouveau virus corona (SRAS-CoV-2) et la maladie causée par ledit virus, corona virus disease 2019 (Covid-2019), ensuite dans l’avant-dernière phrase affirmant que la pandémie, Covid-19, est « éponyme » du nouveau virus corona, SRAS-CoV-2 ?

Par ailleurs, l’insistance, bien logique et à juste titre, sur la crise sanitaire s’accompagne de propos assez vagues sur les différents aspects abordés, cachant mal, entre autres, une non remise en question de la dynamique du mode de production économique qui, comme il est assez établi, n’est pas étrangère à l’émergence, au passage, des virus comme le SRAS-CoV-2, d’une espèce animale à l’autre, l’humaine en l’occurrence, à la si rapide propagation mondiale de Covid-19. Ainsi, s’il est affirmé savamment qu’« Il est temps de se rappeler que les périodes de basculement du monde ont toujours engendré un renouvellement paradigmatique, culturel et parfois civilisationnel pour ceux qui embrassent les exigences du changement », c’est juste après avoir dénoncé « La perpétuation d’un modèle d’économie de rente, fondé sur l’exportation de matières premières non transformées en attendant des recettes extérieures volatiles est suicidaire », après avoir déploré que l’Afrique n’ait pas encore trouvé « de réponse structurelle aux défis de son développement ». Le « renouvellement paradigmatique » ne concernerait-il que le « modèle d’économie de rente » [52] ? Dans ce cas la solution aux problèmes de l’Afrique résiderait tout simplement dans l’industrialisation (la transformation locale des matières premières), dans le “développement” – avec une dynamisation de l’économie de la culture, selon un des signataires [53], du numérique selon tel autre technocrate [54], un alliage de la tradition avec la quatrième révolution industrielle [55], voire un développement du basketball [56]. La nature capitaliste de ladite industrialisation, dudit développement, n’est pas énoncée, même si elle peut être sous-entendue. C’est comme si ces intellectuel·le·s, tout en ne demeurant pas, certes, au temps du triomphe de la « pensée unique » (années 1980-1990), semblent néanmoins attaché·e·s à l’idée de la « fin de l’histoire », c’est-à-dire l’inexistence de quelque autre horizon économique et social que celui fixé par la dynamique du Capital, l’impossibilité d’une organisation alternative de la production et de la répartition des biens. Dans un tel contexte, l’évitement, par les rédacteurs/rédactrices de l’appel, des termes exprimant le paradigme (économie capitaliste, capitalisme), paraît exprimer une adhésion idéologique au dit capitalisme, dont l’économie est davantage généralement présentée comme l’Économie [57] par une “science économique” s’avérant hostile au pluralisme (comme s’en sont plaint·e·s, par exemple, des étudiant·e·s, organisé·e·s en une Initiative Étudiante Internationale pour l’Économie Pluraliste) – caractéristique aussi bien des documents onusiens et leur développement sans prédicat que, presque autant, des « études africaines » en Europe et aux États-Unis d’Amérique [58]. Économie capitaliste censée, à en croire la logique des signataires de cet appel, produire, du fait de l’industrialisation (non problématisée, évidemment, même en cette période de crise écologique assez évidente), la fin des inégalités sociales, la justice sociale, le bien-être de tous/toutes, comme ce serait le cas partout ailleurs qu’en cette Afrique si peu industrialisée. Ainsi peut-on en dire que « Changement de modèle, de système, de paradigme… La grandiloquence des termes peut cacher une frilosité d’engagement, en évacuant le conflit social, les intérêts antagonistes et la perspective de la révolution sous un vocable s’autant plus général qu’il est nébuleux [59] ».

En effet, les signataires de cet appel ne sont pas intéressé·e·s, concernant le SRAS-CoV-2 et la Covid-19, par une critique du capitalisme. Celle-ci-ci n’étant pas à réduire à ce qui est d’ordinaire considéré comme étant des particularités de la phase néolibérale du capitalisme – comparativement à celles de l’hétérodoxie capitaliste dite fordo-keynésienne des Trente glorieuses, du Welfare State – fallacieusement présentées par certain·e·s de ses prétendu·e·s critiques comme des expressions d’un capitalisme dévoyé par la Finance. Ainsi, même un Sarkozy, alors président français, foncièrement anti-anticapitaliste, s’était permis une critique fragmentaire et éphémère du néolibéralisme pendant la crise de 2007-2008. C’est d’ailleurs cette critique pro-capitaliste du néolibéralisme, critique de ses dits « excès » – comme chez certains des signataires de l’appel – qui l’emporte, quantitativement parlant, sur celle résolument anticapitaliste. Alors que le néolibéralisme serait, à juste titre, à considérer comme un « pur capitalisme » : « le capitalisme contemporain tend vers un fonctionnement pur, en se débarrassant progressivement de toutes les “rigidités” qui pouvaient le réguler ou l’entraver. Il ne s’agit pas tant d’un retour à des formes historiques antérieures que d’une adéquation croissante à son concept… Il s’agit donc d’un capitalisme sans adjectif, même si l’expression capitalisme néo-libéral peut être commode pour désigner sa phase actuelle » [60] – les « rigidités » étant ce qui relevait de la parenthèse hétérodoxe, keynésienne, résumable par l’ “interventionnisme” économique de l’État contre la “main invisible du marché”, un “plein emploi”/ taux très bas de chômage, une espèce de compromis social entre le capital et le travail en matière de redistribution (grâce aussi aux luttes menées par les salarié·e·s).

Capitalisme contemporain dont le développement en Afrique a des activistes conséquents parmi les signataires de l’appel, à l’instar de Mamadou Koulibaly, Carlos Lopes, Lionel Zinsou [61]. En non-praticien·ne·s, mais passeurs idéologiques, il y a des intellectuel·le·s assez médiatisé·e·s, à l’instar de l’historien et politologue Achille Mbembe, pro-capitaliste “honteux” (comme les agnostiques étaient des « matérialistes honteux » pour Friedrich Engels), qui critique souvent certains aspects du néolibéralisme, ayant pu ainsi être classé ou se dire de gauche [62], mais considère l’Afrique comme « la dernière frontière du capitalisme [63] », tout en se demandant « quelle forme de capitalisme ? ». Interrogation qui est plutôt une clause de style, vu qu’au cours d’un entre soi pro-capitaliste au siège de la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan, il a eu à « insiste[r] sur la nécessité d’approfondir les réflexions sur la gestion des frontières africaines, ainsi que sur la possibilité de leur privatisation [64] » (au profit des sociétés militaires privées ?). Afin de favoriser la libre circulation des individus ? Car, hors les murs de la BAD, c’est un critique de l’existence des frontières en Afrique et de la politique (anti-)migratoire de l’Union européenne (« mur de Schengen »). Il semble que son opinion sur le sujet est en fonction des client·e·s. À l’instar aussi du philosophe Souleymane Bachir Diagne, ayant, par exemple, soutenu que dans l’enseignement supérieur sénégalais « le secteur privé jouera un rôle de plus en plus important. Une des recommandations c’est de faire en sorte qu’il puisse jouer ce rôle de manière à accueillir le maximum d’étudiants. On a donné une projection de 50 % [65] » … Il n’est pas exclu qu’en ces temps de pandémie ces deux intellectuels soient devenus des critiques du capitalisme, ne se limitant plus à une critique de certains aspects du néolibéralisme. Par exemple, le premier a parlé de réinvention de l’économie sur laquelle réfléchissaient des économistes africains, s’est demandé : « Est-ce qu’on peut continuer à vivre sur la base d’une économie basée sur le saccage de l’environnement ? Je ne le pense pas du tout », et a affirmé tout récemment que « nous devons inventer un modèle de développement absolument original […] il nous faut changer le modèle de croissance tout entier » [66]. Espérons que, de la part de ce théoricien ambigu de l’afropolitanisme, il ne s’agisse pas que du « capitalisme vert ».

Si encore cette union des activistes du capitalisme, des intellectuel·le·s réputé·e·s et des altermondialistes avéré·e·s (voire supposé·e·s anticapitalistes) se limitait au temps de la pandémie en Afrique comme phénomène sanitaire (dans l’acception courante). Mais, elle paraît s’intéresser aussi à l’au-delà du sanitaire, car il est question aussi bien de lutter contre le précariat : « Osons lutter ensemble contre la propagation du Covid-19 et osons vaincre ensemble le précariat mondial auquel donne naissance la pandémie éponyme », que d’une récupération platement adaptée du slogan – déjà assez vague – du mouvement altermondialiste : « Une autre Afrique est possible tout comme l’est une autre humanité dans laquelle la compassion, l’empathie, l’équité et la solidarité définiraient les sociétés. Ce qui pouvait ressembler jusqu’ ici à une utopie est entré dans l’espace des possibles ».

L’appel à lutter contre le précariat apparaît comme une pièce rapportée, vu qu’ont été oubliées le long du texte les conséquences sociales de l’état d’urgence sanitaire, du confinement, pour les damné·e·s des sociétés africaines, les victimes de la pandémie pérenne « Pochvid ». Par ailleurs, la mondialisation du précariat n’a pas attendu le SRAS-CoV-2, le développement de la précarité des emplois et des revenus, du précariat (une nouvelle classe sociale en formation selon Guy Standing, auteur de The Precariat. The new Dangerous Class, 2011 ; des nouveaux/nouvelles prolétaires, selon Sarah Abdelnour, auteure de Les nouveaux prolétaires, 2012) étant une des caractéristiques de la phase actuelle, néolibérale, de la mondialisation (la précarité étant évidemment bien plus ancienne, permanente dans l’odyssée du capitalisme, aussi sous d’autres formes). Par exemple, les délocalisations des entreprises, pendant les décennies 1980 et suivantes, ont, entre autres, favorisé l’existence de ce précariat (néolibéral) aussi bien dans les pays d’origine (généralement du capitalisme central traditionnel/du “Nord”) que dans les pays d’accueil des dites entreprises – qui ne sont pas situés que dans le “Sud Global” : par exemple, des États du Sud états-unien, où les droits des salarié·e·s sont très restreints, ont aussi reçu des entreprises délocalisées. En Afrique – en dehors de l’ampleur de l’économie dite informelle, assez caractéristique du capitalisme périphérique et caractérisée par une masse importante de précaires parmi ses animateurs/animatrices –, l’existence du précariat, comme produit, évidemment, de la précarisation (à travers la réforme des codes du travail – généralement en défaveur de la force de travail salariée, contre des “acquis sociaux”, des garanties sociales des décennies antérieures – au cours des années 1980-1990, de la première vague d’ajustement structurel néolibéral ; la pression exercée par les “investisseurs étrangers” à travers le rapport annuel Doing Business du Groupe de la Banque mondiale, etc.), a précédé [67] et accompagné la croissance du taux moyen du PIB africain, célébrée pendant la décennie 2010. Au cours de laquelle, contrairement aux promesses mensongères de ruissellement, les sociétés africaines sont devenues plus inégalitaires qu’auparavant : les riches le devenant davantage, se distanciant (socialement) davantage des pauvres, dont le nombre vivait aussi sa croissance. Pendant que dans les “classes moyennes” d’aucun·e·s – les “buppies” (black urban professionals) sud-africains et leurs semblables des secteurs de la finance et des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le reste de l’Afrique – prenaient l’ascenseur, croisant celles/ceux qui se retrouvaient dans le « descendeur social [68] ». Comme ces universitaires de certains pays africains qui deviennent taximen informels la nuit, afin de parer à la baisse de leur pouvoir d’achat. Ou ces diplômé·e·s de l’université qui se retrouvent devant un étal de marché, à vendre, par exemple, des “faux” médicaments. Un contexte académique, social, qui ne peut favoriser une grande mobilisation des « intellectuels africains […], chercheurs de toutes les disciplines » pour la connaissance et la lutte contre le SRAS-CoV-2 et la Covid-19, souhaitée, à juste titre, par les signataires de l’appel. Il s’agit en fait de manifestations africaines du phénomène mondial, découlant de la néolibéralisation, de précarisation dans le monde académique (dont certains aspects y favorisent une intervention du philanthrocapitalisme néolibéralisateur, à la conquête de l’“élite” africaine en formation) ainsi que de nombre de ses produits, la « fraction éduquée » du précariat, selon Guy Standing [69] (réalité que ne peuvent ignorer les universitaires signataires, parmi lesquel·le·s des cosmopolites, voire leurs co-signataires capitalistes). C’est de cette précarité dominante des emplois et des revenus dont il est question quand l’onusienne Organisation internationale du Travail/OIT se donne pour mandat, entre autres, le plaidoyer pour une “croissance inclusive” créatrice d’emplois décents dans le monde (un des “Objectifs du développement durable”). Avec une attention particulière pour l’Afrique, car celle-ci occupe traditionnellement la première place mondiale en matière de « travailleurs pauvres », de grave déficit dans la création d’emplois décents, malgré la croissance (« Les travailleurs pauvres continuent d’être très nombreux : près d’un tiers d’entre eux (32 pour cent) vivaient dans l’extrême pauvreté en 2018 et 22 pour cent dans une pauvreté modérée » selon l’OIT, soit « le taux d’emploi vulnérable le plus élevé (66 %) », selon la CEA, 2019). Sans toutefois, en bonne logique onusienne, de cette fonction publique internationale (bureaucratie du capitalisme international), que l’OIT (conciliatrice, par ailleurs, des intérêts des organisations patronales et des bureaucraties internationales des syndicats des salarié·e·s) se départe de la diffusion d’illusions sur la possibilité d’y parvenir sous le capitalisme, de surcroît néolibéralisé.

En fait, le SRAS-CoV-2 et la Covid-19 ne font qu’exacerber la précarisation, grossir les rangs du précariat africain, comme d’ailleurs, dont le développement ne peut pas, à la différence du virus et sa pandémie, bénéficier d’une large médiatisation qui pourrait susciter davantage de questionnement sur le système économique. Ainsi, la lutte contre la précarité ou la précarisation – et non pas, d’un point de vue de l’émancipation ou de la justice sociale, la lutte contre le précariat, en tant que « classe sociale en formation » (G. Standing) ou nouveaux/nouvelles prolétaires (S. Abdelnour) – ne peut pas porter que sur la précarisation liée au virus et à sa pandémie, mais devrait viser les mécanismes qui depuis quatre décennies ne cessent d’en étendre la normalisation. Ce qui, évidemment, ne peut pas intéresser les activistes du capitalisme co-signataires de l’appel, qui comptent, logiquement, parmi les bénéficiaires de la précarisation. La posture altermondialiste tardive, affichée dans la phrase citée ci-dessus, ne doit pas faire illusion [70].

Par ailleurs, l’appel ne souligne pas qu’une autre Afrique post-coloniale a toujours été possible, pendant les six décennies dites post-coloniales. Celle qui s’est réalisée, dans laquelle nous (sur)vivons n’étant que l’un des possibles, rendu effectif aux dépens d’autres possibles étouffés, combattus dès la transition au post-colonialisme, au néocolonialisme, par les administrations coloniales. Celles-ci ayant auparavant sélectionné, dans bon nombre de cas, par exemple dans les territoires français, les futurs « pères de l’indépendance » et consorts. Lesquels étoufferont à leur tour l’expression locale des possibles émancipateurs, avec souvent le soutien des ex-métropoles coloniales.

Quant à l’“autre Afrique possible”, voire l’“autre humanité possible” envisagée par cet appel, elle promet, par les principes censés la définir, hormis la solidarité, ne pas être émancipatrice, mais prolonger de façon réformée l’Afrique actuelle. Car une société se construisant pour l’émancipation ne peut avoir pour principe la compassion. Il ne s’agit pas, évidemment, de la compassion pour la collègue de travail ayant perdu son compagnon ou sa compagne, ou des voisin·e·s dont le champ de tubercules a été cambriolé, mais de la compassion pour des groupes humains, proches ou lointains, dans la souffrance (permanente ou passagère). Telle que l’illustrent l’activisme dit humanitaire, l’activité des pyromanes jouant les pompiers : associations (caritatives)/fondations des nouvelles dames patronnesses que deviennent les épouses des chefs d’État africains, des fondations philanthropiques aussi bien de capitalistes africain·es (de l’égyptienne Sawiris Foundation for Social Development à la sud-africaine Khayelitsha Motsepe Foundation Motsepe, en passant par la nigériane Rose of Sharon Foundation) que celles extra-africaines, mondialement réputées, etc. Toutes suppléant, selon leurs spécialisations, aux diverses carences des pouvoirs publics (favorisées aussi bien par le principe néolibéral de réduction du budget des secteurs sociaux que par la gestion prédatrice de l’argent public, celle-ci pouvant aussi alimenter les associations/fondations privées et clientélistes des premières dames africaines et consorts). Autrement dit, cette dite politique de la compassion est justifiée par des inégalités structurelles que les associations compatissantes ne peuvent vouloir qu’atténuer (comme le font depuis des siècles, la daya hindoue, la tsedaka juive, la charité chrétienne, la sadaqa musulmane, etc.), non pas éradiquer. L’action politique ne pouvant relever de la compassion, poser celle-ci comme l’un des principes de l’Afrique possible laisse entendre que l’éradication des inégalités structurelles ou des structures inégalitaires n’y sera pas à l’ordre du jour. Ce que renforce la référence à l’équité, non pas à l’égalité [71], devenue péjorativement connotée dans l’idéologie dominante néolibéralisée comme “égalitarisme”. L’“équité” étant assez en phase avec le capitalisme généralement, dans sa réalité néolibérale en l’occurrence, tout comme la compassion. Ainsi, le possible envisagé par cet appel risque de n’être qu’un altercapitalisme. Logiquement, point ne serait besoin de politique compassionnelle dans une société débarrassée du « suprématisme du secteur privé », concernant l’organisation de/et la production des biens ainsi que leur distribution, et ayant pour principes l’égalité, la justice sociale et la solidarité.

