Édition du 30 avril 2024

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Canada

Kamloops, ces os qui crient

Sans fil conducteur dans l’histoire, le présent manque de profondeur. La découverte des ossements d’enfants autochtones à côté de l’ancien pensionnat de Kamloops acquiert toute son importance comme morceau d’une longue histoire encore méconnue. Or l’histoire des pensionnats est relatée et mise en relation avec les politiques de colonisation dans un volume de la Commission vérité et réconciliation. En voici un hyper bref résumé, pour commencer à comprendre.

Élisabeth Germain, 2021-06-08

Dès le début du régime français, les communautés religieuses ont bien essayé d’éduquer les jeunes autochtones. En écoles de jour ou en écoles résidentielles, les garçons et les filles. Ça n’a pas marché. Les Autochtones ont résisté. Les enfants se sauvaient, n’appréciant pas le régime scolaire discipliné qu’on voulait leur imposer et ne voyant aucun intérêt à apprendre des choses qui n’avaient aucun lien avec leur vie. Leurs parents étaient trop heureux de les voir revenir, eux qui, selon le témoignage même des colonisateurs, « aiment extraordinairement leurs enfans, et quand ils sçavent qu’ils sont tristes ils passent par dessus toute considération pour les r’avoir, et il les faut rendre ». Donc échec de ces premières écoles.

Ces colonisateurs français, peu nombreux, avaient besoin des Autochtones pour survivre. Et pas seulement pour surmonter le scorbut, comme on nous l’a appris. L’économie de colonisation misait sur le commerce des fourrures, et pour cela la collaboration avec les Autochtones était nécessaire. Les fourrures, ça ne se fabrique pas comme le coton ou les minerais, en retenant des gens captifs et en les forçant à travailler. Ça se trouve dans les grands espaces et le savoir faire de gens indépendants, hardis, avec un savoir faire élaboré : ceux qu’on appelait… sauvages, (et qui, soit dit en passant, ont accepté d’éduquer nos coureurs des bois).
Incapable de dominer ou d’assimiler les Autochtones, la politique coloniale française les a plutôt exploités tout en s’assurant de leur loyauté commerciale et politique : elle leur a laissé leur liberté et leurs territoires de chasse, leur payant les fourrures à vil prix et leur facilitant l’acquisition d’armes à feu et d’alcool dont elle connaissait déjà très bien les ravages sur l’intégrité de leur mode de vie.

Au 18e siècle, la donne change dans les colonies désormais britanniques. Le peuplement grossit à vue d’œil, le commerce des fourrures décline, l’agriculture se développe et on a besoin des terres pour tous ces nouveaux colons. Ayant maintenant pour elle le nombre et les ressources, la politique coloniale trahit les traités anciens, en fait des nouveaux avec des clauses orales qui ne seront pas respectées, bafoue les signatures et les alliances. On saisit les terres des « Indiens », on les refoule dans des réserves pour les protéger (!), on leur distribue des couvertures infectées à la variole, on les traite désormais non plus comme des nations autonomes mais comme des colonisés. Pour les faire disparaître comme nations, on vise en même temps leur assimilation à la « civilisation » européenne : au 19e siècle, le gouvernement canadien recommence l’expérience des pensionnats.
Assimiler par les enfants, c’est la même méthode que deux siècles plus tôt, mais cette fois, la situation a changé : la colonisation s’est densifiée, les enfants ne peuvent plus se sauver aussi facilement et s’ils le font, la police revient les chercher dans leurs familles retrouvées. Des communautés missionnaires s’offrent pour faire le travail d’éducation et d’évangélisation – presque toutes les écoles sont tenues par le clergé et par des communautés religieuses à l’époque.

Les subventions fédérales se font chiches, les communautés missionnaires lésinent sur la nourriture, font faire les travaux d’entretien par les enfants, interdisent l’usage de leurs langues ; la tuberculose fleurit dans la promiscuité des dortoirs, des classes, des réfectoires, les soins font défaut. Dès la fin du 19e siècle, quelques voix isolées s’élèvent pour dénoncer les mauvaises conditions et les abus. Rien n’y fait. Au milieu du 20e siècle, on commence à investiguer, des commissions d’enquête se succèderont, on finit par fermer le dernier pensionnat en 1996. Des organisations autochtones se sont formées qui réclament leurs droits, la fin des politiques d’assimilation et la maîtrise de leur éducation.

Nous voilà au 21e siècle, notre siècle. L’apartheid est bien installé. Il n’y a plus de pensionnats, mais un mépris généralisé envers les Autochtones ; les préjugés fleurissent, la violence sévit dans les réserves qu’on nomme maintenant communautés. Pourtant, les Autochtones ont entamé une renaissance culturelle, elles et ils défendent leurs territoires contre les empiètements et les abus – qu’on se souvienne de la pinède d’Oka - , développent leur conscience collective des torts immenses subis à travers les pensionnats et arrivent à nommer cette catastrophe, cette nakba pourrait-on dire : génocide culturel.

Génocide, quelle exagération ! ont dit les uns et les autres. Et d’appeler la définition de génocide à la rescousse… pour découvrir à grande honte que oui, il y a bien génocide, tout au moins culturel. Car on hésite encore à parler de génocide tout court : après tout, on ne les a pas éliminés physiquement comme les Arméniens ou comme les Juifs, n’est-ce pas ? Bien que… les femmes autochtones disparues et assassinées… les conditions de vie mortifères dans nombre de communautés…
Aujourd’hui, cette fosse à Kamloops. Depuis les entrailles de la terre, les os enfouis de 215 enfants crient silencieusement l’horreur de leur vie et de leur mort. La disparition à petit feu de nations dont on ne voulait plus. Un infanticide collectif qui ne peut avoir d’autre nom que génocide.

Que faire ? Que faire, pour la suite du monde ?

Écouter, écouter les Autochtones et commencer à mettre en œuvre ce que nous demande la Commission de vérité et réconciliation : « (…) réparer le lien de confi­ance en présentant des excuses, en accordant des réparations individuelles et collectives, et en concrétisant des actions qui témoignent de véritables changements sociétaux. »

Références :
Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. 2015. Sur http://www.trc.ca/assets/pdf/French_Executive_Summary_Web.pdf
Pensionnats du Canada. L’ histoire, partie 1 : des origines à 1939. Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Volume 1. 2015. Sur http://www.trc.ca/assets/pdf/French_Volume_1_History_Part_1_Web.pdf
Pensionnats du Canada. L’ histoire, partie 2 : de 1939 à 2000. Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Volume 1. 2015. Sur http://www.trc.ca/assets/pdf/French_Volume_1_History_Part_2_Web.pdf

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