Édition du 30 avril 2024

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Islamophobies (2e partie)

Au tournant des années 1990, les États-Unis se lancent dans une nouvelle tentative pour « dompter » les arabo-musulmans au Moyen-Orient.

La guerre « sans fin »

Le projet prend une tournure inattendue après le 11 septembre 2001. Les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, les agressions à répétition dans la région de l’allié-subalterne israélien, les menaces contre l’Iran, la « chasse aux terroristes » qui s’étend partout dans le monde à coups d’enlèvements, de détentions illégales et de torture révèlent l’ampleur de la « guerre sans fin » décrétée par le président Bush. De manière générale, les autres G7 comme le Canada endossent les mesures répressives prises à l’égard de populations « suspectes » sur leurs territoires, c’est-à-dire contre les arabo-musulmans essentiellement. Plusieurs milliers de citoyens américains, canadiens, français, britanniques sont privés de leurs droits, emprisonnés sans accusation ni procès ou confinés à des systèmes de contrôle ahurissants, comme on l’a vu ici avec les « certificats de sécurité » et les cas extrêmes de citoyens canadiens envoyés à la torture.

L’offensive contre les « barbares »

Entretemps, Hollywood construit des tas de terroristes » masqués par leurs keffiehs aux couleurs palestiniennes qui tuent des innocents, puis qui sont tués à leur tour par des commandos de la civilisation. La bataille des idées entre également dans l’espace public, notamment en France, où toute une intellectualité réactionnaire s’agite contre les « barbares ». Le plus connu, Bernard Henri-Lévy, se permet des « enquêtes » truffées de mensonges, et où les « sauvages » arabo-musulmans, comme au Pakistan, sont présentés comme des êtres qui « aiment tuer ». La version à rabais de cette dérive est reprise au Québec par les « commentateurs » de service dans les médias-poubelles (Richard Martineau, Denyse Bombardier, etc.) Cependant, ce n’est pas tout le monde qui embarque. La majorité de la population en Europe, au Canada et ailleurs, s’oppose à la guerre sans fin, ce qui contribue à l’échec subséquent de Bush. Plus tard, le passage de Bush à Obama indique un changement de tactique, mais sur le fonds, c’est la continuité. Washington endosse les nouvelles agressions israéliennes contre les Palestiniens et le Liban et bloquent tout processus de paix à l’ONU. Les législations liberticides demeurent en place, même si elles sont moins utilisées. A une autre échelle, la bataille des idées continue de plus belle. Islam = islamisme = terrorisme.

Sauver « notre » civilisation

Aujourd’hui, la stratégie de contrôle se fait sous la bannière des « droits ». Le droit du plus fort pour agresser et conquérir est accepté, mais pas celui du plus faible. L’agression contre les Palestiniens, Libanais, Irakiens, Maliens et autres, c’est pour préserver la démocratie. Comme cela n’est pas assez pour détourner l’opinion publique, voilà que se glisse le « complot arabo-musulman », dans la fantasmagorie des intellectuels et « commentateurs » de droite. Ces barbares infiltrés dans notre « civilisation » veulent tuer non seulement des personnes, mais notre « démocratie ». C’est vrai, des fascistes déguisés en musulmans existent. Comme l’extrême-droite américaine qui se présentent comme des « preachers ». Il y a donc des poches ici et là d’aspirants-terroristes, extrêmement minoritaires, et presque toujours infiltrées par les appareils policiers. Peu importe, il faut mettre en place un vaste dispositif pour surveiller les Arabo-musulmans, nous dit-on

Le fantasme de la femme voilée

Des journalistes mal intentionnés, des politiciens populistes prêts à tout et parfois des intellectuels peu informés s’emparent de certaines images pour convaincre l’opinion qu’il y a une grave menace et parmi celles-ci, il y a évidemment le hijab. Dans une interprétation tordue du droit à l’égalité et du statut de la femme, le voile est présenté comme antinomique avec « nos » valeurs. Les faiseurs d’opinion réactionnaires sont contents, car ça marche au Québec, où la majorité de la population, -c’est à notre honneur, est en accord avec l’idée de l’égalité. On « oublie » de dire que, s’il y a une menace contre les droits des femmes, elle provient surtout, du système économique, capitaliste appelons-le par son nom, qui fait en sorte que dans notre société « moderne » et égalitaire, les femmes restent en bas de l’échelle sociale.

