Édition du 14 mai 2024

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Débats

L’élection fédérale : jeter une lumière crue sur les périls en la demeure

Au lendemain de l’élection fédérale, nous avons publié un texte de Pierre Beaudet et Richard Fidler qui visait à identifier les perspectives ouvertes par la victoire de Justin Trudeau et la formation d’un gouvernement minoritaire. Si nous partageons un certain nombre de constats et l’identification des tendances qu’ils dégagent de la situation, nous voulons revenir sur leur contribution qui nous semble ne pas préciser suffisamment l’importance du glissement à droite de l’ensemble du champ politique dans l’État canadien, la nature des mutations du nationalisme québécois et les dangers qu’elles recèlent pour la construction d’un véritable parti de l’émancipation.

« La « vague de droite » qu’espéraient les Conservateurs s’est avérée une vaguelette

1. Le texte parle de vaguelette de droite. Même si elle a échoué à former le gouvernement, la droite canadienne sort renforcée de ces élections. Le Parti conservateur gagne la majorité des votes et la concentration de ces votes dans l’Ouest canadien crée une situation de tension régionale exacerbée qui va exercer une forte pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il accentue son virage à droite. L’annonce fait par le ministre sortant des Finances Bill Morneau dès le lendemain de l’élection sur le fait que l’expansion du pipeline Transmoutain est non négociable est révélatrice à cet égard.

« Le PLC a sauvé la mise, avec beaucoup de nuances, c’est positif... »

2. Le recul du PLC est moins le résultat d’une politique mi-figue mi-raisin (???), mais résulte de politiques pro-pétrolières sur le terrain environnemental, anti-démocratiques avec son rejet de la réforme du mode de scrutin promis, et avec ses acoquinements avec le grand capital comme cela s’est révélé dans le scandale SNC-Lavalin. Son aplaventrisme face au gouvernement Trump sur de multiples dossiers a aussi contribué à son discrédit. Et il ne faut pas oublier le fait que ce recul est aussi le reflet de son mépris envers la volonté d’autodétermination nationale et les droits et les compétences du Québec. Et il faut également mentionner pour expliquer le discrédit du gouvernement Trudeau le maintien des peuples autochtones dans une situation terrible d’oppression coloniale alors que le premier ministre s’est contenté d’excuses pleurnichardes. Dire que « sur le terrain les réalisations du gouvernement libéral sont minces. » est pour le moins timide et laisse échapper son cours droitier qui a affaibli sa possibilité de capter les sentiments progressistes des secteurs mobilisés de la population. Et pour sauver la mise, il a dû compter sur une campagne de peur autour du retour possible du gouvernement conservateur au pouvoir.

« Le NPD retourne là où il était, dans la cave »

3. Le NPD a connu un effondrement au Québec. Cet effondrement repose-t-il sur la positon de Jagmeet Singh sur la loi 21 ? C’est peu probable car il a promis de ne pas participer à la remise en question de la loi 21 devant les tribunaux. Le fait que le chef du NPD porte un turban a sans doute été un facteur non négligeable des difficultés de ce parti au Québec. Avec la balance du pouvoir à la Chambre des Communes, il est placé devant un choix stratégique essentiel : soit il tente d’utiliser cette situation pour arracher quelques gains politiques au gouvernement libéral, soit il profite de l’accentuation du tournant à droite que connaîtra le gouvernement de Justin Trudeau pour se distinguer des libéraux et essayer de se définir comme le pôle principal du ralliement des secteurs de la population qui s’identifie au centre gauche. Si la première option semble être sa pente naturelle, c’est que ce parti est marqué par une série de prises de position qui l’empêche d’être un facteur de cristallisation d’une gauche même réformiste : ce parti est partisan de la participation du Canada à l’OTAN et à NORAD et il salue bien bas les accomplissements de l’armée canadienne ; il réussit à avoir une politique qui compose avec un certain extractivisme et refuse de défendre de façon conséquente une politique de sortie des énergies fossiles ; il refuse de reconnaître un droit à l’autodétermination du Québec autre que formel. En cela, il comprend bien les intérêts de la bourgeoisie canadienne, mais il est un parti social-démocrate bien reformaté par le néolibéralisme, même s’il peut défendre, suite à son éternel statut d’opposition, des politiques keynésiennes en faveur d’une certaine redistribution des richesses.

