Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Pour une ville résiliente : en faire plus pour le développement du logement social

Mémoire pré budgétaire 2021
Du Front d’action populaire en réaménagement urbain
Dans le cadre des consultations pré budgétaires 2021 de la Ville de Montréal Déposé à la Commission sur les finances et l’administration

le 21 août 2020 | tiré du site du FRAPRU

INTRODUCTION

Entre la crise sanitaire et la pire pénurie de logements en 15 ans, les ménages locataires montréalais ont de plus en plus de difficulté à se loger décemment et à un prix qu’ils ont la capacité de payer. Le taux d’inoccupation de la Ville de Montréal est de 1,6%, bien en deçà du taux d’équilibre de 3% reconnu par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). Pour les grands logements familiaux, ce taux descend à 0,8% à l’échelle de la Ville et frôle carrément le zéro pour plusieurs quartiers centraux tels que le Sud-Ouest et Verdun (0.1%), Hochelaga-Maisonneuve (0,1%), Rosemont Petite-Patrie (0,2%), ou encore le Plateau Mont- Royal (0,3%). L’extérieur des quartiers centraux ne fait pas meilleure figure, le taux d’inoccupation des logements familiaux étant de 0,1% à Montréal-Nord et de 0% à Anjou et Saint-Léonard. [1]

La période des déménagements a été très difficile pour un grand nombre de locataires montréalais à la recherche d’un logement décent. Le 1er juillet 2020, pas moins de 182 ménages locataires étaient sans logis. Un mois plus tard, la situation ne s’améliore que trop légèrement avec 167 ménages toujours dans cette situation, soit 5 fois plus que l’année dernière à pareille date. La faible disponibilité des logements et l’effet inflationniste que la pénurie et la spéculation immobilière ont sur les loyers expliquent la difficulté des ménages locataires montréalais, dont le revenu annuel médian est de 38 800$. Ces derniers se font aussi face à des pratiques abusives et discriminatoires de propriétaires, qui ont le gros bout du bâton en raison de la pénurie. Pour les 100 000 ménages locataires montréalais qui ont des besoins impérieux de logements, parce qu’ils vivent dans un logement trop cher, en mauvais état et trop petit pour leur famille, cette situation signifie d’être sans alternative. Si l’on considère les effets de la crise sanitaire et la crise économique qui pourrait suivre sur les revenus de nombreux ménages et l’augmentation des loyers des dernières années, tout porte à croire que de plus en plus le nombre de personnes itinérantes ne va qu’augmenter, alors que les chiffres sont déjà faramineux.

En septembre 2017, Montréal a obtenu de nouveaux pouvoirs en matière d’habitation, notamment sur le développement du logement social avec l’obtention de son statut de métropole. La Ville a ainsi adopté et mis en œuvre un programme d’habitation adapté à sa réalité : Accès-Logis Montréal. La Stratégie 12 000 logements sociaux et abordables lancée en 2018 s’engageait à développer 6000 logements abordables et 6 000 logements sociaux d’ici 2021. Pour atteindre son objectif, la ville a revu certains programmes, s’est dotée du droit de préemption et devrait adopter sous peu un règlement d’inclusion. Or, du 1er avril 2018 au 31 mars 2020, seulement 783 logements sociaux ont été livrés à Montréal [2] et rien ne garantit que toutes les unités engagées bénéficieront du financement nécessaire à leur développement, avec l’augmentation des coûts de construction et le sous-financement chronique des paliers de gouvernement supérieurs. Autrement dit, il est clair que les nouveaux pouvoirs de Montréal doivent être accompagnés d’un financement adéquat afin de répondre aux besoins des locataires mal-logés de la métropole.

UN OBJECTIF PAS ASSEZ AMBITIEUX

Doublée à la pénurie de logement, la crise sanitaire va avoir de graves conséquences sur le fardeau des locataires dans les prochains mois, voire les prochaines années, et augmenter le nombre de ceux qui doivent consacrer une trop grande part de leur revenu pour se loger au détriment des autres besoins fondamentaux comme se nourrir et se vêtir. Selon le Baromètre des inégalités publié par l’Observatoire québécois des inégalités en août 2020, le nombre de demandes en aide alimentaire au 211 était toujours 70% supérieur en juillet 2020 par rapport à février. Les 87 000 ménages locataires montréalais payant plus de 50% pour se loger, avec des revenus annuels médian de 11 837$, n’ont que peu (voire pas) de choix sur le marché pour se loger décemment.

