Les exemples en sont innombrables et pourraient être ramenés à deux idées centrales : plutôt que de chercher à prévenir on préfère punir ; et plutôt que s’employer à changer les choses, on se contente d’en soigner les apparences.
La société néolibérale d’aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle est littéralement schizophrénique, se référant en permanence à des valeurs (l’égalité, la liberté, la démocratie, etc.) qu’elle foule aux pieds quotidiennement, notamment suite aux logiques de concurrences et de guerres économiques qui sont en son coeur même.
D’où, via l’univers médiatique grandissant et les logiques du spectacle qui l’accompagnent, son souci exclusif du paraître et de se couler dans les seules logiques de l’apparence (par exemple tel ministre conservateur ou libéral féminisera attentivement son discours tout en coupant ou réduisant les subventions accordées aux groupes de femmes).
D’où cette curieuse mode des grands mea-culpa collectifs prononcés par des personnalités politiques mais qui sont sans incidences réelles sur la réalité d’aujourd’hui (par exemple les pardons du pape pour Auschwitz ; ceux de Jacques Chirac pour la traite de noirs, etc.).
D’où cette scission permanente entre l’éthique (survalorisée et renvoyant à la faute individuelle dans laquelle on prendra plaisir à se vautrer ) et la politique (dévalorisé et dont on se gardera bien de réformer quoi que ce soit ; pensez par exemple, en cette période électorale à la question du scrutin proportionnel !).
D’où aussi —selon la fameuse formule de Nietzsche— "ces fureurs insensées du ressentiment" courant à fleur de pages des grands médias, en somme cette obsession collective de punir, pathétique ersatz de justice. En d’autres temps et selon d’autres contours, on appelait cela la double morale ou l’hypocrisie bourgeoise.
C’est dans ce contexte qu’il faut tenter de comprendre l’affaire Cantat (car c’est bien devenu une affaire !)
Qui nous fera croire que les réactions de l’ADQ, des fonctionnaires conservateurs ou d’Hydro Québec aient quelque chose à voir avec l’émancipation des femmes et les inégalités bien réelles auxquelles elles se heurtent aujourd’hui. Sans même parler à "Tout le monde en parle", des frasques de Serge Denoncourt suintant de partout la jalousie.
Et que des gens aussi bien intentionnés que Christine Pelchat du Conseil du Statut de la femme, Josée Boileau du Devoir ou même le très radical Dupui-Déry, en viennent à prendre position —d’une manière ou d’une autre— contre le projet de Wajdi Mouawad en dit long sur la prégnance de cette idéologie et la nécessité de combattre ce poison qu’est devenu le moralisme institutionnalisé.
Il n’y a rien de moins sûr que le féminisme —pour fleurir— doive revêtir les oripeaux de la rectitude politique !
Pierre Mouterde
Auteur : La gauche en temps de crise, Contre-stratégie pour demain, Montréal, Liber 2011