Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

La mondialisation armée et ses retombées

En se référant au très sérieux Global Fire Power, qui classe les Etats en fonction de leur puissance de feu, la France vient d’être rétrogradée à la 9ème place ; elle perd des points et pas seulement au Niger, au Gabon…Au palmarès des capacités de nuisance, il n’y a pas que de bonnes nouvelles….

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/02/la-mondialisation-armee-et-ses-retombees/

Alors que la démocratie se meurt, la mondialisation armée se porte bien. L’une ne va pas sans l’autre. C’est pourquoi cette mondialisation-là, qui porte atteinte à nos fins de mois et à la fin d’une époque, devrait nous tracasser. C’est un vrai sujet. Même si cela ne fait pas le buzz dans le cadre des universités d’été. Sur l’agenda des partis politiques, les enjeux géopolitiques figurent en annexe et nul ne veut se coltiner ce qui relève du régalien. En apparence, ce n’est pas grave : l’assistance se sent majoritairement plus à l’aise pour décrier les méfaits des guerres économiques.

Cherchons l’erreur

Ce prisme économico-social découle d’une vision complètement tronquée des enjeux autour des politiques de destruction via le recours à la menace de mort. Pour le commun des mortels, le sujet guerre ou guerres n’imprime pas. Pire encore, il rebute. Ainsi, l’ignorance aidant, il est délaissé aux « experts » qui comptabilisent les missiles et les drones ; ou bien, toujours dans la caricature, aux brutes en marche qui déterminent le point d’impact d’une balle. La guerre serait donc le domaine de prédilection de quelques hauts gradés en uniforme qui dissertent sur les performances de tel ou tel ballet de char sur tel ou tel théâtre d’opération.

A l’intention d’un public démuni, déconnecté par une trentaine d’années de zapping des carnages qui nous ont été épargnés, les écrits d’un Pierre Naville seraient d’un grand recours. Dans La guerre de tous contre tous, paru en 1977 aux éditions Galilée, Naville écrit : «  Quel que soit le destin de l’humanité, aucun projet social ne peut se déployer s’il n’inclut pas une étude sans préjugés des fonctions de la guerre ». Un béa-ba qui a pour défaut de ne jamais figurer au programme de nos manuels scolaires et de constituer l’angle mort de certains de nos penseurs.

Comme l’a fait une partie de la gauche ces trente dernières années, on peut se détourner de ces enjeux, mais les conflits armés nous travaillent avant de nous miner ; non seulement parce qu’ils reflètent l’état du monde, parce qu’ils sont menés avec le butin de nos impôts, mais parce que ces guerres inter-nationales pour la domination vont déteindre sur toutes les guerres intra-nationales et réciproquement ; et à différents niveaux. Ceux, parmi nos dirigeants, qui aiment proclamer qu’ils « sont en guerre » n’affichent qu’une partie de leur programme et de leurs ambitions. Sous prétexte de mener une offensive contre le coronavirus, ou contre les effets du CO2, ils s’entraînent pour mener une guerre contre les classes dangereuses et par extension, contre tous les déshérités désoeuvrés et désarmés. Les questions militaires sont donc nos affaires dans le cadre de la « convergence des luttes ».

To exist is to resist

Soyons réalistes : nous vivons sous le capitalisme militarisé et si nos économistes, atterrés ou non, rechignent dans leur majorité à le définir de la sorte, c’est afin de ne pas en tirer toutes les conséquences. Qu’importe. Capter de quoi il en retourne, c’est « remettre l’église au milieu du village » dit-on. En transposant un peu, cela implique mettre les menaces de mort et de destruction au centre de notre réflexion. Car l’état social et politique d’une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition des armées ; et c’est en fonction d’elles que l’Etat définit ses priorités dans la « gestion » de la population (civile).

Regardons la planète d’un peu plus près.

Un monde qui se réarme est un monde qui embrigade, d’où les tentatives d’imposer un Service National Universel (SNU). Un monde qui se réarme est un monde dans lequel les victimes se déchirent, quel que soit leur origine, âge ou sexe, sur tous les champs de bataille, y compris dans l’intimité des foyers. Un monde qui se réarme pour écraser le voisin se nourrit inévitablement de séparations et d’exclusions. Ici et là-bas. Le quadrillage de la planisphère ne peut leurrer personne : on dénombre aujourd’hui 70 murs frontaliers physiques alors qu’il y en avait « que » 9 à l’époque de la Chute du Mur de Berlin. Et l’exclusion s’inscrit aussi dans les menaces de mort : il suffit de pointer le sort des noyés en Méditerranée, zappés par absence de reconnaissance de la guerre civile Nord/Sud ; victimes d’une de nos guerres inavouées et d’un apartheid qui fait tâche d’huile.

Un monde qui se réarme est un monde qui, pour mieux surveiller, humilier et punir, militarise progressivement ses forces de police. Et les ex-gardiens de la paix troquent leurs uniformes pour devenir des robocops. Ils ont fait leur apparition dans l’espace public depuis le sommet altermondialiste de Seattle 1999. Grâce à la novlangue chère à Big Brother, les contestataires sont devenus des « émeutiers ». Dans la confusion des genres, les manifestants diabolisés sont ciblés avec des balles réelles, ou aspergés de gaz interdits par les Conventions de Genève. La loi de la jungle autorise les dérives, y compris la pratique de la barbarie, en centre-ville comme en banlieue. Certes, la pensée militaire n’est pas une pensée criminelle (*) ; en règle générale, elle trouve les moyens de se prémunir contre toute « wagnérisation » et prétend que les bavures sont le fruit accidentel du tir ami, (friendly fire). Nous, les victimes collatérales.

