Édition du 14 mai 2024

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Jacques Parizeau et la fin d’une époque

Le décès de ce personnage marquant dans l’histoire contemporaine du Québec a frappé l’imagination. D’une part, il y a une grande tristesse de voir disparaître cet infatigable combattant de l’indépendance qui avait, contre mers et marées, y compris contre son propre parti, maintenu le cap sur le projet au lieu de se complaire dans la « gouvernance » à 22 cents. D’autre part, Parizeau était un géant non seulement de la politique, mais de l’intelligence et de la force morale, un homme carrément au-dessus de l’ordinaire.

J’ai eu moi-même l’occasion de le côtoyer un peu en 2005. C’était au Brésil, au moment du Forum social mondial où on était habituellement plusieurs dizaines d’altermondialistes québécois à se tremper dans l’océan de l’espoir. L’ancien PM y avait été invité par la ministre Louise Beaudouin, qui nous avait demandé de l’introduire aux jeunes de notre délégation et aussi à quelques personnalités de la galaxie altermondialiste. Avec les jeunes, il avait un rapport particulier, parce qu’il savait écouter. Avec Samir Amin, il avait eu une conversation intéressante et à la sortie, il m’avait dit qu’il venait de « nous » découvrir, « nous » les altermondialistes, et qu’il n’avait pas vu venir ce grand mouvement mondial y compris dans notre village d’Astérix.

Fait intéressant, à peu près à la même époque, Parizeau avait déclaré qu’il avait changé d’idée à propos des accords de libre-échange. Dès les années 1980, il était un grand partisan de l’intégration avec les États-Unis qui se profilait dans le projet de l’ALÉNA parce que, pensait-il, cette intégration « nord-sud » avait l’avantage de réduire les liens « est-ouest », autrement dit, de minimiser la dépendance du Québec à l’endroit du Canada. Cette perception était, Parizeau l’a compris plus tard, un faux pas, un mauvais cadeau. Il était devenu plutôt en accord avec les altermondialistes qui disaient que les États-Unis ne pouvaient pas, sur le fonds, être un « allié » du Québec. Malheureusement, les successeurs de Parizeau de Lulu Bouchard en passant par Bernard Landry et Pauline Marois ont continué de répéter la fable que le « libre » échange était un atout pour le Québec.

En réalité, Parizeau se détachait de ces politiciens menés par la soif du pouvoir. Il avait un « grand projet », qui n’était pas simplement un maquillage pour attirer des militants, mais une vision cohérente du Québec. Pour lui, l’État québécois devait devenir un véritable État, dans le cadre du capitalisme bien sûr, mais avec tous les pouvoirs de décider de ses orientations. Parizeau rêvait d’une bourgeoisie québécoise politiquement astucieuse, capable de voir son intérêt à long terme et d’avoir l’audace d’embarquer dans une grande coalition et de tenir compte des intérêts des couches populaires, un peu dans le sillon du New Deal américain. Il n’était pas social-démocrate, mais il préconisait un capitalisme humanisé, à la manière de Keynes.

Cependant, à part quelques personnalités, la bourgeoisie québécoise n’a pas entendu son appel. Plus encore, une fois qu’elle a acquis un peu de force, elle s’est mise au diapason du capitalisme canadien et de l’État fédéral canadien. Encore « provinciaux » les bourgeois sont restés à peu près étanches face au projet souverainiste, malgré le flirt plus ou moins avoué de Pierre Péladeau (le papa). Presque tous ont pris le chemin des élites traditionnelles en devenant de fidèles alliés du fédéralisme et concrètement, du Parti Libéral du Canada et du Parti Libéral du Québec, tout en se faisant une place à l’ombre du capitalisme mondialisé sous l’hégémonie des États-Unis.

Lors du référendum de 1995, ces alignements sont devenus plus clairs. La poussée du « oui » est venue par en bas, grâce à l’implication de la FFQ et des mouvements populaires et syndicaux. Certes, le côté charismatique de Bouchard a joué un rôle, mais finalement, les élites et les secteurs conservateurs du Québec sont restés loyaux par rapport à l’État et au 1% canadien qui n’ont par ailleurs pas hésité une seule seconde à utiliser la tricherie et la manipulation pour empêcher le oui de l’emporter. Sur le fonds, la déclaration fracassante de Parizeau sur « l’argent et le vote ethnique » était juste, même si elle était incomplète, laissant sous-entendre que les « ethniques » étaient responsables de l’échec. Rétroactivement, on se rend compte que la défaite de 1995 a été plus qu’un échec tactique. Elle a révélé la faillite du rêve de Parizeau.

Aujourd’hui, cette période est révolue. Parizeau, toujours intelligent et perspicace l’a vu aussi. Il s’est éloigné d’un PQ provincialisé et rapetissé. Il a bien vu le lien entre l’abandon de la souveraineté et l’alignement sur les politiques néolibérales sous la forme de l’obsession du déficit zéro, inaugurée par Bouchard et reconduite par l’aile « lucide » du PQ, qui domine ce parti depuis de longues années. À la fin, Parizeau avait mis une croix sur l’idée d’une « renaissance » du PQ. Je spécule, mais je ne crois pas qu’il pensait que le phénomène PKP allait déboucher. Ses appuis au petit d’Option nationale ouvraient la porte à quelque chose d’autre : qui sait ce que cela aurait été ?

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