Édition du 30 avril 2024

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Europe

« Je refuse d’être complice d’un régime qui perpétue des crimes de guerre »

Je m’appelle Apollinaria Oleinikova et je suis une artiste russe et une militante anti-guerre. Je suis également étudiante en sciences politiques. Au cours des dernières années, j’ai participé activement à des activités militantes, ce qui m’a valu d’être réprimée par les autorités russes sous la forme d’amendes, d’arrestations, de condamnation au travail obligatoire et d’autres formes de sanctions encore moins conventionnelles.

Tiré de Entre les lignes et les mots

À la suite de l’agression de l’Ukraine par la Russie, je suis devenue une militante active, particulièrement sensibilisée aux crimes de guerre commis par l’armée russe, en Ukraine et dans divers pays du monde.

J’ai essayé de faire la lumière sur les conséquences dévastatrices des projets coloniaux russes dans des pays comme l’Ukraine, la Géorgie et la Syrie. Pour sensibiliser les gens, j’ai participé à de nombreuses actions artistiques de protestation (à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie), j’ai organisé des événements contre la guerre et des soirées d’écriture de lettres aux prisonniers politiques, et j’ai co-fondé un mouvement féministe anti-guerre à Berlin, en exil. Actuellement, j’ai un blog personnel sur Instagram (@missapolly) où je m’efforce d’attirer l’attention sur la situation à l’intérieur de la Russie et au-delà, mais en me concentrant particulièrement sur les actions de l’armée russe en dehors de la Russie.

En tant que jeune militante russe, je suis profondément opposée à l’intervention militaire de la Russie en Syrie. Mon parcours vers l’activisme syrien a commencé il y a un an lors d’une grève de la faim de trois jours à Berlin, lors de laquelle j’ai rejoint mes amis (également en exil) pour protester contre l’intervention russe en Ukraine. C’est à cette occasion que j’ai rencontré un Syrien qui est devenu un ami proche et qui m’a incité à devenir également active en m’opposant aux actions de la Russie en Syrie. Au cours de l’une de nos conversations, il a raconté ses expériences pendant le siège d’Alep, notamment le bombardement d’hôpitaux et d’écoles par l’aviation russe, et la mort de son père, un pompier, sous les bombes des forces militaires russes. Ce fut l’une des conversations les plus difficiles de ma vie, et je suis restée pétrifiée pendant quelques mois, ne sachant pas comment poursuivre ma vie après avoir entendu le récit de toutes ces atrocités commises par mon pays en Syrie, quasiment inconnues de nous jusqu’alors.

Mais ce fut aussi un tournant pour moi, car j’ai réalisé que je ne pouvais pas rester silencieuse face à de telles horreurs. Depuis lors, je me suis engagée dans diverses actions de sensibilisation aux actions de la Russie en Syrie. Par le biais de l’activisme numérique, je m’active sur les médias sociaux et d’autres plateformes en ligne pour partager des informations sur les atrocités commises par l’armée russe. J’ai également participé à de nombreuses manifestations, à Berlin et dans d’autres villes, où je me suis tenue aux côtés de Syriens et d’autres activistes pour exiger la fin de l’intervention russe. Quand j’ai fait des dons à des organisations qui s’efforcent d’apporter de l’aide et du soutien au peuple syrien, je me disais : même si ces dons sont modestes, ils constituent pour moi un moyen concret de montrer mon soutien et de faire la différence.

En décembre dernier, j’ai commencé à travailler sur un texte pour mes médias sociaux concernant l’ « opération spéciale » russe en Syrie. Bien que ce sujet soit largement connu en Europe, il n’est pas souvent abordé en Russie, même au sein de l’opposition.

En y travaillant, je me suis rendue compte d’une chose. Je tombe souvent sur des messages sur les médias sociaux concernant l’emprisonnement de Navalny, avec des mises à jour telles que « 300 jours », « 310 jours », « 350 jours », etc. De même, la guerre en Ukraine est marquée par des messages comptant les jours, tels que « 100 jours », « 200 jours », « 365 jours », etc.

