Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Conseil national de Québec solidaire de la mi-septembre 2020

La base irritée vote des engagements de relance que la direction ignore

Le Conseil national (CN) extraordinaire et virtuel de Québec solidaire de la mi-septembre 2020 d’une seule journée a entériné la proposition de la direction du parti de déclencher une campagne politique tout comme son orientation générale. Mais après avoir manifesté son mécontentement face à la politique pandémique du parti, ce dont les médias ont rapporté tout en l’accentuant, les 180 personnes déléguées, sur une possibilité de 240 soit un taux de participation des trois quarts, ont imposé des engagements contraignants à la direction dont elle n’a pas tenu compte ni dans son bref rapport internet aux membres ni dans sa conférence de presse. Dans un autre ordre d’idées, concernant l’inclusion et l’antiracisme au sein du parti, le conseil national est allé dans la même direction soit faire confiance à la direction pour améliorer la situation au sein du parti, et non s’en remettre à un comité spécial paritaire redevable au conseil national composé d’une majorité de personnes racialisées, autochtones et handicapées, mais en lui imposant une série de contraintes. (On trouve en annexe le détail de ces deux résolutions une fois amendées mais avant la synthèse officielle.)

Une préparation essentiellement consultative qui n’empêche pas un foisonnement d’amendements

La préparation de ce conseil national ne fut pas sans tensions internes. Une partie de la militance du parti, dont officiellement les Solidaires pour la démocratie interne, avait dès le printemps dernier réclamé un conseil national virtuel statutaire qui devait se tenir avant la fin de l’été. À la place, la direction du parti a organisé de virtuelles « consultations » thématiques des membres en réalité un discours unilatéral de personnes dirigeantes et de leurs experts suivi d’une plutôt brève période de questions-réponses, où le temps de réponse était long, sans activer les caméras autres que ceux des présentations et sans possibilité de clavardage entres les personnes participantes malgré la possibilité technique de le faire. Une fois consultée une assemblée de personnes élues des circonscriptions sur une thématique prédéterminée soi-disant provenant de la consultation des membres, toujours sans possibilité de vote, la direction a enfin convoqué un conseil national extraordinaire, c’est-à-dire à ordre du jour fermé et déterminé par elle, alors qu’il eut été tout à fait possible de convoquer un conseil national normal.

Sous prétexte qu’il n’était pas possible d’activer le parti assez rapidement, le temps de débat interne pré-CN fut télescopé au point de faire connaître aux délégations les amendements proposés seulement 24 heures à l’avance ce qui donnait à peine le temps d’une appropriation personnelle mais certainement pas collective. (N’existe pas dans le parti un mécanisme de communication horizontale entre les membres ce qui en dit long sur le verticalisme en son sein.) Le très grand nombre d’amendements provenant d’un nombre relativement important d’instances du parti (une cinquantaine), particulièrement pour le contenu de la campagne politique révèle un long refoulement de la volonté des membres de participer à la direction collective du parti. Le comité synthèse a instrumentalisé cette explosion d’amendements pour le contenu de la campagne (plus de quarante) afin de ne pas en faire la synthèse d’autant plus que la direction ne lui avait pas laissé le temps pour ce faire (deux jours). En a résulté une proposition « de référence » à la direction comme seule option pratiquement viable dans le temps alloué. Ainsi, la direction aurait les mains libres pour sa campagne sans être contrainte par des positions concrètes et précises.

La manœuvre pour se libérer des contraintes de la base bloquée par le mécontentement militant

Le CN n’a pas accepté cette manœuvre de la direction, malgré une tentative d’interventions carabinées de trois membres de la direction en ce sens, et a voulu voter chacun des amendements malgré les redites et certaines contradictions entre eux. Il a particulièrement voté à un peu plus de 50% (rejet 40%) l’important amendement de la commission politique (CP) regroupant la douzaine de responsables de comités thématiques sous la coordination de la responsable au programme. (On se réjouit que lors du congrès de fondation du parti en 2006, celui-ci ait modifié les statuts proposés en faisant dépendre la CP non pas du comité de coordination nationale (CCN) mais du CN évitant ainsi un ultra-verticalisme.) Une fois terminée la période de vote, la direction par l’intermédiaire de la porte-parole femme a tenté d’obtenir sans succès un vote des deux tiers pour forcer un vote entre l’amendement contraignant de la CP et un autre moins contraignant (voir l’annexe) sans compter le porte-parole homme qui dans sa présentation avait lourdement insisté pour que le programme soit la seule contrainte pour la campagne politique. En résulte que la direction, si elle est démocratique, devrait être contrainte par quelques clairs engagements précis, radicaux et audacieux, soulignés dans l’annexe.

