Édition du 21 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Justin, Stephen et les autres

Il y a quelques mois, des romantiques, des naïfs et des ultra-optimistes avaient poussé un soupir de soulagement devant la défaite de Stephen Harper. Plusieurs de ces personnes étaient particulièrement outrées de ce que Stephen avait fait de la politique extérieure du Canada. Ils étaient navrés que la « belle » réputation du Canada en tant que défenseur de la paix, des veuves et des opprimés, avait été entachée. Or six mois plus, qu’en est-il ? Il faut être vraiment malhonnête ou nul à pleurer pour ne pas constater que l’approche de Justin, sur le fonds et non sur la forme, est restée à peu identique à celle de Stephen. Sur tous les grands dossiers, c’est la continuité : l’acceptation enthousiaste des pires traités de libre-échange, le silence devant les coups d’état comme celui qui vient de survenir au Brésil, et bien sûr la crise sans fin qui sévit au Moyen Orient.

La « pacification » via la purification ethnique en Irak

Depuis quelques années, l’État islamique en Irak et au Levant (Daesh) est monté en force. Cette spectaculaire envolée était cependant une conséquence et non une cause. L’effroyable gâchis hérité de l’invasion américaine de l’Irak est revenu dans la face de ceux qui avaient lancé le boomerang. L’État irakien disloqué, la société atomisée et clochardisée, l’économie pulvérisée, tout cela a mené à une impitoyable guerre de tout-le-monde-contre-tout-le-monde dans ce pays. Le gouvernement irakien actuel, avec l’appui de Washington, a été capté par un groupe sectaire aux pratiques douteuses. Pour détourner l’attention de l’immense arnaque qui permet aux gouvernants de voler l’argent du pétrole, on a mis de l’avant une campagne ciblant les sunnites (importante minorité irakienne). Des exactions, des prédations, voire des massacres sont perpétrés sous la gouverne du Premier ministre Haidar Al-Abadi. Il a manœuvré pour mettre au premier plan une milice confessionnelle très controversée, Hached Al-Chaabi (Mobilisation du peuple), qui est essentiellement composée de combattants fanatisés qui croient en la nécessité de « casser » les sunnites. Ces populations (un tiers des Irakiens), surtout dans l’ouest du pays, ont été encerclées, menacées et violentées et quand Daesh est apparu dans le décor, les grandes villes sunnites comme Mossoul et Fallouja sont restées passives. Aujourd’hui avec l’appui des États-Unis, du Canada et d’autres puissances mal intentionnées, une lutte à finir contre Daesh risque de mener à la destruction de ces villes et à l’exil de centaines de milliers de personnes. Cette « pacification » va totalement à l’encontre d’un processus de paix, qui aurait été amorcé par une méga opération de réconciliation nationale, appuyée par la société civile, et en mettant de côté les responsables de l’implosion, à commencer par les États-Unis. En endossant la guerre actuelle présentée comme une opération pour « libérer » l’Irak, Ottawa se retrouve à gérer la crise irakienne en droite ligne avec ce qu’avait fait Stephen Harper, trop content de faire le petit soldat aux côtés de l’armée états-unienne.

La Syrie ou la destruction programmée

Pendant longtemps, les États-Unis et ces alliés-subalternes ont œuvré pour provoquer l’écroulement du régime de Bashar El-Assad. Contrairement à un autre mythe, la destruction programmée avait peu à voir avec la « défense des droits », mais avec la nécessité de détruire un État « récalcitrant », « coupable » d’être trop proche de l’Iran. Washington a alors donné à ses subalternes régionaux, Israël, la Turquie, la Jordanie, l’Arabie saoudite, le feu vert pour armer, équiper et appuyer les groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra (l’affilé d’Al Qaeda dans la région !). Rapidement cependant, Al Nosra s’est fait piéger par la corruption et la manipulation de ces appuyeurs louches et sans scrupules. Et c’est alors que Daesh est arrivé dans le décor en bousculant tout le monde. Encore là, la stratégie américaine s’est avérée un misérable échec, au point où Washington doit accepter le grand come-back de la Russie, essentiellement pour sauver le régime d’El-Assad. Entre-temps, les conseillers militaires américains et israéliens se retrouvent avec les combattants kurdes affiliés au PKK, l’ennemi juré de la Turquie, pour tasser Daesh et permettre au régime syrien de sauver sa peau. Cherchez l’erreur ! Encore là, Justin endosse le carnage en cours,même si ce n’est qu’indirectement.

