Édition du 23 avril 2024

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Europe

Dans la « manif pour tous », le « peuple de droite » et d'extrême droite

« Devant une manifestation aussi gigantesque, Hollande devrait avoir la sagesse de reculer comme Mitterrand en 1984 », a estimé Nadine Morano, sur Twitter. Rééditer 1984, c’est précisément ce qu’attendent depuis plusieurs mois des militants et sympathisants de droite. « Ce sera comme avec l’école libre en 1984 ! J’y étais ! On avait fait tomber Mauroy ! Cette fois, il faut faire tomber Ayrault », nous promettait un manifestant le 17 novembre, à l’issue de la première mobilisation des anti-mariage pour tous. À l’époque, un million de personnes (FN, RPR, UDF et réseaux catholiques) étaient descendues dans la rue pour la défense de l’école privée, faisant reculer le gouvernement socialiste.

tiré de Mediapart | 25 mars 2013

Il a fallu attendre la troisième manifestation nationale contre le projet de loi, dimanche, pour voir se former ce grand rassemblement des droites, qui dessine un “Tea Party” version française.

Une partie des opposants au Mariage pour tous rêvait d’un « printemps français » et comparait leur manifestation à celles qui ont eu lieu dans le monde arabe en 2011. De fait, l’ampleur du rassemblement de dimanche (300 000 personnes selon la police, 1,4 million selon les organisateurs) a surpris, à un moment où la mobilisation des anti semblait faiblir. Mais elle a aussi débordé : des centaines de manifestants ont essayé de forcer le barrage pour se rendre sur les Champs-Élysées – dont l’accès leur avait été interdit ; les forces de l’ordre ont répliqué avec des gaz lacrymogènes.

Sur sa une de lundi, Le Figaro parle de « nouvelle démonstration de force », à quatre jours de l’intervention sur France 2 de François Hollande. Mais qui a manifesté dimanche ? Le peuple de droite, le même que celui de la grande contre-manifestation gaulliste du 30 mai 1968, comme le pense Henri Guaino, ou bien une base radicalisée de la droite et de l’extrême droite ? Décryptage de ce mouvement hétéroclite.

Une récupération de l’ump

Lors des deux précédentes manifestations contre le projet de loi, Jean-François Copé avait tenté d’utiliser le combat des anti-mariage pour tous comme un levier de remobilisation de son électorat. Cette fois-ci, l’UMP a été plus claire encore, en transformant cette manif en rassemblement contre la politique du gouvernement. Le président de l’UMP avait invité ses militants, dans un courrier, à « participer en masse » à cette « grande manifestation populaire » « afin de montrer à ce gouvernement et à sa majorité qui méprisent tous les opposants à ce projet (...) que nous ne baissons pas les bras ».

Avec la mise en examen pour abus de faiblesse de Nicolas Sarkozy, jeudi soir, les proches de l’ancien président voient dans la manif une occasion de faire diversion. L’ex-conseiller spécial de Sarkozy, Henri Guaino appelle, vendredi matin, « à censurer le gouvernement dans la rue »

Dimanche, les ténors de l’UMP étaient donc encore plus nombreux à défiler. Autour de Jean-François Copé, le patron des députés UMP Christian Jacob, les ex-ministres Claude Guéant, Laurent Wauquiez, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui est carrément monté à la tribune, les députés Hervé Mariton (qui a porté le combat contre le mariage pour tous à l’Assemblée), Éric Ciotti, Lionel Tardy, Sébastien Huyghe, la déléguée générale adjointe de l’UMP Valérie Debord, l’ex-FN Jacques Bompard.

En amont de la manif, Frigide Barjot, qui a toujours martelé que son mouvement regroupait bien au-delà des étiquettes partisanes, faisait mine de prévenir toute récupération : « M. Guaino a sa vision. C’est la sienne. Je ferai taire tous les slogans contre le gouvernement. » Avant de déclarer, dans un curieux grand écart que relève Libération : « Il s’agit aussi de lutter contre les délocalisations et les usines qui ferment. Quand on déstructure l’être humain, on déstructure la société ». Lundi, ce rassemblement « au ton plus social et plus politique » ne semblait plus lui poser problème. Les gens y ont été « sensibles », a-t-elle expliqué. Comment ne le seraient-ils pas, alors que le président reste sourd aux appels, semant la discorde civile et la crise sociale ? Ce virage peut s’accentuer. Nous pouvons faire encore mieux la prochaine fois. »