Le logement simplement qualifié d’« abordable » ne peut être une réponse acceptable. La notion est élastique et l’expérience démontre qu’à chaque fois que les gouvernements ont prétendu développer du logement abordable, celui-ci ne l’était pas pour les ménages à faible et modeste revenu. D’ailleurs, l’abordabilité définie par la Ville dans son projet de Règlement pour une métropole mixte est fixée selon les prix du marché, et non en fonction du revenu des locataires. La spéculation jouant un rôle d’accélération des hausses de prix des loyers disponibles, particulièrement dans les quartiers centraux, le logement abordable n’est pas à l’abri de la fluctuation du marché et, à long terme, ne le reste pas. Le logement dit abordable ne peut prétendre répondre à la crise du logement qui sévit à Montréal et qui risque de s’enraciner.

Si Montréal souhaite être une ville inclusive et permettre à tous et à toutes d’y vivre décemment, elle doit revoir largement à la hausse ses objectifs de développement de logements sociaux. L’objectif de 6 000 logements sociaux de la Stratégie 12 000 logements sociaux et abordables ne représentant à peine plus du quart des 22 652 ménages montréalais actuellement en attente d’un HLM. Pour répondre aux besoins les plus criants, il faut un minimum de 22 500 unités de logement sociaux sur 5 ans à Montréal. Un tel objectif, s’il est atteint, permettra de répondre à la pénurie de logements et ses conséquences mettant trop à mal le droit au logement des montréalaises et des montréalais dont les deux tiers sont locataires.

RESPONSABILITÉ DES GOUVERNEMENTS SUPÉRIEURS

La Ville de Montréal fait face à de nombreux défis en matière d’habitation auxquels elle ne peut répondre seule. La Ville a une part de responsabilité afin de garantir le droit au logement pour les ménages sur son territoire. Les gouvernements provincial et fédéral partagent cette responsabilité et ont le devoir de financer le logement social à la hauteur des besoins. C’est pourquoi Montréal doit maintenir ses pressions sur les gouvernements supérieurs de financer adéquatement le logement social tant dans la construction de nouvelles unités de logement social que dans le maintien en bon état des unités existantes.

Québec doit faire sa part

Dans ses deux derniers budgets, le gouvernement québécois n’a, pour la première fois depuis la création du programme AccèsLogis, financé aucune nouvelle unité de logement social, se contentant de compléter, partiellement, les budgets alloués à la réalisation des unités annoncées par les administrations précédentes mais qui n’ont pu être livrées, faute de financement adéquat. Ce sous-financement a des impacts majeurs sur la capacité de Montréal de poursuivre le développement du logement social. Rappelons qu’avant le dépôt du budget du gouvernement de Legault en mars 2020, la Ville demandait 100 M$ supplémentaires pour permettre la livraison des 1800 unités, toujours coincées dans AccèsLogis Québec et 230 M$ pour AccèsLogis Montréal, afin d’être en mesure d’atteindre son objectif de 6000 logements sociaux et communautaires d’ici 2021. Or, seulement 58,5 M$ ont été accordé à Montréal.

Dans son rapport annuel de 2019, la vérificatrice générale constatait que sans des budgets de la part de Québec, le service de l’habitation de Montréal ne pourrait engager de nouveaux projets de logements sociaux. [3] Face à ce constat, la pénurie de logements et les effets de la crise sanitaire sur les revenus des ménages, il est urgent que Montréal augmente ses pressions sur le gouvernement du Québec afin d’obtenir un financement adéquat lors du dépôt du prochain budget provincial, voire de sa mise à jour économique prévue cet automne. L’enjeu de décontamination des sols dans certains secteurs est aussi un grand frein au développement. Le gouvernement du Québec a aussi une responsabilité dans le soutien à la décontamination.

Malheureusement, les fonds alloués au programme ClimatSol, programme québécois d’aide à la décontamination sont actuellement insuffisants, soit 25 M$ sur 5 ans, pour faire face à aux besoins à travers le Québec. C’est pourquoi Montréal doit aussi demander aux gouvernements des sommes supplémentaires qui appuieraient la viabilité des projets sur le territoire en les aidant à s’adapter à la réalité montréalaise.