Le Bloc québécois a courtisé le vote nationaliste mou

4. Le premier ministre François Legault sort vainqueur de cette élection. Dire que le Bloc québécois est le fruit du nationalisme mou (???) est trop imprécis. En fait, ce qu’exprime l’avancée électorale du BQ c’est le renforcement d’un bloc nationaliste autonomiste qui s’est construit par un ralliement au fédéralisme et qui est en rupture avec le bloc souverainiste qui ne sort pas renforcé, mais affaibli de cette élection. Ce nouveau bloc national autonomiste et fédéraliste est en train de balayer l’ancien bloc souverainiste. Le nationalisme québécois vire à droite. La reprise par le BQ de thèmes de centre gauche est essentiellement une posture électorale qui va s’évaporer très rapidement, car sa dynamique d’évolution se fera sur une politique d’accompagnement du gouvernement Legault qui est essentiellement un gouvernement propatronal prêt à tout céder aux investisseurs et à mener une sévère politique d’austérité comme le souligne à juste titre le texte. Ce virage du nationalisme québécois est le fruit de l’accumulation d’une série de défaites (les référendums de 80 et 95)… sur le terrain de la lutte nationale pour la souveraineté dirigée par un PQ qui a réussi depuis son tournant néolibéral à reporter toute véritable lutte pour l’indépendance au calendes grecques. Le nationalisme identitaire s’exprime comme le souligne le texte de Pierre Beaudet et Richard Fidler par la nouvelle alliance explicite CAQ-BQ-PQ. Ce bloc nationaliste (non souverainiste) s’appuie sur un nationalisme identitaire dont le ciment est une stigmatisation de l’immigration, particulièrement musulmane, et sur une laïcité falsifiée qui est la couverture pseudo-progressiste de cet identitarisme. La forme prise par ce nationalisme identitaire est particulièrement le fruit d’une politique systématique du gouvernement Legault. Ce nationalisme n’est le résultat d’une majorité sociologique de centre gauche présente au Québec et qui serait une protection contre la montée d’une droite dure. Il y a en effet un passé politique de centre gauche bâti par la force des mouvements sociaux, particulièrement le mouvement syndical aujourd’hui en crise. Mais les acquis de la gauche sociale sont attaqués de toute part par un gouvernement qui est en train de jeter les bases idéologiques du renforcement d’une droite dure au Québec. Le racisme de droite se développe au Québec et ce développement se fait sous la direction de Legault, qui a défini publiquement la CAQ comme une nouvelle Union nationale et Maurice Duplessis comme un grand premier ministre. La montée d’un nouveau racisme de droite ne se fait pas seulement au Canada, mais également au Québec. L’épisode du rejet de la commission d’enquête sur le racisme systémique sous les pressions du PQ et de la CAQ et les lois sur la laïcité et l’immigration du gouvernement Legault sont des expressions de cette montée.

« … Québec solidaire tout au long de la campagne fédérale a choisi le silence. La « bonne » raison si on peut dire était d’éviter de ressusciter le lourd débat sur l’identité et les « valeurs ».

5. Québec solidaire est travaillé par le processus de transformation du nationalisme québécois. Ce n’est pas principalement la peur de ressusciter le débat qu’il l’a fait choisir le silence dans ces élections. C’est que la position ferme sur une approche de défense de la diversité et de la définition de la nation politique pluraliste, ouverte et internationaliste qui a été une victoire de la gauche au sein du parti n’a pas trop bien passé auprès d’un certain nombre de membres dont plusieurs sont, tout en demeurant indépendantiste, sous la pression du nationalisme identitaire distillé à flot continu au sein de la population par le gouvernement de la CAQ. Si le courant indépendantiste de QS représenté, entre autres par Option nationale, comprend bien que la défense de l’indépendance est essentielle pour s’opposer à la dissolution du bloc indépendantiste, ce courant est suspendu entre la nécessité de lier indépendance et projet de société d’une part et une démarche identitaire à base nationaliste qui tendrait à faire du bloc indépendantiste un secteur avancé et de gauche du bloc nationaliste d’autre part. La compréhension du caractère anti-impérialiste de la lutte pour l’indépendance et sa signification dans la destruction de l’État canadien est en dehors de l’horizon de ce courant. Il en découle que la nécessité de larges politiques d’alliance avec la classe ouvrière canadienne et les nations opprimées dans l’État canadien pour la victoire de la lutte indépendantiste n’est pas pour ce courant, une préoccupation significative. Il est important de souligner comme le fait le texte qu’on ne peut changer le Québec (et son statut encore) sans changer le Canada. C’est ce débat qui doit traverser Québec solidaire pour élaborer une stratégie indépendantiste qui puisse s’opposer à la consolidation du nationalisme identitaire.

« Un programme de « réformes structurelles » reste jouable dans la réalité actuelle... »

Si la lutte indépendantiste reste à l’ordre du jour et que « l’oppression nationale n’est pas en train de se diluer dans une mondialisation cosmopolite » comme le texte de nos auteurs le mentionne, la perspective de « réformes structurelles » à l’heure de la crise climatique et du néolibéralisme va se heurter, ici comme ailleurs, à la radicalisation de la bourgeoisie et à la volonté de renforcer tous les mécanismes d’exploitation, de redistribution de la richesse vers les sommets de la société et de criminalisation des luttes sociales. C’est pourquoi, il ne peut y avoir de contournement par un parti de gauche de la tâche de participer à la construction et au renforcement des mouvements sociaux antisystémiques. Un tournant doit être opéré par Québec solidaire. Il doit devenir un parti travaillant prioritairement à un tel renforcement dans une logique qui ne peut être que clairement anticapitaliste, particulièrement à l’heure du désastre écologique. Pour s’attaquer à cette tâche stratégique, il ne faut surtout pas céder aux sirènes qui font du renforcement de la représentation parlementaire l’alpha et l’oméga du travail et de l’avenir de ce parti. À ce niveau également, un important travail de clarification est à l’ordre du jour et il ne pourra pas être évité si nous voulons continuer à consolider les forces oeuvrant à l’émancipation au Québec et au Canada.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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