Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Grève sociale ou Coalition Parti Québécois-Québec Solidaire-Option Nationale ?

Voilà que renaît pour une énième fois l’appel pathétique de l’union de la dite « gauche », ou est-ce l’union des soi-disant « souverainistes », contre les Libéraux. Ensemble, tant la gauche du PQ (Marc Laviolette et Pierre Dubuc, Pour éviter le piège à ours de Charest, Le Devoir, 4/06/12) que ses indépendantistes « purzédurs » (Pierre Curzi, Appel à la nation québécoise, Le Devoir, 5/06/12) en passant par son courant écologiste (Mélissa Guillemette, Appel à l’unité des souverainistes, Le Devoir, 4/06/12), pour conjurer la catastrophe appréhendée d’un quatrième gouvernement Charest, en appellent à l’unité « gauche-souverainiste-écologiste » Parti québécois-Québec solidaire-Option nationale (PQ-QS-ON).

La mathématique électorale paraît imparable, l’évocation de la stratégie Libérale du pire apparemment convaincante, le rejet de tout possible débouché politique de la grève étudiante, total. On trouve, sur le site de Presse-toi-à-gauche, trois réponses convaincantes sur le caractère droitier du PQ mais sans remise en cause de son indépendantisme autrement que par sa dilution droitière et, surtout, sans non plus de perspective politique à la grève étudiante autrement qu’une force d’appoint à Québec solidaire, en autant qu’elle dure.

Le duo social CAQ-Québec solidaire versus le duo national Libéraux-PQ

Le député dissident ex-péquiste Pierre Curzi explique que la solide base anglophone et allophone des Libéraux et la division du vote francophone telle que révélée par les derniers sondages, le tout encadré par le système uninominal à un tour, garantissent un gouvernement minoritaire Libéral ou presque. Son analyse exclusivement linguistique des allégeances politiques le rend aveugle à la nouvelle polarisation sociale du vote et au ré-enlignement des partis qui en découle. Le bloc allophone, surtout francophile, est moins monolithe qu’il le dit, même l’humble vote progressiste anglophone va vers les Verts ou même vers Québec solidaire. L’indépendant député indépendantiste ne comprend pas le sens de l’émergence de la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) qui tout en grugeant le vote péquiste de droite bloque la voie aux Libéraux.

Si ceux-ci veulent déclencher une élection sur le thème de la loi et l’ordre, ce qui stimulerait la mobilisation si la crise n’est pas réglée, la CAQ capturerait le vote de droite non ultra fédéraliste écœuré par soit la corruption des Libéraux, que tant les continuelles révélations que la mise en branle de la Commission Charbonneau devrait commencer à révéler, soit leur gestion arrogante de la crise étudiante aux antipodes du consensus nationaliste, et ce malgré leur néolibéralisme outrancier :
« Le gouvernement veut aller chercher 300 millions dans les poches des étudiants alors qu’en 2011, des allégements fiscaux de 3,6 milliards ont été accordés aux entreprises au Québec. D’autres milliards s’envolent dans des paradis fiscaux faute de rigueur et de volonté politique. Que dire du 25 % supplémentaire payé pour nos infrastructures ? On ne s’étonne plus d’entendre parler de collusion et de corruption tant les cas sont devenus nombreux. [...] Ainsi, la loi 78 aura été la goutte qui a fait déborder le vase, mais force est de constater qu’il était déjà bien plein. » (Laure Waridel, Crise sociale – le long souffle du printemps érable, Le Devoir, 6/06/12)

Certains diront que Libéraux ou CAQ, c’est « blanc bonnet, bonnet blanc ». C’est effectivement comment le voyaient ses commanditaires, patronaux et médiatiques, désespérés de la persistante impopularité des Libéraux et apeurés par le spectre d’un troisième référendum en cas très probable d’un retour du balancier vers le PQ malgré de solides garantis droitistes et un report du référendum aux Calendes grecques. Les commanditaires, se rendant eux aussi compte de la polarisation social de l’électorat, dont ils sont après tout la cause, avaient imaginé un parti de droite réunissant tant les nationalistes canadiens que ceux québécois. C’était lourdement sous-estimer le poids de la question nationale.

