Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Économie

L'illusion de la concurrence

Les irréductibles légionnaires du capitalisme et de son libre marché nous serinent (leurs propres intérêts à forte connotation pécuniaire obligent) que la mise en concurrence de milliers d’agents économiques a toutes les vertus : innovation et efficacité accrues, juste prix des produits et services, utilisation optimale de toutes les ressources, élimination des entrepreneurs les plus faibles, satisfaction des besoins des consommateurs, etc.

Pour ces croisés capitalistes, il n’y a pas de services publics (de l’éducation à la santé en passant par l’eau, les garderies et l’armée). Naturellement, pour que le marché fleurisse et s’épanouisse, il faut qu’il soit libre et qu’il puisse opérer sans aucun irritant ou entrave, comme l’est l’État qui pollue le marché par ses interventions stériles et inutiles, qu’ils disent le plus sérieusement du monde. De cette façon, les gens seront plus libres qu’ils claironnent. Vraiment merveilleux !

Il y a juste un petit hic avec leur bébelle : dans toutes les industries, il n’y a justement pas de marché. Le marché existe que dans les têtes des opportunistes. Tous les secteurs économiques sont dominés par une poignée de compagnies plus grosses que les États formant alors un oligopole qui fait la pluie et le beau temps. Ce sont elles, et elles seules, qui dictent les prix, les impôts qu’elles vont payer, les subventions qu’elles doivent recevoir, les lois environnementales à tolérer, les conditions de travail de leurs employés, les usines à fermer, etc. Elles tiennent ainsi en otage les consommateurs, les travailleurs, la population et les gouvernements, qui eux leurs sont inféodés.

Prenons quelques cas récents très concrets. Dans un article du journal Les Affaires du 25 mai 2010 intitulé « Banques : Les critiques [soit la prestigieuse revue The Economist] estiment que le conservatisme [canadien] était dû d’abord et avant tout à un oligopole confortable (sic) », on peut lire que, selon The Economist, « les banques canadiennes se sont partagé un marché intérieur lucratif et elles ont mis fin aux guerres de prix. Il en résulte que les Canadiens paient plus cher que les autres leurs services financiers (sic) ». On ne peut taxer The Economist et Les Affaires de marxistes ! Vaut mieux pour les compagnies de collaborer entre « gentlemans » que de se faire la guerre…

Prenons maintenant l’exemple du secteur ferroviaire canadien, contrôlé entièrement par le CN et le CP, que la Coalition des expéditeurs par rail a qualifié de monopole. On ne peut qualifier cette coalition d’entreprises privées de groupuscules léninistes. Dans un article de La Presse du 15 décembre 2010, intitulé « Secteur ferroviaire : Ottawa ne doit pas alourdir la réglementation, dit le PDG du CN », un comité fédéral a affirmé dans son rapport que : « La qualité des services ferroviaires est souvent inadéquate en raison principalement d’un manque de concurrence qui fausse les règles du libre marché. » Stephen Harper n’a pas l’habitude de nommer des communistes à ses comités et, pourtant, leurs membres ont blâmé l’absence de concurrence.

Tiens, un autre cas, tel qu’illustré dans un article de La Presse du 16 décembre 2010 titré « Pratiques anticoncurrentielles : Le Bureau de la concurrence s’attaque à Visa et MasterCard ». Melanie Aitken, commissaire à la concurrence, a mentionné que « le comportement anticoncurrentiel de Visa et MasterCard nuit aux entreprises et aux consommateurs. Les deux géants ont des règles contraignantes et anticoncurrentielles qui font que les commerçants canadiens doivent verser environ 5 G$ par année en frais cachés »… et que les consommateurs doivent payer des frais d’intérêt exorbitants. Mme Aitken n’est pas maoïste !

Idem pour les pétrolières, plus grosses que le Canada, qui nous « escroquent », selon les propres dires de Stephen Harper : « Harper/Prix de l’essence : Les Canadiens “escroqués” » (Journal de Montréal, 13 septembre 2008). Dire que le Canada, qui est un des plus gros producteurs de pétrole brut au monde, est aussi importateur de pétrole raffiné… Les Canadiens et les Québécois sont parmi les plus colonisés au monde et ils en redemandent. S’il vous plait, n’allez pas raconter ça à des étrangers, ils vont se moquer de nous et vont nous traiter de république de bananes !

Quant aux médias écrits (Power et Quebecor) et parlés : « Concentration des médias : deux Canadiens sur trois souhaitent l’intervention de l’État » (Le Devoir, 14 mai 2004). Mais Jean Charest, qui fait son « goon » avec la population et avec les syndicats, a dit : « Le gouvernement est impuissant face à la concentration de la presse. » C’est le même Charest qui s’est limité a demander des « explications » à Shell lors de la fermeture de sa raffinerie à Montréal-Est et qui se fait l’acolyte des affairistes, souvent ses amis, dans l’industrie minière et gazière.

À propos, Charest attend toujours les explications de Shell et attend toujours d’intervenir pour modifier la loi antiscab désuète après « seulement » deux ans de lock-out au Journal de Montréal décrété par PKP, le « boss » de Quebecor. Il est moins patient pour dégraisser l’État afin de le réingienérer.

L’alimentation au détail au Québec vous dites ? Eh bien ce secteur est contrôlé à plus de 80 % par trois joueurs, soit IGA, Loblaw et Metro, qui s’entendent comme larrons en foire. Idem pour les secteurs pharmaceutique, forestier, du ciment, du génie-conseil, de la construction, de la téléphonie locale, de la câblodistribution, etc. Parlant de génie-conseil : « Collusion dans le génie-conseil ? Le ministère des Transports et l’escouade Marteau s’intéressent aux hauts dirigeants du “club des neuf” », tel que titré dans Le Devoir du 22 novembre 2010. Il y est dit : « L’unité anticollusion du ministère des Transports et l’opération Marteau enquêtent sur neuf firmes de génie-conseil qui se partageraient des contrats publics dans l’industrie de la construction. »

Un postulat fondamental de la théorie économique capitaliste prétend que seuls les forts et les compétents survivent et que les faiblards sont évacués du marché « efficient ». Tout de même drôle, mais dans le cas des banques, des pétrolières, des pharmaceutiques, des détaillants en alimentation, des câblodistributeurs, du génie-conseil, eh bien, il n’y a que des forts qui réalisent des profits records année après année. Vraiment bizarre !

Dans tous ces cas de monopoles, d’oligopoles et de cartel, les profits abusifs que les exploiteurs réalisent carrément sur le dos des consommateurs représentent dans les faits des impôts et taxes en bonne et due forme que vous êtes contraints de leur payer. C’est donc dire que vous payez plus d’impôts et de taxes (car elles vous « taxent » allégrement) au privé qu’à l’État. Faites le calcul, juste pour voir. Je propose un « quiz » hebdomadaire à Radio-Canada qui s’intitulerait : « Cherchez le marché ». Bonne chance aux participants !

Cet article est tiré du site web du journal Métro

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