Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L’exécution de Ben Laden, stratégie électorale obamienne ? et plus

Beaucoup a été dit maintenant sur l’assassinat extra-judiciaire du fondateur d’AL-Qaida. Il la xième victime de ce type d’opération qui a commencé avant même le onze septembre 2001.

L’ex-président Bush avait donné au Général McChrystal, chef du Joint Spécial Operations Command, la tâche d’assassiner ceux qui avaient été déterminés comme des menaces terroristes partout sur la planète [1].

Il est intéressant d’examiner l’affaire du point de vue des intérêts du président Obama à ce moment précis de son administration et sous deux aspects : 1- sa campagne électorale qui est commencée et 2- le rapport que la haute direction militaire du pays entretient avec l’exécutif américain depuis quelques années maintenant.

1- STRATÉGIE DE CAMPAGNE,

La droite américaine a toujours tenus les Démocrates pour des mous, peu porté à l’usage de la force dans leurs rapports avec leurs adversaires dans le monde. Quant ils ne les présentaient pas comme des peureux. M. Obama a souffert et souffrait toujours de ce préjugé, encore plus que ses prédécesseurs. Son statut d’intellectuel lent à se décider, pesant le pour et le contre, moins porté sur la gâchette, lui a valu une réputation de couillon qui mettrait en péril la domination des Etats-Unis dans le monde.

Il lui fallait absolument donner des preuves qu’il était en phase avec le maintient de l’empire s’il voulait être réélu en 2012. La victoire des Républicains en novembre dernier ne lui laissait pas beaucoup de choix : trouver un moyen de se démarquer dans l’opinion publique en utilisant un instrument qui frappe l’imaginaire populaire dans le sens du renforcement de l’image américaine.

Décider de la capture d’Oussama Ben Laden, ennemi numéro un déclaré depuis 10 ans maintenant, était un acte suffisant et à sa portée. Les services spéciaux savaient où il se cachait et le surveillait depuis au moins 5 ans. Si la conviction n’était pas absolue, les indices étaient suffisants pour risquer l’opération comme M. Obama l’a déclaré lui-même dans une interview sur le sujet sur CBS le 8 mai courant. Ses réponses à l’intervieweur, faite sur le ton de la candeur, renforçaient l’aspect courageux de la décision gardée secrète jusqu’au dernier moment, même pour une partie de son entourage immédiat.

Opération réussie : Ben Laden est mort et la cote du président a fait un bon spectaculaire à 57%. Pour ne rien laisser au hasard, grande tournée publique : première visite à Ground Zero depuis le début de son mandat ; rencontre avec des membres de familles ayant perdu un être cher dans l’attaque des tours jumelles ; visite à la caserne des pompiers la plus éprouvée par les décès dans l’opération de sauvetage et finalement discours à la base militaire où s’entrainent les soldats d’élite dont ceux affectés à l’exécution de Ben Laden dimanche dernier, rencontre personnelle avec ces derniers et engagement à les honorer plus tard.

Nous sommes dans un scénario de communication électorale, bien élaboré et bien rôdé.

Certains observateurs indiquent qu’il y a encore un an et demi d’ici les élections et que cet événement à des chances de disparaître des radards. Comptons sur la direction de la campagne du président de le réveiller si jamais il s’éloignait des micros et autres caméras.
Pour ce qui est de la justice…….

2- LE RAPPORT ENTRE EXÉCUTIF ET DIRECTION MILITAIRE,

Depuis un bon nombre d’années la hiérarchie militaire américaine a non seulement pris du galon mais s’est hissée en acteur politique sur la place publique [2]. Le contrat constitutionnel entre la direction civile des armées (exécutif et Congrès) et la direction militaire est mis à mal. Stevenson se demande si le président n’a pas perdu le contrôle de ses généraux, « qui interposent leur voix dans la structuration de l’État comme jamais auparavant ». [3] comme à celle de la finance et des grandes compagnies, il se devait de reprendre la main et d’exercer le pouvoir qui lui appartient en matière d’affaires étrangères et de guerre.

