Édition du 7 mai 2024

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Canada

Gestion de l'offre et « faits alternatifs »

À l’aube d’une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le système canadien de gestion de l’offre du lait et de la volaille (poulet, dinde, oeufs) se trouve à nouveau sur la sellette. Certains suggèrent son abolition, que ce soit dans l’arène politique (Maxime Bernier, notamment) ou dans celle des think tanks économiques (l’IEDM, par exemple). Il s’agit d’un débat qui resurgit à chaque négociation de libéralisation du commerce.

Les auteurs sont professeurs en agroéconomie à l’Université Laval.

Le principal argument à l’appui de l’abolition de ce système porte sur les prix à la consommation des produits sous gestion de l’offre plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Cette prémisse conduit à conclure que son abolition résulterait logiquement en une baisse des prix. Le constat sur les prix et la prémisse sont-ils fondés ?

Rappelons que la gestion de l’offre permet un prix stable et adéquat aux producteurs en échange d’une discipline de production et d’un contrôle serré des importations. Il s’ensuit une stabilité, tant au niveau de la production qui évolue pour l’essentiel en fonction de la demande, que des prix de la production jusqu’au consommateur. Mais la stabilité ne dit rien sur le prix à la consommation au Canada comparativement à celui qui a cours aux États-Unis.

Cela dit, l’observation d’un prix plus élevé pour les produits sous gestion de l’offre n’est pas en soi suffisante pour imputer à cette dernière les écarts observés. Il s’agirait en fait d’un sophisme, d’une déduction logique fallacieuse :

 le prix des produits laitiers à la consommation est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis ; 
 il y a gestion de l’offre au Canada et pas aux États-Unis ;
 c’est donc à cause de la gestion de l’offre si le prix est plus élevé au Canada.
En fait, nous pourrions tout aussi bien dire :
 le prix des produits laitiers à la consommation est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis ;
 il y a un système de santé universel au Canada et il n’y en pas aux États-Unis ;
 c’est donc à cause du système de santé universel si le prix est plus élevé au Canada.

Un test simple consiste à vérifier le prix de produits qui ne sont pas sous gestion de l’offre. Pour ce faire, nous avons choisi d’utiliser des données issues du magasinage en ligne. Sur cette base, nous avons réalisé, une semaine par mois, des comparaisons des prix réels en épicerie à Québec, à Toronto et à Washington. Les items choisis correspondent aux formats et aux produits représentatifs et le produit le moins cher de la semaine est sélectionné. Par exemple, pour le lait frais, le produit choisi au Canada est le lait 2 % en format de quatre litres, alors qu’aux États-Unis, il s’agit du format d’un gallon, le tout ramené en prix par litre. Quant au fromage, il s’agit du cheddar en format de 450 à 500 grammes ou une livre, produit communément disponible.

De janvier à avril 2017 (quatre relevés mensuels), le prix du lait était de 1,58 $/litre à Québec et de 1,07 $/l à Toronto. Un premier commentaire s’impose : la gestion de l’offre est en vigueur aussi bien à Toronto qu’à Québec et les prix à la consommation sont fort différents. Cela jette un doute sur la possibilité d’imputer à la seule gestion de l’offre le fait de constater des prix différents à la consommation.

Au même moment, à Washington, le prix du lait était de 1,58 $/litre, le même qu’à Québec. Le fromage cheddar était aussi presque au même prix à Québec et Washington, respectivement 12,64 $/kg et 12,42 $/kg. La côtelette de porc était plus chère à Québec, 9,28 $/kg contre 6,93 $/kg, de même que le pain à 4,28 $/kg contre 3,21 $/kg. Ces deux derniers produits ne relèvent pourtant pas de la gestion de l’offre.

Bref, à partir de cette simple observation des prix, on peut dire que la conclusion selon laquelle la gestion de l’offre entraîne des prix à la consommation plus élevés au Canada qu’aux États-Unis repose sur une fausse prémisse. De même, prétendre que l’abolition de la gestion de l’offre conduirait nécessairement à une baisse des prix au consommateur canadien constitue une fausse promesse.

Par ailleurs, l’avantage de prix peut aussi être à l’inverse pour certains produits. Par exemple, toujours sur la même période, le prix des oeufs était respectivement de 3,07 $ la douzaine à Québec et de 2,74 $ la douzaine à Washington. Quant aux pommes de terre, elles se vendaient plus cher à Washington : 2,34 $/kg contre 1,54 $/kg. Et des résultats différents pourraient être obtenus pour d’autres périodes de temps, ou pour d’autres villes américaines ou ailleurs dans le monde.

Bref, discuter des mérites d’un système de régulation fait partie du débat démocratique. Mais proposer son démantèlement sous de fausses prémisses et de fausses promesses relève de la démagogie. Affirmer que les produits laitiers à la consommation se vendent deux fois plus cher au Canada qu’aux États-Unis relève de la désinformation et n’a rien à voir avec une analyse rigoureuse de la réalité. Que de tels propos proviennent d’une ancienne candidate à la chefferie du Parti libéral du Canada, Martha Hall Findlay, ou d’un actuel candidat à celle du Parti conservateur, Maxime Bernier, a de quoi nous faire s’interroger sur le niveau de rigueur du débat démocratique.Cela dit, le système de gestion de l’offre mérite d’être réévalué, il est loin d’être parfait et il pourrait être amélioré. Nous souhaitons un débat ancré dans la réalité, fondé sur des faits et non pas sur une position purement idéologique.

Daniel-Mercier Gouin

professeur en agroéconomie, Université Laval

Maurice Doyon

Professeur en agroéconomie, Université Laval

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