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Politique québécoise

En réponse à M. Éric Duhaime .... Journal de Québec, Édition du dimanche 29 janvier 2012

Critique de l’État contre les jeunes

Il est très instructif de prendre connaissance des vues de l’esprit d’Éric Duhaime publiées dans son essai « L’État contre les Jeunes ». En fait, il aurait aussi bien pu reprendre comme titre « On achève bien les chevaux », « Avez-vous l’intention de vivre longtemps », de Paul Piché ou le monologue d’Yvon Deschamps sur les vieux.

Première constatation, la pensée duhaimiste fonctionne un peu comme l’horoscope chinois : les personnes nées entre tel mois de telle année et tel autre mois de telle autre année ont tous le même profil et le même destin. Donc, si on a vu le jour entre 1945 et 1963 on est un écoeurant et un voleur de grand chemin. Pour sa part, M. Duhaime est né en 1970 et échappe ainsi, en théorie, au couperet qu’il veut imposer à ses ainés ventripotents. Je dis bien en théorie car le baby boom est un mouvement démographique qu’on situe de 1943 à 1963 au Canada, mais de 1945 à 1975 au niveau mondial…

Si j’ai bien compris, M. Duhaime est venu au monde au Canada. Ses parents ont prospéré et sa famille, tout comme lui, ont profité de cette prospérité par le biais des services de santé, d’éducation, des infrastructures et des autres régimes de prévoyance de cet état providence sur lequel il entend bien déverser tout son fiel. À moins qu’il n’ait vécu au Botswana ou sur la planète Mars toutes ces années.

Mais toute cette prospérité dont il a profité et dont il profite encore lui pèse subitement et il aimerait, au moment opportun, exhorter les gens de son âge à mettre au pilori les personnes plus âgées que lui pour leur faire subir le procès du siècle sans grand ménagement. En d’autres termes, il aimerait n’accepter que l’actif de l’héritage de la société québécoise et faire fi de tout passif. Je suppose également qu’il s’engage à refuser la succession éventuelle de ses parents, puisqu’il s’agit sans doute d’argent acquis malhonnêtement au fil des ans par les représentants d’une génération sans scrupule.

Je lui propose donc la solution suivante : nous devrions décider ensemble de la date de la liquidation de l’État québécois pour vendre au privé tout le réseau de la santé, le réseau routier, les écoles, les universités, Hydro-Québec, les succursales de la SAQ, etc. Tout, tout, tout et absolument tout. Ensuite, nous pourrons rembourser les dettes de l’État. S’il reste quelque chose, nous en attribuerons la juste quote-part à chacun des citoyens québécois (mais pas aux maghrébins, non mais franchement, sinon, où irions-nous…). Mais attention. Une quote-part qui sera calculée en fonction du total des impôts et des taxes payées par chaque citoyen tout au long de sa vie active. Plus vous aurez payé d’impôt, plus votre part de cette succession publique sera importante. De cette façon, point d’injustice, non ? Seule prévaudrait la loi implacable des chiffres, du plus fort et du gros pognon.

On fait table rase du Québec tout entier et nos chères générations X, Y et Z pourront tout recommencer à zéro. Ils feront bien mieux que tout le monde. En tout cas mieux que les baby-boomers québécois qui ont comploté pour fabriquer ce qui demeure à la base un problème démographique.

Mais oui, M. Duhaime. Car il s’agit essentiellement d’un problème démographique. Et vous, combien d’enfants avez-vous ? Attention ! Si vous en avez moins de deux, vous ne faîtes pas votre part… Avec ce bel esprit de solidarité, pas sûr que vous êtes le huitième d’une famille de douze, en tout cas… Donc, si vous décidez de refuser la succession économique du Québec, vous devrez renoncer à toute la succession. Pas seulement au passif. Équitable, vous ne trouvez pas ?

