Édition du 26 mars 2024

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Québec

Élections 2018 : les défis d’une intervention dans un champ politique en recomposition

Le PLQ, usé par le pouvoir et bousculé par les affaires, le PQ en recul prolongé, la CAQ en ascension : le champ politique se transforme rapidement sous nos yeux et les dynamiques qui propulsent ces changements méritent d’être élucidées.

1. Le Parti Libéral du Québec est un parti fédéraliste et néolibéral marqué par l’usure du pouvoir. Lors de son élection en avril 2014, Philippe Couillard s’engageait à diriger « un gouvernement compétent, intègre et transparent ». En fait, tant par ses politiques que dans son personnel, ce gouvernement n’a marqué aucune rupture sérieuse avec le gouvernement Charest qui avait dirigé le Québec de 2003 à 2012. Il a été un gouvernement marqué par les politiques d’austérité, la générosité envers les amis du régime. Les affaires douteuses n’ont pas cessé de le hanter. Sur le terrain national, il a fait preuve, d’un aplaventrisme éhonté devant les volontés du gouvernement fédéral. Coupures dévastatrices qui attaquent les services en éducation, politique centralisatrice de son ministre de la santé qui favorise les médecins et détériore les conditions de travail de tous les personnels, sous-traitance dans la fonction publique qui crée un terrain favorable au développement du népotisme, ce gouvernement s’est heurté aux intérêts les plus immédiats de la population. La saga de l’UPAC qui a débouché sur des poursuites contre de nombreux libéraux bien connus a contribué à éclairer l’opacité d’un parti bien peu intègre. La politique permettant l’exploitation des hydrocarbures et le soutien apporté par Couillard au transit du pétrole sale de l’Alberta a contribué à jeter une lumière crue sur les intérêts défendus par ce gouvernement. Les rejets successifs par le premier ministre des demandes des minorités victimes de racisme et d’islamophobie ont démasqué le personnage plus hanté par les préoccupations électoralistes que par une volonté réelle de s’attaquer au racisme systémique.

Que sa tentative de se refaire une réputation en réinvestissant, loin de la hauteur des coupures effectuées, dans les services publics ne produise pas les rentes électorales escomptées n’a rien de surprenant. Le Parti libéral est maintenant affaibli. La légitimité de son discours néolibéral est délégitimisée. Il n’est pas perçu comme un parti intègre, mais comme le fidèle continuateur de Charest. Il a donc connu cette dernière année, selon de nombreux sondages, le recul le plus important de son histoire au niveau des intentions de vote, et ce, particulièrement parmi les francophones. Étant donné, ses assises dans l’ouest de Montréal et dans l’ouest du Québec, il peut compter sur une base qui reste solide. Mais l’affaiblissement de ce parti est incontestable et c’est cela, en autres choses, qui enclenche le processus de recomposition du champ politique que nous constatons.

2. Le Parti québécois a comme défi essentiel de bloquer son déclin électoral. 2017 fut pour le PQ une année de recul. La politique du gouvernement Marois avait été une politique marquée par l’austérité et le culte du déficit zéro. Ce gouvernement péquiste (2012-2014) avait manifesté une ouverture de plus en plus claire à l’exploitation pétrolière à Anticosti et n’avait pas opposé un quelconque refus au transit du pétrole de l’Alberta en territoire québécois. La direction PKP a contribué à brouiller le message péquiste sur le projet social. Les politiques péquistes tendaient à placer ce parti directement en concurrence avec la CAQ sur les politiques économiques. La direction Lisée, en remettant la tenue du référendum dans un deuxième mandat d’un éventuel gouvernement péquiste avait continué d’approfondir le désarroi de nombre d’indépendantistes et renforcé le camp des abstentionnistes et des orphelins politiques. Cette situation s’est traduite par le tassement continu des intentions de vote pour ce parti durant toute l’année 2017. Cet affaiblissement a été tel que la perspective d’un déclin majeur du PQ et même sa disparition ont été des hypothèses soulevées. À cela, s’est ajouté une concurrence de la direction Lisée avec la direction Legault sur le terrain de l’insécurité identitaire. Les prises de position de Lisée sur l’immigration ou sur l’arrivée des réfugiés haïtiens s’expliquent, au-delà des convictions partagées par ces membres des élites nationalistes, par la volonté de ne pas laisser à la CAQ tout le terrain sur les questions identitaires.

