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Asie/Proche-Orient

Bényamin Nétanyahu et le nucléaire… La chute viendra

Suite à une fuite d’un rapport secret du Mossad, (l’agence israélienne de renseignement), les médias ont diffusé des informations concernant le programme nucléaire iranien. Elles sont à la fois peu surprenantes et choquantes.

Jonathan Cook, Global Reasearch, 25 février 2015

Traduction, Alexandra Cyr

Elles sont choquantes parce que ce rapport révèle que le Premier ministre israélien, M. Nétanyahu, a passé des années à tenter de convaincre la communauté internationale et les Israéliens-nes que Téhéran était en voie de développer une bombe nucléaire. Toutes les preuves présentées par ses propres agences d’espionnage allaient pourtant dans le sens contraire.

Elles sont aussi peu surprenantes parce que déjà en 2011, toute la communauté israélienne de sécurité criait aussi fort que peuvent le permettre les services secrets, qu’on ne pouvait pas faire confiance à M. Nétanyahu quant aux politiques envers l’Iran.

Cette fuite n’a pas qu’une portée historique. M. Nétanyahu tente à nouveau d’effrayer avec la menace que représenterait l’Iran alors que les négociations entre ce pays et les nations occidentales avancent. Il veut les miner.

La fuite a été confiée aux journaux Al-Jazeera et The Gardian (en Angleterre). Ils nous apprennent qu’en 2012, le Mossad arrivait à la conclusion que Téhéran : « ne faisait rien de ce qui est nécessaire pour produire une arme nucléaire ». À ce moment-là, il était de notoriété publique que le Premier ministre israélien militait pour une attaque militaire contre l’Iran. Il avait brandi le dessin d’une bombe devant l’assemblée des Nations-Unies à New-York. Il soutenait que l’Iran pouvait développer une arme nucléaire en moins d’un an. Il demandait que la communauté internationale agisse sur le champ.

De son côté le Mossad estimait que l’Iran possédait une quantité limitée d’uranium enrichi à 20% bien loin des 93% nécessaire pour créer une bombe. Téhéran a toujours assuré que ses plans ne visaient qu’à produire de l’uranium de basse intensité à des fins de production d’énergie civile. Cela respectait le Traité de non prolifération qu’il a signé.

En 2012, le New-Times rapportait que le Mossad et les États-Unis partageaient la même évaluation du programme nucléaire iranien. Dans les fuites actuelles on peut lire qu’un officier américain de haut rang déclare : « Il n’y a guère de contradiction entre les services de renseignements israéliens et américains ».

Plus tôt, en 2007, un rapport d’une agence de renseignements américaine suggérait que l’Iran avait abandonné tout effort pour développer un programme nucléaire à des fins militaires au cours des années précédentes. Et qu’il n’entendait pas essayer de le remettre en marche.

Le rôle des médias,

Les médias israéliens ont peu fait état de ces fuites cette semaine. Cela pourrait pourtant nuire considérablement au Premier ministre qui est au beau milieu d’une campagne électorale. Ses adversaires en ont peu parlé également. Cela est d’autant plus surprenant que M. Nétanyahu devrait reprendre sa campagne de peur de 2012 alors qu’il doit s’adresser au Congrès américain la semaine prochaine. Il espère miner les négociations entre l’Iran et les États-Unis en vue d’arriver une entente à propos du futur programme nucléaire iranien.

Le fait que M. Nétanyahu ait pris ce rendez-vous avec le Congrès sans passer par la Maison Blanche a mis M. Obama en fureur. Leurs relations sont au plus bas depuis aussi loin qu’on se souvienne.

Cette semaine, on a aussi su que M. Nétanyahu avait aussi omis de consulter son conseiller national en sécurité, M. Yossi Cohen. C’est lui qui supervise les relations stratégiques israéliennes avec l’étranger. Il est en poste depuis 2013 et a été membre du Mossad pendant 30 ans.

