Édition du 30 avril 2024

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Chinaleaks

Manifestement, il est plus facile aujourd’hui pour le pouvoir chinois de contrôler l’Internet que de réformer son système de gouvernance. Hier, quelques heures avant la mise en ligne du dossier "ChinaLeaks", le réseau Internet a connu en effet des perturbations majeures en Chine. L’accès notamment au site de l’ICIJ, le Consortium international des journalistes d’investigation à l’origine de ces révélations s’est retrouvé bloqué, tandis que ceux de plusieurs grands quotidiens internationaux associés à la publication du dossier, LE MONDE, THE GUARDIAN et EL PAIS, étaient plus subtilement caviardés, l’accès aux seules pages évoquant le fameux rapport étant tout simplement impossible.

(tiré de France Culture)

Le rapport, diffusé dans la nuit de mardi à mercredi, heure française, rapport révélant que les familles de dirigeants chinois sont impliquées dans des affaires d’argent caché, n’étaient d’ailleurs toujours pas paru ce matin à la Une du site du CHINA DAILY. Quant au fait de savoir pourquoi une coupure a subitement affecté pendant plusieurs heures hier l’Internet en Chine, le journal se contente de donner l’explication fournie jusqu’à présent par les autorités elles-mêmes, lesquelles soupçonnent des pirates informatiques.

Il faut dire que dès la publication de ce rapport à l’extérieur de la Chine, non seulement le Bureau national d’information sur Internet a aussitôt fustigé le battage médiatique de la presse étrangère, mais exigé également le silence sur cette affaire de la part de tous les médias chinois.

Et c’est ainsi que sur la toile chinoise cette affaire n’existe tout simplement pas. Sur la plateforme de microblogging Sina Weibo, notamment, une page blanche s’affiche actuellement en réponse aux recherches du mot "offshore" ou "princeling" (les princes rouges). Quant au quotidien de Hong Kong MING PAO, cité ce matin par le Courrier International, il affirme de son côté qu’un média chinois qui avait participé au départ à l’investigation s’est retiré au bout de quelque mois, faisant état de menaces de la part du gouvernement. En revanche, on ignore de quel journal il s’agit.

En avril dernier, « Offshore Leaks » avait analysé les documents contenus dans un disque dur reçu par un journaliste d’investigation australien et issus de deux sociétés offshore, l’une à Singapour et l’autre dans les Îles Vierges britanniques. Le nom de plusieurs personnalités liées à des sociétés basées dans ces deux paradis fiscaux avait ainsi déjà été révélé et notamment, on s’en souvient, le trésorier de la campagne de François Hollande. Et puis plus rien. Jusqu’à ce qu’avant hier donc, l’opération ne dévoile les conclusions de son enquête sur la Chine. Et qu’y découvre-t-on ? Que les familles des plus hauts dirigeants chinois dissimulent grâce à des sociétés « offshore », une partie de leurs immenses fortunes dans les îles Vierges britanniques. Des sociétés établies au nom de nombreux « princes rouges » : le beau-frère du président et chef du Parti communiste Xi Jinping, le fils et le gendre de l’ex-premier ministre Wen Jiabao, le cousin de l’ex-président Hu Jintao, la fille de l’ex-premier ministre Li Peng et le gendre de l’ancien numéro un Deng Xiaoping.

Mais si l’enquête montre qu’il y a bel et bien collusion entre pouvoir et argent au plus haut niveau en Chine, en revanche écrit LE TEMPS de Genève, elle parle un peu vite de corruption, dit-il, alors que le simple fait de posséder une société dans un paradis fiscal n’est pas, en soi, répréhensible. Et le journal d’ajouter que les investigations publiées l’an dernier par le NEW YORK TIMES sur les immenses fortunes des familles de Wen Jiabao et Xi Jinping étaient, elles, beaucoup plus probantes. Basées sur des documents officiels chinois irréfutables, elles ont établi que la famille du président Xi Jinping disposait d’un patrimoine d’au moins 291 millions d’euros et que celle de l’ex-premier ministre Wen Jiabao était à la tête d’une fortune de plus de 2 milliards d’euros.

Et pourquoi cette nuance ? Sans doute parce que l’enquête révèle notamment les liens secrets entre l’élite chinoise et plusieurs banques occidentales et en particulier des établissements helvètes. D’où d’ailleurs cette précision apportée encore par son confrère de LA TRIBUNE DE GENEVE, qui rappelle lui que la France aurait falsifié les listes de ses propres évadés fiscaux, en éliminant environ 3300 noms, citant là des informations parues hier sur le site financier AGEFI.

Quoi qu’il en soit, cette enquête est bien de nature, a priori, à cristalliser un peu plus encore aujourd’hui le mécontentement de la population chinoise contre ces cadres communistes, lesquels affichent leurs idéaux populaires tout en fermant les yeux quand leurs proches utilisent leur pouvoir et leur influence pour s’enrichir. Et c’est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle certains Chinois bravent à présent la colère des autorités, en les interpellant sur la corruption. S’appuyant sur Internet, le Mouvement des nouveaux citoyens, notamment, qui réunit des organisations de la société civile, milite ainsi pour une plus grande transparence. Sauf que là encore, le gouvernement n’a pas tardé à réagir. Le fondateur du mouvement a été arrêté ainsi que plus d’une vingtaine de membres. Et coïncidence ou pas, le procès de ce militant s’est tenu hier.

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