Précisons que cette référence-ci à la « solidarité » n’est pas à confondre avec celle qui est de mise dans la théorie de la négritude de Léopold Sédar Senghor (“père de l’indépendance” du Sénégal) et consorts – postulant une rationalité négro-africaine non-antagonique, contrairement à la supposée rationalité blanche/européenne antagonique, sur laquelle se fonderait, par exemple, la lutte des classes –, dont la traduction politique est la promesse (partagée par exemple par son pair kenyan, Jomo Kenyatta, “père de l’indépendance” du Kenya, ploutocrate avéré [72]) de “socialisme africain”. Celui-ci étant considéré comme une adaptation ou mise à jour (“moderne”) d’une supposée solidarité traditionnelle, entre autres, mais dont la concrétisation s’est plutôt avérée, au Sénégal, au Kenya et ailleurs, un masque du néocolonialisme (la gestion senghorienne de celui-ci ayant d’ailleurs abouti à l’un des tout premiers programmes d’ajustement structurel néolibéral en Afrique, ayant, semble-t-il, favorisé la démission du président chantre de la négritude). Sans néanmoins cesser d’exercer quelque influence sur des intellectuel·le·s (négro-)africains (si la solidarité n’est pas moins caractéristique des traditions rurales d’Afrique du Nord que de l’Afrique dite noire – dans la classification coloniale –, c’est plus à celle-ci que renvoie souvent le discours sur la “solidarité africaine” supposée essentiellement particulière), à l’instar des signataires de cet appel. En effet, leur conception de la solidarité exprime le différentialisme essentialisé de l’ethnologie coloniale, d’une certaine anthropologie post-coloniale, dépourvu de comparaison symétrique [73] (dans une double ignorance aussi bien de l’histoire sociale complexe des sociétés européennes – différente du récit bourgeois urbanocentré de l’Europe/Occident auquel se réfèrent aussi généralement les critiques de ladite Europe/Occident – que de celle des sociétés extra-européennes, dont les africaines, dans leur grande diversité, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas ici). Ce malgré le racisme de ce différentialisme (fondant des qualités morales/intellectuelles – attribuées à des groupes humains différenciés plus par la couleur de la peau, jusqu’à les hiérarchiser “naturellement” – sur une biologie approximative, fantaisiste, déterminée par les rapports de domination/subordination, d’exploitation, en vue de leur reproduction). Ainsi, l’appel parle de « la solidarité dont elle [l’Afrique] possède les gènes » [74]. Autrement dit, la solidarité que les Africain·e·s ont dans leurs gènes. Comme l’affirmait le maître, L. S. Senghor : « Les vertus non seulement raciales, mais ethniques, nationales, se transmettent matériellement par les gènes des chromosomes [75] ».

Pourtant cette solidarité, supposée génétiquement transmise, n’a pas empêché que l’Afrique des deux dernières décennies, au moins, s’illustre non seulement par la croissance du PIB, celle supposée des classes moyennes [76], etc. (ce qui a fait croire à certains que « le temps de l’Afrique est arrivé [77] »), mais aussi par celle des inégalités sociales, des injustices diverses et variées. Dans l’une des deux premières économies africaines, par exemple : « According to Oxfam calculations, the amount of money that the richest Nigerian man can earn annually from his wealth is sufficient to lift 2 million people out of poverty [le nombre de pauvres est passé de 69 millions en 2004 à 112 millions en 2010] for one year. Lifting all Nigerian people living below the extreme poverty line of $1.90 [86,9 millions d’extrêmes pauvres en 2018, sur une population de 197 millions] out of poverty for one year will cost about $24 billion. This amount of money is just lower than the total wealth owned by five of the richest Nigerians in 2016, which was equal to $29.9 billion [78] ». C’est le genre d’inégalités (expression de, entre autres, l’exploitation, la surexploitation, la fraude fiscale qui impacte négativement la redistribution sociale, plutôt que d’une quelconque solidarité) contre lesquelles ces intellectuel·le·s n’ont pas, dans leur quasi-totalité, acquis la réputation d’être des activistes, rien que par la plume. Voire il y a comme un déni dans l’affirmation par l’un des signataires que « L’Afrique d’aujourd’hui, ce sont des classes moyennes, plus éduquées, qui se sont malgré tout développées et qui sont aussi un pouvoir d’achat [79] » (à moins que ce soit une coquille, on peut remarquer la préférence du philosophe pour “être un pouvoir d’achat” au lieu d’“avoir un pouvoir d’achat”). À l’image, peut-on ajouter, de la représentation courante des sociétés du capitalisme central traditionnel pendant leur période du supposé Welfare State, leurs dites “Trente Glorieuses”, cette étape importante de la modernisation écocidaire (productiviste, consumériste et polluante), de prétendue “moyennisation” sociale fortement intégratrice à l’ordre capitaliste. La supposée éducation, supérieure, consiste, de plus en plus, en Afrique aussi, en, entre autres, une préparation de ses produits à l’intégration dans cet ordre, comme membres des classes moyennes en effet, généralement dépourvues d’une culture de la solidarité avec les damné·e·s de la terre d’Afrique, de solidarité pour une Afrique, une humanité émancipée des inégalités et injustices sociales et environnementales. Que l’Afrique demeure peuplée majoritairement de pauvres ne relève pas de préjugés, d’une observation erronée de la réalité : « 60 pour cent de la population active sont encore “modérément” ou “extrêmement” pauvres » et « Quelque 82 % de la population du continent n’ont pas accès à la protection sociale » (document de la 14e Réunion régionale africaine de l’OIT, décembre 2019 [80]). Une réalité qui est déjà davantage dégradée par la Covid-19, y compris, d’ailleurs, au sein des classes moyennes, des « plus éduquées ».

Critiquer la domination de l’Afrique, par des puissances étrangères (États et firmes transnationales), ne signifie pas automatiquement être du côté des damné·e·s de la terre africain·e·s, encore généralement majoritaires, leur manifester de la solidarité dans les luttes pour l’émancipation. Le nationalisme africain ou panafricanisme pouvant aussi, voire surtout, relever des classes dirigeantes locales, du capital transnational africain (en plein essor ces derniers années), pour leurs propres intérêts avant tout, ainsi que ceux des intellectuel·le·s qui leur sont solidaires, de façon assumée ou “honteuse”. Ce que prouvent bien cinq décennies d’Afrique post-coloniale réunie dans l’Organisation de l’Union Africaine, puis dans l’Union Africaine.

D’autres intellectuel·le·s, critiques de l’Africa rising

C’est d’ailleurs ce grand écart, entre les discours sur la “solidarité africaine” et des rapports sociaux intra-africains très inégalitaires/très injustes, qui est, entre autres, relevé par le texte d’autres intellectuel·le·s (88 [81]), très majoritairement africain·e·s (avec en tête de la liste des signataires le prix Nobel de littérature 1986, Wole Soyinka, qui n’en serait pas un des rédacteurs/rédactrices, a-t-il laissé entendre ailleurs) [82], en affirmant que « La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste. Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du nord ». Et en rappelant la coexistence de ce récit avec « les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations » dont quelques-unes ont été, sont encore aujourd’hui, malgré tout, soumises au confinement, quelques autres menacées de re-subir un confinement. La précarité ou le précariat, en Afrique du moins, n’est pas ainsi considéré comme né de la pandémie, à la différence de ce qu’en affirmaient les intellectuel·le·s précédent·e·s.

Par ailleurs, dans ce texte peuvent être remarqués l’usage non seulement de l’expression « classes moyennes et aisées » – quand bien il existe des notions plutôt pertinentes (petite bourgeoisie, bourgeoisie, etc.), « aisées » renvoyant dans le texte à celles et ceux « ayant la possibilité de travailler à domicile » pendant le confinement ; les patron·ne·s et actionnaires inclus·es ? –, la mention des sociétés où prévalent des « logiques de profit et de domination », mais aussi l’usage du terme, apparemment encore tabou pour les autres intellectuel·le·s (dans leur appel), « capitalisme », indiquant la réalité dont relèvent ces logiques. Il y est même question de « prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. » Ce qui la distingue des deux appels précédents, autant qu’une certaine insistance sur l’« au-delà de l’urgence », le devenu fameux « jour d’après ».

Ainsi, invitation est faite aux destinataires de la lettre (« dirigeants africains de tous bords […], peuples africains et […] ceux qui essaient de penser le continent ») de « saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit ». Autrement dit, pour aller à l’essentiel, à la différence de l’Afrique actuelle, avec ses « classes moyennes et aisées », partisanes de « l’émergence économique » (capitaliste, évidemment) et la majorité des populations vivant dans des « conditions de précarité chronique », l’Afrique du « jour d’après » s’annonce post-idéologique, car il n’y aurait plus de différences, de divergences, de contradictions ; « dirigeant[e]s politiques de tous bords », « peuples africains » et penseur·e·s s’étant accordé·e·s sur « une nouvelle idée politique d’Afrique », la réorganisation du « vivre ensemble », désormais sur « des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun » – espérons que l’égalité soit aussi celle entre les genres, et la dignité, celle de chacune aussi. Ce qui pourra être considéré, ici aussi, comme une réactualisation de la supposée tradition africaine anté-coloniale telle que couramment présentée, surtout dans les années 1950-1960 (dont la nature prétendument solidaire a été traitée dans la partie précédente) : « Dans la société africaine traditionnelle, en effet, aucun intérêt ne pouvait être considéré comme déterminant ; les pouvoirs législatif ou exécutif ne soutenaient les intérêts d’un groupe particulier. Le but suprême était le bien du peuple tout entier » (Kwame Nkrumah, Le Consciencisme, chapitre III, 1964). En fait une nostalgie qui a été considérée par la suite comme uchronique, un « mythe », par le même Nkrumah, post-présidence [83].

Réorganisation sur des « bases égalitaires » qui est impossible à réaliser, eu égard à l’esprit économique exprimé dans cette lettre, laissant entendre, qu’ici aussi, il est fondamentalement question des réformes au sein de l’économie actuellement dominante, du vœu d’un capitalisme hétérodoxe dans lequel le culte de la croissance et du profit serait miraculeusement abandonné, alors qu’il est consubstantiel au capitalisme (à ne pas ramener à nos épiceries de quartier en Afrique, à l’“épicerie kabyle” dans certaines villes ou quartiers en France). Les capitalistes africain·e·s, une composante des « classes aisées », étant censé·e·s devenir – tout en demeurant, semble-t-il, propriétaires privé·e·s des moyens de production – des partisan·e·s de l’égalité, respectueux/respectueuses de la dignité de la force de travail exploitée productrice de survaleur qu’elles/ils s’approprient en principe, ainsi que de celle constituant l’« armée industrielle de réserve » (K. Marx).

Au temps de la lutte contre le colonialisme tardif en général, portugais en l’occurrence, Amilcar Cabral avait pensé que la « petite-bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifiée avec les aspirations les plus profonds du peuple auquel elle appartient » (« Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale », 1966). Ces intellectuel·le·s pensent, quant à elles/eux, que les « classes moyennes et aisées » sont capables de se suicider comme « classes moyennes et aisées », pour la construction de sociétés africaines égalitaires. Alors que l’existence d’une bourgeoisie révolutionnaire ne relève plus, à l’échelle mondiale, que d’un passé bien lointain. Voire que semble actuellement inexistante en Afrique quelque fraction de la petite bourgeoisie se voulant révolutionnaire (dans l’acception de Cabral).

C’est au nom d’un humanisme petit-bourgeois, malgré son respectable activisme pour la “démocratie” au Nigeria et pour la paix dans le monde (cf. par exemple, les pages consacrées à la tragédie du peuple palestinien dans son Climat de peur, Actes Sud, 2005), que Wole Soyinka, dans un entretien postérieur à cet appel, s’attend, en s’appuyant sur l’histoire mais tout en en évacuant certains faits pourtant majeurs, à une sorte de sursaut des dirigeant·e·s politiques africain·e·s : « Voulez-vous saisir cette opportunité pour réfléchir à notre pleine et entière existence en tant que peuple, et à votre existence à vous en particulier, en tant que dirigeant sur le continent africain… un continent qui porte une histoire d’esclavage, de colonisation, de néocolonisation, d’exploitation sans fin ? Et si cet événement était le moment de vous poser, pour enfin réfléchir, et vous demander si vous n’avez pas trahi votre propre peuple, trahi votre propre humanité ? [84] ». De la moraline, dirait le philosophe. Comme si cette histoire n’était pas aussi celle de la succession de dirigeants cyniques, des collaborateurs de la traite à ceux qui, dépourvus de quelque qualité (recommandable), sont arrivés à mettre leurs pays à feu et à sang, faisant plus de victimes que des épidémies, rien que pour la conservation de leur pouvoir ou pour y accéder, c’est-à-dire sans autre idéal que la jouissance des privilèges, la satisfaction de leur kleptomanie qu’il permet. Le néocolonialisme mentionné n’est-ce pas l’alliance, hiérarchisé certes, entre les dirigeants interpellés et les puissances (politiques et économiques, principalement des pays du centre capitaliste traditionnel, avec possibilité de restructuration, par exemple dans le contexte de montée en puissance économique de la Chine) et à laquelle ils s’avèrent inébranlablement très attachés, aux dépens des majorités sociales. Attendre quelque sursaut “humaniste” de ces dirigeants, indifférents en temps dit normal aux malheurs chroniques des classes populaires (dont des maladies comme le paludisme, le sida, la tuberculose, etc. qui sont incomparablement plus meurtrières pour le moment que la Covid-19 en Afrique), revient à espérer des eucalyptus qu’ils produisent des mangues, des oranges ou qu’ils enrichissent le sol. Par ailleurs, ces dirigeants ne trahissent en fait rien, car leurs promesses sont généralement mensongères au moment de leur énonciation.

Semble oublié, dans cet appel à l’union sacrée de tous/toutes les Africain·e·s face à la Covid-19, le fait que dans les dernières décennies du 20e siècle, il y a eu des conférences nationales, dites mêmes souveraines, et autres concertations nationales. Elles résultaient, entre autres des mobilisations sociales contre la paupérisation populaire causée par l’endettement critique (ayant plus profité aux kleptocrates et à leurs partenaires capitalistes, d’Occident surtout, à travers, par exemple, la surfacturation des grands travaux) organisé par les IFI (par exemple, la Banque mondiale avait promu au cours des années 1970 “l’endettement pour se développer”, du fait de l’abondance des pétrodollars), et les subséquents programmes d’ajustement structurel néolibéral. Conférences nationales et autres assises qui ont, paradoxalement, été des moments de légitimation nationale quasi consensuelle (organisations politiques et société civile, syndicats patronaux compris dans celle-ci) de l’option néolibérale, auréolée de multipartisme (généralement sans réel pluralisme idéologique, dans le contexte de l’après destruction du Mur de Berlin), de “dynamisme” de la “société civile”. La “démocratie”, ainsi instaurée, était présentée, considérée comme la forme de gouvernement permettant de résoudre les problèmes sociaux ayant causé les mobilisations sociales, alors que les gouvernant·e·s élu·e·s choisissent systématiquement la direction opposée, celle de la fixation, de l’aggravation durable desdits problèmes. En fait, ce fut un moment de nouvelle confirmation du « déficit idéologique » en Afrique post-coloniale constaté déjà par Frantz Fanon (« Cette Afrique à venir », 1960) et Amilcar Cabral (« Une crise de connaissance », 25 mars 1961 ; « Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale », janvier 1966), au moment de la guerre dite froide (ni l’un ni l’autre ne voulaient ainsi prôner une “idéologie africaine”, mais une idéologie de l’émancipation humaine, c’est-à-dire abolition de « toutes les formes d’oppression », de « l’exploitation du travail par qui que ce soit [85] »). Déficit idéologique aggravé par le contexte néolibéral de propagande, renouvelée aussi, de l’idéologie de la fin des idéologies (la “science économique” présentant plus qu’auparavant l’économique, substrat et finalité de la société capitaliste, comme non idéologique). Comme cela se donne à voir déjà ci-dessus, les “élites” africaines produisent, généralement, sous une « ennuyeuse apparence de diversité » – pour reprendre une expression hégélienne –, avec une indéniable habileté rhétorique, sophistique, des adaptations africaines (particularistes ou cosmopolites) de cette idéologie, y compris sous forme de « manifestation assez raffinée d’apologétique critique », comme le disait Ernst Bloch à propos d’une certaine critique sociale dans le cinéma hollywoodien (Principe Espérance, tome 1, chap. 29, 1959), en l’occurrence la critique pro-capitaliste du capitalisme néolibéral. Ce qui peut être médiatiquement rentable, voire pour la carrière.

Ainsi, si les « dirigeants africains de tous bords » (les politiques) sont, à juste titre, interpellés, ne le sont pas les autres acteurs/actrices, parmi la minorité bénéficiaire du drame vécu par les classes populaires africaines, que sont les capitalistes africain·e·s, avec lesquels il serait impossible de « mutualiser [les] efforts » pour la construction « d’un État au service du bien-être des peuples » et qui ne pourraient abandonner le principe « du profit pour le profit ». Il est illusoire d’attendre des capitalistes de partout en Afrique – les actifs/actives à l’échelon national, comme celles et ceux qui le sont transnationalement (en Afrique et ailleurs) –, des associations patronales africaines, qu’elles/ils tournent le dos à l’inégalité structurelle du capitalisme, se métamorphosent en partisan·e·s de l’égalité. Tout comme, ne peut être espéré en même temps que les démocrateurs (la démocrature est une dictature d’apparence démocratique selon Eduardo Galeano, parlant des régimes ayant immédiatement succédé aux dictatures militaires des années 1970 en Amérique dite latine) et kleptocrates se transfigurent en démocrates (soumis au contrôle populaire basé sur une bonne information, une vraie formation citoyenne autonome) et personnes intègres. Alors qu’à proprement parler, il n’y a pas actuellement, sauf dans une poignée de pays, de dynamisme de la lutte de classe des exploité·e·s [86], des luttes contre les différentes inégalités, injustices, oppressions (généralement imbriquées) pouvant les contraindre à une telle mutation. À moins de penser que ce serait possible par quelque miracle de la “palabre africaine” mise à jour. Par quelque réactivation de la supposée « solidarité dont elle [l’Afrique] possède les gènes », selon les intellectuel·le·s précédent·e·s.

Il semble que c’est sur une telle métamorphose qu’aurait planché l’édition de mars 2020 de l’Africa CEO Forum (haut lieu de concertation entre capitalistes africain·e·s, dirigeant·e·s politiques africains et investisseurs étrangers – sans les classes populaires, évidemment), annulée pour cause de pandémie, car elle avait pour thème : « Capitalisme et bien commun : un nouvel horizon pour le secteur privé africain ». Comme l’avait précisé le président de cet événement (organisé par le Groupe Jeune Afrique avec, entre autres partenaires, la Banque africaine de développement, la Société financière internationale du Groupe de la Banque mondiale) considéré comme majeur pour l’essor du capitalisme en Afrique, Amir Ben Yahmed (Groupe de presse Jeune Afrique), il s’agirait de réfléchir sur la réalisation d’« un capitalisme africain au profit de tous », d’un « capitalisme pour le bien commun » [87]. Sans, cependant, se référer, dans son texte, à quelque solidarité africaine génétiquement déterminée. Sa source d’inspiration serait plutôt le Manifeste de Davos 2020 (Davos Manifesto 2020 : The Universal Purpose of a Company in the Fourth Industrial Revolution, décembre 2019) produit par Klaus Schwab (président de l’autre forum, le Forum économique mondial de Davos), pour sa dernière édition (janvier 2020). Et dont l’idée principale est : compte tenu des inégalités colossales actuelles, il faudrait passer à un capitalisme ne profitant plus seulement aux actionnaires mais aussi à toutes les « parties prenantes », y compris donc la force de travail salariée. Conception de l’économie (sociale) capitaliste qui est bien loin de connaître un début de commencement, vu que dans la principale économie capitaliste du monde, par exemple, même la période de la pandémie de Covid-19 a eu du bon pour les plus capitalistes des capitalistes : « This year’s Forbes report examines billionaire wealth as of March 18, 2020, a bit later than the February dates fixed upon in the magazine’s previous 33 annual reports. By April 5, two-plus weeks after March 18, U.S. billionaires had seen their collective wealth rise back to $3.017 trillion, and by April 10 their wealth had surged to $3.229 trillion, surpassing the 2019 level. Between March 18 — the near bottom point of the pandemic financial swoon — and April 10, 2020, U.S. billionaire wealth rebounded by $282 billion [88] ». Il n’en est pas autant, évidemment, pour les autres « parties prenantes », celles, par exemple, qui suent à produire ces richesses. Mais l’Afrique étant considérée comme d’une humanité si particulière, avec ses vertus génétiquement déterminées, ses capitalistes sauraient se métamorphoser. Ce que fait douter néanmoins, par exemple, le panafricanisme exprimé par l’ex-footballeur professionnel en Europe, Samuel Eto’o, appelant à « un sursaut d’orgueil, il faut qu’on sache se mettre ensemble. On ne sera jamais d’accord, mais l’intérêt général c’est l’intérêt général ! L’intérêt de notre continent doit primer sur tout [89] ». Mais, après avoir présenté la création d’emplois comme motivée par la solidarité, l’altruisme, plutôt que par la soif d’accumuler, il n’a pas oublié ses intérêts de milliardaire (en FCFA) membre autochtone du capital en Afrique : « Il faut permettre aux Africains qui veulent investir dans notre continent d’avoir la priorité sur certaines choses et d’avoir des avantages aussi, parce que nous sommes nés dans ce continent-là et il est normal qu’on revienne et que l’on ait certains avantages pour pouvoir investir dans notre continent » (idem). Une demande assez claire du privilège d’autochtonie africaine pour l’exploitation/la surexploitation néolibérale de la force de travail africaine, la réalisation des profits, la reproduction des inégalités et injustices structurelles. C’est la voix du panafricanisme bourgeois : par « intérêt de notre continent », il faut plutôt comprendre “nos intérêts de fraction autochtone de la classe exploiteuse”.

