Édition du 23 avril 2024

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Vers le sommet sur l’éducation supérieure

Bilan des Journées de « L’éducation pour faire société »

Les 26 et 27 octobre derniers eurent lieu à l’UQAM des Journées de l’éducation, sous le titre « L’éducation pour faire société », organisées par un comité issu du réseau Profs contre la hausse. Le programme détaillé est toujours disponible sur leur site[1]. Le présent bilan a pour but de faire ressortir les grandes orientations qui s’y sont dessinées lors de la conférence d’ouverture et des tables-rondes afin de poursuivre la réflexion sur le type d’éducation souhaité.

Organiser ces journées avec une douzaine de profs tant de cégeps que d’universités[2] fut une occasion rare et fort agréable de travailler entre collègues de ces deux niveaux d’études. L’expérience est à rééditer et l’appellation Journées de l’éducation démontre bien l’énergie qui nous anime toujours : l’espoir que ces journées deviennent récurrentes comme celles des Journées de la culture. Une affinité d’idées nous a vite permis de cibler les enjeux sur lesquels nous voulions réfléchir : les dérives marchandes du système de l’éducation actuel qui nuisent à un projet éducatif démocratique. Le titre de ces journées « L’éducation pour faire société » était une façon de lancer la réflexion sur l’importance du type d’éducation que nous souhaitons pour mieux vivre ensemble. Le présent bilan fait ressortir sept idées phares.

« Sortir le privé du public. » Depuis une trentaine d’années, l’idée, selon laquelle le privé est mieux que le public, s’est imposée. C’est ainsi que l’école publique imite de nos jours le caractère clientéliste, élitiste et sélectif du secteur privé. Le sociologue Guy Rocher posait la question : Comment sortir de cette conception dominante et redonner à l’école sa place et son caractère public ? Dans le même ordre d’idées, Isabelle Bouchard, du comité École et société de la FNEEQ, soulignait trois exemples de privatisation de l’éducation. D’abord, la place qu’occupent les fondations dans les institutions scolaires qui reçoivent plus de 20 % du secteur privé pour financer des projets et de l’équipement. Ensuite, environ 75 % des services de cafétéria, sécurité et entretien dans les cégeps sont désormais gérés par le privé. Enfin, les cégeps sont de plus en plus dépendants de matériels conçus par des entreprises privées notamment des logiciels. N’y a-t-il pas là un assujettissement de l’éducation à l’entreprise privée ?[3]

« L’école est politique. » En raison de la mentalité commerciale qui imprègne désormais l’éducation, il est difficile de se rendre compte que l’école est un des lieux où se construit le projet d’une société. Pour résister à la mondialisation et à l’uniformisation de l’éducation, il importe, selon Guy Rocher, de renforcer le caractère national de l’éducation. Une école nationale n’est pas une école ethnique. Tout en étant porteuse d’un savoir universel, elle sait enseigner l’histoire et la culture nationales. Ce caractère national se comprend notamment par une implication et un contrôle des institutions par sa population.

« Place à des politiques familiales en éducation supérieure. » Certes les femmes ont grandement profité de la démocratisation du système d’éducation des années 1960. Toutefois, Martine Desjardins mentionnait qu’aujourd’hui les femmes mères peuvent difficilement concilier famille et éducation notamment à cause du manque de place en garderie et des horaires de cours peu flexibles.

« Nous sommes des intellectuels, pas des cerveaux d’œuvre. » Pour le sociologue Gilles Gagné, l’université forme de moins en moins des professionnels capables de s’approprier, en les intériorisant, les normes de leur discipline, que des exécutants qui répondent à des commandes. L’artisan, lors de l’industrialisation, a perdu le contrôle sur sa production en devenant un ouvrier, une main d’œuvre au service du capital. Au tour de l’intellectuel aujourd’hui de devenir un cerveau d’œuvre.[4] N’est-il pas temps de réhumaniser l’école ? Dans ce sens, Martine Desjardins soulignait que l’étudiantE est davantage un matricule, un numéro, un client qu’un nom doué d’un esprit libre et critique.

« L’enseignement relève d’une relation pédagogique qui ne peut être évaluée. » Alors que la performance universitaire est évaluée à l’aune du nombre de subventions de recherche et de publications, la sociologue Marianne Kemperneers affirmait que la mission première des universités, l’enseignement, est devenue secondaire alors que les carrières universitaires sont dominées par des diktats d’efficience, d’excellence et de reddition de comptes.

« Une science au service de la décroissance scientifique. » Hervé Philippe, chercheur de la Chaire de recherche du Canada en bioinformatique et génomique évolutive, a lancé un réel pavé dans la mare en prônant non seulement une décroissance économique mais une science de la décroissance pour le bien de la planète. Pour lui, la recherche, par les critères de financement imposés, ne permet plus d’améliorer la vie en société, ne vise plus le bienêtre collectif. De plus, le chercheur se compare désormais à un autiste puisqu’il est coupé de la relation pédagogique en ayant souvent une décharge le dispensant d’enseigner et que l’hyperspécialisation de ses travaux l’amène à échanger qu’avec un nombre réduit de collègues.[5]

« Combattre l’assurance qualité en éducation ! » L’électrochoc nous a été donné par Gabriel Nadeau-Dubois qui nous a servi un brillant plaidoyer sur les dangers de l’assurance qualité qui vise à identifier les échanges internationaux entre universités en créant un marché international de l’éducation. L’assurance qualité, c’est le ISO 9001 pour mesurer, gérer et garantir la qualité. Depuis la déclaration de Bologne en 1999 en Europe, une instance supranationale est en train de se créer qui veut assurer contrôle et uniformisation de l’enseignement conçu comme autant de « contenus » équivalents au détriment de la liberté professionnelle et de projets éducatifs nationaux. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’étude effectuée par Éric Martin.[6]

En conclusion, la grève étudiante contre la hausse des droits de scolarité a entrainé une réflexion beaucoup plus large sur la marchandisation de l’éducation et les Journées de l’éducation en ont exprimé un vibrant témoignage. Maintenant, n’est-il pas temps d’examiner, au sein même de nos institutions, la place que prennent ces sept caractéristiques ? Plusieurs questions mériteraient d’être posées. À titre d’exemples, nos pratiques servent-elles davantage à répondre à des exigences de performance qu’à développer un enseignement libre et autonome ? Jusqu’à quel point nos pratiques, depuis plus de vingt ans, sont-elles engagées dans les voies de cette assurance qualité ?

Au collégial, cette assurance qualité est déjà « assurée » par la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) depuis le milieu des années 1990. Cette commission qui « […] déposera en décembre 2012 sa candidature dans le cadre du programme Guidelines and Good Practices (GGP) de l’International Network for Quality Assurance Agencies in Higher Education (INQAAHE) pour faire reconnaître que ses pratiques, depuis ses débuts, sont d’excellentes pratiques. »[7] Enfin, sachez que le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a déposé en février 2012 un rapport dont le titre trace bien l’orientation que l’État veut prendre : L’assurance qualité à l’enseignement universitaire : une conception à promouvoir et à mettre en œuvre. Elle semble sournoise cette assurance qualité puisqu’elle s’est immiscée en éducation comme un cheval de Troie. En espérant que nous saurons trouver son talon d’Achille.

Jean-Pascal Larin

Profs contre la hausse

Johanne Paquin

Profs contre la hausse

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