Rénover le parc HLM existant

À ce jour, 12 immeubles HLM, représentant près de 300 logements, sont vacants faute de financement nécessaire pour les remettre en état. Malheureusement, le parc de HLM vieillissant, cette liste ne fera qu’augmenter si rien n’est fait rapidement. Comme nous venons de le démontrer, Montréal ne peut se permettre de perdre des logements sociaux. Dans son budget 2020, l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) indiquait un besoin de 150 M$ supplémentaire annuellement pendant 20 ans ou 1,2 milliards $ en 5 ans pour la rénovation et ainsi assurer la pérennité du parc de logement HLM. Les sommes actuellement prévues pour la rénovation dans la Stratégie canadienne sur le logement d’Ottawa sont insuffisantes pour répondre aux besoins du Québec.

Dans le cadre de la Déclaration pour la rénovation des habitations à loyer modique adoptée le 15 juin 2020, la Ville de Montréal s’est engagée à « poursuivre ses représentations auprès des autres paliers de gouvernement afin de démontrer les besoins en rénovation et en investissement dans les HLM de Montréal ». Or, la Ville ne doit pas seulement démontrer les besoins, et attendre après la volonté des gouvernements supérieurs. Elle doit exiger, dès maintenant, les sommes nécessaires pour la remise en état des HLM vacants à Montréal.

LUTTER CONTRE LA GENTRIFICATION

La spéculation foncière et la marchandisation du logement alimentent la flambée vertigineuse des prix de l’immobilier sur le territoire de Montréal. Elles augmentent la complexité du développement de projets de logement social par les groupes de ressources techniques (GRT) et les organismes communautaires d’habitation. Ces derniers n’arrivent pas à acquérir des terrains et à répondre aux besoins et à la capacité de payer des locataires à faible revenu. Montréal se développe à un rythme effréné et il est de plus en plus difficile de trouver des sites, particulièrement dans les quartiers centraux où la spéculation foncière a déjà fait son œuvre. C’est pourquoi la Ville doit agir rapidement pour mettre en réserve le maximum de terrains et de bâtiments disponibles pour assurer qu’un grand nombre de projets puissent se développer à Montréal.

À l’hiver 2020, la Ville de Montréal s’est dotée du droit de préemption sur près de 300 lots dans différents quartiers de Montréal. Cet outil devrait permettre de mettre en réserve plus facilement et rapidement des sites. Dans le plan triennal d’immobilisation de 2018-2020, 50 M$ ont été prévu pour l’acquisition de terrains. Avec les prix des terrains actuels, ces sommes sont insuffisantes. Le marché immobilier étant en ébullition, les terrains s’envolent rapidement. Les promoteurs en quête de profit ont le champ libre ne laissant aucune place pour les personnes vulnérables. C’est pourquoi la Ville de Montréal doit dès son prochain budget se donner les ressources financières nécessaire pour mettre à l’abri de la spéculation un maximum de terrains et de bâtiments pour permettre la réalisation de projets de logement social et de projets communautaires. Pour ce faire, les sommes prévues à l’acquisition de terrains et de bâtiments doivent être substantiellement augmentées.

L’acquisition de sites n’est pas l’unique solution pour soutenir le développement du logement social. Plusieurs quartiers montréalais n’ayant peu ou n’ont pas de sites vacants dans leur cadre bâti. La socialisation du parc de logement est également une avenue pour assurer le développement de logements répondant aux besoins des locataires mal-logés. Un financement adéquat à la rénovation des immeubles dans le but de les transformer en logement social est essentiel. Cela permet à la fois de remettre en état des immeubles insalubres, mais aussi, à long terme, d’assurer l’abordabilité des logements. Rappelons que les années 90, la Ville avait ses propres programmes d’achat-rénovation qui ont permis de réaliser de nombreuses unités de logement social. Dans ce contexte, la Ville doit bonifier ses investissements dans son projet- pilote d’achat-rénovation et le formaliser afin de s’assurer qu’un plus grand nombre d’unités puissent être développées.

Éviter des hausses de loyer

Avec un loyer moyen mensuel de 851$ pour 2 chambres à coucher, plusieurs locataires montréalais peinent à joindre les deux bouts à la fin du mois. Pour les logements familles, le fardeau est accentué radicalement avec un loyer moyen de 1 117$ pour 3 chambres à coucher et plus. Dans Côte-des-Neiges et Plateau-Mont-Royal, il augmente à 1350$ et 1601$ par mois. Les prix de logements ont augmenté bien au-delà de l’inflation dans les dernières années, soit 13.61% entre 2017 et 2019. [4] Si les loyers continuent de croître à ce rythme, les locataires vont être de plus en plus nombreux à dispenser une part trop importante de leur revenu pour se loger, mettant en péril leur capacité de répondre à leurs autres besoins fondamentaux.