Pour justifier leur peu de réactions, les analystes israéliens de la sécurité invoquent le fait que le Mossad estimait qu’Israël et les États-Unis en 2012, étaient plutôt d’accord sur les déclarations publiques de M. Nétanyahu. Les deux pays étaient d’accord pour dire que l’Iran voulait développer la bombe. Ils différaient sur le rythme auquel le pays voulait le faire et donc sur le moment où il y arriverait.
Un argument peu convaincant,

Cette semaine, M. Yossi Melman, un journaliste spécialisé en matière sécuritaire, a écrit dans le Jérusalem Post : « Ce n’est plus un secret que le Mossad et les services de renseignement militaires israéliens, maintenant ou dans le passé, ne partagent pas les mises en garde exprimées par le Premier ministre ».
Donc, à quelles sources M. Nétanyahu se fie-t-il s’il ne fait pas confiance à ses propres services de renseignements ? Comme le Mossad estimait qu’il y avait convergence entre eux et les Américains, il semble bien qu’il ne recevait pas d’avis contradictoires de ce côté.

Le document du Mossad rendu public, dément la déclaration du Premier ministre devant les Nations Unies à l’effet que l’Iran tentait de fabriquer une bombe nucléaire. Il soutient que le programme d’énergie civile que l’Iran déclare vouloir développer peut lui donner les capacités de passer à un programme militaire en peu de temps. Cela est vrai à sa face même. Toutes avancées de quelque pays que ce soit puisse avoir pour développer les technologies nucléaires à des fins pacifiques l’aide à se rapprocher du moment où il pourra passer à la fabrication de la bombe. Le débat a toujours porté sur la question de savoir si l’Iran ferait ce virage. M. Nétanyahu insiste pour dire que c’est le but des Iraniens. Le rapport du Mossad laisse entendre qu’il n’existe pas de preuves pour aller aussi loin.

À ce moment-là, la vitesse d’enrichissement de l’uranium devient l’étalon avec lequel on peut raisonnablement interpréter les agissements iraniens. Le Mossad est convaincu que la vitesse d’enrichissement iranien ne peut susciter de telles préoccupations.

Une querelle vicieuse

Ce qui ressort de plus intéressant du rapport du Mossad, est le portrait qu’il fait de la conjoncture dans la communauté du renseignement et de la sécurité en Israël qui donne une certaine compréhension de la querelle viciée qui se passe entre elle et le Premier ministre israélien. Cela dure depuis quatre ans. Empêchés de s’exprimer directement, les membres de ces services confient aux officiers sortant de leurs rangs, le soin de transmettre leurs messages.

L’exemple le plus visible est celui de Meir Dagan. Depuis qu’il a quitté le Mossad en décembre 2010, il bataille publiquement avec M. Nétanyahu. Cela veut dire plus d’un an et demi avant les fuites du rapport du Mossad. En janvier 2011, soit un mois après avoir quitté le Mossad, M. Dagan a qualifié les propos de M. Nétanyahu de : « la déclaration la plus stupide que j’ai jamais entendue ». M. Ephraïm Halevy, prédécesseur de M. Dagan, a lui aussi appelé à considérer que l’Iran ne présente pas de menaces existentielles contre Israël comme le proclame M. Nétanyahu et qu’une attaque contre ce pays pourrait endommager la région pour une centaine d’années.
M. Yuval Diskin qui a quitté les services de renseignements intérieurs, le Shin Bet, en 2011, s’est joint au concert. Quelques mois avant le discours de M. Nétanyahu aux Nations-Unies, il l’a accusé, ainsi que son ministre de la défense, M. Ehud Barak qui soutenait également l’idée d’attaquer l’Iran, d’avoir des positions populistes qui reposent sur l’action d’un sauveur divin. Et il ajoutait : « Ce sont ces gens que je ne voudrais pas voir au pouvoir si un tel événement survenait. Ils trompent le peuple à propos du problème iranien ».