En a résulté finalement un nouveau parti nationaliste québécois, ce qui explique la frilosité des gens d’affaires à en devenir candidats, lequel, contrairement à l’hypocrisie péquiste et aux tergiversations des Solidaires, a carrément tabletter l’indépendance sans la renier. Découle d’ailleurs de ce nationalisme conservateur une meilleure identité au peuple québécois francophone et une propension plus grande à l’interventionnisme économique que les Libéraux. Ce 11 juin, dans le comté semi-rural d’Argenteuil plutôt francophone et d’allégeance Libéral, le candidat crédible de la CAQ, ancien député du Bloc québécois, sera le premier à tester l’électorat pour son parti.

Par effet d’inversion du miroir, Québec solidaire partage certaines caractéristiques de la CAQ. Comme lui, il est une création de la mutation de la polarisation sociale dans le champ politique mais de l’autre côté du spectre. Comme lui, il privilégie la question sociale aux dépens de la question nationale :
« [De dire Françoise David, coporte-parole de Québec solidaire] “Je comprends que les gens se posent la question [de l’unité avec le PQ], mais c’est peut-être le temps de changer vraiment le paysage politique.” Pour elle, l’axe gauche-droite importe davantage en ces temps de casseroles que l’axe souverainiste-fédéraliste. » (Mélissa Guillemette, Appel à l’unité des souverainistes, Le Devoir, 4/06/12)

On est loin du débat d’il y a quelques mois encore où le député de Québec solidaire s’était prononcé en faveur « de faire un pacte avec son parti [le PQ] pour “défaire la droite” ». Fidèle à sa tactique « d’un pas en arrière, jamais un pas en avant » de la (dé)mobilisation sociale, après que le parti eut recommandé à ses membres de marcher sur les trottoirs, son député vient de se faire arrêter et mettre à l’amende, avec une soixantaine d’autres manifestants, pour avoir marché illégalement dans la rue :
« “Quand une loi est aussi injuste, il est moralement juste de la défier”, […] tout en soutenant d’un même souffle ne pas encourager les gens à défier la loi. Le député a fait tour à tour référence à Martin Luther King et Gandhi pour expliquer son action comme sa vision de la situation. Il a affirmé que sa “loyauté n’est pas aux institutions, mais au peuple”, […] Il a plutôt déploré que les élus péquistes n’aient “pas le courage d’accompagner leur peuple”. Amir Khadir estime que cette loi, “injuste”, a été imposée “pour faire avaler au 99 % les privilèges du 1 %”. “Qu’on arrête des gens pour ça alors qu’il y a des ministres qui rencontrent la mafia pour ramasser de l’argent pour leur parti !”, a déploré le député solidaire, qui décrit le gouvernement libéral comme “corrompu et illégitime”, “sous l’influence des élites d’affaires”. » (Radio-Canada, Amir Khadir décrit son action contre la loi 78 comme une lutte historique, 6/06/12)

À ses caractéristiques partagées entre la CAQ et Québec solidaire s’oppose le duo des anciens partis Libéraux et PQ qui eux masquent un agenda social néolibéral similaire, quitte à se démarquer sur les marges et encore plus dans le discours surtout à la veille des élections, par une opposition sur la question nationale laquelle est leur fer de lance programmatique respectif. Comme on peut le deviner, la polarisation sociale, surtout depuis le début de la crise économique en 2008, laquelle a éclaté sur la scène politique avec la « vague orange » de la conquête de l’électorat québécois par le NPD au niveau fédéral en 2011, a fait baisser la cote électorale de ses frères ennemis au profit des deux nouveaux partis. Cependant, si le score électoral des frères ennemis reste similaire mais à la baisse, ceux des nouveaux partis, à la hausse, se révèlent asymétriques en faveur de la CAQ. Encore une fois, les élections partielles du 11 juin serviront de test.

Il y a plus d’accointances entre Québec solidaire et le PQ qu’il n’y paraît

Pourrait-il y avoir, lors des prochaines élections générales, une « vague orange » proprement québécoise laquelle, comme celle fédérale, ferait mentir les sondages d’avant la période électorale et même du début de celle-ci ? Pour la gauche péquiste du SPQ-libre, pour qui bien entendu le PQ est de centre-gauche, une coalition PQ-QS-ON pourrait l’emporter que si la grève étudiante s’autolimite en ne se transformant pas en grève sociale :
« … le déclenchement d’une telle “grève sociale” serait, à ce moment-ci, une erreur magistrale. Elle n’aurait d’autre effet que de faciliter la réélection du Parti Libéral. Rappelons qu’au Québec, Robert Bourassa a été élu en 1970 après la crise étudiante des années 1968-1969 et réélu en 1973 après la crise d’Octobre. En France, De Gaulle, qui était la cible privilégiée de Mai 68, a remporté une éclatante victoire électorale par la suite. […] Nous devons demeurer mobilisés et continuer à manifester contre le gouvernement Charest. Mais il faut se garder de tomber dans un traquenard. La lutte est politique et se jouera sur le terrain électoral. » (Marc Laviolette et Pierre Dubuc, Pour éviter le piège à ours de Charest, Le Devoir, 4/06/12)

