Quelle « réforme » ?
Aujourd’hui comme on le sait, ce sénat est devenu un repaire corrompu des p’tis amis des régimes successifs. La question se pose alors sur la viabilité et la nécessité de cette institution archaïque. Harper et les forces réactionnaires qu’il représente sont en faveur d’une « réforme ». C’est présenté comme un changement « démocratique » : les sénateurs seraient élus, comme les membres de la Chambre des Communes, selon un système de représentation qui reste à déterminer et qui refléterait la démographie. En pratique, le pourcentage des sénateurs du Québec serait appelé à diminuer, même si, pour sauver la face, on pourrait déterminer un nombre plancher, pour donner l’impression qu’on se soucie encore (mais moins) de la représentation du Québec au Parlement du Canada (c’est ce qui est arrivé avec la Chambre des communes où plusieurs nouveaux sièges ont été créés pour l’Ouest et l’Ontario, et très peu pour le Québec). Pour les conservateurs, ce changement « démocratique » ferait sauter le deuxième verrou pensé au début de la Confédération pour « apaiser » le Québec.
Nouvelle configuration des forces
Cette ambition de marginaliser le Québec n’est pas facile à opérer, car elle implique un large consensus au Canada dit anglais, et très probablement des amendements à la constitution, ce qui veut dire des négociations ardues. C’est à cause de ces obstacles que les gouvernements antérieurs ont hésité à aller dans cette « réforme ». Aujourd’hui cependant, la configuration des forces a changé au Canada. Harper est fort d’un bloc social ancré dans l’ouest et dans une certaine mesure, en Ontario, où se concentrent l’accumulation du capital et la croissance démographique qui laisse le Québec derrière. Aux yeux de plusieurs, le Québec devient peu à peu une sorte de gros Nouveau-Brunswick, ce qui est alimenté par les médias et leur constant « Quebec bashing ». Bien sûr dans la réalité, le Québec n’est pas une province maritime de plus, ni par son poids démographique, ni par son histoire, ni même par son économie. Mais la perception a de l’importance sur l’échiquier politique. Cette faiblesse québécoise est décuplée du fait du long déclin du PQ, accompagnée de l’alliance permanente et solide entre les élites québécoises et les partis de droite fédéralistes, principalement le PLQ. On aurait beau matraquer le Québec et réduire son influence à Ottawa, on ne voit pas, du moins à court terme, qui va s’opposer à cela. Sur le moyen et le long terme, c’est une autre chose, mais pour Harper, cela compte peu.
La stratégie de Harper
Harper a donc potentiellement un « beau » projet dans les mains avec une éventuelle « réforme » du sénat, qui renforcerait son pouvoir et consoliderait sa base électorale. Ce ne sera certes pas l’opposition qui va se manifester au Québec (même les larbins du Parti libéral du Québec vont chialer) qui va l’intimider. Certes, il se pourrait que cela ranime un peu la flamme souverainiste et donc le PQ et le Bloc Québécois. Même là, cela peut être utilisé par Harper. De facto, la remontée du Bloc Québécois pourrait encore plus éparpiller le vote au Québec avec les deux autres partis d’opposition (PLC et NPD) et peut-être même, qui sait ? empêcher Justin Trudeau de rafler la mise et/ou encore, de renvoyer le NPD dans son éternel rôle de tiers-parti. Autre avantage, Harper deviendrait encore plus aux yeux de l’opinion canadienne manipulée par les médias le « rempart » contre la « menace séparatiste ». Cela est machiavélique, mais c’est à la hauteur d’Harper, un champion dans son domaine, et donc un redoutable adversaire pour les éléments progressistes du Québec et du Canada.