Édition du 14 mai 2024

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Le Bloc québécois : un parti aligné sur les politiques du gouvernement Legault ne défend pas les intérêts de la majorité populaire au Québec

Yves-François Blanchet aimerait bien répéter aux prochaines élections, ce qu’il était parvenu à réaliser le 21 octobre 2019. Le Bloc québécois faisait alors élire 32 député-e-s. Aux dires de son chef, il « revenait de loin » [1]. Il triplait sa députation et mettait ainsi fin à un déclin de ce parti qui semblait irréversible. Il écartait définitivement le projet de Martine Ouellet de faire de ce parti, le véhicule de la défense de l’indépendance du Québec sur la scène fédérale. Ce projet s’était heurté de front à ce que le Bloc québécois était déjà devenu, un parti nationaliste inséré dans le parlement canadien comme opposition loyale.

Yves François Blanchet ne faisait que prendre en compte les transformations radicales du nationalisme québécois dans les deux dernières décennies : soit le fait qu’un bloc autonomiste était devenu hégémonique au sein du nationalisme québécois par la désagrégation du bloc souverainiste qui s’est exprimée par les reculs successifs du PQ dans les dernières élections provinciales et la construction de la CAQ comme parti nationaliste et fédéraliste.

Le Bloc québécois instrument d’un bloc nationaliste et autonomiste

C’est dans ce nouveau bloc nationaliste et autonomiste que s’inscrit le Bloc québécois. Il prétend défendre les intérêts du Québec à la Chambre des Communes. La dynamique d’évolution du Bloc québécois en fait un accompagnateur junior du gouvernement Legault qui est essentiellement un gouvernement autonomiste (donc fédéraliste) et propatronal .

Comme parti autonomiste, le gouvernement de la CAQ a agi au sein de la fédération canadienne pour favoriser une certaine décentralisation et le transfert de certains pouvoirs au Québec et aux autres provinces. Il ne s’est pas heurté d’emblée à l’État pétrolier canadien et a défendu pour toute une période la construction d’un gazoduc et d’une entreprise de liquéfaction du gaz naturel. (GNL-Québec) jusqu’à ce que la mobilisation populaire l’oblige à reculer.

Le discours nationaliste et caquiste s’est redéfini comme un nationalisme identitaire dont le ciment est une stigmatisation de l’immigration et de ses dangers pour l’avenir du Québec et de la langue française et défend une laïcité falsifiée qui s’est concrétisée par l’adoption de la loi 21, couverture pseudo-progressiste de cet identitarisme.

Comme parti, la CAQ s’est fait un allié du patronat et a toujours choisi le camp des entreprises contre les organisations syndicales dans chaque conflit de travail majeur qu’a connu le Québec. Il a toujours été prêt à céder aux investisseurs et à mener une sévère politique d’austérité et de privatisation, dans la suite du gouvernement libéral de Philippe Couillard, politiques qui ont considérablement affaibli les services de santé et les services sociaux réalité qui a été dramatiquement révélée par l’hécatombe vécu dans les CHSLD et les RPA au début de la pandémie.

C’est cette orientation que s’est dit prêt à assumer Yves François Blanchet, orientation qu’il présente comme la défense des consensus québécois. Mais, il doit également tenir compte pour courtiser l’électorat des sensibilités et aspirations de centre gauche présentes dans la société québécoise à la suite des luttes menées par différents mouvements sociaux.

Sa plate-forme reflète les orientations du gouvernement Legault mais reprend un certain nombre de revendications de la gauche sociale, revendications présentées comme des valeurs nationales :
augmentation des transferts en santé pour couvrir 35% des coûts de la santé, augmentation de la pension mensuelle pour les ainé-e-s, suspension du PCRE pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre, application de la loi 101 aux entreprises fédérales, respect par le fédéral de la loi 101, défense du droit des femmes de disposer de leurs corps, lutte contre la violence familiales, fin de l’évitement fiscal des entreprises et des grandes fortunes, abrogation de la loi sur les Indiens, réforme de l’assurance emploi, transfert du programme des travailleurs étranger au Québec, exclusion du Québec de la loi sur le multiculturalisme… [2]

Ces revendications devant guider le travail parlementaire de la députation caquiste ne constitue en rien une volonté de rupture avec la domination de l’État fédéral mais s’inscrit dans la réforme du fédéralisme canadien qui aurait pour principale conséquence de consacrer une meilleure intégration du Québec à l’État canadien et la minorisation politique du peuple québécois.

Une conception de la lutte aux changements climatiques qui ne dépasse pas les ambitions du plan caquiste

Yves-François Blanchet dit vouloir faire de la lutte aux changements climatiques une priorité du parti qu’il dirige. Le Bloc doit se présenter comme un parti vert, car cette posture répond clairement à des aspirations de secteurs importants de la population du Québec. Cela lui permet de stigmatiser les politiques réactionnaires des Conservateurs et l’hypocrisie des Libéraux.

