Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La police chinoise sonne à notre porte

Depuis des semaines, les médias nous rebattent les oreilles avec l’histoire des "postes de police chinois" (rien que ça !) au Canada, situés surtout à Vancouver, Toronto et Montréal.

Ils les trouvent louches en les associant à des nids de magouilles contre notre "démocratie électorale". On les présente comme des vecteurs d’une ingérence inacceptable dans les affaires internes du Canada. Les partis d’opposition à Ottawa exigent même du gouvernement libéral de Justin Trudeau une enquête publique en bonne et due forme sur le sujet.

Le Canada n’est cependant pas le seul pays à connaître ce phénomène. Il y en a plusieurs et sur tous les continents. Visiblement, le gouvernement chinois, ambitieux, veut étendre son emprise sur le plus grand espace géographique possible. On en trouve même aux États-Unis. À quoi servent-ils réellement ? D’après ce qu’on affirme, ils offrent de véritables services à la diaspora chinoise , tels la délivrance de documents officiels et la mise sur pied d’événements culturels. Il n’existe pas dans ces centres de flics en uniforme ni de cellules (d’ailleurs, comment cela serait-il concevable ?). Beijing affirme officiellement cependant qu’ils doivent aussi pousser les supposés criminels chinois de la diaspora à se livrer à la justice chinoise ; on croit plutôt qu’e ces exhortations visent des dissidents ou des personnes qui ont fui la répression ethnique et religieuse qui sévit en Chine. Ces postes contourneraient les lois nationales pour imposer aux gens d’origine chinoise les lois qui prévalent en Chine. Ces endroits serviraient d’instruments locaux à Beijing "pour étouffer les critiques à l’endroit du régime et pour infiltrer les partis politiques étrangers, les universités et les multinationales" selon Sécurité nationale Canada, d’après ce que rapporte Le Journal de Montréal dans son édition du samedi et du dimanche des 18 et 19 mars derniers.

On peut alors se demander pourquoi on nomme ces endroits des "postes de police" (ni d’où vient l’expression), puisque la souveraineté chinoise ne peut s’exercer en dehors des frontières de ce pays. Il ne s’agit nullement de consulats ni d’ambassades, endroits qui bénéficient du droit d’exterritorialité et dont certains membres jouissent de l’immunité diplomatique. Une certaine confusion règne là-dessus. On évoque aussi l’hypothèse de l’espionnage et de l’influence électorale indue à leur sujet, laquelle aurait contribué (dans une très faible mesure, reconnaît-on) à la victoire de quelques députés dans des circonscriptions où la communauté chinoise est en force. Les bien-pensants vouent donc aux gémonies cette supposée "menace à notre démocratie". Si c’est le cas, alors qu’attend le gouvernement fédéral pour les fermer ?

Dans l’état actuel de ce dossier bizarre et encore assez obscur, il est difficile de faire la part des choses. Il faudra attendre pour cela le résultat des démarches d’enquête du rapporteur spécial David Johnston nommé par le premier ministre Justin Trudeau et aussi que le passage du temps décante les divers éléments de cette histoire pour y voir plus clair.
Les tergiversations du Trudeau s’expliquent par le fait qu’une bonne partie de l’électorat sino-canadien vote libéral. Trudeau a donc tout intérêt à ne pas trop le heurter par des condamnations verbales intempestives. Il est contraint de temporiser, ce qui ajoute du loufoque à cette affaire déjà biscornue.

Qu’il y ait des espions chinois au Canada et aux États-Unis, c’est évident, une vérité qui s’explique dans ces deux pays par la présence de substantielles communautés issues de Chine, dont bien des membres sont arrivés en Amérique du Nord depuis des générations, mais aussi dans celui de gens implantés plus récemment. Beijing peut donc y recruter des agents secrets (et en envoyer pour qu’ils s’y fondent et passent inaperçus) afin d’infiltrer diverses administrations publiques et certaines entreprises privées dans l’objectif de recueillir des informations stratégiques et se livrer à de l’espionnage industriel (surtout informatique). Rien de nouveau sous le soleil, toutes les puissances hégémoniques se livrant à ce petit jeu depuis toujours.

Il n’y a pas lieu de paniquer. Les gouvernements adoptent des mesures de protection efficaces pour protéger les données stratégiques (tant sur les plans économiques, politiques que militaires) et ils tentent d’identifier les espions au service de Beijing. C’est le jeu du chat et de la souris, qui entre en scène même parfois entre alliés de principe.
J’ignore si Ottawa fait de l’espionnage à l’étranger, mais les États-Unis oui, à coup sûr, à l’instar de certains gouvernements de l’Union européenne. Mais ce genre d’initiative est plus difficile à réaliser en Chine, vu qu’il n’y existe pas de communautés d’émigrés américains là-bas à l’intérieur desquelles pourraient se faufiler des agents secrets de la CIA ou du Pentagone. Mais il y a d’autres moyens pour Washington de surveiller la puissance chinoise : les satellites-espions, la marine de guerre qui croise au large de ses côtes munie d’équipements électroniques sophistiqués, et peut-être aussi malgré les difficultés et les dangers que cela représente, quelques "infiltrés" d’origine chinoise ou même de Chinois recrutés sur place à coup d’argent.

Bref, les États-Unis sont un des plus importants gouvernements-espions au monde.
Si on ne doit pas prendre à la légère les réseaux d’espionnage chinois au Canada et au Québec, il n’y a pas lieu non plus de s’affoler. Le brouillard qui entoure ce problème (qui ne se limite pas aux "postes de police chinois") doit être dissipé dans les meilleurs délais. Il ne faudra pas tolérer trop longtemps les tergiversations de Justin Trudeau dans ce dossier.
Les menaces qui pèsent sur "notre démocratie" proviennent bien davantage de certaines dérives, entre autres celles des inégalités sociales qui se creusent toujours davantage, du recul du droit de vote aux États-Unis et plus généralement de la crise de l’impérialisme américain que de certains "James Bond" aux yeux bridés...

Jean-François Delisle

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