Édition du 14 mai 2024

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Québec solidaire

Élire plusieurs solidaires en 2012, c’est possible !

Nous assistons depuis quelques semaines à un débat complexe et intense parmi les membres de Québec solidaire sur les perspectives électorales et des enjeux stratégiques comme nos rapports avec d’autres partis politiques. En font foi, notamment, des échanges touffus sur facebook et plusieurs textes publiés sur Presse-toi-à-gauche, dont la série d’articles de Stéphane Lessard, mon ancien collègue et complice du comité de coordination nationale. Certains de ces débats pourraient prendre une tournure plus formelle lors du prochain congrès du parti, prévu pour la fin avril…si Jean Charest nous en donne le temps !

Je partage avec Stéphane et bien d’autres l’objectif de faire élire plusieurs Solidaires à l’Assemblée nationale lors du prochain scrutin. Il décrit bien le travail patient et à long terme qui attend le parti si on n’en fait élire que deux. S’il le faut, nous passerons par ce chemin-là. Mais j’espère comme lui que nos succès seront plus frappants et que la formation d’un gouvernement solidaire n’attendra pas à 2030.

J’ai cru utile de présenter ici une vision - que certains considérerons peut-être exagérément optimiste - des possibilités qui s’offrent à nous en cette année très probablement électorale. Ces possibilités sont d’autant plus ouvertes si on les fonde sur une analyse des tendances historiques qui ont menées au paysage politique actuel, toujours en mutation.

D’abord, rien ne permet d’exclure le scénario d’une augmentation significative de l’appui populaire pour notre parti. L’usure du pouvoir des libéraux, combinée avec la crise permanente au Parti québécois et à la désillusion prévisible face à la CAQ, pourrait mener bien des gens à chercher une alternative. Les mobilisations en cours, notamment contre la hausse des frais de scolarité, pourraient aussi changer le ton du débat social en notre faveur.

Déjà, environ une personne sur dix considère Québec solidaire comme la meilleure option, alors que c’était une personne sur 25 au scrutin de 2008. De plus, on se prépare une campagne sans précédent, avec plus de moyens, d’expérience et de préparation qu’en 2007 ou 2008. Qui sait où nous en serons rendus le jour du vote ?

Mais même si on limite notre analyse à ce qui serait possible avec le niveau d’appuis indiqué dans les plus récent sondages, plusieurs facteurs nous permettent d’espérer l’élection de plusieurs Solidaires lors du prochain scrutin.

La concentration du vote

Dans son premier article, Stéphane Lessard affirmait avec raison que « à moins que ses appuis soient concentrés dans quelques circonscriptions, QS ne peut espérer faire élire suffisamment de députés… ». Mais justement, les votes de Québec solidaire ont tendance à se concentrer dans certaines circonscriptions ! C’est ce qui a permis à Amir Khadir de se faire élire en 2008, malgré une moyenne nationale de 3,78% des voix. Les votes obtenus dans Mercier et Gouin (où Françoise David est arrivée bonne deuxième) correspondent à 13,5% du total des votes obtenus par QS à cette élection (16 544 sur 122 618) alors qu’il s’agit de 1,6% des comtés. C’est ce qu’on pourrait qualifier de « taux élevé de concentration du vote ».

Ce phénomène s’explique par les capacités organisationnelles du parti dans ces circonscriptions et la qualité des candidatures, mais aussi par l’effet d’entrainement qui s’active lorsque l’électorat perçoit qu’une circonscription devient gagnable pour un parti donné. Les bons résultats obtenus par Amir et Françoise à l’élection de mars 2007, combinés à des campagnes vigoureuses sur le terrain ont alimenté cette perception.

La question qui se pose est donc la suivante : Dans combien de circonscriptions avons-nous les capacités organisationnelles et la crédibilité nécessaires pour convaincre l’électorat que nous pouvons gagner et donc que leur vote pour QS n’est pas seulement un vote de principe ?

Il faut se souvenir que Mercier et Gouin n’avaient pas de vertus particulières pour la gauche il n’y a pas si longtemps. Aux élections de 1994 et 1998, les candidatures de gauche (NPD-Q puis PDS) dans Mercier avaient obtenu moins de 3% des voix. C’est la partielle de 2001 qui a fait de Mercier ce terrain favorable avec le 24% (4000 votes) obtenu par Paul Cliche. Ce qui avait été rendu possible par la combinaison d’une crise dans l’association locale du PQ et d’une convergence sans précédent des forces de gauche, dans le contexte de la mobilisation contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA).
Dans Gouin, c’est encore plus évident. Même en 2003, la candidature de l’UFP avait généré moins de 5% des votes. C’est avec Françoise David en 2007 qu’on a fait une percée sans précédent avec 26%.

