Édition du 23 avril 2024

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Europe

La nouvelle loi sur les réfugiés au Danemark, ce n'est pas seulement la saisie des bijoux

L’adoption par le parlement danois de la très discutée loi L87 le 26 janvier a déchaîné un ouragan de polémiques sur les médias tant sociaux que traditionnels qui reste peu compris et a été mal géré par les personnalités politiques qui s’en étaient faites les champions.

Tiré du site de Global Voices. Traduit par Suzanne Lehn.

Cette législation est surtout connue comme la “loi sur les bijoux”. Mais tandis que le devoir de la police de fouiller et saisir les possessions d’une valeur dépassant 10.000 couronnes danoises (1.340 euros) a capté presque toute l’attention, ce sont d’autres paragraphes de la loi qui menacent gravement les droits et le bien-être des demandeurs d’asile.

L’aspect le plus négligé à l’international de la loi L87 est le délai porté à trois ans au lieu d’un, imposé aux demandeurs d’asile pour faire venir leur conjoint et leurs enfants, ce qui est une violation potentielle des engagements du Danemark en vertu de conventions internationales (comme les fonctionnaires danois l’ont eux-mêmes reconnu en rédigeant une mise en garde dans le projet de loi présenté aux députés). Deux années supplémentaires d’attente pour les familles séparées par la guerre ou l’insécurité.

La loi impose aussi aux jeunes hommes de rester dans des camps de tentes, avec une mobilité très limitée, en dépit d’un volant chronique de logements vacants au Danemark.

Pourtant, c’est le dispositif sur les bijoux et autres possessions qui a retenu l’attention mondiale. Après moult débats et flottements, les législateurs ont exempté les alliances et autres bijoux à “valeur clairement sentimentale” de la loi L87. “Les valises pleines de diamants”, comme l’a utilement précisé le Ministre de la Justice Soeren Pind, ne seront, elles, pas exemptées.

L’exception accordée aux alliances n’a pas suffi à apaiser le tollé. Le célèbre artiste chinois Ai Weiwei a annulé une exposition prévue de longue date au musée d’Aarhus, l’ex-Secrétaire Général de l’ONU Kofi Anan s’est dit inquiet et consterné, et le journal britannique The Guardian a publié un dessin représentant le Premier Ministre danois Lars Loekke Rasmussen avec une pose et un brassard de style nazi.

Sur les réseaux sociaux, le policier Jacob Nielsen a dit sa colère et son malaise, dans un texte qui a été partagé plus de 21,000 fois :

Je ne suis pas devenu policier pour piller Ies possessions personnelles des réfugiés !
Je suis devenu policier avant tout parce que je sais que la justice nécessite qu’on se batte avec force pour elle, et que quelqu’un doit protéger ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes. Qui pourrait mieux le faire que la police, à condition de ne pas abuser de son pouvoir.
Je confisque souvent Ies objets des gens – parce qu’ils sont illicites, ou qu’ils ont été volés à autrui ou qu’il peuvent être utilisés pour nuire à autrui. Mais jamais je ne fouille les gens au corps ou ne regarde dans leur bouche pour leur retirer LES BAGUES QUI SONT A EUX.
…. Si je faisais ça, mes grand-parents qui étaient dans la Résistance et que j’admire tant, se retourneraient dans leur tombe à cause de ceux auxquels je leur ferais penser.

Hommes politiques et diplomates danois ont essayé en vain de souligner que le Danemark reste toujours un pays très généreux qui consacre les 0,7 % du PIB recommandés par l’ONU à l’aide humanitaire et au développement — dont cependant un bon tiers est dépensé au Danemark même, ce qui veut dire que ce n’est pas la totalité des 0,7 % du PIB qui va au soutien des populations outre-mer nécessiteuses. L’argument selon lequel les citoyens danois demandeurs d’allocations sociales sont eux aussi soumis à la saisie de leurs avoirs et bijoux n’a pas réussi non plus à entamer la presse négative reçue par le Danemark. Les exportateurs danois s’inquiètent de l’image ternie du pays.

Pourquoi alors les politiciens danois ont-ils été autant pris au dépourvu dans cette affaire ? Pourquoi cette incapacité à expliquer ce qu’ils considèrent comme une disposition tout à fait juste, enracinée dans les valeurs danoises traditionnelles de contrition à la collectivité avant de demander son aide ?

Une explication possible est que lorsque la perception de soi d’un pays — pour le Danemark, d’être un tout petit outsider gentil et humanitaire incapable de faire du mal à quiconque — est contredite par la réalité, le personnel politique devient complètement aveugle à l’aspect que peuvent prendre ses actes à l’extérieur.

Ou encore, c’est que les partis d’extrême-droite anti-immigrants, parfaitement conscients de la publicité attirée par la loi “bijoux”, s’en réjouissent. Cela participe du relookage délibéré du Danemark en destination peu attrayante pour les demandeurs d’asile, lancé en novembre 2015 avec les insertions payées par le gouvernement dans les journaux libanais qui soulignaient sa politique rigoureuse concernant les réfugiés.

La bataille pour la réputation du Danemark et son identité politique continue à faire rage, et les politiques danois apprennent une fois de plus que faire de la politique intérieure sous microscope international, c’est délicat.

Eva Hoier Greene

Auteure pour le site Global Voices (https://fr.globalvoices.org/).

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