Le congrès de septembre 2017 devait permettre au PQ d’opérer un tournant sur la question sociale pour renouer avec sa base sociale en faisant de défense des services publics et des réinvestissements dans ce secteur un axe essentiel des politiques devant être proposées à la population. Alors que le programme du PQ sous Pauline Marois, ne comprenait plus rien sur la défense des droits syndicaux par exemple, la dernière Proposition principale défend l’élargissement de nombre de droits syndicaux. Les dernières promesses d’investissement dans les garderies (le taux unique à 8%, le demi-tarif pour le deuxième enfant et la gratuité pour les autres) sont un exemple de ce tournant. Il s’agit d’abandonner définitivement la perspective de se battre pour les mêmes électeurs que la CAQ sur le plan des politiques économiques et sociales. Le tournant environnementaliste de la Proposition principale et son rejet de l’exploitation pétrolière s’inscrivent dans le même type de rupture. La direction Lisée estime que cela permettra de reconstruire les appuis du PQ chez les syndiquées, les couches populaires, les personnes ayant des préoccupations environnementales… et de mordre sérieusement dans la base électorale de Québec solidaire. De toute façon, la préoccupation centrale et actuelle du parti, ce ne sont pas les politiques éventuelles d’un gouvernement péquiste, c’est le blocage du déclin et la reconstruction du Parti sur ses bases traditionnelles.

Différentes sensibilités face aux politiques identitaires traversent le PQ. La dernière course à la chefferie a été révélatrice de cette réalité. Lisée a joué à plein sur l’insécurité identitaire de la base péquiste, ce qui lui a permis de l’emporter sur son principal adversaire Alexandre Cloutier. Le départ de ce dernier ne marque cependant pas la disparition des contradictions qui traversent le parti à cet égard. La Proposition principale ne dégage pas une orientation suffisamment claire sur la façon de contrer l’utilisation de cette carte par la CAQ. L’avortement du projet de charte 2.0 suite à des débats au sein du caucus péquiste l’illustre très bien. Alors assisterons-nous au retour des débats sur les signes religieux ? Le projet de loi 202 sur le déclin du français annoncé par Lisée qui obligerait les immigrant-e-s à se soumettre au test de français avant de prendre l’avion et dont la réussite conditionnerait leur rentrée au Québec, sera-t-il mis de l’avant dans la campagne électorale ? Continuera-t-il à qualifier les vagues de réfugié-e-s d’invités de Trudeau et à opposer l’argent dépensé pour ces derniers à de l’argent enlevé aux aînés vivant dans les CHSLD ? En somme continuera-t-il à vouloir concurrencer la CAQ et sa rhétorique identitaire ? La direction Lisée fera face à de nombreux choix. Mais il semble que ce sera toujours la dynamique de la situation qui va être déterminante sur l’évaluation du caractère payant ou non sur le terrain électoral d’une démagogie étroitement nationaliste. C’est cette estimation qui guidera le chef péquiste.La manœuvre consistant à faire de Véronique Hivon la vice-cheffe du parti va peut-être obliger Lisée à devoir composer davantage sur cette question. La vice-cheffe l’a déjà assuré de sa loyauté et de son ralliement au chef qui l’a adoubé.