Ainsi, dans cet appel aussi, il n’est sous-entendu nulle part une rupture à venir avec le capitalisme, cadre et co-facteur de la crise sanitaire, articulable à la crise écologique, mais seulement avec tel ou tel autre des aspects du capitalisme néolibéralisé. Même concernant la « dépendance systémique » dans laquelle se trouvent les économies, les États africains, il n’est pas question de rupture mais juste de « diminuer notre dépendance systémique » à l’égard des puissances capitalistes, dont les anciennes métropoles coloniales/impériales. Une telle diminution serait tout à fait autre chose que l’interdépendance qui exclut, en principe, des rapports de domination, de subordination entre les partenaires.

Tout comme certain·e·s altermondialistes souhaitaient une mondialisation (capitaliste néolibérale) à visage humain (en ce qui concerne les altermondialistes du centre capitaliste, c’était par nostalgie des prétendues “Trente glorieuses”, considérées en faisant abstraction du contexte de la guerre dite froide, des guerres coloniales/néocoloniales, de la domination impérialiste, de la mise en dépendance des États du Tiers-Monde, avec son échange inégal, du productivisme/consumérisme écocidaire, etc.), l’un des signataires a parlé ailleurs « des opportunités à saisir afin de “coconstruire” une mondialisation plus équitable [90] ». Autrement dit, le stade néolibéral de la mondialisation étant considéré comme actuellement équitable – dans l’acception « à la mode » de l’équité, depuis les années 1990 (cf. François Brune, op. cit.) –, il s’agit d’en faire plus, sans, effectivement tendre vers l’égalité : un changement sans la nécessité de « changer de base » (à la différence de ce qui est envisagé dans un hymne célèbre, de moins en moins chanté ces derniers temps). Considération assez logique de vivre dans un monde équitable quand l’on appartient à la tranche supérieure de la “classe moyenne”, à l’abri de la précarisation. Alors que la mise en circulation ces derniers temps, par des idéologues du capitalisme, des expressions – de nouveaux mots envoûtants de la « sorcellerie capitaliste » comme diraient Philippe Pignarre et Isabelle Stengers (La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement, 2005) – comme « développement inclusif », « croissance inclusive », capitalisme « des parties prenantes » ou du « bien commun » indique assez explicitement que la dynamique en cours, est de nature exclusive, plus gravement injuste et inégalitaire, comme jamais auparavant.

Quant au panafricanisme, l’appel à « retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements » manque de précision : s’agit-il de l’« inspiration originelle » négro-américaine du panafricanisme, en cela plutôt pan-négriste que panafricaine, les peuples d’Afrique étant de plusieurs “races”, depuis au moins le premier millénaire de l’ère dite chrétienne ? S’agit-il du panafricanisme des années 1945-1963 ayant abouti, principalement, à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à dominante néocoloniale (certains “pères de l’indépendance” et fondateurs de l’OUA, étant alors plus intéressés par le projet de l’EurAfrique, le Commonwealth, la françafricaine Union africaine et malgache, etc.) ? OUA qui ne s’était ainsi quasiment pas préoccupée de l’organisation du vivre ensemble (de l’économique au culturel, en passant par les rapports entre les genres) à partir du principe de l’égalité sociale (un idéal qui n’était pas encore considéré comme une énormité) dans les sociétés africaines dites indépendantes. Les “élites” au service des États dits indépendants parlaient de panafricanisme tout en se distanciant davantage socialement, de façon générale, des peuples/classes populaires, y compris l’“élite” du Convention People’s Party et de l’État ghanéen dirigés par un Kwame Nkrumah qui était incontestablement à l’avant-garde du panafricanisme post-colonial. Les classes populaires y étant alors contenues à « s’énivrer de l’épopée qui a conduit à l’indépendance » (F. Fanon, Les damnés de la terre) Ainsi n’est-ce pas comme une promesse d’attachement au système dominant quand, concernant un supposé accomplissement de progrès considérables, à venir, dans le processus d’intégration africaine, il est juste reproché au dit processus d’avoir été « conçu que sur la base de la seule “doxa” du libéralisme économique » (une référence implicite au Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique/NEPAD [91], à l’Agenda 2063 – L’Afrique que nous voulons de l’Union Africaine, à la Zone de libre-échange continentale africaine ?) ? Autrement dit, il ne s’agirait pas de rejeter la “doxa” du libéralisme économique », alias le néolibéralisme, mais de lui ajouter quelque chose d’autre. Du social sans doute, pour arriver au social-néolibéralisme promu ailleurs [92], car l’Africa Rising est reconnue, même par des institutions de la néolibéralisation, n’avoir pas été “inclusive”. À titre de rappel, ladite inclusion, sociale, dans le jargon des institutions promotrices ne signifiant pas instauration de mécanismes favorisant l’égalité, mais permettant une équité considérée comme nullement incompatible avec la persistance des inégalités sociales structurelles.

Par ailleurs, comme les appels précédents, celui-ci, malgré un intérêt affiché pour la science (mais dépourvu de quelque critique sur une certaine instrumentalisation capitaliste de la science, à l’instar de la technoscience qui est présentée insidieusement comme facteur du développement ou de l’émergence de l’Afrique, des semences génétiquement modifiées à l’expansion de la numérisation), brille aussi par la non prise en compte de la dimension écologique, relevant, entre autres, de la connaissance scientifique des phénomènes qui accablent les sociétés humaines, menacent l’avenir de la vie. Alors que l’Afrique a déjà été affectée, à répétition, par le virus Ebola (dont l’origine est censée, selon l’hypothèse assez partagée par les épidémiologistes, liée, entre autres, à la surexploitation capitaliste des forêts, plutôt que par quelque croissance démographique, comme avancée par le néo-malthusianisme, ou la coupe de bois d’usage domestique), qu’elle subit déjà les conséquences du réchauffement climatique (comme l’ont rappelé, par exemple, les dégâts causés par les pluies de la première décade de mai 2020, du Kenya au Congo, après les cyclones Idai et Kenneth ayant frappé l’année précédente des pays d’Afrique australe, voire la tempête Fakir sur La Réunion, ce “département français” bien situé … entre Madagascar et Maurice), plus intensément, semble-t-il que les autres régions du monde. Et les prévisions, plutôt fiables en cette matière, sont généralement plus alarmantes qu’ailleurs, sur cette terre commune. Si rien n’est sérieusement fait dès maintenant, globalement s’entend. Par ailleurs, elle risque de se retrouver avec un particulier appauvrissement des sols du fait de l’accaparements des terres, et généralement de l’offensive de l’agrobusiness au nom d’une révolution verte en Afrique qui pourra ne pas être, par exemple, moins empoisonneuse de la nature non humaine et moins étrangleuse de la petite paysannerie qu’elle l’a été partout ailleurs. Agrobusiness qui risque de profiter de la récession des économies d’Afrique pour renforcer son pouvoir sur des États africains, sur l’Union Africaine (par exemple, la philanthrocapitaliste Fondation Melinda et Bill Gates est partenaire, financeure très intéressée du NEPAD - Agence de développement de l’UA), leur faisant adopter des orientations écocides mais lui rapportant des profits.

Cet oubli de mentionner, dans cet appel, la dimension écologique, serait-ce l’expression de la conscience d’une incompatibilité de l’écologie conséquente avec le capitalisme – même présenté comme « développement durable », « croissance verte » et autres oxymores dont se revendiquent actuellement des transnationales parmi les plus écocidaires [93] –, mais sans disposition à en tirer les conséquences ?

Grila : Le grand écart entre constat et perspectives ?

Oubli de la dimension écologique que l’on ne trouve pas dans les « Observations du Grila sur la pandémie du Coronavirus. La condition du continent et une riposte panafricaine ». En effet, le panafricaniste Groupe de recherche et d’initiative sur la libération de l’Afrique n’oublie ni la dimension écologique (« la dégradation de la nature propice à la circulation des virus » résultant de l’action des « firmes transnationales et instances financières »), ni des facteurs de la pandémie (comme « la connectivité transnationale des réseaux de communication », la « sous-estimation » de sa propagation, etc.), ni les divers impacts sur les femmes (« En raison de la discrimination systémique dans le système capitaliste et de certaines traditions culturelles patriarcales, les africaines du continent et les femmes de descendance africaine continuent d’assumer la charge du soin des enfants et des aînés. Ces femmes africaines sont confrontées à un plus haut taux de violence sexiste et à l’insécurité économique. Elles sont représentées de façon disproportionnée dans le secteur informel avec des emplois sous-payés et précaires, sans assurance sociale, ou de congé maladie » [94]), ni « la crise du capitalisme [qui] perdure de façon erratique » depuis 2008 et « la nature antisociale du capitalisme », ni les « classes sociales », ni les « paysan·ne·s qui assurent la poursuite de la production ou l’entretien des champs », ni le risque « de conditionnalités supplémentaires des bailleurs de fonds » et de chantage du FMI et de la Banque mondiale (« Les pays africains qui promeuvent l’approche néolibérale ou n’osent pas lui tenir tête seront privilégiés »), ni les « allocations de chômage aux travailleuses et travailleurs mis à pied, des filets sociaux aux plus démunis, surtout à ceux qui seraient confinés » que devraient fournir les États en accompagnement des mesures strictement sanitaires, ni la protection « de la population de l’instrumentalisation religieuse ou culturaliste de la pandémie », ni l’option de « dépasser les mentalités nationalistes et recouvrer un élan panafricain internationaliste et solidaire, pour défendre l’humanité, les biens communs », etc. Bref, une assez synthétique contextualisation, un tour d’horizon permettant au lecteur/à la lectrice lambda d’échapper à l’approche diversement mutilée du phénomène, assez caractéristique des déclarations précédemment présentées.

Cependant, il y est aussi souhaité une accélération de l’intégration africaine. Ce qui revient à ne pas remettre en question la nature néolibérale du processus d’intégration en cours, allant du NEPAD (considéré à juste titre, par l’altermondialiste nigérien Moussa Tchangari, comme le « boubou africain du néolibéralisme », taillé au départ par les présidents Abdoulaye Wade du Sénégal et Thabo Mbeki d’Afrique du Sud, soutenu par ses pairs d’alors, Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie et Olusegun Obasanjo du Nigéria) à la Zone de libre-échange continental africaine, cet « afrolibéralisme » [95]. Processus d’intégration qui est soutenu, financièrement, aussi bien par l’Union européenne que par des transnationales, non africaines comme africaines (à l’instar du club patronal “AfroChampions” co-présidé par la première fortune africaine Aliko Dangote et l’ex-président Thabo Mbeki) principalement motivées par les profits qu’elles tireraient de ce vaste espace économique plutôt que par quelque volonté de contribuer à l’émancipation des peuples africains – la dynamique du profit étant en contradiction avec le processus d’émancipation, des exploité·e·s et opprimé·e·s de tous les autres continents aussi. Ces peuples d’Afrique n’étant considérés – tout comme ailleurs – que comme fournisseurs de la force de travail à exploiter et consommateurs potentiels des marchandises, sans pouvoir de décision, dépourvus d’une quelconque souveraineté sur ledit processus. Une telle intégration, néolibérale, ne peut d’ailleurs que reproduire davantage « la nature antisociale du capitalisme » (tous les États africains étant de nature capitaliste, malgré l’oubli dominant de ce fait dans le monde académique et comme l’a prouvé, par exemple, la crise structurelle des années 1980-1990, « la Grande Dépression Africaine » selon Thandika Mkandawire [96], focalisée sur le surendettement, généralement, et son supposé remède, l’ajustement structurel néolibéral dans lequel bon nombre patauge depuis), pourtant rappelée plus haut dans le texte du Grila. C’est comme un oubli, mais qui affecte le mordant (de la première partie) du texte.

Ainsi, de façon assez logique, la perspective n’est pas formulée en termes de post-capitalisme (écologique, socialiste, féministe, etc.) mais en termes timorés, bien vagues d’« avènement d’un développement viable, équitable, durable et populaire par l’État fédéral continental » ou de « reconstruire des valeurs pour une autre économie tournée vers l’équité, l’égalité des opportunités, la décision démocratique et populaire, le respect des genres, des générations et de la nature ». Du développement durable, par exemple, on sait, au moins depuis son adoption par des transnationales co-responsables de la crise écologique et de son aggravation en cours, qu’il s’agit d’un « impossible capitalisme vert » (Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, 2010). Le développement, capitaliste s’entend, est impossible sans la croissance qui, animée par l’insatiabilité de l’accumulation du capital, infinie dans une nature finie, ne peut qu’être écocidaire. Quant à l’« équitable », l’ « équité », il s’agit, rappelons-le, d’un usage actuel, faussement synonyme d’ « égalitaire », d’ « égalité ».

En effet, en ces années post-destruction du Mur de Berlin, de supposée fin de l’histoire, quand est évoquée l’équité, il ne s’agit plus de « l’équité au sens où l’entendait Aristote, comme correctif de l’égalité formelle [97] », mais de l’équité opposée à l’égalité (principe alors en cours de ringardisation). Selon la définition, critique, déjà citée, de Noëlle Burgi-Golub : « l’équité tente de trouver un équilibre entre égalité et inégalité », non pas à mettre un terme à celle-ci, aux inégalités structurelles. C’est un des principes de la « nouvelle narration proposée par les gestionnaires de la planète [98] » en néo-libéralisation : « En vertu du principe d’“équité”, un État est juste s’il met en œuvre une politique d’accès de tous à l’éducation. À l’individu, ensuite, d’en tirer le meilleur profit dans le cadre de la compétition scolaire. Ce faisant, les dirigeants ont avalisé non seulement l’idée qu’il existe des inégalités légitimes, résultant notamment du mérite et de l’effort individuels, mais aussi celle que le système scolaire doit de plus en plus servir à la sélection sociale. Ce que confirme la réalité du vécu quotidien ». Celles et ceux issu·e·s des familles défavorisées, les femmes, les “racisé·e·s” dans les sociétés multiraciales, qui ont pu “réussir” dans la société, se faire une place sous le soleil du capital/des riches, de la phallocratie, de la race dominante, sont des individus ayant su saisir l’« égalité des chances » ou l’« égalité des opportunités » (dans le texte du Grila). Celle-ci est, à son tour, un principe de ladite équité. Par exemple, dans le Rapport sur le développement dans le monde 2006 de la Banque mondiale intitulé, comme pour repréciser l’horizon, Équité et développement (Abrégé, version française), le terme “égalité” n’apparaît quasiment que dans l’expression « égalité des chances ». Qui, rappelons-le, a été promue pour couvrir l’existence des mécanismes sociaux structurels favorisant, au départ, plus les uns, les unes que les autres, compromettant ainsi l’effectivité de l’égalité, impossible en fait dans le capitalisme en général, surtout sous sa forme néolibérale, avec le fétichisme plus accentué du grand anti-égalisateur qu’est l’argent. Ce qu’assume sans masque ledit rapport en précisant que « l’objectif de l’action gouvernementale n’est pas d’obtenir l’égalité dans les résultats » (p. 3 de l’Abrégé dudit rapport de la Banque mondiale). Pour les « nouveaux idéologues », les « nouveaux réformateurs » (Burgi-Golub), la persistance des inégalités ne relève pas du structurel, mais s’explique, fallacieusement, par l’incapacité de saisir les opportunités, supposées égales, par le manque de chance pour celles et ceux qui en pâtissent. Alors que, logiquement, « là où il y a égalité, par définition il n’y a pas besoin de chance ; et là où il y a chance il n’y a pas égalité, mais hasard, gros lot ou lot de consolation… Le mot chance ne renvoie-t-il pas au monde de la loterie, un monde où l’on parie, un monde où quelques-uns gagnent … et où la plupart perdent ? [99] ».

La domination, rappelons-le, c’est aussi le fait que la grammaire des institutions garantes de la reproduction du système inégalitaire arrive à être adoptée – consciemment ? inconsciemment ? – même par celles/ceux qui se considèrent comme des adversaires dudit système. Comme le rappellent certain·e·s, en ayant fait une de leurs identités, « les mots sont importants », très importants même, dans la lutte pour l’émancipation. Par ailleurs, n’est pas à négliger que l’adoption d’un tel vocabulaire, indiquant aussi l’horizon du possible choisi, favorise, par exemple, le financement de certaines organisations de la société civile par des fondations philanthrocapitalistes (Fondation Ford, Fondation Rockefeller, Open Society, etc.), très actives en Afrique et aucunement portées sur le suicide de leur système. Bien au contraire, leur philanthropie est motivée par l’élargissement des rangs de celles et ceux, des Africain·e·s (pouvant être prédisposé·e·s en tant que “très éduqué·e·s”) qui se chargent, aussi par les mots choisis de l’occultation des mécanismes de reproduction de la domination du Capital – généralement la “nécessité” de bénéficier encore des financements (permettant aussi de ne pas se retrouver dans le précariat) empêche toute critique globale et radicale d’un système dominé par les financeurs –, de produire des illusions stratégiques, à son profit, contre l’émancipation des exploité·e·s et des dominé·e·s.