La mauvaise blague de l’« intervention humanitaire »

Survient alors la crise des réfugiés qui est, bien sûr, une conséquence de ce chaos. Justin et les autres font les fanfarons : ils vont sauver la Syrie, alors qu’il s’agit de 25 000 personnes qu’on pense accueillir au Canada (il y a 40 000 nouveaux réfugiés par jour qui quittent ou essaient de quitter la Syrie). Mais pire encore, en privatisant cette opération humanitaire (le gouvernement confie au secteur communautaire la lourde tâche), le gouvernement se retrouve à favoriser, par la bande encore, la purification ethnique. En effet, la majorité des gens que le Canada absorbe à partir des Syriens exilés au Liban appartiennent aux minorités chrétiennes et arméniennes, car ce sont eux qui sont commandités au Canada par des groupes chrétiens ou arméniens. Ce faisant, on laisse croupir sous les bombes des Syriens qui ont le « malheur » d’être musulmans, ou qui sont dans d’obscurs camps de déplacés, n’ayant pu traverser la frontière. Merci Justin ! Pensez-vous que la population syrienne ne connaît pas cette histoire ? Daesh a de beaux jours devant lui pour dire que la politique canadienne vise à punir les musulmans.

Complicité avec l’occupation israélienne

Je n’insiste pas trop sur cette dimension, car elle est mieux connue. Pendant que les yeux du monde sont tournés vers la Syrie et l’Irak, les indicateurs démontrent l’inévitabilité d’une nouvelle crise dans les territoires palestiniens. Le nouveau gouvernement israélien dominé par la droite et l’extrême-droite ne cache pas ses intentions d’en finir avec l’idée d’un État palestinien pour consolider le projet en cours de bantoustanisation et de répression. Devant cela, le gouvernement canadien s’empresse de criminaliser la campagne de boycottage économique (BDS). On veut protéger l’allié israélien au-dessus de toutes autres considérations, même en sachant que des pressions économiques pourraient, à la longue, forcer Tel-Aviv à entamer de véritables négociations, au lieu de faire ce qui est fait aujourd’hui, hier et demain : expulsions, tueries, prédations. Tout en contrevenant à l’esprit des lois canadiennes qui protègent la liberté d’opinion et d’action civique, le gouvernement canadien annonce bien ses couleurs. Il faut dire que dans ce dossier comme dans les autres concernant cette région, Trudeau sait bien qu’il n’a aucune opposition sérieuse, ni des Conservateurs bien sûr, mais pas plus de la part du NPD et du Bloc Québécois. Mulcair se disait lui-même le « meilleur ami » d’Israël. Il semble que les autres députés de ce parti n’ont même pas un minimum de dignité.

Ça va barder

Les intellectuels et les journalistes de service continuent de s’extasier sur Justin en essayant surtout de se faire prendre en photos avec lui. Des cadres honteux du Ministère des affaires extérieures que Justin a baptisé « Global Affairs Canada » ont la sale job de vendre cette salade en espérant regagner un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Entre-temps, la guerre va s’aggraver sous la pression des impérialistes et des régimes pourris qui sévissent dans la région. La résistance, pour autant, continue. Cette semaine, des milliers de Palestiniens vont risquer leurs vies pour dire à la face du monde que Jérusalem est leur capitale, qu’ils ne vont pas l’abandonner devant les violences des militaires et des voyous israéliens. Et il y a dans le reste du monde un sentiment profond de colère qui, un jour pas si lointain, peut-être, posera les bases pour un autre printemps arabe.

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