Pour mon texte, j’ai décidé de suivre la durée de l’ « opération spéciale » en Syrie. Au 10 février, elle avait déjà duré 2 690 jours depuis 2015.

Mon post a reçu des milliers de likes, des centaines de reposts (y compris de la part de figures connues de l’opposition), et parmi les centaines de commentaires, la plupart des gens ont admis qu’ils ne connaissaient rien au sujet. En raison de la propagande et des ressources limitées des médias d’opposition, la plupart des Russes ne sont pas au courant de cette guerre, encore moins qu’elle dure encore.

C’est pourquoi nous avons besoin d’un plus grand nombre d’activistes pour en parler. Tout au long de mes activités militantes, je me suis inspirée des paroles du philosophe français Jean-Paul Sartre, qui a dit : « La liberté, c’est ce que vous faites de ce qu’on vous a fait ». Ce sentiment résonne profondément en moi, car je crois que nous devons utiliser les injustices que nous avons subies comme catalyseur du changement. Dans le cas de la Syrie, nous devons utiliser les atrocités commises par l’armée russe comme impératif pour lutter en faveur d’un avenir meilleur pour le peuple syrien.

La dernière manifestation à laquelle j’ai assisté était organisée en l’honneur du 12e anniversaire de la révolution syrienne. Elle a été inoubliable. Les gens chantaient et dansaient, on avait l’impression d’un rare unité. Je me souviens d’une fille qui avait placé des pierres sur le sol, sur lesquelles était gravé le drapeau syrien, et d’un homme qui brandissait le drapeau ukrainien. L’esprit de camaraderie qui se dégageait de leur expérience commune était palpable ; ils étaient devenus une sorte de famille. Je ne pouvais m’empêcher d’être envieuse, car je n’avais jamais ressenti un tel niveau de connexion lors des manifestations russes. Lorsque j’ai fait remarquer à mon amie syrienne que le rassemblement ressemblait à une fête, elle a acquiescé, déclarant qu’il s’agissait en effet d’une célébration de la révolution. Son père, prisonnier politique, a disparu depuis neuf ans. Elle n’a pas eu de nouvelles de lui depuis et ne sait pas s’il est encore en vie. Malgré cela, la révolution syrienne persiste, et si eux, ils n’abandonnent pas, nous ne pouvons pas non plus abandonner.

J’aspire au jour où ce cauchemar prendra fin, et j’espère que son père, ainsi que les pères et les frères d’autres personnes, sont toujours en vie.

J’espère également retourner un jour dans mon pays d’origine. Cependant, au cours de l’année écoulée, mes rêves ont été troublés par des cauchemars. Je trouve étrange de ne pas ressentir la même solidarité de l’Europe envers l’Ukraine, mais aussi la Syrie et le mouvement anti-guerre russe. Je pense que nous méritons tous la solidarité et le respect dans nos luttes désespérés.

En tant qu’activiste russe, je me sens particulièrement responsable de dénoncer les actions de mon propre gouvernement, en Ukraine et en Syrie. Je refuse d’être complice d’un régime qui perpétue des crimes de guerre et des violations des droits humains. Ce régime continue de tuer. Mais le monde regarde, alors qu’il a causé d’immenses souffrances au peuple syrien depuis tant d’années, hors des lumières de l’attention. Par mon activisme, j’espère montrer que tous les Russes ne soutiennent pas les actions de leur gouvernement et que nous sommes solidaires du peuple syrien ; que nous cherchons à savoir et sommes avec eux.

Apollinaria Oleinikova, artiste russe et militante anti-guerre

https://blogs.mediapart.fr/russie-les-voix-de-la-dissidence-daujourdhui/blog/130423/je-refuse-detre-complice-dun-regime-qui-perpetue-des-crimes-de-gue

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