Appropriation de la grammaire des dominants qu’illustre aussi le fait qu’après avoir critiqué au début du texte le sort fait aux femmes par « le système capitaliste et certaines traditions culturelles patriarcales », il n’est donné en perspective que « le respect des genres », pouvant être compris ici comme respect de l’assignation sociale hiérarchisée des sexes, plutôt que comme remise en question des rapports de pouvoir genrés. Et, auparavant, il a été question d’« équité entre les genres ». Dans le droit fil de ce qui s’est institutionnalisé depuis au moins la 4e Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes (Pékin, 1995) au cours de laquelle « “Dans le texte officiel […] il est question de remplacer le terme d’égalité par celui d’équité, et celui de parité par partenariat” […] le passage progressif d’une notion d’égalité à une notion d’équité – et de parité à celle de partenariat – reflète l’offensive idéologique d’un libéralisme triomphant, soucieux de justifier “ses justes inégalités” [100] » ; “féminisme onusien” qui a d’une certaine façon ramolli la réflexion sur l’égalité des genres en Afrique [101]. Cet évitement, par le Grila, de l’expression “égalité des hommes et des femmes” peut aussi relever d’un certain culturalisme africain (féminin comme masculin, beaucoup plus masculin que féminin) sur le sujet (assez amplifié dans les sociétés racistes, de prédominance de la blanchité, dans la diaspora (négro-)afrodescendante), couvrant mal une défense de la phallocratie traditionnelle africaine, avec ses touches religieuses (chrétienne, musulmane). Par exemple, dans « Ce que l’homme noir apporte » (1939), L. S. Senghor (incontournable concernant le culturalisme (négro-)africain) marie l’égalité et la hiérarchie/l’inégalité concernant la dot : « La femme est l’égale de l’homme […] On n’achète pas la femme, on dédommage seulement sa famille ». Pour quoi, si ce n’est pour la force de travail, produite, entretenue et finalement perdue par la parentèle, et pour l’activité (de production et) spécialisée de reproduction sociale qu’elle accomplira dans son nouveau foyer, normalement dirigé par le “dédommageur”. Relativisme culturel mis à jour, en ces temps considérés par certain·e·s comme postmodernes, par des activistes féminines, à l’instar de celles qui nient l’existence des genres dans certaines sociétés africaines précoloniales, en prenant soin, évidemment, de ne pas aborder la question du travail domestique des femmes, par exemple. Relativisme culturaliste qui considère la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes comme relevant du féminisme, à honnir parce que d’origine “ blanche” ou “occidentale”. Autrement dit, ne pouvant exprimer que la domination culturelle impérialiste (“blanche” ou “occidentale”), ou, pour être tendance, la colonialité. Ainsi même Françoise Vergès dont le féminisme décolonial est anti-capitaliste, se trouve comme obligée d’affirmer (dans un entretien qui, du fait d’être gratuitement accessible sur internet, va être, sans doute, plus lu en Afrique que son dernier livre Un féminisme décolonial, 2019) que « Pour moi, le féminisme n’est pas les droits des femmes comme l’a défini l’Europe […] Pour moi, les droits des femmes, tels que l’Europe les définit servent l’impérialisme […] Pour moi, le féminisme c’est la justice sociale, c’est la fin du capitalisme et de l’impérialisme. Ce n’est pas simplement qu’il y ait autant de femmes députées que d’hommes députés à l’assemblée […] Je trouve que le féminisme qui vient aujourd’hui du Nigeria, d’Afrique du Sud, des femmes noires du Brésil, c’est ça. Le féminisme blanc du Nord a vu cela et il réagit encore plus violemment parce qu’il a peur. Les femmes du Sud disent : “Nous, notre féminisme ce n’est pas le vôtre. Nous, notre féminisme c’est un féminisme de justice sociale. Ce n’est pas un féminisme de 50/50. Ce n’est pas l’égalité de genre. On veut que tous nos enfants aillent à l’école. On veut un accès réel à la santé, à l’éducation, au logement, au travail. On veut que les femmes n’aient pas deux heures de transport à faire pour aller travailler, gagner une misère…” Pour moi, c’est ça […] La révolution viendra des femmes du Sud [102] ». C’est comme si le contexte d’énonciation, (les Ateliers de la pensée, à Dakar, animés par des co-signataires du deuxième appel traité plus haut) avait imposé un tel confusionnisme. Entre autres questions possibles à partir de ce géo-messianisme : “l’Europe” (des États, on suppose) et les féministes blanches du Nord mais à la fois anti-capitalistes, anti-impérialistes, anti-racistes, etc. – aussi minoritaires seraient encore celles-ci – sont-elles à ranger ensemble ? Le féminisme du Sud est-il si homogène ? N’y a-t-il pas des féministes pro-capitalistes, des capitalistes féministes en Afrique ? Féministes du Sud contre Féministes du Nord ? ou plutôt Solidarité entre féministes anticapitalistes et antiracistes du Nord et du Sud ? Affirmer que « ce n’est pas l’égalité de genre » est-ce à dire être pour un “féminisme” de l’“équité”, de l’inégalité entre les femmes et les hommes ? Autrement dit un féminisme … patriarcal ou un patriarcat féministe. Qu’adviendrait-il si quelque Blanc (à la Donald Trump ou quelque intellectuel·le français·e obsédé·e par le décolonial) prenait le courage d’affirmer que son humanisme “ce n’est pas l’égalité des races” (qui a le premier/la première parlé de l’égalité des races ?) ? La scolarisation de tous/toutes les enfants, n’est-ce qu’une préoccupation féminine (féministe) ou plutôt “universelle” comme le « réel accès à la santé », qui concerne des millions et des millions de femmes, d’hommes et d’enfants, à des proportions différentes certes, sur tous les continents ? Ce qui est assez différent de la revendication d’un accès égalitaire, entre hommes et femmes à la terre, dans le cas de plusieurs sociétés africaines, contre les accaparements, pour un retour de la terre au statut de commun, mais dépatriarcalisé.

Ainsi, ces panafricanistes, ayant pourtant pointé du doigt le risque d’« instrumentalisation culturaliste de la pandémie », expriment, comme malgré eux, un culturalisme concernant les rapports hommes/femmes, entre les genres, au moment où en Afrique aussi, les femmes subissent particulièrement ladite pandémie, pour les raisons justement avancées au début de la déclaration. C’est comme une illustration de la résilience (dans l’acception courante) du culturalisme et de phallocratie au sein de l’intelligentsia africaine.

Par ailleurs, il y a, dans la déclaration, l’expression de cette quasi-impossibilité dans l’intelligentsia mainstream africaine, voire au sein du mouvement social africain (particulièrement en Afrique dite subsaharienne, sans l’Afrique du Sud, sans Maurice où, comme en Afrique du Nord, les bourgeoisies locales sont plus anciennes, et, paraît davantage organisée la conscience de classe des exploité·e·s), malgré l’usage (une fois) de « classes sociales » dans le texte, d’évoquer clairement, pour la lectrice/le lecteur lambda, le capital africain. Par exemple, le texte s’achève par un appel à « Saisir que la transition post pandémie sera une occasion autant pour l’impérialisme et les forces réactionnaires de poursuivre l’effort de recoloniser l’Afrique ». L’évidence du caractère exogène de l’impérialisme s’accompagne d’une mention des « forces réactionnaires » ne permettant pas de savoir si celles-ci aussi sont étrangères, mais distinctes des impérialistes. Ou s’il s’agit d’éléments autochtones (africains) dont les intérêts convergent relativement avec ceux de l’impérialisme, jusqu’à adhérer à la “recolonisation” de l’Afrique, procédant ainsi à une mise à jour de la tradition des participants africains (principalement des souverains) à la traite négrière, des collaborateurs indigènes (chefs “traditionnels” héritiers de l’anté-colonial ou “inventés” par l’administration coloniale, cadres “modernes” dits “évolués”) du colonialisme, dont certains seront métamorphosés en « pères de l’indépendance », premiers co-gestionnaires du néo-colonialisme. Depuis, ce « circuit de bons services et de complicité » (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme) n’a cessé d’être renouvelé. Sa réalité néolibérale n’est pas à considérer, stricto sensu, comme une phase ou un processus de recolonisation de l’Afrique, sinon en mutilant la réalité, néocoloniale en fait, au-delà de la conception initiale du néocolonialisme par Nkrumah, ayant négligé la part autochtone du bloc néocolonial. Certes, l’impérialisme demeure, métamorphosé, mais les États africains sont formellement indépendants, avec, malgré tout, une autonomie relative des classes dirigeantes locales, des classes dominantes locales, fractions autochtones de la classe capitaliste incluses – dont les rapports aux classes dominées sont, comme partout ailleurs, aussi relativement déterminés par les particularités (des rapports ethniques/raciaux, confessionnels, des “traditions”, etc.) de chaque formation social-historique ou pays. Fractions locales de la classe dominante, pouvant être caractérisées certes comme dominées par le capital extra-africain, mais dont, par exemple, la part des investissements (du capital africain), selon l’Africa CEO Forum, était passée de 8 % des investissements en Afrique en 2007 à 23 % en 2013 (elle a légèrement baissé en 2015-2016, selon l’Africa-To-Africa-Investment. A First Look, BAD, 2018) et se classait comme le deuxième producteur d’emplois en Afrique. Autrement dit, c’était le deuxième exploiteur de la force de travail d’autres Africain·e·s (malgré la faiblesse numérique du travail salarié dans la plupart des sociétés africaines, comparativement aux sociétés capitalistes du centre traditionnel et de la semi-périphérie) ou deuxième extorqueur de la plus-value (l’Afrique étant le lieu d’un particulier retour sur investissement). L’importance de cette extorsion s’illustre par la visibilité, en ce 21e siècle, des millionnaires et milliardaires africain·e·s, qu’une certaine presse panafricaniste érige en fiertés pour l’Afrique, dans un oubli des clivages sociaux énormes qu’elle manifeste, ou plutôt en les minimisant, jetant ainsi comme une sorte de voile affectif sur l’exploitation. Pourtant les motivations de ces supposées fiertés africaines sont fondamentalement les mêmes que celles du capital impérialiste, des capitaux provenant d’ailleurs. En dépit de certains aspects de différenciation, historique, pouvant aller jusqu’à des situations de tension, de relative conflictualité entre ceux-ci et certains secteurs des fractions autochtones de la classe, favorisant ainsi l’expression d’une sorte de nationalisme bourgeois post-colonial, tardif. Comme le soutenait, dans un langage trop rare au sein des classes dirigeantes africaines, l’alors gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Sanusi Lamido Sanusi (président du conseil d’administration de Black Rhino, filiale africaine du fonds d’investissement rapace Blackstone, et brièvement émir Muhammadu Sanusi II de l’État fédéré de Kano, 2014-2020) à propos du « buharisme » (la première présidence, par putsch militaire, de l’actuel président nigérian, Muhammadu Buhari, 1983-1985) : « Buharism therefore was a crisis in the dominant class, a fracturing of its members into a patriotic, nationalist group and a dependant, parasitic and corrupt one. It was not a struggle between classes but within the same class. A victory for Buharism would be a victory for the more progressive elements of the national bourgeoisie. Unfortunately the fifth columnists within the military establishment were allied to the backward and retrogressive elements and succeeded in defeating Buharism before it took firm root [103] ». Tension ou conflictualité relative, entre cette supposée bourgeoisie nationale et le capital impérialiste, qui n’était pas particulièrement manifeste au moment où Nkrumah publiait Le néocolonialisme, dernier stade de l’impérialisme (1965). Toutefois, l’impérialisme et les classes dirigeantes locales sont, par principe et dans les faits, généralement solidaires contre les intérêts des classes populaires, au niveau local/national, comme au niveau régional/continental.

Vu qu’il n’y a plus d’« Afrique traditionnelle » échappant à la structuration des sociétés africaines par le capital, par l’argent, ou hostile à l’accumulation des marchandises et autres symboles de la “modernité” [104] – à l’instar des véhicules 4x4 et limousines rutilantes, voire la Rolls Royce d’Ado Abdullahi Bayero, prédécesseur sur le trône de Kano (1963-2014) de Muhammadu Sanusi II (Sanusi Lamido Sanusi) –, ces « forces réactionnaires » ne peuvent être que les fractions africaines du bloc néocolonial. Celles qui tiennent les commandes politiques (et leurs rivales dites oppositions, attendant leur tour de gestion généralement prédatrice), ainsi que celles qui constituent la fraction autochtone/indigène de la classe dominante partout en Afrique [105], organisant (avec le soutien de l’Union européenne, de la Chine en nouvelle puissance capitaliste, des fondations philanthropiques du grand capital, états-unien par exemple, etc.) l’intégration africaine en cours. Et dont l’accélération est néanmoins souhaitée par le Grila. Intégration néolibérale qui n’en est pas moins une certaine continuation du panafricanisme néocolonial, des États post-coloniaux fondateurs de l’OUA, pour lesquels l’émancipation des classes populaires africaines n’était pas une préoccupation, sinon pour en réprimer les velléités. Ainsi, pour être conséquente, l’Afrique – dont la nature capitaliste post-coloniale est souvent oubliée dans le monde académique, y compris africain [106] – étant non seulement sous l’emprise du capital étranger, mais aussi de capitalistes africain·e·s, complices et concurrent·e·s en même temps, la « repolitisation démocratique des masses panafricaines », ne devrait-elle pas être conscientisation non seulement contre l’impérialisme, mais en même temps, contre l’afrocapitalisme/l’afrolibéralisme (dont certaines des figures descendent même biologiquement des tenants du petit capital indigène de l’époque coloniale ou des débuts du néocolonialisme) ? L’africanité de ce capital ne change pas la nature exploiteuse, opprimante du capitalisme, néolibéralement ajustée en l’occurrence – à travers par exemple, la mise à jour des législations, réglementations, lesdites réformes régulièrement évaluées par le rapport Doing Business de la Banque mondiale et qui ne sont jamais, dans les faits, favorables à la force de travail exploitée. Pour les capitalistes africain·e·s aussi, les profits valent plus que des millions de vies humaines, celles qu’elles/ils exploitent pouvant toujours être remplacées par d’autres, de l’ « armée industrielle de réserve ».

Comme l’illustre assez bien, en ce temps de pandémie de la Covid-19, le champion des capitalistes africains : « Whereas public offices are shut, Dangote workers, for example, are exempted from the lock-down and the workers are angry that adequate protection is not being made available for their health [107] ». Le profit attendu vaut bien plus que la santé de ses salarié·e·s. Même si, selon une certaine tradition de compassion parmi les capitalistes, il s’exhibe en même temps comme philanthrope, en contribuant financièrement à la lutte contre la pandémie – de la redistribution spectaculaire, pouvant être fiscalement intéressée, d’une infime partie de la plus-value extorquée à ses employé·e·s produisant sa richesse. Mais, en l’occurrence, il a été relevé que le plus riche des “Afrochampions” a été « the smallest donor, excluding those that didn’t bother at all » parmi les plus riches africain·e·s, avec 3,1 million de dollars, très en deçà des 55 millions chacun, offerts par des moins riches que lui (Nicky Oppenheimer & famille – 4e rang des milliardaires africain·e·s –, Johann Rupert & Famille – 5e rang –, Patrice Motsepe – 10e rang), des 33 millions de dollars de Issad Rebrab (6e fortune africaine, ayant, après cette “générosité”, « licencié abusivement trois syndicalistes et sanctionné plusieurs travailleurs pour avoir participé à la création régulière d’une section syndicale [108] », dans un groupe transnational, Cevital, aux très longues journées de travail pour des salaires de misère et dans des conditions d’insécurité sanitaire en pleine pandémie de Covid-19). Le total de la contribution des huit premières fortunes africaines est de 212 millions de dollars, comparés aux 80 millions offerts par le milliardaire chinois Jack Ma (17e fortune mondiale, dont l’entreprise de commerce en ligne, Alibaba, s’est lancée à partir de 2018 à la conquête du marché africain) et 40 millions du milliardaire et politicien états-unien Michael Bloomberg (16e fortune mondiale, Bloomberg LP est un acteur financier en Afrique, partenaire de la BAD, par exemple) [109]. Autrement dit, ces deux derniers (plus riches, certes) s’avèrent plus “généreux” en Afrique, plus compatissants que leurs collègues de classe sociale africain·e·s – rappelons que cet argent aussi est une part du profit tiré de l’exploitation de leurs travailleurs/travailleuses, même s’il ne s’agit pas d’africain·e·s, le don philanthropique pouvant aussi être déductible fiscalement – et en particulier le plus riche d’entre elles/eux qui “pouvait mieux faire”, au nom de la “solidarité africaine”. En attendant de passer à la construction de sociétés où n’existeront plus les facteurs de la philanthropie.

Covid-19 et offensive néolibérale

De ces « forces réactionnaires », il n’y a pas à attendre quelque “temps d’après”, post-pandémique, qui serait substantiellement différent de celui d’avant la pandémie. Celle-ci n’a pas un pouvoir de transformation substantielle des valeurs des classes dirigeantes, en Afrique comme partout ailleurs. Par exemple, les occasionnelles envolées pro-État providence de tel chef d’État européen – par ailleurs supposé partisan de l’annulation de la dette africaine –, au plus fort de la crise sanitaire, face aux défaillances évidentes du système local de santé publique, s’avèrent en cette période post-confinement (sous la pandémie persistante) comme relevant d’un opportunisme éphémère ou plutôt de la démagogie. Le “temps d’après” – dans trois mois, dans un an … – ne fera que reproduire, concernant l’orientation économique, celui d’avant la pandémie. Déjà, au nom du « suprématisme du secteur privé » (celui-ci ne se privant pas toutefois de faire la manche auprès des trésors publics en période de crise, « L’État est l’assurance-vie des marchés », a-t-il été rappelé [110]) partagé par les capitalistes et consorts, ainsi que par les États africains, certains de ceux-ci, ont, comme ailleurs, annoncé l’apport d’une aide financière au capital privé local, pour la « relance » post-État d’urgence sanitaire, post-confinement, plutôt que pour quelque réorientation structurelle, de l’économie (une promesse de consolidation des inégalités induite par le renforcement dudit suprématisme). Fidèle à lui-même, malgré l’évocation devenue rituelle de la « croissance inclusive » le FMI en fait même une conditionnalité pour l’octroi de l’“aide” sollicitée par les États africains afin de lutter contre la pandémie et ses conséquences. Par exemple, Tito Mboweni (passé par Goldman Sachs), le ministre des Finances de la première économie africaine, la très socialement inégalitaire Afrique du Sud (dont le président multimillionnaire, Cyril Ramaphosa, co-pilote actuellement l’intégration africaine, en tant que président en exercice de l’Union Africaine) a annoncé sans fard la pratique, à venir, de la « Shock Doctrine [111] » : « Most importantly, the crisis is an important opportunity for government to implement structural reforms to : restructure the network industries ; liberate SMMEs to be the engines of growth and employment ; and broad-based measures to lower the cost of doing business [112] ». Par contre, rien n’est sérieusement annoncé en faveur des classes populaires, dont les secteurs les plus défavorisés ont souvent été oubliés, même dans les cas de confinement. Bien au contraire, malgré les postures de sensibilité à l’égard de la situation critique du social populaire affichées par certaines institutions multilatérales, la recommandation du FMI, par exemple, – aux États obtenant des prêts du FMI pour lutter contre les conséquences économico-sociales très importantes (« monumentales » selon Kristina Georgieva, la directrice générale du FMI, avril 2020) de la Covid-19 – à poursuivre, dans l’après-Covid-19, les « mesures et réformes structurelles », dont celles énoncées par le ministre sud-africain, une partie de ces classes sociales populaires va continuer à en faire les frais, alors que le confinement a rappelé partout le caractère essentiel de la force de travail d’ordinaire méprisée. Des frais qui seront très élevés, très probablement. En Tunisie, par exemple, l’emprunt « engage […] ce gouvernement, sitôt la crise dépassée, à poursuivre les politiques d’austérité et en premier lieu la réduction de la masse salariale dans le secteur public, c’est-à-dire dans le domaine des services sociaux, y compris la santé [113] ». Ce qui est aussi pressenti pour l’après-Covid-19 en Afrique du Sud, où le gouvernement de Cyril Ramaphosa vient, à son tour, d’obtenir un prêt important du FMI : « using the treasury’s estimate of the public sector average wage sector, more than 300 000 public sector workers will have to be fired by 2023 [114] ».