Un mouvement radicalisé

Ce mouvement a recruté bien au-delà des rangs de l’UMP et de la quarantaine d’organisations du monde catholique composant les deux précédentes manifestations. « La géographie de la mobilisation était cantonnée aux catholiques traditionalistes, aux bataillons de la droite dans l’ouest parisien et les départements alentour », explique le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. Mais dimanche, le mouvement s’est « élargi » et « radicalisé » : « Il n’est pas à l’agenda des militants catholiques traditionalistes de s’intéresser aux conflits sociaux », relève-t-il.

Cette radicalisation s’explique en partie par la présence de l’extrême droite. Comme lors des précédentes manifs, le FN – représenté par Gilbert Collard, Marion Maréchal Le Pen, Bruno Gollnisch – a défilé au côté de l’UMP. Mais pas seulement. Des militants issus de groupuscules d’extrême droite, qui, les fois précédentes, avaient manifesté avec les intégristes de Civitas, ont défilé dimanche au côté de la “Manif pour tous”. « Ce point d’organisation est important. Il y avait deux cortèges les fois précédentes, et plus qu’un dimanche. Des militants radicaux se sont retrouvés dans le même cortège », explique Jean-Yves Camus.

Mais aussi des groupuscules antisémites et pétainistes, comme Renouveau français, l’Œuvre française d’Yvan Benedetti, ou encore les Jeunesses nationalistes menées par Alexandre Gabriac, conseiller régional Rhône-Alpes exclu du FN pour un salut nazi :

Ces militants radicaux étaient nombreux parmi les centaines de manifestants qui ont essayé de forcer le barrage des CRS à proximité des Champs-Élysées. Bilan : quatre-vingt-dix-huit personnes interpellées, et six placées en garde à vue, notamment pour des violences sur les forces de l’ordre, selon le ministre de l’intérieur, pour qui « cette manifestation a à l’évidence échappé aux organisateurs » « Ils ont été débordés par des groupes extrémistes », a-t-il estimé.

Jean-Yves Camus s’étonne « de la timidité dans la présentation des événements ». « À aucun moment le mot d’“extrême droite” n’a été prononcé. On parle de “perturbateurs”, de “casseurs”, mais on ne dit pas qui ils sont, d’où ils viennent. »

Frigide Barjot s’est rapidement désolidarisée d’« excités » et de « casseurs », qui auraient volé des t-shirts du collectif « la manif pour tous ». Pourtant, les débordements n’ont pas été que le fait de militants radicaux. Alors qu’il était en train d’appeler les manifestants à ne pas céder à la « provocation », le député Hervé Mariton a lui-même été violemment bousculé par la foule. « Une attitude inédite dans les annales », assure Jean-Yves Camus.

Entre deux Marseillaises, certains ont crié des « Hollande, dictateur ! ». Un journaliste de France 2 a rapporté avoir vu « des familles qui allaient volontairement vers les forces de l’ordre » et croisé un père de famille qui mettait une écharpe autour du visage de son fils, âgé d’une dizaine d’années, pour se protéger des gaz. Pas trop dangereux ? « C’est cela aussi l’apprentissage de la vie », a estimé le père. « Vous nous prenez pour qui ? Bordel ! J’ai quatre gamins. Je suis français et vous me gazez ! » hurle un autre homme. « Salauds ! » crient des manifestants aux CRS.

Des débordements spontanés ? Sur Twitter, le journaliste du Monde Samuel Laurent relaie ce message envoyé via des mailing list paroissiales :

Le « refus de la légitimité d’un pouvoir de gauche »

Qu’est-ce qui a fédéré ces milliers de personnes issues des rangs de la droite et de l’extrême droite ? Leurs messages étaient multiples, dimanche.

