Édition du 30 avril 2024

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Féminisme

Le Grand Prix de l’instrumentalisation du corps de la femme

Le concept du tourisme sexuel renvoie souvent à l’ailleurs, au lointain, aux pays tels que le Mexique, la Thaïlande et la Russie, à l’homme blanc d’Amérique qui voyage là où ses fantasmes se réalisent et là où ses vices restent cachés. Toutefois, en accueillant le Grand Prix, Montréal se livre à ce phénomène florissant où les excursionnistes en quête de spectacle semblent chercher finalement beaucoup plus qu’une simple course de Formule 1.

(Tiré du Journal féministe publié par la CLASSE en marge du Grand Prix)

Prostitution et tourisme sexuel

Dans la métropole, environ deux cents salons de massages et de nombreux bars de danses contact font clignoter leurs néons sur les principales artères touristiques. Force est de constater que Montréal se réjouit d’une image où la sexualité marchande laxiste existe au détriment des personnes exploitées, promouvant ainsi une banalisation des rapports sexuels forcés et monnayés. Un fantasme validé et répété ad nauseam par une vision essentialiste de la libido masculine, les touristes ayant le choix d’une gamme de prostitué-e-s, dont la plupart se situent entre 13 et 25 ans.

L’été dernier, dans le cadre du Grand Prix, le Journal de Montréal a publié l’histoire de trois ex-danseuses qui témoignaient de l’instrumentalisation du corps dans le but d’attirer une clientèle lors du Grand Prix. Une de ces femmes affirmait que « c’[était] le patron du club qui, en échange d’un verre ou deux, [demandait] d’aller dans la rue légèrement vêtue faire la promotion de son bar »1. Cette attraction touristique plongée dans la commandite, l’insouciance écologique et la manipulation du corps de la femme laisse place à bien plus qu’une simple course de F1. En effet, lors de la fin de semaine du Grand Prix, la demande des services de prostitution augmente et la quantité de danseuses et d’escortes se multiplie en conséquence. Cette corrélation économique de l’offre et la demande éloigne l’individu acheté de l’essence même de son individualité et de sa liberté, le transformant en simple bien de consommation.

Que ce soit par le biais de la prostitution sous toutes ses formes (prostitution de rue, escortes/girlfriend experience) ou par les danses contact, l’individu est réduit à une marchandise, à un bien et à un service qui appartiennent d’emblée, pour la durée payée, au détenteur du capital. Consommés au même titre qu’un objet dans une boutique de souvenir, voilà à quoi ces individus sont réduits. Pour 1000 $, un individu peut s’approprier une femme pour une fin de semaine et bénéficier pleinement de ce que l’on appelle une girlfriend experience. « Ils te demandent de faire des trucs que tu ne veux pas faire »2, souligne une ex-danseuse . Une fellation pour 20 $, une soirée all the way pour 100 $, les touristes peuvent profiter, pour le cinquième du prix d’un billet du Grand Prix, d’une forme d’exploitation sexuelle.

Une publicité sexiste et un patron misogyne

La publicité même du Grand Prix reste dans le domaine du sexisme et de la manipulation, voire de la dégradation d’une sexualité en renforçant des images pornographiques du corps. En faisant la promotion d’un idéal de genre, l’oppression sexuelle reste encadrée et validée par les promoteurs et promotrices du Grand Prix.

Sur la page Facebook de l’évènement, où de nombreux clubs déploient des invitations aux fêtes d’ouverture et de clôture de la fin de semaine, on y voit des femmes dont les poses témoignent de la soumission ou de l’invitation à les consommer. Regard vers l’horizon ou regard séducteur qui sèment la conscience de sa beauté, corps parfait et disponible, ce style homogène, ce midriff advertising dresse le portrait d’une norme et d’une attente. Une affiche va même jusqu’à découper la tête d’une femme pour n’y mettre que son corps dans un bikini rose qui promeut l’objet féminin. Le patron de la F1, Bernie Ecclestone, ne s’émeut pas de cette situation. En effet, il considère lui-même les femmes comme de simples outils destinés à servir et à plaire. Selon lui, les femmes « devraient être vêtues de blanc, comme tous les autres appareils électroménagers »3.

Sous la façade de la prostitution, de la sémantique libérale du « travail du sexe » se cache la réalité de la traite des individus, dont près de la moitié sont de mineur-e-s. L’exploitation sexuelle, et son exacerbation durant le Grand Prix, au-delà de leur signification misogyne et dégradante, constituent des expériences de violence traumatisantes, qui demeurent profondément éprouvantes, même après que la personne se soit libérée de l’exploitation sexuelle. Une femme, devenue escorte alors qu’elle était mineure, confiait au Journal de Montréal que « chaque Grand Prix [la traumatise], quand [elle voit] des voitures d’escortes ou qu’[elle] marche sur Crescent. Pour [elle], c’est un moment à oublier »4. Qu’est-ce que le Grand Prix sinon un renforcement de la servitude de la femme et du pouvoir de l’homme ? La voiture étant, on peut le penser, un prolongement des acquis du dernier et de sa victoire. Le deuxième sexe reste, quant à lui, un simple bien de consommation


1 http://fr.canoe.ca/infos/regional/montreal/archives/2011/06/20110609-062705.html
2 Ibid
3 http://www.ledevoir.com/non-classe/258678/bernie-ecclestone-attention-chauffard-a-droite
4 http://fr.canoe.ca/infos/regional/montreal/archives/2011/06/20110609-062705.html


Par Aleksandra Pelletier et Gabrielle Ladouceur-Despins, étudiantes en Sciences de la Communication

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