À Maurice, situé à l’avant-garde du capitalisme en Afrique, le gouvernement – surfant sans doute sur la vague du contrôle local de la pandémie (deux semaines alors sans un seul nouveau cas, un nouveau cas à la mi-août), tout en maintenant alors néanmoins le couvre-feu, la fermeture des classes, etc. – a fait adopter, avec célérité, à la mi-mai, la Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Bill. Une attaque en règle contre les acquis des travailleurs/travailleuses salarié·e·s, considérée par un dirigeant syndical et politique (Ashok Subron) comme la « plus grande insulte faite à l’égard des travailleurs depuis l’indépendance » [115]. En précisant par la suite qu’« It undermines the right of the working class to be protected against abusive termination of employment for economic reasons, and to the gratuity to be paid in case termination of employment, as well as undermines the right of workers to be guaranteed a not less favorable work condition, in case of a transfer of ownership of companies. It enables companies to easily terminates the employment of workers after having received public funds from government […] It forces ‘work from home’, in very unfavorable conditions, whereby minimal working conditions under law can be derogated. It also undermines the recently won right of parents-workers to request ‘flextime work’ to cater for an underage child or a child with impairment. [116] ». Ce qui confirme que la Covid-19 – du fait de l’état d’urgence sanitaire, du confinement qu’elle a impliqués – est une opportunité saisie pour le patronat de partout non seulement pour être aidée financièrement par l’État – voire par le proto-État communautaire dans le cas de l’Union européenne – au nom de la « relance économique », mais aussi pour obtenir des gouvernants l’imposition de la flexibilité, de sa transformation enfin en norme, là où elle ne l’était pas encore, ou était considérée comme insuffisante. Une exhibition de la nature capitaliste de l’État, de la « shock doctrine » à laquelle vont généralement se prêter les cliques gouvernantes africaines. Comme si elles se sentaient coupables d’avoir pris, de prendre (la pandémie étant encore très dynamique) des mesures protégeant de la circulation du SRAS-CoV-2 la vie de la population, aux dépens, relativement, de la vie du Capital. Avec le ministre sud-africain des Finances (ci-dessus cité), adepte du culte de la croissance, du néolibéralisme, plusieurs voix au sein de l’“élite” africaine parlent en termes de moment propice pour le changement économique [117], sans « changer de base », évidemment. Autrement dit, il s’agit de rendre, pendant la pandémie déjà, l’Afrique plus capitaliste, plus néolibérale et plus rapidement qu’avant la Covid-19. Avec pour conséquences logiques, beaucoup plus d’inégalités et injustices sociales [118], plus d’agressions écocidaires nuisant évidemment à la santé (cf. définition par l’OMS) surtout des exploité·e·s et opprimé·e·s, qu’elles espèrent conjurer par l’invocation de la « croissance inclusive », de la « croissance durable », des « énergies renouvelables » (pour perpétuer le productivisme), etc.

Selon, par exemple, la secrétaire générale de l’association patronale panafricaine, BUSINESS Africa/Organisation internationale des Employeurs, déjà citée, cette accélération se réalisera grâce, entre autres, à cet autre fétiche de la sorcellerie capitaliste qu’est la numérisation/digitalisation (une mise à jour du déterminisme technologique) dont les géants mondiaux du secteur peuvent remercier la Covid-19 d’avoir, du fait du confinement, contribué à la promouvoir davantage. Elle est appelée à s’étendre partout en Afrique, du papotage téléphonique à la “modernisation de l’agriculture”, en passant par le transfert d’argent (initié et contrôlé au Kenya par une transnationale de l’ancienne puissance coloniale, à partir d’un projet du gouvernemental Département du développement international du Royaume-Uni, DFID [119]), la scolarisation, prétendument pour booster le développement, favoriser l’“émergence” de l’Afrique. D’autant plus qu’il y aurait même, selon Achille Mbembe (apparemment tombé sous le charme du culturalisme négro-africaniste, qu’il a longtemps critiqué, mais qui paraît bien coté sur le marché de l’exotisme intellectuel postmoderne), des affinités entre les technologies numériques et les traditions africaines [120]. Et que, par ailleurs, la numérisation est au cœur de la quatrième révolution industrielle, annoncée comme un incomparable progrès – alors qu’elle promet plutôt d’être une production d’innovations (terme qui est censé non discrédité, à la différence de “progrès”) certes rentables pour le capital mais souvent superfétatoires (inutiles socialement et écologiquement parlant [121]), voire dangereuses (en matière de libertés, par exemple) – que l’économie africaine devrait [122], selon des dévôt·e·s africain·e·s du capitalisme, à défaut de l’aborder de plain-pied que les autres économies, ne pas manquer : « As a continent that continues to be impacted by historically low levels of development, Africa can and must take advantage of technological advances to industrialize, pursue inclusive growth, and attract investment » selon Cyril Ramaphosa [123]. Alors que même le président fondateur du Forum de Davos, Klaus Schwab, reconnaît, en usant d’un conditionnel que l’on dirait émoussant, qu’en même temps qu’elle « ouvrira de nouveaux marchés et stimulera la croissance économique », elle ne manquera pas d’aggraver la dynamique inégalitaire du capitalisme : ladite « révolution pourrait perturber les marchés du travail et ainsi renforcer les inégalités […] Cela accroîtra encore la ségrégation du marché du travail entre un segment “qualification et rémunération faibles” et un segment “compétences et salaires élevés”, ce qui intensifiera les tensions sociales. Non seulement l’inégalité est une préoccupation économique importante, mais c’est également l’inquiétude sociétale majeure associée à la Quatrième révolution industrielle [124] ». Autrement dit, l’Afrique de la quatrième révolution industrielle sera plus inégalitaire, plus injuste socialement. Aussi plus écocidaire, car il faudra bien accroître l’extraction des matières premières pour la fabrication des nouveaux produits/nouvelles marchandises. Alors que, plutôt que de vouloir se mettre au diapason de ladite révolution, du point de vue écologique « le “retard numérique” de l’Afrique pourrait justement constituer sa chance […] Plus un pays ou une région ont été loin dans un type de développement numérique donné, plus il leur est difficile et coûteux d’en sortir, un phénomène que les spécialistes qualifient de “dépendance au sentier” (path dependency). À l’inverse, il est donc encore temps pour l’Afrique d’éviter beaucoup des erreurs qui ont été commises ailleurs en matière de développement numérique, mais à condition d’agir vite et de s’en donner les moyens, y compris politiques et réglementaires [125] ». Autrement dit, ne pas faire dépendre de la numérisation, malgré tout, l’organisation de sociétés que l’on pourra dire du “bien vivre” commun, c’est-à-dire d’égalité et de justice sociale et environnementale. Un grand défi à relever, en ces temps-ci de déterminisme technologique, évidemment motivé par l’avidité capitaliste, principalement des mastodontes du numérique.

La période de pandémie, n’est pas, heureusement, que celle de l’expression de ces « forces réactionnaires » et intellectuel·le·s réputé·e·s qui les accompagnent plus ou moins. En effet, sans bénéficier d’aussi importants relais médiatiques que celles et ceux-là, d’autres collectifs se sont aussi déjà exprimés, dans une perspective opposée, contraire, par exemple, en rappelant que « La logique de la réduction de la nature et de ses êtres à des biens à exploiter pour le profit est […] au cœur même de la pandémie Covid-19, la même logique qui est à l’origine de la crise climatique mondiale [celle du] capitalisme patriarcal et extractiviste […] Les femmes de la classe ouvrière et les paysannes d’Afrique portent le fardeau de toutes les crises », en affirmant que « Les établissements de santé privé devraient être nationalisés et leurs services mis à la disposition de tous les citoyens », « L’Afrique doit renforcer sa propre capacité […] à produire des médicaments et des équipement sur son territoire pour ses habitants, dans le cadre de la propriété publique et non de la cupidité privée, fondé sur le principe de la souveraineté des peuples » ; en appelant à « la mise en œuvre de mesures économiques, sociales et environnementales qui se fondent sur les besoins fondamentaux de la classe ouvrière, des petits producteurs et des couches marginalisées en général », à « rompre avec la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme », en réaffirmant que « le rôle des syndicats est important […] leur force est nécessaire pour imposer une alternative au système actuel », « les travailleurs et les pauvres sont des laissés-pour-compte. Ils n’ont pas d’autre alternative que de s’organiser pour le renversement de cet ordre social et son remplacement par une société débarrassée de l’exploitation capitaliste » [126]. Une nécessité, optionnelle – comme préciserait Daniel Bensaïd –, qui dépend aussi d’un enrichissement permanent de la compréhension, largement partagée, de cette civilisation capitaliste, de ses mécanismes, des nocivités envoûtantes qu’elle produit – Nkrumah parlait dans Le Consciencisme du néocolonialisme en termes de « sirène, un monstre qui attire ses victimes par une douce musique » –, des imbrications de l’exploitation et des différentes oppressions, de sa dynamique dans chaque société, chaque région, chaque aspect de la vie et globalement. Sans oublier les leçons à tirer aussi bien des soulèvements populaires, des luttes sociales qui ont eu lieu en Afrique, surtout celles de 2011 à 2019, de la Tunisie au Soudan en passant par le Burkina Faso [127], que des luttes pour l’émancipation menées par des exploité·e·s, des opprimé·e·s partout sur cette terre (dont l’unité humaine est aussi rappelée par cette pandémie) que nous avons en partage avec la très riche diversité du vivant, et dont peut encore être sauvée la joliesse.

1er septembre 2020

Merci à Milan Rivié pour ses observations.

Notes

[1] Pour une brève présentation des étapes de la construction du discours catastrophiste (l’hécatombe à venir de la pandémie en Afrique), cf. Andrea Filipi and Katrin Wittig, « Let’s Decolonize the Coronavirus », roape.net (Review of African Political Economy), 20 avril 2020, http://roape.net/2020/04/20/lets-decolonize-the-coronavirus

[2] En fait, concernant l’habitat urbain, il y a moins de personnes vivant dans une habitation ou une “cour” en Afrique que dans un immeuble urbain dans une société capitaliste développée, avec une entrée principale et un usage commun de l’ascenseur qu’il faut généralement ouvrir avec un doigt (trois fois), sans que cela soit ordinairement suivi du lavage des mains, au moins en arrivant chez soi (avant la pandémie, ce n’était pas si répandu de se rendre à la boulangerie ou au restaurant avec son gel hydro-alcoolique).

[3] « La déclaration de l’OMS fait également partie de ce que j’appelle le théâtre de la pandémie. Les organisations internationales sont toujours mortes de leur inaction, comme par exemple la Société des Nations. L’Onu est toujours préoccupée par sa propre pertinence, son pouvoir et son financement. Mais cet activisme peut aussi converger et permettre la préparation et la prévention réelles dont le monde a besoin pour perturber les chaines de transmission de Covid-19 » selon Rob Wallace (entretien réalisé par Yaak Pabst), « Agrobusiness & épidémie : d’où vient le coronavirus ? », Acta, 13 mars 2020, https://acta.zone/agrobusiness-epidemie-dou-vient-le-coronavirus-entretien-avec-rob-wallace/

[4] Il existe d’autres hypothèses, résumées par Olivier Marbot dans « Coronavirus : décryptage des hypothèses qui expliqueraient la faible contamination en Afrique », Jeune Afrique, 3 mai 2020, https://www.jeuneafrique.com/937712/societe/coronavirus-decryptage-des-hypotheses-qui-expliqueraient-la-faible-contamination-en-afrique/.

[5] Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (de l’Union Africaine), Bulletin d’information sur la pandémie de la maladie à Coronavirus, n° 27, 21 juillet 2020, disponible sur https://africacdc.org/covid-19.

[6] Il semble qu’au Moyen-Orient aussi était projeté un désastre : « Le Moyen-Orient avait jusque là déjoué les pronostics pessimistes sur “l’hécatombe tant redoutée” » affirme Jean-Pierre Filiu (« Le très dangereux rebond du coronavirus au Moyen-Orient », Le Monde, 12 juillet 2020, https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/07/12/le-tres-dangereux-rebond-du-coronavirus-au-moyen-orient/). Par ailleurs, l’alarmisme ne concernait pas que les contrées couramment considérées, avec d’évidents relents coloniaux, comme plus exotiques que les autres (européens, nord-américains) car il a été aussi question, par exemple, de « la figure la plus connue du Sage [Scientific Advisory Group for Emergencies, au Royaume-Uni] Neil Ferguson, dont les projections alarmantes sur le nombre de morts ont pesé lourd dans la décision de pays européens, dont la France, de décréter un confinement total », Joseph Confavreux, « Savoir et pouvoir : ce que la crise sanitaire nous enseigne », mediapart.fr, 11 juillet 2020, https://www.mediapart.fr/journal/france/110720/savoir-et-pouvoir-ce-que-la-crise-sanitaire-nous-enseigne?onglet=full.

[7] Vidya Krishnan, « Coronavirus Threatens Catastroph in India », Foreign Affairs, 25 march 2020, https://www.foreignaffairs.com/articles/india/2020-03-25/coronavirus-threatens-catastrophe-india.

[8] Arundhati Roy (propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand), « Si le coronavirus frappe l’Inde, ce sera un cataclysme », NouvelObs, 24 mars 2020, https://www.nouvelobs.com/idees/20200324.OBS26541/arundhati-roy-si-le-coronavirus-frappe-l-inde-ce-sera-un-cataclysme.html

[9] Arundhati Roy, « En Inde, le confinement le plus gigantesque et le plus punitif de la planète », Le Monde, 6 avril 2020, https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/04/06/arundhati-roy-en-inde-le-confinement-le-plus-gigantesque-et-le-plus-punitif-de-la-planete_6035741_3260.html

[10] Jean-Luc Racine dans « L’Inde et le Coronavirus : “Exception” Indienne ou Inversion du Monde » (23 mai 2020), Europe Solidaire Sans Frontières, 31 mai 2020, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53457.

[11] Yap Boum, Jean-François Etard, Philippe Katchunga Bianga, Cheikh Tidiane Ndour, Samba Sow, Abdoulaye Touré, Leon Tshilolo, « Covid-19 en Afrique : les chiffres reflètent-ils la réalité ? », The Conversation, 26 juillet 2020, https://theconversation.com/covid-19-en-afrique-les-chiffres-refletent-ils-la-realite-141815 (disponible aussi sur Europe Solidaire Sans Frontières, 27 juillet, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article54177). Leur source concernant les États-Unis est un article du Time (un des principaux journaux états-uniens de référence, de droite) sur le point de presse du Dr. Robert Redfield (directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, CDC), le 25 juin, à la Maison-Blanche (Alice Park, « CDC Head Estimates U.S. Coronavirus Cases Might be 10 Times Higher Than Data Show », Time, June 25, 2020, https://time.com/5859790/cdc-coronavirus-estimates).

[12] Cf., par exemple, Maïka Sondarjee, Jeanne-Marie Rugira, « Covid-19 : apprendre de l’Afrique », The Conversation, July 8, 2020, https://theconversation.com/covid-19-apprendre-de-lafrique-139943)

[13] Il ne peut être question de facteur ethno-racial car aux États-Unis les taux de contamination et de décès des Noir·e·s des classes populaires sont, avec ceux des Natives/Indien·ne·s, des Latinos/Latinas des classes populaires, les plus élevés ; en France la population, des classes populaires, née en Afrique (subsaharienne et septentrionale), des taux élevés de décès. Les raisons sont sociales (conditions de vie et de travail) plutôt qu’ethno-raciales.

[14] Cité par Michel Manciaux, « La résilience. Un regard qui fait vivre », Études, 2001/10, tome 395, p. 321-330, https://www.cairn.info/revue-etudes-2001-10-page-321.htm.

[15] Pour les scénarios de l’impact du Covid-19, cf., par exemple, Commission économique pour l’Afrique, Le Covid-19 en Afrique : Sauver des vies et l’économie, Addis-Abeba, 2020, p. 5-6, https://www.uneca.org/fr/publications/le-covid-19-en-afrique-sauver-des-vies-et-l’économie.

[16] Morin, « Burkina Faso : du Covid-19 au “Pochvid-20” », Wakat Séra, 31 mars 2020, https://www.wakatsera.com/burkina-faso-du-covid-19-au-pochvid-20/. Le virus

[17] Justin Brown, « Covid-19 lockdown : Children eat wild plants to survive as hunger explodes », iol.co.za, July 18, 2020, https://www.iol.co.za/news/south-africa/eastern-cape/covid-19-lockdown-children-eat-wild-plants-to-survive-as-hunger-explodes-51120562

[18] Poloko Tau, Sizwe sama Yende, Setumo Stone, Junior Khumalo, Lubabalo Ngcukana, Queenin Masuabi and Des Erasmus, « Councillors accused of looting food parcels meant for the poor », Citypress, 19 april 2020, https://www.news24.com/citypress/news/councillors-accused-of-looting-food-parcels-meant-for-the-poor-20200419.

[19] Concernant l’impact économique de la pandémie sur les femmes en Afrique, cf., par exemple, le panorama établi par Gavin van der Nest, « Covid-19 and the gender-related economic consequences for Africa », Tralac, 30 July 2020, https://www.tralac.org/blog/article/14819-covid-19-and-the-gender-related-economic- consequences-for-africa.html.

[20] David Mono Danga, Godfrey Kimono, Simon Mkina, « Virus, bandits et galère : avec les forçats de la route dans l’Est africain », Europe Solidaire Sans Frontières, 21 juin 2020, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53696 (repris de Courrier International, 17 juin 2020, https://www.courrierinternational.com/article/reportage-virus-bandits-et-galere-avec-les-forcats-de-la-route-dans-lest-africain).

[21] Partout ailleurs aussi, les pauvres sont les plus frappé·e·s, avec une dimension de genre (cf. référence ci-dessus à Gavin van der Nest), une dimension raciale/ethnique (les Noir·e·s, les Hispaniques, les Natives/Indien·ne·s aux États-Unis ; les personnes “issues de l’immigration coloniale” dans telle banlieue de Paris ; les dalits/intouchables en Inde, etc.).