Certains sont des rappels d’engagements bien connus du parti soit l’opposition à GNL-Québec et à l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste, d’autres moins connus tels la nationalisation des transports collectifs interurbains et du RÉM. Notons toutefois la hausse immédiate, et non pas sur quelques années, du salaire minimum à 15$, ce qui fait écho à la hausse de salaire que gouvernements et entreprises privées, même finalement Dolorama, ont dû consentir temporairement aux travailleuses essentielles. On peut aussi penser que la combinaison des crises pandémique, économique et climatique ont poussé pour insister sur la nationalisation des secteurs de transport collectif, des secteurs privés de santé et d’éducation tout comme pour spécifier que cette nationalisation du secteur des transports, prévue au programme, signifie aussi le développement d’une industrie publique de production de matériel roulant électrifié (autobus, tramways, trains, métros, rails, système de contrôle électroniques, etc...).

Tel qu’inspiré par l’IRIS dès la fin mars : 250 000 emplois publics et communautaires maintenant

Là où cependant une vision de gauche de la lutte pandémique se fait le plus sentir, ce que la direction Solidaire a jusqu’ici complètement mis de côté, sont les directives de la base Solidaire réclamant l’instauration de la gratuité immédiate, non pas sur dix ans, des transports en commun et surtout l’embauche de 250 000 personnes dans le secteur public ce qu’il faut élargir au communautaire étant donné cet autre amendement de la Commission nationale des femmes réclamant « le renforcement de l’action communautaire autonome » ce qu’avait aussi proposé l’amendement rejeté d’Hochelaga-Maisonneuve allant dans le même sens. À noter que cette dernière revendication s’appuie sur le think-tank de la gauche québécoise, l’IRIS, qui dès le 25 mars, au début du confinement, avait publié son billet percutant « Le gouvernement doit embaucher 250 000 personnes maintenant », ce dont la direction Solidaire n’avait tenu aucun compte sa porte-parole préférant être « [l]a première personne que j’ai entendue se ranger complètement derrière (le premier ministre François) Legault » comme l’a dit un délégué au CN (Caroline Plante, Québec solidaire s’autocritique lors de son conseil national, La Presse, 12/09/20).

On peut cependant déplorer l’absence de tout engagement spécifique à propos du logement social écologique alors que le Québec, et Montréal en particulier, connaît une grave crise du logement populaire. Hochelaga-Maisonneuve avait proposé, tout comme la création de 250 000 emplois et la gratuité immédiate du transport public, la « réquisition des logements Airbnb, condos inoccupés et chambres d’hôtel et la construction annuelle de 20 000 logements sociaux éco-énergétiques » et aussi la transformation de la PCU (le principal programme temporaire de soutien du revenu à 500$ par semaine) en revenu minimum garanti. Il n’en reste pas moins que cette revendication-clef de la création immédiate de 250 000 emplois dans les services publics et le communautaire a réussi à faire son petit bonhomme de chemin à partir de l’assemblée générale du Réseau militant écologiste du parti à la fin août quand, presque en passant, la responsable du réseau a rappelé l’existence de ce billet de l’IRIS. La proposition a finalement été reprise par cinq associations de circonscriptions en plus des régions de Montréal et de Québec et surtout par la CP qui confirme l’importance de son autonomie tout en compensant vaille que vaille l’absence d’horizontalité par la fédération de ses comités thématiques chacun regroupant des volontaires membres de la base.

Une revendication-programme contre le retour à la « normale » et pour une société de prendre soin

Cette revendication de l’embauche de 250 000 personnes maintenant tant dans les services publics que dans le communautaire signifie plus qu’elle-même. Elle est une revendication-programme ou du moins qui en est le fer de lance. En creux, elle signifie le refus de retour à l’austéritaire, extractiviste et carbonée « normale » alourdie par le nouvel endettement sur le dos des personnes vulnérables dues soit à leur grand âge, soit à leurs maladies chroniques, soit à leur travail essentiel et mal payé, en plus que proportion des femmes et des personnes racisées.

Elle signifie une société de prendre soin (care) des gens et de la terre-mère, autrement dit une société écoféministe et éco-autochtone, une société de plein emploi écologique ; pas une société d’accumulation du capital dont le pendant est une société de consommation de masse, et de viande, basée sur le char, la maison unifamiliale et le barbecue, ces individualistes fac-similés de liberté campagnarde, et leur étalement urbain dévoreuse de sols agricoles et de forêts dont résultent les zoonoses ; pas une société militarisée, raciste et sexiste, ce qui fait le lit de la droite, extrême ou non, et qui divise et paralyse politiquement le 99% pour le plus grand bonheur des transnationales financiarisées et de leur partis « bonne gouvernance » de centre-droit et de centre-gauche dont la direction Solidaire semble s’inspirer.