Finissons-en avec les vieilles formules

Les anathèmes ne manquent pas aux shérifs de tout acabit qui comptent prospérer sur la « stratégie de la tension », à l’échelle nationale ou continentale, comme l’ont fait leurs aînés italiens durant les années de plomb. En France, les fanatiques de la gâchette reprennent en chœur le lexique de ceux qui, dans certaines capitales occidentales, ont stigmatisé à souhait les « Etats-voyous », « Etats terroristes », et (nucléaire oblige), les « Etats proliférateurs ». Alors que les mercenaires ont pris du galon, la stigmatisation s’est professionnalisée. Et voilà : avec 26 ans de décalage, Darmanin a adopté l’expression du secrétaire d’Etat (U.S.) William Cohen qui, en avril 1977, avait brandi le spectre d’ « Etats écoterroristes » ! Darmanin a « relocalisé » ces pseudo-menaces. Sans souci de copyright. Comme pour bien illustrer cette connexion entre toutes les entreprises de domination, qu’elles soient à l’encontre d’autres Etats qu’on voudrait mettre en faillite ou à l’encontre d’individus qu’on voudrait terroriser à défaut d’anéantir.

Dans les coulisses de l’Europe

Cette « puissance tranquille » (dixit Tzvetan Todorov) qui se voulait d’abord un « marché commun » a changé de visage et de finalité. Le Prix Nobel de la Paix qui lui a été décerné en 2012 n’y change rien. Ce marché avec « concurrence libre et non faussée » (selon l’expression consacrée) risque de devenir la base économique de l’OTAN. C’est d’ailleurs ce qu’avait prévu Michel Rocard dès 1971. (https://www.institut-tribune-socialiste.fr/wp-content/uploads/1973/07/73_SeuilMarche-commun.pdf)

Mais nul n’avait prévu que l’U.E. se mettrait en ordre bataille. Nul n’avait anticipé qu’un Thierry Breton se fixerait comme mission de « réarmer l’Europe » (cf. Le Monde du 25 septembre 2020) ; et avant même que la Mer Baltique ne devienne un lac OTAN ! Cependant, cette mise au pas procède de la même logique que celle qui consiste, à l’intérieur d’un seul Etat, à étouffer toute résistance de la part de « troublions » dont les actes et les ripostes font écho aux explosions et détonations consécutives à l’invasion de l’Ukraine, cette guerre civile soviétique.

Au-delà des interdits bidon

Sans craindre le ridicule ou l’implosion, les pacifistes français branchés sur le conflit ukrainien se crêpent le chignon entre non-violents et va-t-en guerre. Ils s’invectivent avec ferveur pour savoir si tel système d’armes est de nature offensive ou défensive (sic). Ce faisant, ils pointent le seuil-limite d’épuisement de mouvements en passe d’achever leur mission historique. En perte de vitesse et de notoriété, ils concentrent leurs faibles moyens à se mobiliser contre les armes nucléaires. Pas pour nous mettre en garde contre les nouvelles tentations atomiques des gouvernants dont celui des Philippines, de l’Arabie Saoudite ou du Japon. Pas pour démontrer que la bombe A ou H est d’abord une arme de destruction sociale et qui visait d’abord à désapproprier le citoyen des moyens de se défendre. Non. Mais pour interdire à l’aide d’une convention, toutes les armes nucléaires ; donc interdire au Lesotho, au Vatican et à l’Autriche (qui n’a plus de marine) d’acquérir ou de faire usage de missiles ou de sous-marins nucléaires ! Carrément. A l’instar de ceux qui veulent interdire le sable dans le désert, ou bien interdire aux vegan de se nourrir de viande.

Taxons la destruction

Mener une campagne pour taxer le complexe militaro-industriel aurait été plus « stylé ». C’eût été politiquement plus rentable puisque l’idée de taxer ce trafic aussi toxique que criminel a eu le temps de se frayer un chemin. D’ailleurs, Chirac et Lula en ont fait une mini-promo lors du Sommet d’Evian de 2004. Depuis lors, l’initiative a reçu le soutien de Michel Camdessus, l’ancien directeur d’une institution qui n’a pas la réputation d’être un repère de gauchistes, le FMI (https://athena21.org/securite-ecologique/decroissance-militaire/la-conscience-d-un-ancien-du-fmi)

Cette taxe étant passée à la trappe, rappelons qu’il s’agit de prélever un certain pourcentage des milliards investis dans ce secteur pour alimenter un fonds capable (par exemple) de nettoyer, assainir les sites durablement pollués par ceux qui s’entraînent à la guerre ; ou prendre en charge migrants et blessés. Ou encore, dans un cadre plus étroit, financer un Service National à la Terre (SNT) capable d’assurer aux citoyens vivant sur le sol français les conditions d’une souveraineté alimentaire. Bref, un programme politique à l’intention du plus grand nombre, avec un agenda concret et attractif qui pourrait être porté par une gauche sensibilisée aux bienfaits (réels ou supposés) d’une « révolution verte ». Une aubaine pour des écolos qui feraient valoir, en tandem avec leurs experts en écocide, que la pire des pollutions est d’origine militaire. Mieux encore : une vision pour contrer ceux qui sont aux manettes et qui se shootent à la course aux armements. Ce programme implique des stratèges et une stratégie avec des séquences pour finaliser et conclure. Ainsi, dans un premier temps, mettre en veilleuse les sirènes pour une « transition verte et propre ». Car les peuples ne sont pas dupes. On leur a déjà « fait le coup » en vantant l’avènement de « guerres propres » avec « zéro mort ».

Ben Cramer
https://athena21.org
https://athena21.org/securite-ecologique/destructions-durables/la-mondialisation-armee-et-nous-2

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