[22] Issa Shivji, « Tanzania – Chickens of capitalist modernity coming home to roost »/ « Out of the Ruins and Rubble : Covid-19 and the fightback in Africa », Review of African Political Economy, 2020 april, 7, https://roape.net/2020/04/07/out-of-the-ruins-and-rubble-covid-19-and-the-fightback-in-africa/ ; cf. aussi, par exemple, Mahamane Thienta (secrétaire général du Syndicat des travailleurs du rail de l’Union des travailleurs du Mali, Sytrail-UNTM), « Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous », Europe Solidaire Sans Frontières, 4 mai 2020, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53203. Pour la réalité de l’« aide sociale » aux classes populaires dans l’un des pays les plus touchés en Afrique et au capitalisme considéré comme l’un des plus dynamiques en Afrique, cf. Lofti Chawqui, « Le Maroc face au coronavirus : les crises à venir », NPA2009, 19 mai 2020, https://npa2009.org/actualite/international/le-maroc-face-au-coronavirus-les-crises-venir

[23] Respectivement, Andy Wynne, « Budgets must help us all Survive Covid-19 and beyond » (tapuscrit non publié), Kenneth Good, « Escalating State Repression and Covid-19 : Their Impact on Poor in Kenya », Counterpunch, August 4, 2020, https://www.counterpunch.org/2020/08/04/escalating-state- repression-and-covid-19-their-impact-on-the-poor-in-kenya/.

[24] « Sénégal : “le Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation déjà très compliquée dans le monde rural” selon Sidy Ba », VivAfrik, 5 mai 2020, https://www.vivafrik.com/2020/05/05/senegal-le-covid-19-na-fait-quaggraver-la-situation-deja-tres-compliquee-dans-le-monde-rural-selon-sidy-ba-a35770.html.

[25] La décision de l’administration Trump concernant l’agence onusienne n’est pas en fait originale, car les États-Unis d’Amérique ont déjà eu à quitter une autre agence onusienne, l’Unesco (une première fois de 1984 à 2003, soit de Ronald Reagan à George W. Bush, et depuis 2017), à réduire leur contribution à la FAO à partir de 1996, à geler leur cotisation à l’ONU au cours de la décennie 1990. Chaque fois, c’est en réaction à une politique considérée comme insuffisamment soumise à leur volonté. Par exemple, en 1984, il y avait en toile de fond, la guerre froide et l’esprit du non-alignement manifesté par Amadou Mahtar Mbow ; en 1996 (sous la présidence de Clinton), la relative autonomie que s’était permis leur admirateur Boutros Boutros-Ghali (c’est lui-même qui se considère ainsi dans son livre, Mes années à la maison de verre, 1999) ; en 2020, la pandémie partie de Chine se produit en période de vive tension économico-politique, entre celle-ci et les États-Unis d’Amérique, considérant son hégémonie comme entamée par l’émergence de la Chine. En général pour les États-Unis d’Amérique, il ne devrait y avoir de multilatéralisme, de partenariat que sous son hégémonie, son contrôle ou sa domination, relevant de la mission “divine”, de la “destinée manifeste”, “principe” soutenu par tous les présidents, Barack Obama compris, depuis le 19e siècle.

[26] Mamadou Gazibo et Olivier Mbabia (Observatoire de l’émergence en Afrique), Index de l’émergence en Afrique 2017, Montréal, décembre 2019. Le premier est néanmoins co-signataire d’un appel critiquant l’idée d’une Afrique … émergente (présenté ci-dessus).

[27] L’économiste Felwine Sarr conteste l’idée de l’insoutenabilité des dettes africaines, à partir d’une comparaison des taux d’endettement des États africains (en moyenne 60 % de leur PIB) et de certains États occidentaux (au-delà de 100 %, voire de 200 % de leur PIB). Mais pour son collègue Ndongo Samba Sylla, se référant à une réaction semblable d’un autre économiste africain, concernant le taux très élevé de la dette du Japon (plus de 200 % du PIB), « l’écrasante majorité des économistes standard qui ont pignon sur rue, ne fait pas la distinction élémentaire – et pourtant cruciale et décisive – entre une dette en monnaie nationale et une dette en monnaie étrangère. L’État japonais n’est endetté que dans sa propre monnaie. À l’instar de tous les gouvernements qui émettent leur propre monnaie. Le Japon ne peut jamais manquer d’argent (c’est-à-dire des entrées électroniques sur des comptes bancaire. Il ne pourrait jamais être dans une situation où il ne pourrait pas payer les obligations libellées dans sa propre monnaie […] Tel n’est pas le cas de la plupart des pays africains dont la dette publique est principalement libellée en monnaie étrangère. S’ils ne peuvent pas être insolvables dans leur propre monnaie, ils peuvent l’être en revanche en monnaie étrangère. Quand un pays africain s’endette en dollar, il devra trouver des dollars pour rembourser sa dette au moment du paiement » (Ndongo Samba Sylla, « Endettement en monnaie étrangère en tant de crise = perte de souveraineté », blogs.mediapart.fr, 22 avril 2020, https://blogs.mediapart.fr/fanny-pigeaud/blog/210420/endettement-en-monnaie-etrangere-en-temps-de-crise-perte-de-souverainete). L’impact social immédiat de ce surendettement n’est pas le même : par exemple, à la différence de certains cas africains, les retraité·e·s japonais·e·s ne subissent pas des mois de non paiement de leur pension, voire de non paiement des salaires pour les fonctionnaires.

[28] Pour un aperçu sur la dette des États africains au temps du nouveau virus corona, cf., par exemple, Milan Rivié, « Dette et Coronavirus : L’Afrique pourra-t-elle se prémunir des effets délétères du système capitaliste et des politiques néolibérales ? », 1er avril 2020, www.cadtm.org/Dette-et-Coronavirus-L-Afrique-pourra-t-elle-se-premunir-des-effets-deleteres ; Fanny Pigeaud, « L’Afrique asphyxiée par sa dette extérieure », Mediapart, https://www.mediapart.fr/journal/international/150420/l-afrique-asphyxiee-par-sa-dette-exterieure.

[29] Sarah Dalglish, « Covid-19 gives the lie to global health expertise », The Lancet, vol. 395, April 11, 2020, p. 1189, https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30739-X.

[30] « Macky Sall : “Un couvre-feu élargi, mais pas de confinement” au Sénégal », RFI, 17 avril 2020 (modifié le 18 avril), http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200417-macky-sall-rfi-couvre-feu-élargi-mais-pas-confinement-sénégal.

[31] CADTM, « Atelier sur la dette de l’Afrique à l’Union Africaine (Addis-Abeba) », 12 avril 2005, www.cadtm.org/Atelier-sur-la-dette-de-l-Afrique.

[32] Sankara était pour une répudiation collective en n’y intégrant pas les dettes illégitimes, ce qui présuppose un audit : « En fait ce n’est pas l’action isolée et usurière d’un banquier qui nous impose de payer la dette, mais tout un système organisé. Celui-ci permet qu’en cas de non règlement, on puisse bloquer vos avions sur un aéroport […] Alors, ne pas payer la dette exige que nous allions en front uni. Tous les États doivent agir ensemble à condition, bien sûr, que nous acceptions de faire notre autocritique sur notre propre gestion de ces ressources. Lorsque certains ont contracté des dettes énormes pour des dépenses personnelles somptuaires, ils ne méritent pas que nous nous mobilisions pour les soutenir », Thomas Sankara, in Jean Ziegler et J. Ph. Rapp (propos recueillis par), Thomas Sankara. Un nouveau pouvoir africain, Lausanne, Pierre-Marcel Favre/ABC, 1986, p. 81, en libre accès sur le site de Les Classiques des sciences sociales : http://classiques.uqac.ca/.

[33] Julien Bouissou, « Une partie de l’aide au développement des pays pauvres est détournée vers les paradis fiscaux » (Le Monde, 21 février 2020, https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/21) qui parle d’un rapport de trois chercheurs publié par la Banque mondiale après quelques péripéties : « Un article publié, le 13 février par le magazine britannique The Economist laisse entendre que les hauts responsables de la Banque mondiale n’ont pas franchement apprécié les conclusions des trois chercheurs, dont deux sont indépendants. La publication du rapport aurait été bloquée, en novembre 2019, par l’état-major de l’institution dont le siège est à Washington, ce qui aurait précipité le départ de son économiste en chef, Pinelopi Goldberg, qui a annoncé sa démission, début février, seulement quinze mois après sa nomination. “Il est possible que la Banque mondiale l’ait irritée en décidant de bloquer la publication d’une étude de son équipe”, écrit The Economist ».

[34] Cesar Calderon, Gerard Kambou, Calvin Zebaze Djiofack, Vijdan Korman, Megumi Kubota, Catalina Cantu Canales, Africa’s Pulse, No. 21 (Avril 2020) : Évaluation de l’impact économique du Covid-19 et des réponses politiques en Afrique subsaharienne, Washington, Groupe de la Banque mondiale, p. 6.

[35] Kristalina Georgieva (directrice générale du FMI), citée dans le Communiqué de presse n° 20/151 du FMI : « Le conseil d’administration du FMI approuve un allègement de la dette immédiat pour 25 pays », 13 avril 2020, https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/04/13/pr20151-imf-executive-board-approves-immediate-debt-relief-for-25-countries.

[36] Il s’agit de Ngozi Okonjo-Iweala (ancienne numéro 2 de la Banque mondiale, ancienne ministre des Finances du Nigéria, membre de l’Africa Growth Initiative de la Brookings Institution, l’un des principaux think tanks de l’establishment états-unien) ; Brahima Sangafowa Coulibaly (directeur de l’Africa Growth Initiative, ancien économiste en chef de la Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique), Tidjiane Thiam (ancien ministre du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire, membre du Council on Foreign Relations – un autre des think tanks majeurs de l’establishment états-unien –, ancien directeur général de la banque Crédit Suisse, membre de l’International Business Council du Forum économique mondial), Donald Kaberuka (ancien ministre des Finances du Rwanda, ancien président de la Banque africaine de développement), Vera Songwe (Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies et membre de l’Africa Growth Initiative, ancienne directrice des opérations à la Banque mondiale, etc.), Strive Masiwiya (fondateur de la transnationale des télécommunications Econet Global – active sur tous les continents –, président honoraire de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique/AGRA, etc.), Louise Mushikiwabo (Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie et ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda), Christina Duarte (ancienne consultante auprès de la Banque mondiale, ancienne vice-présidente de Citibank, ancienne ministre des Finances, de la Planification et de l’Administration publique du Cap-Vert).

[37] Ngozi Okonjo-Iweala, Brahima Coulibaly et alii, « La dette de l’Afrique doit être allégée pour lui permettre de lutter contre le Covid-19 », Project Syndicate, 9 avril 2020 (traduit de l’anglais par François Boisivon), https://www.project-syndicate.org/commentary/africa-needs-debt-relief-to-fight-covid19-by-ngozi-okonjo-iweala-and-brahima-coulibaly-2020-04/french.

[38] Ngozi Okonjo-Iweala, et alii (Christina Duarte est remplacée par Trevor Manuel, ancien ministre néolibéral des Finances de l’Afrique du Sud, sous la présidence de Nelson Mandela, puis de Thabo Mbeki. C’est l’un des quatre émissaires – avec Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Tidjane Thiam, – de l’UA, nommé·e·s par son président en exercice Cyril Ramaphosa, pour la mobilisation du soutien international à la lutte de l’Afrique contre les conséquences économiques du Covid-19), « Suspension de la dette de l’Afrique : un bon début, mais il faut faire plus », Jeune Afrique, 20 avril 2020, https://www.jeuneafrique.com/930853/economie/tribune-suspension-de-la-dette-de-lafrique-un-bon-debut-du-g20-mais-il-faut-faire-plus/.

[39] Attac/CADTM Maroc, « Non à l’utilisation de la pandémie de Coronavirus, pour plus de dette et d’austérité », 12 avril 2020, www.cadtm.org/Non-a-l-utilisation-de-la-pandemie-pour-plus-de-dette-et-d.

[40] Dans un entretien sur RFI, au lendemain de la décision de moratoire sur la dette, Tidjane Thiam a néanmoins affirmé qu’ « il va falloir envisager des remises ou des annulations de dettes », « Invité Afrique – Tidjane Thiam : “Ce moratoire apporte à l’Afrique les moyens d’agir rapidement », RFI, 16 avril 2020, http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200416-tidjane-thiam-moratoire-dette-afrique-moyens-agir-covid-19.

[41] Ndongo Samba Sylla parle de « la stratégie innocemment suivie par le Sénégal depuis 1960 : un endettement continuel en monnaie étrangère qui est financé par un réendettement permanent en monnaie étrangère », N. S. Sylla, « Afrique : la dette contre la souveraineté », Alternatives économiques. 4 mai 2020. https://www.alternatives-economiques.fr/afrique-dette-contre-souverainete/00092519.

[42] Imen Zine, « OTE/Covid-19 : l’annulation des paiements du service de la dette extérieure est essentielle », L’Économiste maghrébin, 7 avril 2020, https://www.leconomistemaghrebin.com/2020/04/07/ote-covid-19-annulation-paiements-dette-essentielle/.

[43] Éric Toussaint, « La pandémie du capitalisme, le coronavirus et la crise économique », Inprecor, n° 672/673, mars-avril 2020, p. 7-11, http://www.inprecor.fr/article-La-pandémie-du-capitalisme,-le-coronavirus-et-la-crise-économique?id=2347.

[44] Robert Wallace, Alex Liebman, Luis Fernando Chaves, Rodrick Wallace, « Covid-19 and Circuits of Capital », Monthly Review, April 1, 2020, monthlyreview.org/2020/04/01/covid-19-and-circuits-of-capital, en traduction française : « Covid-19 et les routes du capital », Contretemps, 4 avril 2020, https://www.contretemps.eu/covid-19-routes-capital-wallace/. Cf. aussi, par exemple, Jérôme Baschet, « Qu’est-ce qu’il nous arrive ? Beaucoup de questions et quelques perspectives par temps de coronavirus », La voie du jaguar, 19 avril 2020, https://lavoiedujaguar.net/Qu-est-ce-qu-il-nous-arrive-Beaucoup-de-questions-et-quelques-perspectives-par ; African Centre for Biodiversity, « Coronavirus and the ecosystem », Amandla !, issue n° 69, april 2020, p. 24-25 ;

[45] Cf., par exemple, Grain, « Une nouvelle révolution verte pour l’Afrique ? », novembre 2007, http://www.grain.org/rapports/ ; Rémi Vilain, « La nouvelle révolution verte en Afrique subsaharienne. Vers un bouleversement des pratiques agricoles paysannes ? », CADTM, 28 décembre 2015, www.cadtm.org/La-nouvelle-revolution-verte-en-Afrique-subsaharienne-Partie-1-sur-2 ; Lena Bassermann, Mamadou Goïta, Jan Urhahn, Timothy Wise et alii, False Promises. The Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA), Bamako, Berlin, Cologne, Dar es Salaam, Johannesburg, Lusaka, Nairobi, June 2020 (les idées essentielles sont résumées en français par Timothy Wise, « Des fausses promesses : “la révolution verte en Afrique” échoue à ses propres conditions », A l’Encontre, 18 juillet 2020, http://alencontre.org/ecologie/de-fausses-promesses-la-revolution-verte-en-afrique-echoue-a-ses-propres-conditions.html.

[46] Publiée le 10 avril 2020 sur le site de Jeune Afrique, https://www.jeuneafrique.com. Les signataires sont : Kako Nubukpo, Alioune Sall, Reckya Madougou, Martial Ze Belinga, Felwine Sarr, Carlos Lopes, Cristina Duarte (signataire aussi du texte des technocrates de la finance), Achille Mbembe, Francis Akindès, Aminata Dramane Traore, Souleymane Bachir Diagne, Lionel Zinsou, Nadia Yala Kisukidi, Demba Moussa Dembélé, Franck Hermann Ekra, Alinah Segobye, Mamadou Koulibaly, Karim El Aynaoui, Mamadou Diouf, Hakim Ben Hammouda, Paulo Gomes, Carlos Cardoso, Gilles Yabi, Adebayo Olukoshi, Augustin Holl, Abdoulaye Bathily, Lalla Aicha Ben Barka, El Hadj Hamidou Kasse. Apparemment, il ne s’agit presque que de francophones, les Carlos Lopes, Adebayo Olukoshi, par exemple, bien que respectivement lusophone, anglophone, peuvent aussi par leur bilinguisme, au moins, être considérés comme tels.

[47] Gino Brunswijck, Unhealthy conditions. IMF loan conditionality and its impact on health financing, Eurodad (www.eurodad.org), Eurodad, 2019 p. 4, www.eurodad.org.

[48] Cf., par exemple de Demba Moussa Dembélé : « Dette africaine ou moratoire », 27 avril 2020, www.cadtm.org/Dette-africaine-moratoire-ou-annulation

[49] Selon F. Sarr : « certains États africains profitent de cette crise pour jouer sur ce que je nomme la politique de la compassion et demander l’annulation de leur dette. Or [sic], nous ne devrions pas tendre la main. Il faut changer de discours. Assumons nos dettes, payons-les, gérons-les comme il faut et arrêtons de venir quémander une annulation tous les vingt ans », Felwine Sarr, (propos recueillis par Oumy Diallo), « Les Européens s’inquiètent pour nous et nous nous inquiétons pour eux », TV5 Monde, 30 avril 2020, https://www.seneplus.com/societe/les-europeens-sinquietent-pour-nous-et-nous-nous-inquietons-pour. Son compagnon intellectuel, Achille Mbembe, s’est plutôt prononcé, sur sa page facebook, pour « l’abolition pure et simple de certaines dettes […] la suspension de certaines autres dans le cadre exceptionnel du Covid-19, le temps de relancer l’économie […] l’effacement des intérêts au titre de certaines dettes » (mais il appelle – les créanciers bilatéraux ? multilatéraux ? privés ? – à « arrêter d’accorder des crédits aux régimes corrompus et anti-démocratiques, et soumettre tout emprunt à un débat exhaustif qui engagerait les sociétés concernées, de la manière la plus transparente possible ») A. Mbembe, « Le jour d’après, le joug de la dette », publié par Seneplus, 15 avril 2014, https://www.seneplus.com/opinions/le-jour-dapres-le-joug-de-la-dette. Carlos Lopes aussi s’est plus d’une fois prononcé pour l’allègement du fardeau de la dette africaine.

[50] Cf., par exemple, Jean-François Guégan (Professeur-chercheur en santé publique, propos recueillis par Claire Legros), « Si nous ne changeons pas nos modes de vie, nous subirons des monstres autrement plus violents que ce coronavirus », Le Monde, 17 avril, 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/17/jean-francois-guegan-en-supprimant-les-forets-primaires-nous-sommes-en-train-de-debusquer-des-monstres_6036871_3232.html.