Une telle revendication comprise dans sa plénitude soulèvera la colère des bien pensants et la morgue des intellectuels organiques du système ce qui provoquera ce vif débat public qui force l’attention des grands médias et qui positionnera le parti sans ambiguïté à gauche toute. Une telle revendication est le fer de lance d’un plan global de transition climatique à élaborer tant dans des forums à l’intérieur du parti qu’avec le mouvement social en train d’élaborer son propre plan.

La direction renie les amendements précisant la campagne leur préférant une revendication rejetée

Mais dès la fin du CN, la direction Solidaire, engluée dans la mare de la concertation avec la CAQ ce qui lui interdit d’enclencher un plan alternatif de gauche mais plutôt de s’asseoir avec le premier ministre pour lui proposer une série d’améliorations marginales, a tout de suite laisser tomber tant cet engagement-programme que les autres engagements contraignants fraîchement votés. Dans la lettre aux membres le lendemain du CN par la présidente du parti, et conformément à la conférence de presse de la veille, il était dit que « [l]es membres ont déterminé trois grandes priorités […] : La défense des services publics, la lutte aux inégalités, la transition écologique. » Vrai. Mais il est ajouté « que le premier geste de Québec solidaire à la rentrée parlementaire sera de déposer un projet de loi pour créer Pharma-Québec, une société d’État visant l’autosuffisance en matière de production de médicaments et de matériel médical. » [en gras dans l’original]

Non seulement ce Pharma-Québec est-il absent de la liste des engagements spécifiques — en fait il est présent dans un amendement rejeté — mais il n’est même pas question d’expropriation en tout ou en partie de l’industrie pharmaceutique et médicale qui a profité queue par dessus tête de subventions pour plutôt désinvestir qu’investir sans compter sa piètre performance pour les EPI durant la pandémie. Des engagements spécifiques votés en bonne et due forme par le CN, c’est motus et bouche cousue tant vis-à-vis les membres que les médias. Non seulement la gauche plus radicale a-t-elle du pain sur la planche mais aussi tous les démocrates du parti. Marc Bonhomme, 14 septembre 2020

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Annexe : Résolutions adoptées par le Conseil national de septembre 2020

sur la campagne politique avant la synthèse officielle et avec la mise en évidence en souligné des engagements précis :
a) Que Québec solidaire relance son action politique en organisant une vaste campagne politique proposant un plan d’urgence de relance juste et verte pour un pays solidaire, pour sortir de la crise sanitaire, sociale, économique et écologique actuelle ; (intègre 1 amendement)
b) Que cette campagne oriente à la fois la mobilisation des membres et les interventions de la députation en accordant aux enjeux des régions rurales une place équivalente à ceux des grands centres urbains ; (intègre 2 amendements)
c) Que cette campagne politique ait comme objectifs prioritaires de mobiliser la population,dans le respect des réalités locales et régionales autour des trois axes suivant : i) la transition écologique, ii) la défense des services publics et des programmes sociaux de même que le renforcement de l’action communautaire autonome et iii) Que cette campagne se conjugue aux autres orientations politiques du parti,notamment la lutte contre toutes les formes d’inégalités et de discrimination, notamment la lutte contre le racisme systémique en mettant en avant le programme politique de Québec solidaire et en soutenant les luttes locales ; (intègre 4 amendements mais non les deux suivants)

Amendement d’ Anjou-Louis-Riel : Remplacer c) Que cette campagne politique ait comme objectifs prioritaires de mobiliser la population autour d’une série de propositions concrètes, immédiatement réalisables par le gouvernement du Québec. Ces propositions viseront à :i) Lutter contre les changements climatiques et réduire les gaz à effet de serre en restreignant l’utilisation des combustibles fossiles dans les transports des personnes et de marchandises, en privilégiant les investissements dans les transports publics urbains et interurbains et en mettant fin au projet GNL Québec. ii) défendre les services publics et y investir davantage iii) lutter contre les inégalités et la discrimination, dont le racisme systémique, et reconnaitre le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. iv) promouvoir une fiscalité progressive et une politique de soutien aux revenus,notamment en haussant immédiatement le salaire minimum à 15 $. en mettant en avant le programme politique de Québec solidaire

