Édition du 30 avril 2024

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Syndicalisme

- Entrevue avec Hugues Villeneuve, président du Syndicat des travailleurs de l’aluminium d’Alma -

La lutte des travailleurs de Rio Tinto est la lutte de tous

« Nous en sommes maintenant à la croisée des chemins chez Rio Tinto »

(tiré du journal +Le marxiste léniniste, Numéro 79 - 10 mai 2013)

« Nous en sommes maintenant à la croisée des chemins chez Rio Tinto »

(tiré du journal +Le marxiste léniniste, Numéro 79 - 10 mai 2013

Le Marxiste-Léniniste : Encore une fois, toutes nos condoléances à la famille, aux amis et collègues de travail de Cyndie Lavoie décédée le 30 avril dernier.

Hugues Villeneuve : Merci beaucoup. Soyez certains que nous allons transmettre l’expression de vos sentiments à la famille de même que les sentiments de tous ceux qui ont exprimé leurs condoléances suite à ce décès.

LML : La famille a accueilli les gens au salon funéraire et tenu des funérailles.

HV : Oui, ce furent des cérémonies pleines de dignité et l’émotion était à son comble. Je dois te dire que pendant le lockout nous avons fait face à des épreuves et à des peines mais ce n’est rien à côté de ce que nous vivons suite au décès de Cyndie. Nous avons beaucoup de consoeurs et confrères qui sont décédés dans notre vie mais au travail comme cela c’est la seule fois et on va tout faire pour que cela ne se reproduise pas. On va produire dans les semaines ou les mois qui viennent quelque chose de commémoratif à la mémoire de notre soeur. On va faire cela pour la garder en mémoire, elle qui était la joie de vivre personnifiée, la soeur que tout le monde rêverait d’avoir dans sa famille.

Depuis cet événement tragique, on s’assure que les gens qui ont été impliqués directement aient le support nécessaire pour passer à travers cette période. On s’assure que les gens qui sont le plus affectés et ne se sentent pas capables de rentrer au travail n’y sont pas et s’il y en a qui veulent rentrer, qui en ont exprimé le désir parce que de revoir leurs compagnons de travail ça leur permet de laisser sortir la pression de toutes ces émotions, alors ils y retournent sur une base volontaire. On s’est assuré que les gens du secteur et surtout du secteur où le décès s’est produit soient à l’aise d’y retourner, qu’il n’y ait aucune pression de mise sur eux et que les gens y retournent de leur propre gré.

LML : Tu as dit récemment que chez Rio Tinto Alcan à Alma on est maintenant à la croisée des chemins. Peux-tu nous expliquer en quoi c’est le cas ?

HV : Le régime de pression, d’intimidation, la pression qui est mise indûment sur les travailleurs en vertu des nouvelles organisations de travail qui n’ont pas été évaluées notamment du point de vue de la santé et de la sécurité, les nouvelles pratiques qui n’ont pas été évaluées de long en large, toute cette pression qui est mise sur les gens, c’en est assez, c’est cela qui est terminé en autant que les gens sont concernés.

J’ai avisé la direction qu’on était à la croisée des chemins, qu’on ne va plus en avant, un tournant est inévitable. Le mot qui a été lancé a été bien clair. Ou bien on fait un tournant vers un climat de travail favorable et acceptable, c’est sûr qu’on aura toujours des divergences d’opinion, mais on va avoir une manière de se parler, et une manière par laquelle les gens vont pouvoir exécuter leur travail en paix, de façon respectueuse, dans un climat sain ; ou bien on va prendre l’autre tournant et sachons bien que si on a un prix à payer alors eux autres vont aussi avoir un prix à payer et ce sera la confrontation de notre côté. Ils vont devoir prendre des décisions parce que c’est certain que le rendement va en souffrir. J’ai présenté cette position ouvertement au directeur de l’usine et des rencontres avec la direction sont prévues pour en discuter. Nous voulons des réponses, nous voulons qu’ils nous disent ce qu’ils font et où ils s’en vont. La pression, qu’on le veuille ou non, est un élément qui a joué dans le décès qu’on vient de vivre. On ne veut plus que cela arrive.

On est une grande famille dans cette usine-là, en tant que syndiqués, on s’est solidifié dans le conflit. On va se protéger les uns les autres. On ne tolérera plus aucun geste de répression et d’intimidation, ou des événements impliquant la santé et la sécurité où il y a des oeillères de mises, on les dénonce, c’est inacceptable. On va faire les démarches nécessaires, on va faire respecter nos droits par rapport à ces appareils-là qui sont défectueux ou les procédures qui ne sont pas adéquates.

Pour ce qui est de la pression de la direction, soit qu’ils enterrent leur hache de guerre ou encore on sort la nôtre. On veut avoir un climat de travail sain. On se fait souvent dire par les cadres qu’on n’est pas ici à l’usine d’Alma pour faire du bonheur, c’est bien de valeur mais ce n’est pas vrai. Les gens ont le droit de rentrer travailler avec le sourire et d’avoir du plaisir en équipes de travail à travailler, c’est permis au Québec et on a le droit de le faire.