[51] « Dès la première ligne de leur tribune, ces penseurs apprennent aux africains que “Covid-19 est le nom scientifique du virus responsable d’une maladie respiratoire très contagieuse pouvant devenir mortelle” Euh, comment ça la covid-19 c’est le nom d’un virus ? […] Nos “intellectuels africains”, à défaut d’être des pointures en virologie, auraient pu faire preuve d’un peu plus de sérieux. Quand même, ce n’est pas parce qu’on s’adresse aux “africains”, qu’il faut les prendre pour des imbéciles finis… », Charles Kabango, « Les “intellectuels africains” s’expriment sur le coronavirus », 11 avril 2020, https://blogs.mediapart.fr/charles-kabango/blog/110420/les-intellectuels-africains-sexpriment-sur-le-coronavirus.

[52] Selon Felwine Sarr, « Dans le milieu des économistes, le débat tourne plutôt autour de la réorientation de nos économies. Comment les restructurer ? Les rendre moins dépendantes des matières premières ? Comment créer sur place des industries nous permettant d’atteindre l’auto-suffisance alimentaire ? », F. Sarr (propos recueillis par Oumy Diallo), op. cit.

[53] Martial Ze Belinga, « Économie de la culture en Afrique, une chance pour le développement ? », 7 décembre 2016, http://ideas4development.org/artisanat-africain-fabrique-asie/.

[54] Makhtar Diop (vice-président de la Banque mondiale), « La crise du coronavirus révèle cruellement l’inégale répartition des bienfaits de la technologie », Le Monde, 20 avril 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/20/makhtar-diop-la-crise-du-coronavirus-revele-cruellement-l-inegale-repartition-des-bienfaits-de-la-technologie_6037181_3212.html.

[55] Tshilidzi Marwala, « The Rain Queen and Covid-19 – imagining a post-coronavirus future », Daily Maverick, 15 may 2020, https://www.dailymaverick.co.za/opinionista/2020-05-15-the-rain-queen-and-covid-19-imagining-a-post-coronavirus-future.

[56] Amadou Gallo Fall, « Le basket, un appui puissant pour le développement de l’Afrique », 31 janvier 2020, https://ideas4development.org/basket-appui-developpement-afrique/.

[57] Dans une acception apologétique, à la différence de l’acception négative d’ « économie » par celles et ceux qui demandent d’en sortir, à l’instar du réseau « sortir de l’économie » selon lequel l’économie « est une “technè”, un savoir-faire pour acquérir des “richesses” réduites à des richesses monétaires, à leur production et à leur accumulation dans des coffres, bref tout ce qui concerne les affaires d’argent, le négoce et l’entreprise », produisant pour la masse « une vie individuelle saucissonnée en des moments de travail-marchandise où l’on se vend, un échange marchand des produits de ce travail-là […] et la consommation solvabilisée des produits répondants aux besoins réels comme fictifs » (Clément, « Sur l’invention grecque du mot “économie” », Sortir de l’économie, n° 3, juin 2009, p. 7-10 ; http://sortirdeleconomie.ouvaton.org), autrement dit « l’“économicisation” du monde » initiée par le mercantilisme, le néolibéralisme étant « l’acmé de [cette] omnimarchandisation du monde », selon Serge Latouche, qui entend par l’après-économie « une société conviviale plurielle libérée de la religion de la croissance et de l’économie » (L’invention de l’économie, Paris, Albin Michel, 2005, p. 225-229). Cet après-économie serait un après-capitalisme écosocialiste…

[58] Deux universitaires ont constaté, après enquête, le quasi silence des African Studies en Europe et aux États-Unis d’Amérique sur le capitalisme comme économie des pays d’Afrique : Jörg Wiegratz et Nataliya Mykhalchenko, « The Great Lacuna : Capitalism in Africa », Roape.net, October 19, 2018, http://roape.net/2018/10/19/the-great-lacuna-capitalism-in-africa/.

[59] Frédéric Thomas, « Impératif de changement : Le Sud à la manœuvre », Alternatives Sud, vol. XXIII, n°3, 2016, https://www.cetri.be/Imperatif-de-changement-le-Sud-a ; cf. aussi, Dimitri M’Bama, « La critique aux temps du libéralisme, un outil de contrôle social ? », Lundi matin, 31 août 2020, https://lundi.am/La-critique-aux-temps-du-liberalisme-un-outil-de-controle-social.

[60] Michel Husson, Un pur capitalisme, Lausanne, Page deux, 2008, p. 9.

[61] Mamadou Koulibaly (ancien ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement d’union nationale de transition du général Guéi, en Côte d’Ivoire, ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence de Laurent Gbagbo, auteur de Le libéralisme, nouveau départ pour l’Afrique noire, 1992), Carlos Lopes (ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, haut-représentant de l’Union Africaine aux négociations avec l’Union européenne pour l’après Accord de Cotonou, auteur de Africa in Transformation : Economic Development in the Age of Doubt, 2019) Lionel Zinsou (banquier d’affaires, ancien président du fonds d’investissements français PAI Partners, co-auteur avec, entre autres, Tidjane Thiam, du Rapport au ministre français de l’Économie et des Finances intitulé Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France dit Rapport Védrine, 2013, président de la Fondation Afrique-France pour la croissance, dernier Premier ministre du président béninois Boni Yayi, pui candidat malheureux à l’élection présidentielle béninoise de 2016).

[62] « Je ne suis pas anti-marxiste mais, travaillant sur le type d’existence qui est le nôtre, je pense que le marxisme a besoin d’un certain supplément », Achille Mbembe (entretien avec Joseph Confavreux), « Achille Mbembe : il n’y a pas de monde sans circulation libre des hommes », Mediapart, 19 octobre 2013, www.mediapart.fr.

[63] Achille Mbembe (propos recueillis par Christophe Ayad, Cyril Bensimon, Christophe Châtelot et Serge Michel), « Venez en Afrique, venez chez nous ! », Le Monde, hors-série : Afrique l’envol, janvier 2015, (p. 6-11), p. 10.

[64] Communiqué de presse de la Banque africaine de développement (repris quasi intégralement par d’autres journaux, du parisien La Tribune – https://afrique.latribune.fr au panafricain Financial Afrik – https://www.financialafrik.com), « À Abidjan, l’historien Achille Mbembe livre un vibrant plaidoyer pour l’intégration régionale en Afrique », 2 octobre 2017, https://www.afdb.org/fr/news-and-events/mbembe-makes-a-strong-case-for-african-integration-through-open-borders-17398/.

[65] Souleymane Bachir Diagne (propos recueillis par Abdoulaye Diallo et Seydou Ka), « Pr. Souleymane Bachir Diagne – “Il n’y a pas de privatisation rampante de l’université publique », Le Soleil, 9 avril 2013, http://fr.allafrica.com/stories/201304091395.html. C’était à l’issue des travaux de la Concertation nationale sur l’avenir de l’Enseignement supérieur, à la présidence de laquelle l’avait placé le président Macky Sall. (S. Bachir Diagne avait été le conseiller à l’Éducation nationale du président françafricain Abdou Diouf dont les mandats ont été caractérisés par, entre autres, le déclenchement du processus d’ajustement structurel néolibéral de l’École sénégalaise. Un connaisseur donc.) Cf. aussi, Ferloo, « UCAD [Université Cheikh Anta Diop] : Les étudiants déclarent Souleymane Bachir Diagne et le Recteur Saliou Ndiaye, persona non grata », Ferloo, 19 décembre 2013, http://www.ferloo.com/https://www.dakaractu.com/Remous-a-l-Universite-Cheick-Anta-Diop-Souleymane-Bachir-Diagne-declare-non-grata-par-les-etudiants_a57310.html.

[66] Respectivement, Achille Mbembe, « Invité Afrique – Coronavirus : “Chaque fois qu’il est question d’Afrique, c’est la catastrophe” », RFI, 22 avril 2020, https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200422-coronavirus-chaque-fois-il-est-question-d-afrique-c-est-la-catastrophe (cet entretien est antérieur à l’appel collectif) et Achille Mbembe (propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam et François Soudan), « La mémoire des luttes anticoloniales réveille des questions dérangeantes », Jeune Afrique, 29 août 2020, https://www.jeuneafrique.com/mag/1033801/culture/achille-mbembe-la-memoire-des-luttes-anticoloniales-reveille-des-questions-derangeantes.

[67] Pour une histoire de la précarité du travail en Afrique, du colonial au post-colonial, cf., par exemple, Franco Barchiesi, « Précarité africaine. Pour une généalogie et une critique », Multitudes, 201774, n° 69, p. 180-188, https://www.cairn.info/revue-multitudes-2017-4-page-180-htm.

[68] Bastien Bonnefous, « Le “descendeur social” des classes moyennes », Le Monde, 16 mai 2013, http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/05/16/le-descenseur-social-des-classes-moyennes_3260084_823448.html.

[69] Guy Standing, « The Precariat », Contexts, 2014 13 : 10 DOI : 10.1177/1536504214558209. Cf. aussi, par exemple, Collectif P.E.C.R.E.S. (Pour l’Étude des Conditions de travail dans la Recherche et l’Enseignement Supérieur), Recherche précarisée, recherche atomisée. Production et transmission des savoirs à l’heure de la précarisation (Paris, Raisons d’agir, 2011), selon lequel il y avait alors 24 % de précaires dans le personnel de l’enseignement supérieur et des établissements publics à caractère scientifique et technique à l’instar des réputés Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut de recherche pour le développement (IRD, anciennement ORSTOM, Office de la recherche scientifique et technique Outre-mer, 1953-1998), p. 141-145.

[70] En réponse à une question sur « tant d’Africains qui ne trouvent pas le travail chez eux », sous-entendu, obligés ainsi de migrer vers l’Europe, l’Amérique du Nord, Mbembe, répond par « Il faut en créer. L’Afrique nous oblige à repenser des catégories fondamentales. Ça veut dire quoi le travail ? À quel prix ? L’Afrique est un laboratoire des formes à venir [du travail, en l’occurrence], y compris en Occident. Le taux de chômage en France est de 10 % et il ne diminue pas : c’est ça le monde qui vient » (Achille Mbembe (propos recueillis par Christophe Ayad, Cyril Bensimon, Christophe Châtelot et Serge Michel), « Venez en Afrique, venez chez nous ! », p. 11). La redéfinition du travail, en le flexibilisant, en le précarisant, aussi grâce à une importante « armée industrielle de réserve » (K. Marx) désormais mondialisée – sous forme aussi bien de force de travail dite sans papiers que d’immigration sélective (« immigration choisie » selon Dominique de Villepin/Nicolas Sarkozy par l’État du pays de destination), à l’instar des médecins nord-africains en France (ancien·ne·s étudiant·e·s immigré·e·s) en situation d’infériorité statutaire par rapport à leurs collègues français, à diplôme semblable – telle est une des caractéristiques du néolibéralisme.

[71] Il y a cette formule lapidaire et très pertinente de la politologue française Noëlle Burgi-Golub pour distinguer l’usage qui en est fait par ceux qu’elle dénomme alors les « nouveaux idéologues » ou les « nouveaux réformateurs » (français) : « l’équité tente de trouver un équilibre entre égalité et inégalité », Noëlle Burgi-Golub. « Égalité, équité. Les catégories idéologiques des politiques publiques », Politix, vol. 9, n°34, 2e trimestre 1996, (p. 47-76), p. 76, https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1996_num_9_34_1031 ; cf. aussi François Brune, « Ces mots qui font accepter l’inacceptable », Le Monde diplomatique, mai 1995, p. 28.

[73] Cf., par exemple, Paulin J. Hountondji, « Une pensée pré-personnelle », L’Homme, 2008, 185-186, http://journals.openedition.org/lhomme/24191, (p. 343-363), p. 353 ; Vasant Kaiwar, L’Orient postcolonial. Sur la « provincialisation » de l’Europe et la théorie postcoloniale, Paris, Syllepse, 2013 [traduit de l’anglais et présenté par Thierry Labica], p. 119 ; D’une part, dans L’Entr’aide. Un facteur de l’évolution (1906, 1938), le théoricien anarchiste Pierre Kropotkine a présenté l’universalité historique de la solidarité, aussi bien parmi les animaux que dans les sociétés humaines. D’autre part, selon l’anthropologue May Mandelbaum Edel, chez le peuple Ciga vivant sur les régions montagneuses du Rwanda septentrional et de l’Ouganda occidental, prévaut l’individualisme : « le groupe social le plus important est le ménage [household] », la « propriété est essentiellement individualiste », « dans ses transactions économiques le chef de ménage n’a pas à se soumettre à quelque autorité supérieure à la sienne », « donner peut impliquer la réciprocité, mais ce n’est pas une obligation. Les emprunts sont courants », « Il n’y a rien qui limite l’individu de faire ce qu’il veut de ce qui lui appartient », « en ce qui concerne la nourriture aussi, chaque ménage est une unité indépendante », « L’individu n’est pas forcé de participer à une entreprise communautaire », etc., cependant « Il n’était pas permis aux femmes de posséder des biens personnels » dans cette société de polygynique, extraits de M. M. Edel, « Property among the Ciga in Uganda », Journal of the International African Institute, Vol. 11, N° 3 (July, 1938), (p. 325-3419, p. 327, 328, 329, 341, https://www.jstor.org/stable/1155654.

[74] Nous n’insistons pas ici sur ce culturalisme (expression du complexe d’infériorité produit par le narcissisme du dominant bourgeois, européen, blanc – colon esclavagiste, colonialiste, néocolonialiste –, ayant été transfiguré en relativisme culturel, revivifié de nos jours, par exemple, par Felwine Sarr, les théoricien·ne·s de l’Ubuntu, voire par une certaine décolonialité acritique à l’égard des “traditions africaines” ou “valeurs africaines” dont certaines relèvent de l’invention par la colonisation, voire par la traite négrière) qui n’a pas fondamentalement gêné la reproduction du capital néocolonial, alimentant plutôt bien le néocolonialisme. Par exemple, des politiciens l’exploitent bien en transformant, au nom de supposées spécificités africaines, la commune appartenance ethnique ou régionale en clientélisme électoral en vue d’accéder au pouvoir, jusqu’à en arriver, parfois, à des conflits meurtriers dits “ethniques”/tribaux, en fait des manifestations aiguës de la concurrence entre fractions ethniques/régionales d’une même “classe politique”, d’une même classe sociale : la prédatrice au pouvoir et celles candidates à la gestion prédatrice (pour l’accumulation dite primitive du capital ou le contrôle autochtone de sa reproduction).

[75] L. S. Senghor, « Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels », Éthiopiques, n° 5, janvier 1976, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1447.

[76] Jean Nanga, « À propos du boom des classes moyennes en Afrique », cadtm.org, 24 décembre 2014, https://cadtm.org/Quel-boom-des-classes-moyennes-en

[77] Nelson Mandela, « Africa’s Time has Come : The role of The United States In Aid and Development Efforts », communication faite à la Brookings Institution (un des principaux think tanks de l’establishment états-unien) le 16 mai 2005.

[78] Oxfam, Inequality in Nigeria. Exploring the drivers, may 2017, p. 4. cf. aussi du même Oxfam, la crise des inégalités en Afrique de l’Ouest, juillet 2019. Quelques intellectuel·le·s africain·e·s pourraient contester le mode d’évaluation de cette pauvreté, de cette extrême pauvreté, sur des critères monétaires, se référant à la consommation des produits-marchandises, mais n’intégrant pas la “chaleur familiale” parmi les critères …

[79] S. Bachir Diagne (propos recueillis par Rachida El Azzouzi), « Les pays du Nord ne connaissent pas l’Afrique », Mediapart, 17 mai 2020, https://www.mediapart.fr/journal/international/170520/souleymane-bachir-diagne-les-pays-du-nord-ne-connaissent-pas-l-Afrique.

[80] La situation est probablement pire, à en croire la critique de la mesure de la pauvreté par la Banque mondiale (servant de référence) faite dans le dernier rapport (en temps de Covid-19) publié par le Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains (sortant), Philip Alston : The parlous state of poverty eradication, 2 juillet 2020, accessible par https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26046.

[81] Kako Nubukpo et Demba Moussa Dembélé sont aussi signataires de cet appel-ci. Mamadou Gazibo, l’un des auteurs de l’Index de l’émergence en Afrique 2017, est aussi signataire de cet appel commençant pourtant par la critique du bavardage sur ladite émergence. On dirait qu’il s’agit d’une position auto-critique.

[82] Wole Soyinka et alii, « Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir », Mediapart, 13 avril 2020, https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130420/aux-dirigeants-du-continent-africain-face-au-covid-19-il-est-temps-dagir

[83] Il est souvent oublié que Nkrumah s’en était détourné après le putsch de 1966, cf., K. Nkrumah, « African Socialism revisited » (1967), Paper read at the Africa Seminar held in Cairo at the invitation of the two organs At-Talia and Problems of Peace and Socialism, https://www.marxists.org/subject/africa/nkrumah/1967/african-socialism-revisited.htm ; K. Nkrumah, La lutte des classes en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1972 [Londres, Panaf Books Ltd, 1970 ; traduit de l’anglais par Marie-Aïda Bah Diop].

[84] Wole Soyinka (RFI - Invité Afrique), « Covid-19 : le prix Nobel Wole Soyinka cosigne une lettre ouverte aux gouvernants africains », RFI, 29 avril 2020, http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200429-wole-soyinka-lettre-ouverte-gouvernants-africains-covid-19. Il y a, par ailleurs, au cours de cet entretien, un propos de Wole Soyinka d’une particulière naïveté sur l’histoire des États-Unis d’Amérique (voire sur l’histoire de l’humanité), au cas où ce ne serait pas par légèreté volontaire : « Je me demande parfois : Trump est-il vraiment un être humain ? Est-ce qu’il fait partie de votre humanité et de la mienne ? Cet homme, je ne sais de quelle planète il vient ». À la lumière de l’histoire des États-Unis d’Amérique, non pas à partir du récit narcissique de cet État, Trump n’est-il pas plutôt à considérer comme une expression concentrée des tares de l’establishment états-unien, du racisme à l’arrogance impérialiste, en passant par la phallocratie, le culte du profit économique ? Apparemment, Soyinka s’y trouvait bien avant l’élection de Trump.

[85] Extrait d’un propos de Cabral aux guérilleros, au village de Maké en 1966, rapporté par Gérard Chaliand, Lutte armée en Afrique, Paris, François Maspero, 1967, p. 49.

[86] De l’Afrique du Sud, Patrick Bond rappelle que « the labor movement is now considered (by corporate elites) to be the world’s third most militant (although its political division are profound) », P. Bond, « Covid-19 Attacks the Down-and-Out in Ultra-Unequal South Africa », Counterpunch, April 3, 2020, https://www.counterpunch.org/2020/04/03/covid-19-attacks-the-down-and-out-in-ultra-unequal-south-africa/.

[87] Amir Ben Yahmed, « Pour un capitalisme africain au profit de tous », Jeune Afrique, 2 mars 2020, https://www.jeuneafrique.com/904427/. L’article semble devenu inaccessible sur le site du journal, mais peut l’être sur les sites de Fraternité matin (https://www.fratmat.info/article/201818/économie/tribune--pour-un-capitalisme-africain-au-profit-de-tous) ou de Leaders (https://www.leaders.com.tn/article/29175/print).

