Édition du 23 avril 2024

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Laïcité

La religion multiculturaliste

Le débat sur la loi 21 ne cesse de s’envenimer, ses opposants et opposantes voulant se rendre jusqu’en Cour suprême pour en forcer l’abolition. Le projet de loi de suppression du cours ECR par le ministre Jean-François Roberge risque d’intensifier encore davantage le conflit entre les laïcistes et nationalistes d’un côté, et les multiculturalistes de l’autre. Plusieurs de ces derniers en effet y voient une attaque contre l’identité religieuse des néo-Québécois attachés à leur foi respective, religion dont l’enseignement à l’école publique s’imposerait. Il s’agirait aussi d’inciter les Québécois « de souche », c’est-à-dire francophones à l’ouverture aux autres cultures dont la religion forme une part importante de l’identité.

On peut alors se demander si les multiculturalistes posent la question d’une façon adéquate. L’ouverture d’esprit qu’ils prêchent à l’endroit des minorités dépend-elle de l’enseignement des religions à l’école ? Le respect des minorités repose-t-il aussi sur le droit supposé de certains et certaines de leurs membres de porter des signes religieux dans l’espace civique (magistrature, police, personnel carcéral et enseignants du secteur public) sur leurs heures de travail ? Par ailleurs, est-ce que ces revendications sont partagées par tous les membres des minorités ou sont-elles le fait surtout de leur frange intégriste ? Il ne faut pas confondre ces deux courants. Être musulman, même pratiquant, n’oblige pas pour autant à afficher ses signes religieux partout. Cette conception rigide se base sur une lecture littéraliste du Coran que ne font pas tous les musulmans. On ne doit pas confondre islam et islamisme.

Une dimension dans tout ce débat semble échapper à bien du monde : le multiculturalisme actuel découle du libéralisme fédéraliste que défendait Pierre-Elliott Trudeau durant son long règne (1968-1984). Trudeau et sa garde rapprochée méprisaient le nationalisme québécois en général et détestaient tout particulièrement le souverainisme. Pour la direction du Parti libéral d’Ottawa, le Canada est une nation formée de différents groupes ethniques, les Québécois francophones ne constituant à la limite, de leur point de vue, qu’un groupe ethnique plus imposant numériquement que les autres. Les responsables fédéraux de l’époque mettaient d’ailleurs sur le même plan les Québécois francophones, les Acadiens des Maritimes et les Fransaskois (francophones de la Saskatchewan), descendants des Métis de Louis Riel. Dans cette optique, pas question d’octroyer au Québec un statut particulier, ni même une autonomie accrue pour ne pas cautionner leur « particularisme ethnique ».

Ils opposaient de manière tranchée l’idéologie ultra-libérale des droits individuels au nationalisme indépendantiste québécois, fréquemment qualifié par eux « d’ethnocentriste » et de « rétrograde ». Ils soulignaient par contraste leur vue d’une nation canadienne constituée de groupes de citoyens égaux, avec chacun sa culture propre venant enrichir le multiculturalisme canadien. Cette façon de voir coïncidait parfaitement avec le nationalisme « canadian », ce qui explique sa popularité au Canada anglais. Ottawa devait être le garant de cette égalité supposée des droits de tous, groupes et individus.

Pour résumer beaucoup, c’est cette manière de voir ultra-libérale et très centralisatrice qui a triomphé (dans la controverse) lors de ce qu’on a appelé le « rapatriement de la constitution » de 1982 et qu’aucun gouvernement québécois, fédéraliste ou indépendantiste, n’a encore signé. Cette opération douteuse, terminée dans la clandestinité (« la nuit des longs couteaux ») faisait suite à la défaite du camp souverainiste au référendum sur la souveraineté-association de mai 1980. Une charte des droits a été incluse dans la constitution « rapatriée », mais sans faire la moindre référence au droit à l’autodétermination du Québec.

Dès lors et peu à peu, l’idéologie libérale des droits individuels n’a fait que se consolider et elle est même entrée dans la vie quotidienne de bien des gens,malgré certains sursauts du nationalisme québécois comme celui soulevé en guise de protestation contre l’échec des Accords du lac Meech et du second référendum (raté de peu) sur la souveraineté-association organisé par le gouvernement péquiste en octobre 1995.

Les nouvelles générations (surtout les milléniaux) n’ont pas connu la ferveur indépendantiste qui animait plusieurs de leurs parents durant les années 1970 où l’on discutait beaucoup de droits collectifs (nationaux et sociaux) tout en les conciliant avec les droits individuels.

C’est dans le courant ultra-libéral et multiculturaliste actuel qu’il faut situer la source de l’actuelle opposition à la loi 21 et à l’abolition du cours ECR. Il importe de souligner en passant que le fils de Pierre-Elliott, Justin Trudeau se trouve au pouvoir à Ottawa et qu’il menace de faire intervenir son gouvernement dans la contestation juridique de la loi 21.

Le présumé droit pour un simple croyant d’afficher en tout temps, en tout lieu et en toutes circonstances ses signes religieux est considéré par les multiculturalistes comme absolu, indiscutable. Le contester conduit à soupçonner les partisans et partisanes de la loi 21 d’intolérance, de xénophobie et peut-être même de racisme.

On discerne là une ironie de l’histoire. Même la constitution de 1982 précise que certains droits peuvent être limités dans une mesure raisonnable pour des motifs d’intérêt et de sécurité publics.

Les rédacteurs de la revue Cité libre de la décennie 1950 où écrivait Pierre-Elliott Trudeau, s’opposaient au régime conservateur et se réclamant du catholicisme du gouvernement de l’Union nationale de Maurice Duplessis. On attaquait dans cette publication avec vigueur la chape de plomb que le régime Duplessis imposait aux « esprits libres » de la province, la domination de l’Église catholique, le tout au nom de « l’ouverture aux autres » et des droits individuels qu’on considérait comme bafoués par le gouvernement en place. Il fallait, soutenait-on, sortir la religion des écoles ou du moins y valoriser un catholicisme plus ouvert, plus conscient des réalités sociales.

Or aujourd’hui, l’ultralibéralisme multiculturaliste découlant de la Charte des droits de 1982 mène à une tentative d’institutionnaliser le port de signes religieux là où n’ont pas leur place (dans l’espace civique), ébréchant ainsi la neutralité et l’apparence de religieuse de l’État et aussi à maintenir l’enseignement de la religion à l’école publique par l’intermédiaire du cours ECR. Non qu’on doive empêcher toute instruction sur l’histoire des religions dans le système public, mais le cours ECR a déjà fait l’objet de critiques pertinentes sur lesquelles je ne reviendrai pas. Il vaudrait peut-être mieux l’insérer dans un cours d’histoire générale.

Alors que le gouvernement nationaliste de centre-droit de la CAQ tente, avec l’appui d’une forte majorité de Québécois et des Québécoises, justement de protéger l’espace civique de l’envahissement du religieux et qu’il essaie de sortir la religion des écoles, les multiculturalistes et les ultralibéraux, au nom des droits individuels essaient de contrer ce mouvement au nom d’une certaine conception rigide du respect de l’Autre.

Précisément, l’étude de l’histoire mène non seulement à un certain sens du tragique, mais aussi à celui de l’humour...

Jean-François Delisle

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