Certains étaient venus pour dire non au mariage pour tous. D’autres pour s’opposer, plus largement, à la « politique familiale qui est attaquée dans notre pays » (dixit Nadine Morano). D’autres encore ont parlé logement et emploi. « On veut du boulot, pas du mariage homo » ou « Occupe-toi d’Aulnay, pas du mariage homo », pouvait-on lire sur des pancartes faisant allusion à la fermeture de l’usine de PSA. « Hollande démission ! » scandait la foule, en se présentant comme la « France oubliée » ou « bâillonnée ». « Les Français ont besoin de travail, les Français ont besoin de logements, ils n’ont pas besoin du mariage gay », a expliqué Christine Boutin, visiblement ravie de pouvoir étendre l’objet de la manifestation. Et l’ancienne ministre du logement d’affirmer : « Je dis au président de la République : si vous n’entendez pas le peuple de France, il va se révolter. »

Pour Jean-Yves Camus, « le peuple de droite n’a jamais admis la légitimité d’un pouvoir de gauche. C’est pour eux une usurpation. Il y a chez eux un refus de l’alternance et une peur que cela n’aboutisse à la décrépitude des valeurs fondamentales ». En témoigne la série d’attaques de l’UMP à l’encontre de la justice et de la police.

Ciblée par plusieurs affaires, et sonnée par la mise en examen de Nicolas Sarkozy, l’UMP s’en prend depuis jeudi aux magistrats (lire notre article). Dimanche, Nadine Morano a comparé l’affaire de Sarkozy à celle d’Outreau.

Henri Guaino a à nouveau attaqué, lundi, dans Le Figaro, le juge Jean-Michel Gentil : « Le juge, par cette accusation infamante, insultante contre Nicolas Sarkozy, a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier. »

L’UMP a aussi violemment dénoncé l’interdiction d’accès aux Champs-Élysées ainsi que l’usage de gaz lacrymogènes par les CRS, dimanche. Jean-François Copé a « demandé des comptes » à François Hollande. Henri Guaino a estimé qu’« en refusant les Champs-Élysées aux manifestants, le gouvernement s’est comporté de façon antirépublicaine », comparant la situation avec celle de la droite en 1968, « lorsque le peuple français s’est levé pour s’opposer à la destruction de toute la société ». « Est-ce qu’il est normal qu’on ait des forces de l’ordre dans la République qui tirent sur des familles et des enfants, s’est interrogé de son côté Laurent Wauquiez, y voyant « le reflet de la violence avec laquelle le gouvernement traite ce mouvement ». Assurant avoir été elle aussi « ciblée » par les forces de l’ordre, Christine Boutin a demandé la démission de Manuel Valls et du préfet de police.

Pour le politologue Jean-Yves Camus, « la police, la justice, les corps de l’État ne sont légitimes à leurs yeux que lorsqu’ils sont de droite. Être indépendant, c’est être de droite pour eux. »

Mais organisateurs de la manif et ténors de droite en sont persuadés, ce « mépris » du gouvernement va mobiliser davantage leurs troupes. Frigide Barjot a d’ailleurs annoncé une nouvelle mobilisation massive, « lorsque le texte reviendra à l’Assemblée, après le vote du Sénat ». Un autre organisateur espère, dans Le Figaro, que chômeurs et travailleurs précaires viendront grossir leurs rangs.

Le Front national en embuscade

Les résultats de la législative partielle dans l’Oise sont un autre indicateur du mécontement qui monte. Après avoir éjecté le PS au premier tour, le Front national a manqué de seulement 800 voix le siège de député au second tour, dimanche soir. La candidate frontiste, pourtant inconnue, récolte 48,59 % des suffrages, juste derrière l’UMP Jean-François Mancel, implanté depuis plus de trente ans dans le département. Surtout, elle engrange près de 6 000 voix supplémentaires entre les deux tours, contre 3 000 pour l’UMP.

Une occasion pour la présidente du FN de tirer la couverture vers elle. Dimanche soir, son service de presse bombardait les journalistes de communiqués et de mails les invitant à recueillir « une réaction de Marine Le Pen par téléphone ».

Le FN est « le centre de gravité » de la vie politique française, a estimé Marine Le Pen, qui voit dans ce « résultat historique » une « extraordinaire accélération de la dynamique du Front national et un magnifique signal d’espérance ». La présidente du FN peut en tout cas se féliciter d’une chose : la rhétorique de l’« UMPS », qu’elle martèle depuis des années, a été reprise par certains médias comme i>télé dimanche soir, qui évoquait un « duel UMPS/FN ».

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