À cette stratégie électorale de SPQ-libre, la partie organisée de la gauche du PQ, Presse-toi-à-gauche, le site web représentatif de la gauche antilibérale/anticapitaliste de Québec solidaire, répond dans un premier temps que le PQ est un parti de droite à la démocratie minimaliste :
« Il faut examiner les programmes politiques qui ont été concrètement mis en place par le Parti québécois quand il était au pouvoir. De 1994 à 2003, le Parti québécois a mené une politique néolibérale : il a favorisé le libre-échange, il a défendu le déficit zéro, il a défendu la privatisation des services publics et le réseau privé d’éducation. Il a adopté des lois spéciales contre les syndiquéEs. Les infirmières s’en rappellent. Il a refusé de revoir la fiscalité dans un sens progressiste. Plus, il a favorisé la défiscalisation des revenus des plus riches et des entreprises. Il a favorisé la concentration des richesses dans les sommets de la société. Il a refusé d’apporter son soutien à une démocratisation réelle du processus électoral. Dans son dernier programme, il a bel et bien rayé toute référence à l’instauration d’un mode de scrutin mixte intégrant des dimensions proportionnelles... » (Bernard Rioux, Critique de l’appel du SPQ-libre, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

C’est de plus un parti répressif :
« Les gouvernements péquistes ont notamment adopté des lois matraques particulièrement vicieuses contre les enseignantes et les enseignants en 1982 et contre les infirmières et les infirmiers en 1999. » (Benoît Renaud, Pour que la résistance continue d’être au rendez-vous !, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

Si le passé est garant de l’avenir, on sait donc très bien ce qui se produira une fois que le PQ sera au pouvoir malgré son actuel discours « carré rouge » :
« Pas étonnant que l’attitude du PQ dans le conflit étudiant ait été aussi rempli d’ambigüités. Mme Marois s’est exprimé contre la hausse… pour le moment, en évoquant un énième forum de discussion sur le financement des universités, puis l’indexation des frais avec l’inflation. Elle s’est prononcée contre le recours aux injonctions…tout en appelant les étudiantes et les étudiants à les respecter scrupuleusement. Maintenant, son parti promet d’abroger la loi 78… mais demande qu’on lui obéisse sans nuance en attendant. » (Benoît Renaud, Pour que la résistance continue d’être au rendez-vous !, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

Finalement, la politique du PQ est conforme à son orientation pro-capital :
« Le PQ a-t-il manifesté une quelconque volonté de contrôler le capital financier pour le mettre au service d’une économie centrée sur les besoins sociaux ? Non, une telle orientation apparaît encore à ce parti comme une hérésie de personnes dépourvues de tout pragmatisme. Avance-t-il une réforme de la fiscalité qui permettrait de lutter contre la concentration de la richesse aux mains des plus riches ? Non, il prétend que l’enrichissement de certains est la voie de l’enrichissement de tous. Sans parler des limites de son pacifisme, alors qu’il refuse toute critique des alliances militaires impérialistes comme l’OTAN et NORAD... » (Bernard Rioux, Critique de l’appel du SPQ-libre, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

Le problème est que cette ultime critique va comme un gant à Québec solidaire qui lui aussi laisse au capital financier le contrôle de l’économie, refusant de le nationaliser avec ou sans compensation, qui se refuse à toute réforme fiscale conséquente pour sortir des crises économique et écologique, qui fait seulement « [envisager] des alternatives progressistes aux accords de libre-échange actuels… » (plate-forme 2012) et qui ne dit rien à propos des alliances militaires. C’est là le point aveugle de la gauche de Québec solidaire, l’éléphant dans la pièce qu’il ne faut jamais mentionner. Cet aveuglement volontaire n’est pas sans conséquence sur la tactique à adopter dans la complexe prochaine période. De dire Bernard Rioux, un des principaux responsables de Presse-toi-à-gauche, « [l]e PQ a au mieux chevauché cette lutte [étudiante] tout en gardant une distance peureuse face aux objectifs que le mouvement se donnait. » Même si Québec solidaire est juste un pas derrière le mouvement, le même jugement s’applique à ce parti.

