Édition du 14 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Comment débloquer l’impasse canadienne ?

Lors de précédentes chroniques, nous avons fait un bref constat d’une scène canadienne peu encourageante, dominée par l’ascendant du projet « révolutionnaire » de droite de Stephen Harper. Certes, un retour du PLC au pouvoir serait un peu un baume, mais en regardant ce qu’a fait ce Parti pendant les longues années qu’il a été au pouvoir, on ne peut pas s’attendre à grand-chose. Reste l’énigme du NPD, plus souvent qu’autrement incapable de constituer un véritable pôle d’attraction au centre-gauche.

Que peut-on faire donc ? À un premier niveau, les mouvements populaires du Québec et du Canada doivent reconstruire des relations de solidarité. Or depuis des décennies, les rapports sont minimalistes. Dans les organisations syndicales pancanadiennes, une sorte de « souveraineté-association » prévaut. Dans ses aspects positifs, ce pacte a « libéré » les syndicats québécois de toute ingérence. Dans ses aspects négatifs, il a entravé l’élaboration de stratégies communes. À part quelques syndicats comme le Syndicat des travailleurs et travailleuses de postes et l’Alliance de la fonction publique, bien peu ont œuvré ensemble pour faire face aux assauts du patronat et de l’État. Du côté des organisations féministes, populaires et étudiantes, on observe des gestes ou des déclarations de solidarité, mais peu d’efforts pour établir un agenda ensemble. Un peu plus a été fait du côté des mouvements écologistes, mais il n’en reste pas moins qu’il y a encore des réalités distinctes.

De manière générale, le mouvement populaire au Québec a agi comme si le Québec était pratiquement un État indépendant, comme si l’État fédéral était un « ailleurs » ou un « en attendant ». Je ne veux pas dire par là que la convergence entre les luttes populaires et la revendication pour l’autodétermination était une « erreur ». Je veux simplement dire qu’il faudrait tenir compte du fait que l’espace politique « réellement existant » est déterminé par une réalité qui s’appelle l’État fédéral, d’où l’importance de déterminer des stratégies aptes à défendre les intérêts populaires à cette échelle-là, aussi.

Cependant, il faut constater le peu d’appétit de la part des mouvements populaires canadiens à de réelles convergences. Cet « autisme » découle d’une fracture profonde dans la conscience populaire canadienne face aux droits nationaux québécois. L’indifférence a des racines, comme dans l’incapacité des Rebelles de 1837-38 de relancer la lutte républicaine au-delà de la rivière Outaouais. On pourrait ajouter à cela le non-appui aux revendications nationales du Québec à travers les luttes des 40 dernières années. Il ne faut pas se le cacher, une grande partie de la population au Canada, y compris des gens impliqués dans les mouvements populaires, est indifférente à la question québécoise, quand elle n’est pas coincée par de gros préjugés entretenus par les médias-poubelles qui présentent les Québécois comme une bande de braillards, de paresseux et de corrompus.

Il y a en ce moment un projet qui pourrait aider à débloquer la situation autour de l’idée de mettre en place un Forum populaire du Québec, du Canada et des Premières Nations. C’est une idée qui avait été mise sur la table il y a 10 ans par des groupes québécois (dont Alternatives) et canadiens (le Forum social de Toronto notamment). Maintenant que la menace de droite est devenue évidente, on s’interroge. Un facteur qui peut être positif est la remobilisation des Premières Nations autour des luttes pour la dignité animée par Idle No More. Aussi, des rencontres préliminaires ont eu lieu ces derniers mois pour établir les paramètres d’un grand dialogue entre tous les mouvements populaires. C’est idéaliste, mais dans le bon sens du terme, surtout si ce processus est apte à mobiliser les grandes organisations canadiennes.

Chose certaine, il faut entreprendre cette « longue marche », et ce n’est pas seulement pour résister à Harper, car quel que soit l’évolution politique des prochaines années, il ne peut y avoir une avancée réelle des mouvements populaires au Québec sans cette solidarité avec les autres nations. En attendant, il est nécessaire de faire des petits pas pour briser la glace. La lutte contre le massacre de l’assurance-emploi, qui a mobilisé au Québec et au Nouveau-Brunswick, devrait s’étendre au moins à l’Ontario. On pourrait dire la même chose des batailles en cours ou à venir, dans le domaine de l’éducation par exemple, et où les assauts contre l’accès et l’universalité sont étrangement similaires au Québec et en Ontario.

Sur le plan politique, il faut au Québec tenir compte du fait que plusieurs secteurs progressistes au Canada continuent d’être attachés au NPD. Des députés et des membres du NPD affichent des positions progressistes, mais aussi leur volonté de reconstruire des liens entre le Canada et le Québec basés sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination du Québec. Si Thomas Mulcair rêve de « recentrer » le NPD et parvenir au pouvoir par des manœuvres et compromis inavoués et inavouables, cela ne veut pas dire qu’il faut exclure la base de ce parti comme acteur du changement et de la solidarité. Des dialogues entre les éléments progressistes du NPD et des mouvements populaires et politiques québécois (y compris QS) pourraient peut-être identifier comment lutter ensemble.

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