Quels sont les faits ? D’abord, c’est une assez petite minorité des Arabo-musulmanes qui portent le voile. Celles qui le portent le font pour des raisons très diverses : respect de la tradition familiale, attachement à la religion, désir de manifester son identité au moment où un dispositif étatique et médiatique dénigre l’islam, etc. En fin de compte, plus le voile est décrié, plus il devient le faux emblème d’une expression identitaire. Pour une petite minorité de cette minorité, il y a sans doute des intentions réactionnaires plus ou moins avouées, de promouvoir une « civilisation » contre une autre (c’est l’envers de Samuel Huntingdon, également mensongère). Ça vient des « salafistes », un courant ultra réactionnaire qui vient d’Arabie saoudite, les « alliés » des États-Unis dans la « guerre sans fin ».

Laïcisation

Au Québec, nous sommes une forte majorité partisane d’une laïcisation intelligente, qui ne prend pas les gens pour des imbéciles, y compris ceux qui sont attachés à leur religion. Dans le passé, la laïcisation s’est faite sous l’impulsion des luttes féministes et dans la résistance à l’État clérical, réactionnaire et catholique qui sévissait durant les longues années de la « grande noirceur ». Ce fut d’abord un travail « par en bas », dans la société civile et les institutions, et non un décret par en haut qui aurait eu le désavantage d’être perçu comme « anti-religieux » pour une population encore attachée à une histoire, des références, des habitudes (ce qui fait qu’on célèbre Noel ou Pâques sans penser qu’à l’origine, ces fêtes avaient été pensées pour rappeler les « fidèles » à l’ordre). Plus tard, des législations ont été mises en place pour institutionnaliser cette laïcisation, qu’on pense à la déconfessionnalisation (partielle) des écoles (on a laissé les écoles privées proliférer sous l’influence des élites et des milieux catholiques), au droit à l’avortement libre et gratuit, et à l’interdiction de pratiques archaïques qui au nom des religions (y compris catholique) confinaient les femmes dans un statut de seconde classe. Il y a des leçons à retenir de cette juste et honorable bataille pour la laïcisation, qui reste un chantier inachevé au Québec.

Résister

Dans notre interprétation cependant, la « nouvelle » islamophobie ne va rien contribuer à avancer la cause de la laïcisation. Au contraire, elle constitue un réel danger pour affaiblir, diviser et confondre les couches moyennes et populaires. C’est ce qui fait que la droite et de l’extrême-droite en Europe progresse en profitant de l’idéologie de tout-le-monde-contre-tout-le-monde. Sans tomber dans des causalités simplistes, cette dérive vers la droite, un peu partout dans le monde, résulte de la dislocation sociale et économique, de l’évolution dégradée des partis politiques, des interdictions et blocages érigés contre la liberté d’association et de parole. Il y a la peur construite par les médias-poubelles et l’intellectualité réactionnaire. Il y a un sentiment d’être dans un monde qui est une sorte de gros Titanic qui s’en va vers la catastrophe … Que faire ?

Au premier plan, une lutte sans merci et sans relâche contre la discrimination dont on connaît très bien les conséquences : quand on s’appelle Mamadou, Fatima ou Mohamed. Cette discrimination se traduit un taux de chômage qui frappe deux fois plus immigrants à Montréal, malgré les diplômes (qu’on ne leur reconnaît pas). Sans compter l’humiliation quotidienne, la difficulté de se loger, et parfois, le profilage policier et les regards haineux. Les mouvements populaires doivent être en campagne permanente contre ces discriminations. Également, sur l’égalité entre les hommes et les femmes, il n’y aucun compromis à faire, pour qui que ce soit. Cette bataille, rappelons-le, est loin d’être terminée et dans la plupart des cas, n’a pas grand-chose à voir avec le voile ou la religion.

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