3. François Legault se confectionne une base électorale en comptant sur l’usure du PLQ, sur la crise stratégique de la lutte pour l’indépendance et sur l’insécurité identitaire. Il a su profiter de l’usure du PLQ et du PQ. Il a construit la CAQ en soulignant les affaires de corruption dans lesquelles est empêtré le PLQ en insistant sur le fait que son parti n’a jamais été mêlé dans des affaires louches. Il a précisé son ralliement au fédéralisme tout en avançant une politique autonomiste. Mais l’essentiel de sa propagande, c’est centré sur le caractère dépassé de la souveraineté et sur sa volonté d’en finir avec la polarisation entre les fédéralistes et les souverainistes. Les vrais problèmes, pour la CAQ, concernent le développement économique, la place offerte aux investisseurs privés et la nuisance des réglementations de l’État dans la possibilité de la multiplication des affaires. Le chef de la CAQ travaille à la confection des clientèles diverses qui l’amène à jouer diverses cartes sans se préoccuper vraiment de la cohérence de l’ensemble. Il a aussi joué la carte de la diminution des structures de l’État en renouvelant la promesse de l’abolition des commissions scolaires. Il sait s’adapter à la volonté de la population de continuer à bénéficier de services de santé et d’éducation en promettant en même temps des baisses d’impôt qui nuiraient au maintien de ces services et leur amélioration. Il sa présenté son parti comme le parti des familles et n’a pas hésité à mettre de l’avant des politiques natalistes. C’est surtout par sa rhétorique chauvine qu’il compte marquer de nombreux points. Il a fait son lit sur la question de l’immigration en jouant à plein la crainte de l’immigration qui existe dans la population. Il a promis de diminuer de 10 000 personnes le nombre de personnes pouvant immigrer au Québec chaque année. Il a également promis de soumettre après trois ans les personnes immigrantes à un test d’adhésion aux valeurs québécoises et envisager leurs expulsions en cas d’échec à un tel test. Au moment de l’arrivée, des réfugié-e-s, il a demandé au gouvernement fédéral d’expulser ces personnes qui n’étaient pas de véritables réfugiés… La population musulmane est régulièrement visée dans les interventions de ce parti à l’Assemblée nationale. Comptant sur les difficultés du PLQ et du PQ, jouant sur les cordes de la xénophobie, la CAQ a réussi à se placer en tête des intentions de vote dans les récents sondages. Si la CAQ parvient à se construire une base électorale se situant à droite de l’échiquier politique, cette dernière reste instable. Mais, le succès actuel de la CAQ ouvre la possibilité du ralliement d’éléments de la classe dominante ayant plus de notoriété, de capital économique et de capital social qui pourraient amener la direction Legault à se faire plus prudente pour se présenter comme apte à gouverner sans exacerber les tensions sociales. Rien n’est joué, et il faut éviter les interprétations essentialistes sur le caractère conservateur de la société québécoise pour expliquer la situation actuelle de ce parti.

4. Le NPD-Québec se relance sur la scène électorale. Le NPD dit vouloir représenter les sociaux-démocrates qui refusent la souveraineté du Québec et qui ne voient pas de problèmes importants dans le maintien du Québec dans le carcan fédéral. Il pourra sans doute mordre sur un certain électorat traditionnel particulièrement dans la communauté anglophone. Il part de loin avec des effectifs rachitiques et un financement très réduit. Il ne pourra compter que sur la marque NPD, mais pas sur le soutien du NPD-Canadien qui ne semble pas vouloir se lier à un quelconque appui au NPD-Québec. Il reste que ce positionnement social-démocrate dispose d’une base dans la société québécoise qu’il ne faut pas négliger.

5. C’est dans ce champ politique en recomposition que Québec solidaire devra mener campagne pour enraciner son projet de société. Sa fusion avec Option nationale s’est faite au nom de l’importance qui doit être donnée à la lutte pour l’indépendance dans les prochaines élections. Dans une optique indépendantiste, le ciblage des politiques fédérales est essentiel : non aux dépenses d’armement et aux politiques guerrières, non à l’irresponsabilité du gouvernement Trudeau dans la lutte aux changements climatiques. Un Québec indépendant doit devenir le maître d’oeuvre de ses choix et de ses moyens. Défendre l’indépendance, c’est également dénoncer le Parti québécois qui prétend que la soumission au régime fédéral n’est pas un obstacle majeur dans l’amélioration de la situation de la majorité populaire et que le Québec pourrait se reprendre en main tout en reportant à plus tard la lutte pour l’indépendance.

La nécessité de rupture avec les pratiques de la classe politique régnante au service du capital doit être réaffirmée. Là où la force de Québec solidaire est particulièrement reconnue, c’est sa volonté d’opérer une véritable redistribution de la richesse, d’en finir avec les hydrocarbures et de défendre un Québec inclusif, égalitaire, féministe et anti raciste. C’est autour de ces axes qu’il sera appelé à préciser son offre politique.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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