Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

L’Ukraine et la Palestine ou comment « les Américains sont plus prompts à aider Israël que l’Ukraine »

Le 7 décembre, le Congrès américain a de nouveau refusé de voter le projet de Joe Biden d’une enveloppe financière comprenant une aide de 14,3 milliards, qu’on oublie parfois de mentionner, à Israël et de 61,4 milliards à l’Ukraine. Celle-ci devra se contenter, en compensation dérisoire, de 175 millions de dollars ponctionnés sur les réserves de l’exécutif.

14 décembre 2023 | tiré de l’Hebdo L’Anticapitaliste 687
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/lukraine-et-la-palestine-ou-comment-les-americains-sont-plus-prompts-aider

La symétrie de deux destinataires n’est qu’apparente – à la fois sur le fond et quant aux volumes globaux des aides rapportés à la taille des populations. Cela étant posé, nous n’en avons pas fini avec les trompe-l’œil que cette affaire recèle.

Dissymétrie politico-militaire

On peut noter d’abord la dissymétrie politico-militaire sous-jacente à ces propositions d’aides rejetées.

D’une part, l’Ukraine n’était et n’est toujours pas une priorité stratégique pour les États-Unis qui ne lui ont jamais fourni les moyens nécessaires1 pour mener jusqu’au bout, en profitant de la déroute russe, l’offensive victorieuse de septembre-novembre 2022 (prise de Kharkiv et de Kherson). Le choix et le droit de résister est venu du pouvoir massivement soutenu par la population ukrainienne (38 millions de personnes) contre une Fédération de Russie de 143 millions. L’insuffisance d’armes pour se défendre et terminer au plus tôt cette guerre, face au défi d’un impérialisme néofasciste particulièrement prédateur, explique, en grande partie, les chiffres, estimés d’août, du lourd bilan de deux ans de guerre : 500 000 morts et blessés, soit 300 000 chez les militaires russes et 170 000 à 190 000 chez les militaires ukrainienNEs. Sans parler des civilEs, exclusivement ukrainienNEs, que l’armée russe considère comme des cibles militaires.

D’autre part, l’État israélien de 9 millions d’habitantEs a reçu des divers gouvernements étasuniens une aide militaire exponentielle et stratégique depuis sa création pour un total de 124 milliards de dollars, et 3,8 milliards par an ces dernières années2, pour soutenir une occupation coloniale dans le cadre d’une tout aussi exponentielle disproportion de force en faveur d’Israël, face à ce que la résistance palestinienne est en mesure de lui opposer depuis des décennies.

Voilà pour bien soupeser ce que signifie le rapport, biaisé si l’on n’y prend pas garde, des projets mis en échec de 61,4 milliards pour l’Ukraine et « seulement » 14,3 milliards pour Israël !

Aide à la résistance ukrainienne

L’actuel carnage auquel se livre l’armée israélienne à Gaza, dans une logique de destruction absolue des vies humaines palestiniennes et d’une nouvelle Nakhba, devrait au demeurant finir de mettre les pendules à l’heure quant à ce que signifient les sommes en jeu dans les débats et les votes du Congrès américain. Pour aller vite, disons que l’aide à la résistance ukrainienne lui est vitale non seulement pour conserver la perspective (à plus ou moins long terme) – que les esprits pressés et/ou intéressés jugent évidemment impossible – de vaincre l’ennemi mais surtout de préserver, malgré l’extrême pénurie en armement, les lignes défensives du front face aux actuelles violentes offensives russes. En revanche, les quelque 14 milliards que Biden voulait destiner à Israël ne modifieraient pas la supériorité militaire écrasante d’Israël face au peuple palestinien. Mais, il serait politiquement essentiel de retirer toute aide militaire à Israël pour exiger l’arrêt du massacre tendanciellement génocidaire de PalestinienNEs qui a malheureusement tous les moyens de se réaliser à Gaza, avec ou sans apport supplémentaire grâce aux aides massives américaines du passé.

Déroute politique de certains secteurs de la gauche

Alors, si l’on comprend bien qu’un démocrate positionné à gauche comme Bernie Sanders considère fort justement qu’aucune aide ne doit par principe être accordée à l’État criminel d’Israël, on peut déplorer son positionnement du 7 décembre : il a ajouté sa voix au Sénat à celles des 49 Républicains intégristement pro-Israéliens dans leur immonde chantage à Biden conditionnant « nos voix pour l’Ukraine si vous augmentez le budget pour la chasse aux migrantEs, à la frontière sud ».

L’aveuglement dont vient de faire preuve cette personnalité progressiste, pourtant critique de la guerre menée par Poutine contre l’Ukraine, soutenue par une gauche américaine si généreusement engagée dans le soutien à la Palestine, ajoute symptomatiquement à la déroute politique de certains secteurs de la gauche internationale s’opposant depuis le début à l’armement des UkrainienNEs au nom de la nécessité de la paix – une « paix » sans justice et imposant de se soumettre – alors qu’à juste titre est soutenu le droit des PalestinienNEs de résister. Et une paix instable qui, si elle consacrait la victoire du dictateur russe, le conforterait dans la perspective de remettre cela (voir les précédents en Géorgie ou en Ukraine, même en Crimée) à la première occasion : possible cap sur la Moldavie, via la Transnistrie, comme l’avait avoué le ministre russe des Affaires étrangères, et du côté des pays baltes, voire de la Pologne. Cette « paix » renforcerait aussi son emprise totalitaire sur le peuple russe après le terrible prix du sang qu’il lui aura fait payer dans cette guerre d’Ukraine. Logique infernale d’une paix qui appelle implacablement les guerres.

Refuser ces positionnements à courte vue qui oublient de se placer sous l’égide de la défense des peuples agressés et opprimés et soutenir leurs choix de lutte, souvent dans des conditions de survie, participent de ce qui doit aider à reconstruire des gauches à l’échelle internationale en mesure d’ouvrir des perspectives d’émancipation aujourd’hui brouillées. En commençant par se solidariser plus qu’il n’est fait avec une gauche laïque palestinienne pénalisée par un manque de soutien et d’aide internationale militaire comme politique et les gauches ukrainiennes engagées dans la résistance militaire, sans s’aligner politiquement ni sur Zelensky et ses politiques antisociales et son soutien à Israël contre les PalestinienNEs ou ses complaisances envers le nouveau président d’extrême droite argentin ni sur les impérialismes fournisseurs d’armes.

1.« Le soutien à Kiev a déjà baissé de 90 % en un an, selon un rapport de l’Institut Kiel » (https://www.lemonde.fr/l…)
2.Les Américains plus prompts à aider Israël que l’Ukraine. (https://www.lesechos.fr/…)

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