La capacité de jugement de M. Nétanyahu dans des situations critiques a aussi été remise en question dans un article du quotidien Haaretz à l’été 2012, peu avant son discours aux Nations-Unies. L’article rappelait qu’en 1998, M. Nétanyahu avait ordonné l’utilisation d’armes nucléaires pour la première fois dans toute l’histoire d’Israël. Cela s’adressait à l’Irak de Sadam Hussein qui avait lancé des missiles sur Israël en riposte aux sanctions et à la zone interdite de vols que lui avait imposées l’Occident. Selon Haaretz, l’ordre fut retiré après que trois généraux lui ait fait entendre raison. Il semble que l’incident était bien connu des correspondants militaires israéliens à l’époque. L’un d’entre eux a écrit un article pour réclamer une loi qu’il a appelée « du bouton rouge » soit adoptée pour qu’aucun premier ministre n’ait le pouvoir absolu en cette matière à l’avenir.

La pensée magique,

Néanmoins, la pensée magique qui règne dans les services de renseignements a probablement rendu l’image d’un Nétanyahu émotif et instable peu fiable.
M. Dagan et l’élite des services de sécurité israéliens n’étaient pas opposés à une attaque contre l’Iran. Ils s’opposaient à l’idée que soutenait M. Nétanyahu d’y aller seul. Ils craignaient de ne pas réussir à détruire le programme nucléaire iranien et que cela ne pousse l’Iran à se décider à fabriquer la bombe atomique. Ils voulaient que les États-Unis dirigent quelque attaque que ce soit contre l’Iran.
On suspectait que M. Dagan et les autres membres de la communauté de la sécurité et du renseignement n’aient pas rompu avec M. Nétanyahu mais qu’ils tentaient de l’aider à tromper les Israéliens-nes et les Américains-nes dans un jeu de bon policier et de ripou, (good cop, bad cop). Si on se place dans cet éclairage, les critiques de M. Dagan visaient à suggérer à Washington que M. Nétanyahu était un électron libre qui pouvait lancer seul une attaque contre l’Iran en entrainant des conséquences désastreuses. Cela pouvait inquiéter suffisamment les Américains pour qu’ils agissent ou encore pour qu’ils imposent de dures sanctions à l’Iran pour empêcher le Premier ministre israélien d’agir. Ils ont de fait, appliqué plus tard cette dernière option.

Il se peut que cela ait été un plan israélien, mais les fuites actuelles semblent confirmer l’hypothèse qu’il a bien une guerre entre M. Nétanyahu et ses directions de services de sécurité et de renseignement.

Il existe une autre fuite. Cette fois il s’agit d’un message confidentiel de l’ambassade américaine (en Israël) qui a été publié par Wikileaks en 2010. On y lit que M. Dagan a informé les hautes autorités américaines que des actions secrètes, dont de l’aide à des groupes minoritaires pour qu’ils renversent le régime, des actions pour dégrader les installations nucléaires, suffiraient à limiter le programme nucléaire iranien pour longtemps.

Qu’une situation aussi embrouillée, sans précédent, à propos d’un enjeu considéré par le peuple israélien comme existentiel, soit rendue publique ne peut que nuire aux intérêts nationaux du pays. Le public israélien aura du mal à faire confiance à ses dirigeantse-es. L’Iran sera rassuré de voir que la défense d’Israël n’est pas totalement unifiée. Washington se retrouvera en opposition avec Israël pour ce qui concerne la question iranienne.

Mais il semble bien que l’actuelle friction entre Ms Obama et Nétanyahu fasse encore plus de mal aux relations particulières entre les deux pays.

Jonathan Cook

Écrivain et journaliste britannique indépendant, basé à Nazareth. Lauréat du prix spécial Martha Gellhorn pour le journalisme. Auteur de trois livres sur le conflit israélo-palestinien : Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish State (2006) ; Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (2008) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (2008).

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