Édition du 23 avril 2024

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Éducation

D’autres chiffres pour parler des universités

L’auteur est professeur à l’UQAM et codirecteur de l’ouvrage collectif Les universités nouvelles (à paraître aux PUQ en novembre).

L’ancien recteur de l’Université de Montréal, devenu émérite, monsieur Robert Lacroix, a raison de sortir de sa retraite pour contribuer au débat public sur le financement des universités en rappelant que l’étude de la CREPUQ (Conférence des recteurs et principaux d’université du Québec) de 2002, « mise à jour » en 2010, a affirmé que les universités québécoises étaient sous-financées de plusieurs centaines de millions de dollars par année.

Étant moi-même professeur d’université, je comprends que la tentation soit forte de se joindre au discours martelé par certains recteurs qui répètent, à satiété, qu’il y a sous-financement en comparaison du reste du Canada et que notre « compétitivité » serait même en péril si on ne comblait pas rapidement ce sous-financement, dont la démonstration reste pourtant nébuleuse. Ils l’estiment d’ailleurs si évident qu’il serait même inconvenant, sinon absurde, de simplement vouloir le remettre en question. Mais il faut résister à la tentation, car le premier devoir d’un professeur est de garder en éveil son esprit critique et d’analyser les phénomènes sous plusieurs angles avant de conclure de façon tranchée.

Or, le ministère de l’Éducation (laissons de côté le Sport et le Loisir pour faire court…) a publié en mars 2011 un Bulletin statistique (no 40) très intéressant qui analyse en détail la structure des revenus et dépenses des universités québécoises et canadiennes. En utilisant les mêmes sources de données que la CREPUQ, il arrive à des conclusions assez différentes. En effet, tenant compte de corrections structurelles et du coût de la vie relatif entre les provinces (via la parité du pouvoir d’achat), cette étude conclut que, pour l’année 2008-2009 (les dernières données disponibles), la « dépense par étudiant dans les universités est, au Québec, plus élevée de 3 % par rapport à la moyenne du reste du Canada ».

Au chapitre des revenus, l’étude conclut que « lorsqu’on tient compte à la fois des différences structurelles et du coût de la vie, il apparaît que le revenu par étudiant dans les universités est au Québec sensiblement le même que dans la moyenne du reste du Canada ». De plus, la même année, le salaire moyen par professeur est identique au Québec et dans le reste du Canada en tenant compte de la parité du pouvoir d’achat, précaution méthodologique élémentaire pour comparer des comparables.

Mais si parler de financement est important, parler d’efficience l’est encore davantage. Or, si le sous-financement était aussi flagrant et datait du milieu des années 1990, cela devrait se répercuter sur la qualité des programmes et de la recherche. Pourtant, rien ne suggère que les étudiants soient mal formés tant au premier cycle qu’aux cycles supérieurs.

Mieux, les indicateurs de la recherche suggèrent plutôt que l’on est plus efficient que les autres, ce qui devrait être une bonne nouvelle ! En effet, la proportion des octrois de recherche obtenus par les universités québécoises des Fonds fédéraux de recherche, par rapport aux octrois obtenus par l’ensemble des universités canadiennes, reste très stable autour de 26,7 % depuis l’an 2000, avec des fluctuations maximales de 0,5 % sur toute la décennie. La population du Québec représentant 23,6 % (en 2011), les résultats obtenus par les universités québécoises sont donc toujours supérieurs à notre poids démographique, et ce, de façon constante depuis plus de dix ans. Quel économiste reprochera à une firme de produire à moindre coût (s’il y avait sous-financement !) un « produit » de qualité comparable !

On le voit, les choses ne sont pas aussi simples que le prétend monsieur Lacroix, qui, à titre de président de la CREPUQ, concluait sa présentation sur le sous-financement des universités devant la commission permanente sur l’Éducation (le 17 février 2004) en disant au gouvernement : « Envoyez-nous le chèque, 375 millions. »

Malgré le respect que l’on doit à toute personne émérite, on peut tout de même penser que le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur a tout à fait raison de se méfier des arguments d’autorité et de prendre le temps de réévaluer sérieusement ces diverses études avant de signer le chèque tant attendu. Car contrairement à ce qu’annonce la publicité récente des comptables, le dernier mot n’est jamais un chiffre, car un chiffre doit toujours être interprété ; or certaines hypothèses de calcul sont parfois lourdes de préjugés ou d’idéologie…

Yves Gingras

Professeur à l’UQAM et codirecteur de l’ouvrage collectif Les universités nouvelles (à paraître aux PUQ en novembre)

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