En ce qui a trait à la pollution, je croyais que celle-ci avait vu le jour avec l’avènement de l’ère industrielle, soit bien avant que ne commence à pulluler cette lie vampirique des baby-boomers. Je présume que M. Duhaime se déplace uniquement en vélo, qu’il est végétarien et qu’il ne porte que des vêtements qu’il fabrique lui-même à la lueur d’une chandelle. Pas de cellulaire, d’ordi, d’Iphone ou d’Ipad. Pas de bébelles de la Chine non plus. Aucun déplacement en avion. L’aviron et des bottes de marche. Voilà la solution à tous nos problèmes !

Un point m’échappe cependant : tout en nous reprochant d’avoir sciemment détruit la planète, Éric Duhaime se dit – à mots couverts – en faveur du développement accéléré des ressources énergétiques du Québec (lire gaz de schiste…), compte non tenu des risques écologiques. Donc, au problème de la pollution, nous adopterons le slogan « Tous pour une pollution plus efficace ». Plus on sera dans le chaos total rapidement, plus on aura du temps pour s’en sortir.

Quant au modèle suédois qu’il propose, je crois inutile de mentionner que la Suède est l’un des états les plus taxés au monde. Et pour le Chili, pourquoi ne pas importer aussi quelques autres bonnes initiatives, comme leur système politique et carcéral des années soixante. Ça pourrait aussi aider à faire disparaître quelques baby boomers de plus.

Mais j’oubliais, on ne prend que ce qui fait l’affaire un peu partout à travers le monde en vertu des systèmes politiques et économiques : vive le libertarien libre ! Comment dîtes-vous déjà ? Droite économique et gauche sociale…

Monsieur Duhaime, partant de vos beaux principes, vous accepterez sans doute de recevoir une facture tenant compte du coût réel de tous ces services publics que vous avez reçus, y compris les frais de santé depuis votre naissance et les droits réels de tous vos droits de scolarité, y compris ceux de l’ENAP que vous avez fréquentée ?

On pourrait faire comme dans ce film italien qui relate l’histoire d’un père mafieux et qui convoque son fils - qu’il n’a jamais vu - pour lui présenter la nuit dans un train toutes les liasses de factures qu’il a conservées depuis sa naissance et dont il fait la comptabilité devant lui tout en lui demandant de le rembourser. À mourir de rire. Je vous le conseille fortement.

J’ai bien hâte de voir cette nouvelle société libertarienne. J’ai surtout hâte de voir comment les jeunes familles des générations X, Y et Z qui ont le courage d’élever des enfants pourront survivre à cette politique de désolidarisation sociale qui ne favorisera que les mieux nantis.

L’université pour les riches, les soins de santé pour les riches. Pour les autres, prenez votre trou ! On vous dira quand votre tour sera arrivé. Pour les vieux, dépêchez-vous de mourir au plus vite, sinon, on sera forcé de vous aider un petit peu…

J’espère que M. Duhaime nous communiquera bientôt le mode d’euthanasie qu’il entend privilégier pour ceux qui vivront un peu trop longtemps et les prochaines classes sociales qu’il entend stigmatiser : handicapés, infirmes, malades mentaux, chômeurs, etc.

Comble du délire, M. Duhaime de passage à l’émission "Tout le monde en parle" a adopté un ton incroyablement mielleux, déclarant qu’il ne souhaitait pas déclencher une guerre entre générations ou ostraciser les personnes âgées. Tout au plus susciter un gentil petit débat. Rien à voir avec le titre "J’accuse les baby-boomers !" du Journal de Montréal. Sans doute un autre effet du libertarisme : deux poids deux mesures, selon qu’on se trouve à la télévision ou en entrevue journalistique.

En terminant, ce livre est dédié aux parents d’Éric Duhaime. Triste cadeau que de se faire traiter de voleurs par sa descendance pour des parents qui ont voulu donner probablement ce qu’ils avaient de meilleur à leurs enfants.

Jacques Pronovost

Saint-Nicolas, Québec

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