L’augmentation des taxes foncières affecte l’abordabilité du parc de logements locatifs existants. Les propriétaires sont nombreux à faire peser le poids de cette augmentation aux locataires, sans respect aux règles de fixation. Considérant que moins de 1% des loyers sont fixés par la Régie du logement, ceux sont eux qui finissent par assumer les hausses des taxes.

Cela dit, des baisses de taxes municipales n’ont pas pour effet une diminution des prix des loyers. Peu de locataires faisant fixer leur loyer à la Régie, rares sont les propriétaires qui diminueront le prix de leur loyer.

Il est clair que le marché privé ne permet pas de répondre aux besoins des ménages locataires mal-logés, voire même entrave leur droit au logement. De fait, si Montréal souhaite réellement conserver l’abordabilité pour les locataires à faible revenu, ce n’est que par le logement social qu’elle peut y arriver. Pour ce faire, la Ville doit se donner les moyens pour retirer des unités du marché et développer de nouveaux logements sociaux.

POUR UNE RELANCE JUSTE

Entre les impacts de la crise sanitaire et la crise du logement, la Ville de Montréal fait face à de nombreux défis. Les choix qu’elle effectuera dans le prochain budget sont déterminants si elle souhaite mettre en place les bases d’une relance juste et porteuse de justice sociale qui n’écartera personne. Les besoins sont criants et rien ne permet de croire que la situation s’améliorera dans les prochaines années.

Les dérèglements climatiques vont également avoir des conséquences désastreuses sur les locataires mal-logés : augmentation du fardeau fiscal, des problèmes de salubrité, de santé, des pertes de bâtiments, etc. La résilience écologique ne peut se réaliser sans la réalisation du droit au logement, la Ville doit en prendre acte dès à présent.N’oublions pas par ailleurs que le développement du logement social servira la relance économique. Chaque dollar investi génère 2,30 $ en activités économiques et crée de l’emploi à l’échelle locale pour de multiples professionnels et entreprises associés à la construction immobilière [5]. Il permet aussi de réduire l’impact des grands projets d’infrastructures vertes qui ont des effets inflationnistes sur les prix des loyers, tout en permettant le maintien des ménages les plus vulnérables dans leur milieu.

RECOMMANDATIONS

1. Que la Ville de Montréal revoit à la hausse son objectif de développer 6 000 logements sociaux entre l’automne 2017 et l’automne 2021, en visant plutôt au moins 22 500 logements sociaux en 5 ans, afin de répondre aux besoins les plus urgents des locataires mal-logés.

2. Que la Ville de Montréal augmente substantiellement les sommes prévues dans le plan triennal d’immobilisation 2021-2023 afin d’assurer l’acquisition de sites pour le développement de ces logements sociaux.

3. Que la Ville de Montréal augmente substantiellement les sommes dédiées à son projet- pilote d’acquisition et de rénovation d’immeubles locatifs abordables, afin de retirer rapidement des immeubles locatifs du marché et de mettre le plus grand nombre possible de ménages à l’abri de « réno-victions » et de reprises de possession.

4. Que Montréal accroisse ses pressions sur les gouvernements supérieurs afin d’obtenir les sommes nécessaires à la réalisation de 22 500 logements sociaux en 5 ans, de même que toutes les sommes nécessaires à la remise en état des HLM de son territoire.

Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) est un regroupement comptant 140 organismes communautaires actifs dans les différentes régions au Québec, dont une trentaine qui sont au coeur de ses décisions et de ses interventions. Il existe depuis 1978 et intervient principalement sur les enjeux reliés au droit au logement. Il est également actif dans la lutte contre la pauvreté, ainsi que dans celle pour la protection des services publics et des programmes sociaux.


[1Source : Portail d’information sur le marché de l’habitation de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL)

[2Source : Étude des crédits budgétaires de la SHQ – 2019-2020 et 2020-2021

[3Source : Rapport de la vérificatrice générale 2019, p.359.

[4Source : Portail d’information sur le marché de l’habitation de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL)

[5SHQ. Étude sur les impacts sociaux des activités de la Société d’habitation du Québec — Rapport synthèse. En ligne sur http://www.habitation. gouv.qc.ca/fileadmin/internet/ publications/0000022924.pdf

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