Le pessimisme électoraliste qui sous-estime la rue

Ni Bernard Rioux ni Pierre Mouterde, le fondateur du site Presse-toi-à-gauche et collaborateur occasionnel, ne se préoccupent d’analyser la dynamique actuelle de la grève étudiante pour contribuer à la sortir de l’impasse. Nulle allusion à la nécessité d’un appel pressant à la grève sociale qui en ce moment suinte de tous les pores du mouvement mais que les têtes d’affiche syndicales et de Québec solidaire refusent d’aborder, empêchant ainsi la tenue d’un débat public qui franchisse le seuil des grands médias. Nulle allusion au début d’auto-organisation des comités des casseroles et nul compte-rendu sur le site web alors l’information est disponible.

Il n’y a que Benoît Renaud, ancien dirigeant étudiant pendant plusieurs années, ancien membre de la direction de Socialisme International, associé canadien du SWP britannique, dont il a démissionné, et actuel responsable national à la mobilisation de Québec solidaire et membre de sa direction, qui saisit le vif du débat. Benoît Renaud pose d’abord l’issu possible d’une défaite majeure du mouvement :
« Il sera très difficile pour les associations étudiantes de défier une telle législation [la loi matraque]. Les sanctions contre les organisations et leurs responsables sont très lourdes. Le retrait d’une session de cotisation par jour de grève - ou même de tentative de grève - pourrait handicaper les associations étudiantes les plus militantes du Québec pour plusieurs années. La contestation judiciaire de la loi elle-même et des diverses sanctions en découlant pourrait accaparer des énergies qui ne seront pas disponibles pour mobiliser la population étudiante contre de futures attaques.
« La FEUQ et la FECQ semblent déjà avoir abandonné l’idée de défier la loi pour se concentrer sur la contestation judiciaire. Même l’intention affichée par la CLASSE reste à préciser et à démontrer en pratique. Quelles associations locales seront disposées à prendre de tels risques dès le mois d’août dans un mouvement de grève probablement très minoritaire ? Un nouveau plancher devrait-il être déterminé pour cette phase de la mobilisation ? Si quelques associations décident d’aller au front pour tester la loi, le reste du mouvement étudiant et ses alliés seront-ils disposés à en partager les coûts et à soutenir cette avant-garde ?
« S’il fallait que la plus grande mobilisation étudiante de l’histoire du Québec se termine par la négation légale du droit à faire la grève et la démolition des organisations les plus militantes, en plus du maintien de la hausse des frais, on pourrait assister à une démoralisation majeure conduisant à la passivité pour la majorité et à l’ultra-radicalisme pour une petite minorité de plus en plus criminalisée. Le mouvement pourrait mettre une décennie à s’en remettre. »

Quels moyens propose-t-il pour contrer cette catastrophe appréhendée :
« L’unité des mouvements face à des gouvernements (tant à Québec qu’à Ottawa) déterminés à miner nos acquis sociaux et à nous faire payer les coûts de la crise économique justifie certainement que l’on travaille de concert et avec une nouvelle gamme de moyens incluant la grève sociale et ce, peu importe qui remportera les prochaines élections. D’ici là, il faut continuer à manifester tout au long de l’été. […]
« … si la prochaine Assemblée nationale est composée en majorité de députés du PLQ et de la CAQ, nous risquons de nous retrouver avec un prolongement et un pourrissement encore plus prononcé du régime Charest, sans parler d’une série de nouvelles attaques législative et réglementaires contre les syndicats, les groupes communautaires, les mobilisations citoyennes, etc. Un tel gouvernement, pour faire toute la place au développement des industries minières et gazières, prendra les grands moyens pour faire taire toute opposition. […]
« … dans la prochaine Assemblée nationale, un contingent respectable pour QS pourrait faire toute une différence, et ce peu importe la répartition des autres sièges. L’expérience de trois ans et demi avec un seul député de QS devrait suffire pour en faire la démonstration. […]
« Mobilisons dans la rue et votons Québec solidaire. »
(Benoît Renaud, Pour que la résistance continue d’être au rendez-vous !, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

Benoît Renaud arrive finalement à la même conclusion électoraliste que le SPQ-libre mais sur un mode plus pessimiste, parce qu’il n’a aucune illusion sur le PQ, et plus radical, parce qu’il n’exclut aucun moyen de lutte, dont la grève sociale, bien qu’il oublie lui aussi le potentiel auto-organisateur des manifestations des casseroles.