[88] Chuck Collins, Omar Ocampo, Sophia Paslaski, Billionaire Bonanza 2020. Wealth Windfalls, Tumbling Taxes, ans Pandemic Profiteers, Institute for Policy Studies, April 23, 2020, p. 10 ; https://ips-dc.org/ et http://inequality.org/.

[89] Samuel Eto’o (RFI - Invité Afrique), « Samuel Eto’o : “Il faut un sursaut d’orgueil” en Afrique face au coronavirus », RFI, 4 mai 2020, http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200504-samuel-etoo-il-faut-sursaut-dorgueil-en-afrique-face-coronavirus. En 2018, ce “panafricaniste” avait appelé à voter aux présidentielles pour « le candidat Paul Biya pour toutes ces choses qu’il m’a apportées dans ma vie, dans ma carrière et pour toutes ces choses que j’ai connues », Africanews, « Au Cameroun, Samuel Eto’o et Rigobert Song appellent à voter pour Paul Biya », 2 octobre 2018, https://fr.africanews.com/2018/10/02/au-cameroun-samuel-eto-o-et-rigobert-song-appellent-a-voter-pour-paul-biya/. Serait-ce la croyance en cet intérêt commun ou par ironie que le collectif féministe African Feminism (à ne pas confondre avec la récemment défunte revue Feminist Africa), apparemment critique du néolibéralisme, a exprimé la volonté de dialoguer avec la task force (à la liste de quatre indiquée en note plus haut, s’est ajouté Benkhalfa Abderrahmane, un ancien ministre algérien des Finances) tout acquise au capitalisme, même néolibéral, créée par Cyril Ramaphosa (« nous aimerions entamer une conversation avec vous. Nous voulons entendre vos réflexions et votre vision pour les pays africains, les économies africaines, la mobilisation des ressources et les peuples africains au-delà de la Covid-19. Nous aimerions avoir une audience avec vous pour en discuter davantage, notamment par le biais d’un webinaire », African Feminism, « Déclaration féministe sur la relance économique après la Covid-19 », https://africanfeminism.com/african-feminist-post-covid-19-economic-recovery-statement/) ?

[90] Kako Nubukpo, « Après le coronavirus, une autre Afrique est possible et ce n’est pas une utopie », Le Monde, 4 avril 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/04/apres-le-coronavirus-une-autre-afrique-est-possible-et-ce-n-est-pas-une-utopie_6035567_3212.html

[91] Une autre prise de position collective appelle les chefs d’État africains « à développer une stratégie continentale de résilience pour réduire au maximum les conséquences de la pandémie et de la récession économique globale sur les économies africaines. Cette stratégie devra s’appuyer sur des mécanismes déjà en place, comme le NEPAD … », Collectif RASA (Rapport alternatif sur l’Afrique), LEGS (Leadership, Éthique, Gouvernance et Stratégies pour l’Afrique) et alii, « Déclaration pour une réponse africaine souveraine à la pandémie du Covid-19 » (Dakar, 30 mars 2020), https://www.impact.sn/Declaration-pour-une-reponse-africaine-souveraine-a-la-pandemie-du-Covid-19_a19638.html. Les signataires qui expriment une certaine “fierté” (négro-)africaine ne savent peut-être pas que le NEPAD est, concernant les actions dites de développement, financée à 80 % par des agences de développement de quelques États d’Europe et la philanthropie (du capital transnational) occidentale. Cette déclaration est plus consacrée à réagir, avec un zeste de complotisme, au catastrophisme, comme l’exprime assez bien ce passage : « Nous interpellons les autorités des organisations internationales citées ci-dessus [ONU, OMS, sont aussi prises à partie : la France, le G20, la « communauté internationale »] sur la gravité de leurs déclarations péremptoires et interrogeons les fondements scientifiques de leurs prévisions qui ont plus l’air de plans machiavéliques sur le dos des Africains, voire des menaces voilées à leur endroit ». Sans les alarmes catastrophistes de l’OMS et de l’ONU, les États africains auraient-ils réagi de la même façon, avec la même efficacité qui leur est attribuée ?

[92] José Francisco Puello-Socarrás et María Angélica Gunturiz, « ¿ Social-neoliberalismo ? Organismos multilatérales, crisis global y programmas de transferencia monetaria condicionada », Política y Cultura, Automne 2013, n° 40, p. 29-54.

[93] Razmig Keucheyan, « “Leur écologie et la nôtre”, quarante ans après », Contretemps, 21 novembre 2016, https://www.contretemps.eu/read-offline/12518/

[94] Concernant le fardeau des femmes, cf. la déclaration du réseau WoMin (African women unite against destructive ressource extraction), « Covid-19 – Crise sur crise en Afrique : une perspective écoféministe », 8 avril 2020, https://womin.org.za/covid-19---crisis-upon-crisis-in-africa-an-ecofeminist-perspective.html ; Gavin van der Nest, op.cit.

[95] Jean-Christophe Servant « La ZLEC, un afrolibéralisme caché derrière le masque du panafricanisme », Le Monde Diplomatique, 16 mai 2019, https://blog.mondediplo.net/la-zlec-un-afroliberalisme-cache-derriere-le

[96] Kate Meagher, « Reflections of an Engaged Economist : An Interview with Thandika Mkandawire », Development and Change, 2019, vol. 50, n°2, (p. 511-541), p. 521.

[97] Daniel Bensaïd, Éloge de la résistance à l’air du temps, Paris, Textuel, 1999, p. 89.

[98] Ricardo Petrella, « La dépossession de l’État », Le Monde diplomatique, août 1999, p. 3.

[99] Roland Pfefferkorn, « Sur la notion d’égalité des chances », Revue des Sciences Sociales, 2002, n° 29, p. 130-135.

[100] Sophie Sensier, « La longue marche des femmes », Le Monde diplomatique, septembre 1995, p. 25.

[101] Josephine Ahikire, « African feminism in context : Reflections on the legitimation battles, victories and reversals », Feminist Africa, Issue 19, 2014, p. 7-23, http://www.feministafrica.org. Tout récemment une féministe, Adama Pouye, a ainsi défini le féminisme : « Pour moi, le féminisme est une revendication des droits de la femme, une aspiration vers l’équité. Equité au lieu d’égalité pour être plus juste. L’équité fera que dans tous les domaines (sic), on verra la femme au-delà de son genre, rien ne sera plus basé sur le sexe. Le féminisme est une dénonciation pour tendre vers une société plus juste et plus humaniste » (Maimouna Eliane Thior et Adama Pouye (propos recueillis par Rama Salla Dieng), « Féminisme, religion et culture au Sénégal », Seneplus, 22 mai 2020, https://www.seneplus.com/femmes/feminisme-re...). Néanmoins, elle parle par la suite d’ « égalité juridique », d’« égalité homme/femme »…

[102] Françoise Vergès (propos recueillis par Aboubacar Demba Cissoko), « Les femmes du Sud ne luttent pas pour un féminisme de 50/50 », legrenierdekibili, 30 janvier 2020, https://legrenierdekibili.wordpress.com/2019/01/30.

[103] Sanusi Lamido Sanusi, « BUHARISM : Economic Theory and Political Economy », July 2002, http://www.nigerdeltacongress.com/barticles/buharism.htm

[104] Au cours d’un colloque, à la fin du 20e siècle, la philosophe Aminata Diaw avait ainsi réagi, à juste titre, pendant le débat, aux propos des nationalistes culturalistes (negro-)africain·e·s : « Où est l’Afrique traditionnelle ? J’ai du mal à appréhender ce que certains appréhendent comme Afrique traditionnelle », « Minutes du colloque international État et Société civile en Afrique. Enracinements et Projections », Quest (Special issue), vol. XII, Number 1, june 1998, Actes du Colloque International Interdisciplinaire : État et Société civile en Afrique, Abidjan, 13/18 -7- 1998, p. 310, disponible sur http://quest-journal.net. Néanmoins ladite “Afrique traditionnelle” demeure une marchandise culturelle assez rentable pour maint·e·s intellectuel·le·s/universitaires africain·e·s, ainsi que pour des politicien·ne·s voulant justifier leur hostilité à l’égard des différentes revendications d’égalité concrète.

[105] Serait-elle comprise dans les « autres élites » mentionnées dans “Une nouvelle Afrique est possible” (« Les sociétés transnationales (STN), en collusion avec les gouvernements africains et d’autres élites, opérant en toute impunité et au mépris des populations et de la planète, sont parmi les principaux responsables des crises énergétiques, climatique, alimentaire et écologiques actuelles ») ?

[106] Horman Chitonge, « Capitalism in Africa : mutating capitalist relations and social formations », Review of African Political Economy, november 2017, https://doi.org/10.1080/03056244.2017.1372280

[107] Femi Aborisade, « Nigeria – the hunger virus and Covid-19 » /« Out of the Ruins and Rubble : Covid-19 and the fightback in Africa ». Ce n’est pas particulier à Dangote, car dans le rapport de l’Institute for Policy Studies, déjà cité plus haut, il est affirmé que « Despite Amazon’s e-commerce dominance, Bezos has been unable to protect his workforce from Covid-19 : Workers in 10 different Amazon warehouses tested positive for the disease in late March.31 Instead, in early April, Bezos announced a donation of $100 million of his $140 billion in wealth to Feeding America. » (p. 11).

[108] Comité de solidarité avec les travailleurs de Numilog (filiale de Cevital), « Pétition en soutien aux travailleurs licenciés de Numilog », 31 juillet 2020, https://www.bejaia06.com/bejaia-petition-en-soutien-aux-travailleurs-licencies-de-numilog. Ironiquement, il y a cinq ans, les travailleurs de Cevital s’étaient organisés pour « dénoncer “l’acharnement” contre Rebrab » par le gouvernement algérien (« Les travailleurs de Cevital s’organisent pour dénoncer “l’acharnement” contre Rebrab », TSA, 7 octobre 2015 ; http://www.tsa- algerie.com/20151007/les-travailleurs-de-cevital-sorganisent-pour-denoncer-lacharnement-contre-rebrab/). Maintenant qu’ils s’organisent pour la défense de leurs intérêts exclusifs, le même Rebrab les réprime.

[109] Funmi Adebayo Funmi (écrivain et ancien trader), « Thank you Jack Ma ! But where are Africa’s billionaires ? », The Africa Report, 13 juin 2020, https://www.theafricareport.com/29822/thank-you-jack-ma-but-where-are-africas-billionaires/

[110] Romaric Godin, « Emmanuel Macron, Saint Paul de l’État-providence », Mediapart.fr, 13 mars 2020, https://www.mediapart.fr/journal/france/130320/emmanuel-macron-saint-paul-de-l-etat-providence.

[111] Pour Naomi Klein, la « Shock Doctrine » (traduite en français par « stratégie du choc ») consiste à profiter d’une situation dramatique ou catastrophique pour réaliser un projet nocif qui ne passerait pas, sinon très difficilement, en temps ordinaire (La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, 2007, 2008).

[112] Le ministre sud-africain des Finances, Tito Mboweni, cité par Seán Muller, « South Africa’s one sided lockdown/coercing the poor, coddling the rich », Africa is a Country 17 april 2020, https://africasacountry.com/2020/04/south-africas-one-sided-lockdown-coercing-the-poor-coddling-the-rich. La secrétaire générale de l’association patronale panafricaine BUSINESS Africa/Organisation internationale des Employeurs a, par la suite, dit la même chose lors d’une rencontre virtuelle de l’Organisation international edu Travail : « As difficult as the situation night be, we must seize the opportunities that crisis offers and accelerate reforms in our continent », Jacqueline Mugo, Speech during the ILO African Regional Virtual Meeting : Covid-19 response In Africa : Building back Better, 2 july 2020 https://www.ilo.org/africa/WCMS_749780/lang--en/index.htm.

[113] Olfa Lamloum, « Tunisie. Une gestion sécuritaire du Covid-19 au détriment du droit à la santé », Orient XXI, https://orientxxi.info/magazine/en-tunisie-les-fragilites-sociales-et-sanitaires-assombrissent-l-horizon,3839

[114] Dick Forslund, « Tito needs the IMF, South Africa doesn’t », Mail & Guardian, 1st August 2020, https://mg.co.za/business/2020-08-01-tito-needs-the-imf-south-africa-doesnt/

[115] La Rédaction, « Covid-19 Bill : polémique à tous les étages », L’express, 13 mai 2020, https://www.lexpress.mu/article/376885/covid-19-bill-polemique-tous-etages.

[116] Extrait d’un résumé de ladite loi communiqué par Ashok Subron (syndicaliste et militant écosocialiste mauricien).

[117] Linguère Mously Mbaye (économiste supérieure de recherche à la Banque africaine de développement), « Crise et post-crise en Afrique : et si le changement était pour maintenant », La Tribune Afrique, 19 mai 2020, https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2020-05-19/crise-et-post-crise-en-afrique-et-si-le-changement-etait-pour-maintenant-847965.html ; Carlos Lopes (propos recueillis par Marie de Vergès), « En Afrique, “il n’y aura pas de meilleur moment pour accélérer le changement” », Le Monde, 26 mai 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/26/en-afrique-il-n-y-aura-pas-de-meilleur-moment-pour-accelerer-le-changement_6040841_3212.html

[118] Les régimes kenyan et sud-africain ne se sont pas privés de détruire des habitations informelles pendant le confinement – et en pleine saison de pluies au Kenya – évidemment, sans proposer aux pauvres qui y résidaient quelque solution de rechange.

[119] Milford Bateman, « The Dangerous Rise of the Digital Utopians Across Africa », roape.net, 14 september 2018, http://roape.net/2018/09/14/the-dangerous-rise-of-the-digital-utopians-across-africa/. Cf. aussi, Julia Verne, Julian Stenmanns, Stefan Ouma, « La connectivité, condition du développement pour l’Afrique ? », Alternatives Sud, n° 151 : « Impasses numériques », https://www.cetri.be/Impasses-numeriques

[120] Dans le chapitre 3 (« Animisme et viscéralité », p. 77-101) de son livre Brutalisme (début 2020), A. Mbembe affirme, par exemple : « les outils technologiques qui saturent nos existences deviennent des extensions de nous-mêmes et, à travers ce processus, d’autres relations sont créées entre les humains et les objets que les traditions africaines ont longtemps anticipées. En effet, dans les traditions africaines antiques, les êtres humains n’étaient jamais satisfaits d’être seulement des êtres humains. Ils étaient toujours en quête d’un supplément à leur humanité. Souvent, à leur humanité, ils ajoutaient des attributs d’animaux, de plantes et de divers autres étants. La modernité disqualifia de telles manières d’être et les confina à l’enfance de l’Homme ». La dernière phrase semble indiquer qu’il ne s’agissait pas d’une particularité africaine contrairement à ce que laissent penser les trois phrases précédentes.

[121] Un des arguments des partisan·e·s du déploiement de la technologie de cinquième génération (5G) est son utilité pour la télé-médecine. Mais leurs adversaires affirment par contre qu’ « Il n’y a pas besoin de 5G pour les communications machine-machine, ni pour la télémédecine, les réseaux existant suffisent », Collectif “Stop 5G”, « Arguments contre le déploiement de la “5G” », https://www.stop5g.ch/argumentaire-contre-la-5g

[122] En 2017, le Conseil économique social et environnemental du Maroc considérait que « l’industrie marocaine, malgré une forte progression du PIB industriel dans certains domaines (automobile, aéronautique, Offshoring) au cours de la décennie passée – grâce notamment aux stratégies sectorielles – est faiblement préparée à ce grand bouleversement induit par la quatrième révolution industrielle », Conseil Économique Social et Environnemental, Changement de paradigme pour une industrie dynamique au service d’un développement soutenu, inclusif et durable, Auto-Saisine, n°30/2017, p. 15, www.cese.ma

[123] Cyril Ramaphosa, « A national strategy for harnessing the Four Industrial Revolution : The case of South Africa », in chapter 5 of Foresight Africa 2020 : Capturing the Fourth Industrial Revolution. A Regional and national Agenda, Brookings Institution, january 2020, (p. 71-73), p. 72 ; Njunga Ndung’u (Executif Director, African Economic Research Consortium & Former Governor, Central Bank of Kenya), Landry Signé (Senior Fellow, Africa Growth Initiative, Brookings Institution & Chairman, Global Network for Africa’s Prosperity), « The Fourth Industrial Revolution and digitization will transform Africa into a global powerhouse », https://www.brookings.edu/research/the-fourth-industrial-revolution-and-digitization-will-transform-africa-into-a-global-powerhouse/

[124] Klaus Schwab, « La Quatrième révolution industrielle : ce qu’elle implique et comment y faire face », weforum.org, 27 octobre 2017, https://fr.weforum.org/agenda/2017/10/la-quatrieme-revolution-industrielle-ce-qu-elle-implique-et-comment-y-faire-face/

[125] Cédric Leterme, « La numérisation de l’Afrique face au dilemme écologique », CETRI, 29 juin 2020, https://www.cetri.be/La-numerisation-de-l-Afrique-face

[126] Il s’agit de citations tirées respectivement de : WoMin (African Women Unite Against Destructive Resource Extraction), « Covid-19 – Crise sur crise en Afrique : une perspective écoféministe », 8 avril 2020, https://womin.org.za/covid-19---crisis-upon-crisis-in-africa-an-ecofeminist-perspective.html ; idem ; Collectif africain pour la justice climatique, « Une nouvelle Afrique est possible », 14 mai 2020 http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53263 ; Collectif (une quarantaine d’organisations dont une trentaine d’Afrique du Nord), « Appel des peuples. Organisations, mouvements et réseaux militants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe Pour l’annulation de la dette et l’abandon des accords de libre-échange », 20 mai 2020 www.cadtm.org/Appel-des-peuples-organisations-mouvements-et-reseaux-militants-d-Afrique-du ; Southern African Peoples’s Solidarity Network (SAPSN), « As Southern African Faces A socioeconomic Catastrophe We Must Break with Capitalist Globalization and Neoliberalism », http://www.sapsn.org/download/sapsn-statement-on-covid-19/ ; Thienta Mahamane (Syndicat des travailleurs du rail de l’Union nationale des travailleurs du Mali, SYTRAIL-UNTM), « Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous », Europe solidaire sans frontières, 7 mai 2020, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53203 ; Union Africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI-UCI), « Lutte contre le Covid-19 :des mesures surtout contre les classes populaires », 17 mai 2020, https://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/cote-d-ivoire/article/lutte-contre-le-covid-19-des-mesures-surtout-contre-les-classes-populaires.

[127] Cf., par exemple, Gilbert Achcar, Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe, Paris, Actes Sud, 2017 [Londres, Saqi Books ; traduit de l’anglais par Julien Salingue] ; Hamza Hamouche, Extractivisme et Resistance en Afrique du Nord, Amsterdam, Transnational Institute, octobre 2019, https://www.tni.org/en/ExtractivismNorthAfrica?content_language=fr.

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