Amendement de la Commission politique : Remplacer c)Que cette campagne oriente à la fois la mobilisation des membres et les interventions de la députation autour de grandes revendications, notamment : 1. privilégier les investissements dans les énergies renouvelables et les transports publics urbains et interurbains incluant les transports adaptés : a-en s’opposant au projet GNL Québec ainsi qu’à la construction d’oléoducs, de ports méthaniers ou à l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste ; b- en lançant un vaste chantier public basé sur la nationalisation et l’expansion des énergies renouvelables ; c-en nationalisant les transports collectifs interurbains, le RÉM (et son contrat) et en activant les projets de construction de tramways et métro ; d-en instaurant la gratuité immédiate des transports en commun ; e-en favorisant la participation démocratique des communautés et des travailleurs/eusesconcerné.e.s à la gestion de ces transformations ; f- développant une industrie publique de production de matériel roulant électrifié(autobus, tramways, trains, métros, rails, système de contrôle électroniques, etc...) 2. investir massivement dans les services publics notamment la santé, les services sociaux et l’éducation, par l’embauche de 250 000 personnes dans le secteur public et par la nationalisation les secteurs de transport collectif, des secteurs privés de santé et d’éducation ; 3. promouvoir une fiscalité progressive et une politique de soutien aux revenus, notamment en vue de soutenir le plan d’urgence de relance juste et verte

d) Que cette campagne se déroule dans une perspective féministe intersectionnelle, qu’elle encourage la convergence des luttes et soutienne, la participation des militant.es et des député-es solidaires aux luttes locales, régionales et nationales des différents mouvements sociaux, en collaboration avec les réseaux militants, tout en faisant la promotion de ses propres propositions politiques en s’assurant de mettre à l’avant-plan les voix et les analyses des personnes les plus vulnérables de la société québécoises dont les femmes et les Québécois.e.s racisées de même que les membres des Premières Nations et les Inuits. Que cette campagne politique fasse des préoccupations des peuples autochtones un élément moteur de la définition des alliances pour un Québec solidaire. Que la campagne s’articule autour d’une série de propositions concrètes,immédiatement réalisables par le gouvernement du Québec et faisant écho aux luttes sociales en cours. Que la campagne soit facilement transposable dans les contextes régionaux et locaux à travers la proposition d’outils et de cadres d’analyse. (intègre 4 amendements)

Résolution sur l’inclusion et l’antiracisme

Que Québec solidaire prenne en compte l’aspect transversal et horizontal des enjeux d’inclusion, d’accessibilité et de capacitisme, d’antiracisme et de décolonialisme, et assure une plus grande diversité au sein de toutes les instances du parti, tant au niveau national qu’aux niveaux local et régional en impliquant les collectifs et commissions du parti se penchant déjà sur ces enjeux, en s’assurant de donner l’occasion aux personnes les plus concernées de réaliser ces analyses et qu’un rapport sur les résultats de ce travail soit présenté dans une instance nationale ultérieure, au plus tard à la fin de 2021. (intègre 2 amendements)

Amendement conjoint d’Anjou Louis-Riel, Lac-Saint-Jean, Prévost, Mont-Royal-Outremont, Montréal,Commission politique, Laurier-Dorion, Chicoutimi, Pontiac, Marie-Victorin, Verdun,Lanaudière, NotreDame-de-Grâce :

Pour ce faire :
a) À titre de première étape du processus de guérison et de réconciliation, que Québec solidaire, comme miroir de la réalité québécoise, reconnaisse la présence d’enjeux d’accessibilité universelle, d’antiracisme et de décolonialisme en son sein.
b) Que Québec solidaire s’engage formellement à s’améliorer concrètement dans uneperspective inclusive, antiraciste décoloniale et féministe intersectionnelle.
c) Que Québec solidaire, sous la responsabilité du Comité de coordination national, fasseun diagnostic/audit adhérant à l’analyse différenciée selon les sexes intersectionelle(ADS+) sur l’état de l’inclusion des personnes vivant le capacitisme, du racisme et ducolonialisme dans notre parti et le dépose au prochain CN 2.
d) Que Québec solidaire, sous la responsabilité du Comité de coordination national, lors du prochain Congrès, propose des objectifs mesurables accompagnés de moyens concrets visant à augmenter l’inclusion des personnes vivant du capacitisme, du racisme et du colonialisme au sein de : i) Son membrariat ; ii) Toutes ses instances ; iii) Ses candidatures aux élections internes et nationales ; Que les objectifs que se fixera Québec solidaire en matière de représentativité et d’inclusion des personnels racialisées et autochtones atteignent minimalement la cible préalablement établie dans sa dernière plateforme électorale pour la fonction publique.

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