Mais sa plateforme s’inscrit dans la logique du capitalisme vert. « Le Bloc québécois souhaite propulser une relance verte créatrice de richesse par le tissu entrepreneurial québécois soutenue par notre savoir-faire et notre innovation. » [3]

Il propose de modifier la loi sur la carboneutralité et de fixer des cibles pour 2030, mais la plate-forme ne les précise pas. Il exige que le fédéral impose des critères environnementaux rigoureux, et qu’il finance l’érosion des berges aux Québec. Les politiques de transition écologique ne dépassent pas le service minimum : fin des subventions aux énergies fossiles, transfert de fonds économisés vers les énergies propres du Québec, projet de loi zéro émission pour obliger les concessionnaires automobiles à tenir un inventaire convenable de voitures électriques, conversion de la flotte des véhicules du gouvernement fédéral en véhicules à 100% zéro émission, stratégie d’hydrogène vert confiée au Québec, opposition au développement du nucléaire et projet de loi pour empêcher l’obsolescence programmée…

Si certaines revendications sont intéressantes, il reste qu’elles s’inscrivent dans la logique de la mouche du coche car la stratégie du Bloc québécois se limite à souhaiter « influencer l’action de l’État canadien sans aspirer à former un gouvernement » théorisant ainsi la minorisation et l’impuissance politique du Québec. [4]

Les politiques proposées ne dépassent pas le cadre de la croissance verte et du capitalisme vert. Non seulement, il n’y a aucune analyse des fondements systémiques de la crise climatique, mais les propositions du Bloc sont des suppliques au gouvernement fédéral qui ne reconnait pas la réalité de l’urgence climatique.

Mais, le gouvernement Legault n’hésite pas à avancer des projets qui vont directement à l’encontre de la lutte aux changements climatiques. Il a soutenu le projet GNL Québec auquel il n’a renoncé que contraint et forcé par la mobilisation populaire. Il défend la construction d’un troisième lien qui va favoriser l’étalement urbain et l’auto-solo sans parler d’une dépense de fonds publics à la hauteur de 10 milliards de dollars. Maintenant, Yvers-François Blanchet a le culot de prétendre que ce projet à une dimension écologique au mépris des prises de position de tous les groupes environnementaux qui ont dénoncé ce projet. La servilité envers les projets du gouvernement Legault semble prévaloir sur tout autre considération.

L’incompréhension de la nécessité d’une alliance pancanadienne dans la lutte aux changement climatiques

La pire faille dans l’orientation du Bloc québécois sur cette question est un point de vue étroitement nationaliste. La défense des pouvoirs du Québec et de son droit à l’autodétermination sur la question de l’environnement comme sur d’autres est importante, mais la lutte contre les changements climatiques est une question internationale, et dans le cadre de l’État canadien, il est essentiel de nouer des alliances avec l’ensemble des forces qui ont compris l’urgence de la situation et qui se battent contre les politiques des pétrolières et des gazières et contre les partis politiques à leur service.

Mais le nationalisme étroit du Bloc québécois empêche que de telles perspectives soient un horizon possible. Dans de nombreux domaines, ce nationalisme étroit conduit à l’aveuglement sur les alliances possibles avec les organisations syndicales, féministes, populaires, écologistes qui oeuvrent au Québec comme dans le reste du Canada pour résister aux visées de la classe dominante. Et une telle orientation d’unité envers les secteurs populaires et les nations opprimées dans l’État canadien est une démarche nécessaire pour mener ce combat et s’assurer de la solidarité à notre lutte de libération nationale.

Le Bloc québécois est en rupture avec toute perspective indépendantiste et décoloniale

Il n’y a pas une seule mention dans la plate-forme du Bloc québécois sur la lutte pour l’indépendance du Québec. En s’alignant sur la défense des orientations d’un gouvernement autonomiste mais fédéraliste, le Bloc québécois a marqué une rupture ouverte et assumé avec la lutte pour l’indépendance du Québec. Son caractère d’opposition loyale à la Chambre des Communes l’amène à se cantonner à des politiques de groupe de pression sur les partis fédéralistes au pouvoir à Ottawa. Il présente la reprise de certaines de ces positions comme ses propres réalisations. En agissant comme la mouche du coche, il renonce à remettre en question la domination de l’État fédéral sur la nation québécoise et contribue à faire croire que le fédéralisme canadien peut être réformé et répondre aux revendications du Québec si on y met les pressions suffisantes.

La reconstruction d’un bloc indépendantiste capable de mener une lutte effective pour la libération du Québec et refusant la domination coloniale sur la nation québécoise et l’ensemble des nations opprimées (et d’abord des Premières nations) dans l’État canadien passe par une rupture totale avec ce parti qui est devenu un obstacle à la lutte effective contre l’État canadien et son caractère de prison des peuples.


[1Radio-Canada info, 27 octobre 2019

[2Bloc québécois, Plateforme politique – Bloc 2021

[3Bloc québécois, Plateforme politique, page 23

[4Bloc québécois, Plateforme politique, 2021, mot du chef

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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