Envelopper les urnes par la rue

La seule façon de conjurer le spectre de la défaite et son corollaire, un profond recul social, c’est de mettre le paquet sur la mobilisation pour qu’elle parvienne au seuil de la prise du pouvoir par la rue sans exclure une phase électorale. Très immédiatement et concrètement cela signifie un appel au plan d’action de la CLASSE, qui culmine en un appel à la grève sociale cet automne, et un appel à l’auto-organisation des casseroles. 
« Suivant la tradition des derniers mois, la CLASSE invite l’ensemble de la population à deux grandes manifestations nationales le 22 juin et le 22 juillet prochain à Montréal. La CLASSE participera aussi à une action organisée par la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics le 13 juin prochain dans le cadre de la Conférence de Montréal. […] La Coalition a également lancé un appel à une mobilisation plus large dès le début de l’automne, discutant même des perspectives d’une grève sociale au retour des vacances. […] “La CLASSE repart avec une nouvelle équipe. Notre grand défi sera de rester mobilisé-e-s tout l’été afin de redémarrer le mouvement de grève dès la rentrée” affirme la nouvelle co-porte-parole de la CLASSE. » (Congrès de la CLASSE…, Site Bloquons la hausse, 4/06/12)

L’été festivalier montréalais commence cette fin de semaine-ci avec tant le provocateur Grand prix de la formule un, que l’on a tout simplement envie de qualifier de barbare tant il pollue l’environnement que les esprits, que les sympathiques Francopholies où se produiront de nombreux artistes « carré rouge ». Au premier s’invite la confrontantionnelle et anarchisante Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC), à laquelle se joindra la partie étudiante la plus radicale, et au second la modérée et conviviale Fédération des étudiantes et étudiants universitaires (FEUQ), et des concerts de casseroles un peu partout. Les forces policières ne sont pas de reste. Après les arrestations de fins de manifestations à Québec, viennent de débuter les perquisitions et les arrestations, dont la fille du député Solidaire, liées semple-t-il à des occupations et des bombes fumigènes dans le métro remontant à plusieurs semaines.

Mais voilà, grève sociale et comité casseroles embêtent les alliés de Presse-toi-à-gauche (Gauche socialiste et consorts), soit la direction de Québec solidaire et la bureaucratie syndicale de gauche. La grève sociale et sa perspective de prise de pouvoir par la rue sont la négation de l’électoralisme. L’auto-organisation est la négation du contrôle bureaucratique. Ce fut la même chose en 2010 quand Presse-toi-à-gauche a gardé l’omerta sur la contestation des directions syndicales par une partie significative de la base de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS), la plus importante fédération de Confédération des syndicats nationaux (CSN), la seconde plus importante du Québec, et par la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEQ), une autre fédération de la CSN, alors que Presse-toi-à-gauche était parfaitement bien informé de la situation. Quel déchirant dilemme aurait été un débat public pour leurs alliés contraints de choisir entre base syndicale et directions bureaucratiques. 

Voilà que la cuisante défaite de la mobilisation pour le rappel du gouverneur Républicain du Wisconsin suite à l’occupation du Capitol de cet état vient alimenter le débat québécois sur la stratégie de la prise du pouvoir. Le SPQ-libre en conclue le renforcement de sa proposition d’alliance :
« Ce message, n’en doutons pas un seul instant, a été reçu, 5 sur 5, comme un encouragement à aller de l’avant non seulement par les politiciens républicains des États-Unis, mais également par nos Stephen Harper, Jean Charest et Régis Labeaume. La vague antisyndicale qui déferle sur l’Amérique du Nord vient de prendre son deuxième souffle. […]
« … la véritable bataille se mène sur le terrain politique, particulièrement électoral, et elle est beaucoup plus complexe à organiser que des manifestations, aussi imposantes soient-elles. […] Pour battre notre Jean « Scott Walker » Charest, lors des prochaines élections, il faudra ratisser large et cela demande, en plus d’une présence active sur le terrain, des alliances entre les différentes forces d’opposition. » (Marc Laviolette et Pierre Dubuc, Défaite syndicale et politique au Wisconsin, L’Aut’journal, 7/06/12)