C’est avec ce recul historique qu’il convient d’examiner des circonscriptions comme Sainte-Marie-Saint-Jacques, Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion ou Rosemont. Dans ces quatre comtés de l’ile de Montréal, Québec solidaire a obtenu de bons résultats aux deux élections générales précédentes et compte des centaines de membres. On peut miser aussi sur l’effet d’entrainement des succès dans les comtés voisins de Gouin et Mercier. Si on mène des campagnes fondées sur la possibilité de gagner, si on « met le paquet » autrement dit, tous les espoirs sont permis. En plus des dynamiques locales, notre participation au débat des chefs et une campagne nationale bien visible pourraient contribuer largement à faire passer l’idée que QS est un parti aussi important et crédible que les trois autres gros joueurs.

L’effet CAQ

En guise de comparaison, Stéphane Lessard se réfère aux résultats obtenus par le PQ en 1973. Mais c’était dans un contexte de polarisation entre ce nouveau parti et les Libéraux, avec la mise au rancart de l’Union nationale. Le ras de marée Libéral de 1973 n’a pas eu d’équivalent depuis. Quel parti pourrait espérer remporter 90% des sièges en 2012 ? Avec les libéraux qui s’accrocheront à leurs bastions, le PQ qui fera tout pour sauver les meubles, et la CAQ qui viendra brouiller les cartes un peu partout, on ne voit pas comment ce serait possible. En fait, l’élection d’un gouvernement minoritaire est fort probable.

Par conséquent, les candidatures solidaires pourraient bien se retrouver dans des courses à trois et à quatre, ce qui permettrait de l’emporter avec environ 30% des votes dans chaque cas. On est loin du défi qui était celui du PQ en 1973.

On peut parier que, à l’opposé de QS dont les résultats tendent à être proportionnels aux ressources humaines et financières investies et au travail effectué sur le terrain, la CAQ, qui demeure un phénomène essentiellement médiatique, recevra des appuis assez également répartis à travers le Québec. Dans les circonscriptions qui nous intéressent, le facteur CAQ devrait donc être sensiblement plus fort que la vague adéquiste de 2007. Aussi, les voix transférées vers la CAQ devraient coûter très cher au PQ et aux libéraux, et moins à QS, si on se fie aux sondages produits depuis le début du phénomène.

Prenons le cas de Laurier-Dorion, en guise d’exemple. C’est un compté chaudement disputé entre le PQ et le PLQ depuis quelques élections. En 2007 et 2008, les libéraux l’on emporté avec environ 40% des voix. Le PQ est arrivé deuxième avec environ 35%. QS s’en est bien tiré avec près de 10% en 2007 et 13% en 2008. Si la CAQ vient brouiller les cartes et obtient 20 à 25% des voix (tout à fait imaginable vu que l’ADQ y avait obtenu 15% en 2007) et que QS mène une campagne d’envergure, on pourrait se retrouver avec une course à quatre au résultat totalement imprévisible.

Une des grandes questions est donc l’impact qu’aura la CAQ dans les circonscriptions les plus favorables à Québec solidaire. Les rebondissements de la crise interne du PQ auront également un impact significatif, même si celle-ci semble neutralisé pour le moment à la faveur du retrait de Duceppe et de la proximité de l’échéance électorale.

Mais la crise n’est pas pour autant terminée. Quel sera la capacité de mobilisation de ce parti après toutes les épreuves récentes ? Quelle sera sa stratégie face à la CAQ ? Quel impact auront les membres et sympathisants d’Option nationale ? Comment vont se situer les péquistes démissionnaires progressistes et indépendantistes ? On fait toujours face à une équation aux multiples variables.

Bref, les chambardements politiques des derniers mois rendent les efforts de projection presque futiles, tant la situation est complexe et mouvante. Intervenir avec résolution et clarté dans ce contexte peut avoir un impact majeur et produire des succès impressionnants pour Québec solidaire.

Benoit Renaud
membre du comité de coordination national de Québec solidaire
à titre personnel

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