La cachette de Ben Laden était soupçonnée sinon clairement connue depuis bien plus que 5 ans. Il est impossible que les plus hauts gradés des armées n’aient été au courant de ce fait. On peut penser qu’ils ont joué un rôle dans la minimisation de l’information pour empêcher une tentative de capture. Tant que Ben Laden était vivant la justification pour la poursuite de la guerre en Afghanistan restait valide.

Malgré sa conduite de cette guerre et des autres depuis son élection, Barack Obama semble vouloir maintenir son engagement à établir le pouvoir des Etats-Unis sur des bases moins belliqueuses que Georges Bush. Pour y arriver il doit s’assurer de mieux contrôler les engagements et les stratégies militaires. Autrement dit, remettre les hauts gradés à leur place, sous le pouvoir civil, dont le sien.

Il y a deux mois, il a retiré le général McKriystal du commandement afghan nommément parce qu’il avait empiété sur les prérogatives du pouvoir civil. Et ces dernières semaines c’est au tour du général Petraeus d’être déplacé à la direction de la CIA. Le général Patraeus avait autorisé, en 2009, l’extension de l’utilisation des U.S. Special Operations forces dans des territoires sans conflits avec les Américains n’importe où dans le monde [4]. Le Yémen a largement bénéficié de cette médecine. Est-ce que cela signifie une plus grande utilisation des opérations clandestines typiques de la CIA et de triste mémoire ?

Par ailleurs c’est un civil, Leon Pannetta, en ce moment directeur de la CIA, qui devient Secrétaire à la défense.

CONCLUSION

Si l’exécution de Ben Laden sert à clore l’événement du 11 septembre 2001 comme le disent bien des observateurs américains, elle n’aura pas servi qu’à cela.

En décidant de procéder à l’attaque de la maison du chef d’Al Qaida, semble-t-il avec une conviction réduite qu’il s’y trouvait vraiment, il a exécuté un plan de match à objectifs divers qui lui donneront des fruits au fil du temps.

Politiquement, hors des Etats-Unis, la prise de Ben Laden ne marque pas un changement très important. Même si les documents saisis montrent qu’il exerçait encore un pouvoir de conception et direction de sa politique : « Il vaut la peine de tuer des Américains » [5] ce n’était plus l’homme de pouvoir de l’époque. Dans le monde arabe, où Al Qaida a fait bien plus de victimes qu’en Occident, les révolutions en cours qui réclament la démocratie, la pluralité et surtout le respect des droits de la personne l’ont déjà fait mentir.

On entend des cris à l’effet que le terrorisme n’est pas mort pour autant ! Peut-être, mais vraisemblablement il vient de prendre un coup de plus. À moyen terme ce sera une arme désuète. La mort de civilEs innocentEs devient de moins en moins tolérable. Ceci vaut tout autant pour l’armée américaine qui ne les épargne pas dans ses opérations principalement en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen et ailleurs.

Espérons, que comme l’invoque Mattew Hoh, démissionnaire de son statut de Marines américain, [6] cela donnera un peu de force et de crédibilité aux membres du Congrès qui réclament la sortie immédiate des troupes américaines d’Afghanistan.


[1Jeremy Scahill, democracynow.org, 2-5-2011,

[2Jonathan Stevenson, Owned by the Army, Harper’s Magazine mai 2011, p.34

[3Op. cit. « The military (…) It’s interjecting its voice into the sphere of statecraft as never before », p.35]

Accusé de soumission à leur égard[[Kevin Baker, The Vanishing Liberal, Harper’s Magazine, avril 2010, p.30

[4Jeremy Scahill op.cit.

[5Allen Nairn, journaliste et militant, sur democracynow.org, op.cit.

[6Democracynow,org, op.cit.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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