LML : Peux-tu nous en dire plus sur cette pression qui est exercée sur vous ?

HV : Par exemple, on a organisé la semaine dernière une pause comme on en prenait depuis 12 ans. Le matin, nous autres, les pauses de travail on les faisait à la cafétéria tous ensemble depuis des années. C’est certain qu’il restait des gens dans les secteurs pour s’assurer que l’opération continue. On peut dire qu’entre 50 et 70 % des gens le matin venaient prendre leur pause dans la cafétéria mais l’après-midi le contrat de travail nous oblige à prendre la pause sur le lieu de travail. Depuis le retour au travail, la compagnie barre la cafétéria alors les gens ne peuvent plus prendre leur pause ensemble. Jeudi passé le 25 avril on a appelé à une pause tous ensemble, c’était fait sur une base volontaire, on a demandé aux gens de s’assurer que les opérations continues soient effectuées, ce n’était pas un débrayage, ce n’était pas une manifestation mais bien une pause comme on faisait auparavant. La compagnie s’est virée de bord, elle est venue prendre les noms des gens qui étaient là, et elle a donné une mesure disciplinaire à 12 personnes sur la centaine qui étaient là. Selon l’employeur c’est une manifestation. Tous les travailleurs qui étaient là ont reçu un avis disciplinaire écrit mais 12 d’entre eux ont reçu une journée de suspension. Des griefs ont été levés contre cela. Rio Tinto veut faire déclarer que c’est un débrayage illégal mais ce n’est pas le cas du tout.

La pression, c’est les superviseurs qui suivent pas à pas les travailleurs, qui s’attellent sur un travailleur en particulier, vont le suivre pas à pas pendant tout le quart de travail, y allant de leurs commentaires comme « allez, travaille, tu n’es pas vite, je pense que tu ne me donnes pas ton 110 % », etc. C’est un superviseur qui surveille les gens qui prennent leur pause, chronomètre le moment où ils reviennent de leur pause, va les chercher dans la salle et leur dit « vous sortez de là, vous allez retourner travailler ». C’est comme cela continuellement. Les gens ont droit à 15 minutes de pause, le contremaître va se présenter à la 12e ou 13e minute pour surveiller le travailleur ; des superviseurs qui s’installent à la porte de la cafétéria pour dire aux gens tu as une demi-heure pour manger, je veux te revoir dans 30 minutes exactement avec ton chapeau sur la tête pour aller travailler. C’est plein de gestes comme cela : surveiller les gars qui vont à la douche, prendre les noms continuellement, dire au travailleur « tu ne m’as pas donné ton 110 % hier, ce soir tu vas me faire tant d’anodes ». Il y a des équipes qui se mobilisent, qui ont remis le superviseur à sa place. Je ne te cacherai pas que ces équipes-là présentement en général ont la paix.

LML : Tu as parlé aussi de la question des équipements et des procédures de sécurité.

HV : Des dénonciations vont être faites sur la question des appareils. Par exemple, la loi concernant la protection-machine à l’effet que tu ne dois pas avoir accès à une machine en mouvement. Depuis des années à ce sujet il y a des lacunes à l’usine d’Alma. Le décès que nous venons de vivre doit être placé directement dans ce contexte. Il y a plusieurs secteurs aujourd’hui qui ont des lacunes. C’est certain que des fois, quand ça fait des mois ou 2-3 ans que tu travailles dans le même département, avec la pression qui est mise sur toi, qu’on te pousse encore et encore, et que si tu n’obéis pas à ton superviseur c’est par la suspension qu’ils vont te faire comprendre, c’est certain que les gens vont finir par accepter des façons de faire, des procédures émises par les patrons qui ne sont pas validées par les gens qui ont de l’expérience. C’est cela les oeillères dont je parlais, alors maintenant les oeillères vont tomber.

Parallèlement à l’enquête de la CSST qui est maintenant en cours concernant le décès, il y a beaucoup de secteurs de l’usine où les gens s’affairent à s’assurer que les choses marchent à la fine pointe de la sécurité, que ce soit au niveau du cadenassage, de la protection-machine. On s’assure que toutes les règles de l’art soient respectées.

LML : Que veux-tu dire à nos lecteurs en conclusion ?

HV : Un conflit de travail comme on l’a vécu, comme tout conflit de travail, c’est en famille qu’on le passe. C’est en solidifiant nos liens, en serrant les coudes qu’on passe à travers. Après un conflit il ne faut pas s’imaginer que c’est terminé, surtout pas avec des grandes compagnies assoiffées comme Rio Tinto, il y a toujours un lendemain. C’est encore une fois en se solidifiant tous ensemble qu’on va passer à travers ces nouvelles épreuves.

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