Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Espagne : Podemos met la pression pour gouverner avec les socialistes

16 février 2016 | tiré du site de mediapart.fr

Pablo Iglesias a braqué un peu plus les dirigeants du PSOE en présentant, lundi, les « bases politiques » détaillées d’un gouvernement des gauches auquel Podemos veut participer. Ce sont officiellement les socialistes qui ont la main. Leur candidat, Pedro Sanchez, se présentera à l’investiture le 2 mars.

Personne ne pourra dire qu’il n’avait pas été prévenu. Depuis le lancement de Podemos en janvier 2014, Pablo Iglesias ne s’en cache pas : il est fan de la série télé Game of Thrones, inventaire moyenâgeux des coups tordus et des stratégies retorses. Le patron du mouvement anti-austérité, arrivé en troisième position aux législatives du 20 décembre, a l’air de prendre un certain plaisir, ces jours-ci, à entretenir sa stratégie de tension avec les socialistes du PSOE, avec qui il continue d’espérer former un gouvernement « progressiste » dans les semaines à venir.

Flanqué de son expert en économie, Nacho Alvarez, Iglesias a présenté lundi à la presse un document d’une centaine de pages, qui constitue « les bases politiques pour un gouvernement stable et avec des garanties ». Dans l’esprit d’Iglesias, cette coalition inclurait, outre Podemos (69 députés) et le PSOE (90), les communistes d’IU (2) et les élus de Compromis (une formation de gauche de la région de Valence, alliée à Podemos aux législatives de décembre, mais qui a, depuis, repris ses distances). Au total, cela ne formerait pas une majorité (161 sièges sur 350) et il resterait ensuite à convaincre certains de s’abstenir plutôt que de voter contre cet exécutif. L’entreprise s’annonce périlleuse, mais elle se tente, juge-t-on du côté de Podemos. « Je vais tout donner pour que ce gouvernement de coalition soit possible », a assuré le patron de Podemos.

Le problème, c’est qu’une fois encore, Iglesias est en train – et il le sait très bien – de braquer les socialistes, en prenant l’initiative, avec sa proposition déjà ficelée d’un gouvernement de « 15 ministères ». Car, selon le protocole, c’est le candidat socialiste Pedro Sanchez, arrivé en deuxième position aux législatives et désigné par le roi le 2 février pour tenter de former un exécutif, qui a la main pour mener les discussions. Le premier vote d’investiture de Sanchez est même déjà prévu : ce sera le mardi 2 mars. En théorie – même si tout ce processus est une première en Espagne, où le paysage a été marqué pendant quarante ans par le bipartisme PP-PSOE –, c’est donc à Sanchez de présenter les « bases politiques » d’un éventuel futur gouvernement…

Depuis le 2 février, Sanchez a fait le choix, sous la pression des barons du PSOE (et surtout de l’Andalouse Susana Diaz), de lancer des négociations tout à la fois avec Podemos, IU, Compromis et… Ciudadanos, le nouveau parti de centre droit, parfois qualifié de « Podemos de droite », arrivé en quatrième position aux élections. Avec une difficulté de taille : pour Ciudadanos, hors de question de pactiser avec Podemos, et vice versa.

Iglesias a répété lundi qu’un pacte qui inclurait sa formation et celle d’Albert Rivera (Ciudadanos) était à ses yeux « incompatible ». Si bien que, deux mois après les législatives du 20 décembre, il est encore très difficile de voir de quel côté va finir par pencher le PSOE d’ici le vote du 2 mars. Jusqu’à présent, il se montre méthodique, réunit les uns et les autres et assure que les négociations avancent. Une fois que le PSOE aura fait son choix (Ciudadanos ou Podemos), il aura de toute façon toutes les peines du monde à former une majorité.

Ce n’est pas la première fois que Podemos se plaît à brusquer les socialistes. Le 24 janvier, Iglesias avait déjà surpris tout le monde en plaidant pour un gouvernement « du changement », avec Sanchez à sa tête et lui-même en vice-président. Dans la foulée, il avait déjà réparti les portefeuilles ministériels, ce qui avait été vécu comme une humiliation par les socialistes. Cette fois, le résultat est à peu près identique : Antonio Hernando, porte-parole du PSOE au Congrès des députés, a dit avoir suivi la conférence de presse « avec perplexité et déception », jugeant que Pablo Iglesias « ne sait même pas quel rôle il doit jouer » dans les négociations. « Le temps que monsieur Iglesias perd pour le dialogue [avec le PSOE] ne lui appartient pas, c’est un temps qu’il prend aux citoyens et au pays », a réagi le député socialiste.

Pour Iglesias, cet énième coup d’éclat remplit deux objectifs. D’abord, il veut apparaître comme constructif, aux yeux d’un électorat qui, d’après les sondages, n’a pas du tout envie de retourner aux urnes dans les mois à venir. Mais il veut aussi – et surtout – montrer qu’il ne transige sur aucune de ses promesses de campagne… au cas où les législatives devaient se répéter, si l’impasse politique s’éternise. De ce point de vue, le document publié lundi par Podemos contient des mesures toujours aussi difficiles à avaler par le PSOE de Sanchez.

Après l’avoir mis de côté pour se montrer conciliant, Podemos insiste à nouveau sur la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, désormais qualifié d’« impératif ». Or, c’est une ligne rouge pour le PSOE, tout comme la reconnaissance d’un « État pluri-national » dans la Constitution et la création d’un « ministère de la pluri-nationalité ». Sur le front économique, Podemos propose d’augmenter les dépenses publiques, avec une mesure qui consiste à repousser de deux ans, c’est-à-dire fin 2018, le retour du déficit public sous la barre des 3 %. La mesure, qui risque de faire grimacer la Commission de Bruxelles, a de toute façon peu de chances d’être validée par le PSOE à la virgule près.

Ce « plan de bien-être social et de modernisation économique » – financé à hauteur de 24 milliards d’euros supplémentaires chaque année pendant quatre ans (soit 96 milliards d’euros supplémentaires pour la dernière année de mandat) – doit permettre d’investir massivement dans l’éducation et la santé publiques. L’opération serait financée par une réforme fiscale, en jouant à la fois sur l’impôt sur le revenu, l’impôt des sociétés et l’impôt sur le patrimoine. Pour rappel, l’économiste français Thomas Piketty a travaillé à l’élaboration des propositions fiscales de Podemos en 2015.

Autre proposition, qui montre que Podemos n’a rien perdu de son ambition des débuts : le texte précise les compétences du futur vice-président du gouvernement (poste qu’occuperait, en théorie, Pablo Iglesias). Le numéro deux de l’exécutif chapeauterait une nouvelle entité, un Bureau des droits de l’homme, censé « veiller à ce que l’Espagne tienne ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme, qu’il s’agisse de droits civils et politiques, de droits économiques et sociaux, de droits relatifs à l’enfance et aux égalités de genre ». Bref, les compétences sont pour le moins vastes… Les négociations PSOE-Podemos devraient entrer cette semaine dans le vif du sujet. Mais il faudra attendre encore de nombreux épisodes avant de savoir si cette stratégie de la tension permanente finira par s’avérer payante.


Photographie : Pablo Iglesias le 15 février à Madrid, avec Nacho Alvarez, secrétaire à l’économie au sein de Podemos, et la députée et cofondatrice du parti, Carolina Bescansa

Sur le même thème : Europe

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...