N’est-ce pas, cependant, la démobilisation de la rue sous la houlette des directions syndicales, en alliance avec les Démocrates, en faveur d’une stratégie électoraliste qui est la cause première de cette défaite crève-cœur ? Il ne s’agit pas, bien sûr, de sombrer dans le manichéisme entre la rue et les urnes d’autant plus que le droit de rappel, une conquête populaire, offrait à la gauche un intéressant levier institutionnel. Idem pour les recours judiciaires. Sauf que si la mobilisation institutionnelle, y compris électorale, se substitue aux manifestations, grèves, blocages et occupations, prévaut la logique de l’isoloir sur celle des « casseroles », du chacun pour soi sur le « tous et toutes ensemble », de l’homo œconomicus sur l’être social, le tout démultiplié par la puissance de l’Argent, par celle des monopoles médiatiques et, last but not least, par celle de la discipline compétitive de l’école et du travail, encore plus si la gauche, prenant les vessies pour les lanternes, s’unit à la pseudo bourgeoisie progressiste des Démocrates ou du PQ.

À défaut d’être au bout du fusil, le pouvoir est au bout de la rue. Les urnes peuvent tout aussi bien bloquer cette dynamique, en s’y substituant, que s’y combiner en lui servant de relais pour qu’elle aboutisse plus tard. Il en ira peut-être ainsi d’une hypothétique victoire de Syriza à la mi-juin en Grèce, un exemple contemporain des possibles « gouvernements ouvriers » discutés dans la Troisième Internationale avant son gel stalinien. Tout est une question d’analyse concrète de cas concrets de la dynamique de rapports de forces.

La grève sociale marche sur deux jambes, celle qui pousse et celle qui tire

Bien sûr, la grève sociale marche sur deux jambes. De la même manière qu’elle est poussée par l’actuelle dynamique de la rue, elle a besoin d’être tirée par la perspective de l’indépendance pour se débarrasser de la Cour suprême et pour exproprier les banques, les deux clefs de la libération nationale et sociale du peuple québécois. De la même manière que la direction de Québec solidaire ne pose pas la nécessité de la grève sociale, et qu’elle n’est pas poussée dans le dos par son Intersyndicale d’anticapitalistes et de bureaucrates de gauche pour le faire, elle ratatine l’indépendance à une affaire constitutionnelle et linguistique. Le fondateur de Presse-toi-à-gauche de conclure sa critique du SPQ-libre :
« Quand à la fin de son éditorial, Pierre Dubuc rappelle avec raison qu’il faut comme jamais être capable au Québec de combiner question sociale et question nationale, on ne peut néanmoins que lui rappeler que c’est précisément ce que ne fait pas le PQ (et continue à ne pas faire le PQ), parti dans lequel il s’évertue pourtant encore à militer. » (Pierre Mouterde, Rébellion nationale et question étudiante, Presse-toi-à-gauche, 5/06/12)

Exact. Cette militance n’a certes aucune raison d’être au PQ parce que le PQ est strictement néolibéral n’ayant rien de social-libéral sauf dans son discours préélectoral dans un contexte de grande mobilisation sociale. Elle est aussi à rejeter, ce que minimisent les trois critiques de Presse-toi-à-gauche, qui se contentent de critiquer la seule « gouvernance souverainiste » au sein de l’État fédéral, parce que le PQ est fédéraliste depuis sa naissance au discours près. Au référendum de 1980, le PQ réclamait la souveraineté-association, à celui de 1995, la souveraineté-partenariat en alliance avec l’autonomiste ADQ de Mario Dumont. Dans le creux entre les deux référendums ce fut le « beau risque » avec les Conservateurs et dans le creux depuis 1995, la « gouvernance souverainiste » en attendant les « conditions gagnantes ». Si le référendum de 1995 a eu une tournure lutte de classe ce fut bien malgré la direction péquiste qui en est restée autant traumatisée que l’ennemi fédéraliste.

À l’inverse, on peut faire la même critique de Québec solidaire. Et on « s’évertue pourtant à y militer. » On a raison, bien sûr, mais à condition qu’anticapitalistes et antilibéraux critiquent tant le social-libéralisme des prises de position réellement existantes de sa direction que sa subordination de la question nationale à la question sociale, tout comme son suivisme vis-à-vis les luttes sociales.

Marc Bonhomme, 7 juin 2012
www.marcbonhomme.com  ; bonmarc@videotron.ca

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