Édition du 14 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet du 5 novembre

Le bon, la brute et le truand

Le débat actuel au Québec est un peu désolant. C’est une grande régression par rapport au grand remue-méninge du printemps dernier. Les jeunes sont des années-lumière en avant de ceux qui prétendent nous gouverner. Un peu plus, on se penserait dans un film de Sergio Leone.

Comme dans le spaghetti-western bien connu, il y a un « bon ». Les ténors du PQ après avoir fait une campagne électorale en promettant de défaire le néolibéralisme pur et dur de Charest nous disent maintenant qu’ils n’ont pas le choix que d’administrer le « mal » (au sens figuré). Ce n’est pas une surprise. Le PQ accepte de fonctionner à l’intérieur des règles d’un système pourri qui empêche pratiquement toute initiative sérieuse pouvant améliorer la vie des gens. C’est ce qu’il appelle la « gouvernance ». On ne peut même pas en débattre tant le PQ reste encastré dans l’idéologie « lucide » : « le secteur privé est plus efficace », « la taxation est trop élevée », « les ressources doivent être vendues au plus offrant », « l’avenir est dans le libre-échange », etc. Des économistes sérieux (il y en encore) s’amusent de telles inepties. Certes, l’opinion subit les mensonges des roquets de service dans le genre d’André Pratte et de Joseph Facal. L’« argument » lucide marque des points.

Face au « bon », il y a la « brute ». François Legault et sa base de néoconservateurs et d’aspirants mondialiseurs ricanent et proposent sans hésitation la « thérapie de choc ». Comme le Tea Party, ils rationalisent leur haine du peuple : punir, faire que tout le monde se méfie de tout le monde, détruire les acquis arrachés par les luttes du passé (dans la lignée de leur champion Stephen Harper). Pour cela, Legault et sa gang savent qu’il faut faire très peur, humilier et culpabiliser les gens lorsqu’ils osent demander leur dû. C’est pensable, d’autant plus qu’une armée de bouffons fait la job de bras : Éric Duhaime, Mario Dumont et en réalité, la quasi-totalité de l’empire-poubelle Quebecor.

Enfin, il y a le « truand ». Dans les films de Leone, celui-ci est un tueur « sympathique », un peu niais. Ici, ce truand, c’est le PLQ. À la limite, ses chefs se foutent à peu près complètement du « bien » ou du « mal ». D’abord prédateurs, ils peuvent comme des caméléons prendre à peu près n’importe quelle couleur : nationaliste/fédéraliste, keynésien /néolibéral, libéral/conservateur. Du moment que cela rapporte et encore, à court terme. Avec des enveloppes brunes, il y a les immenses arnaques que les truands organisent pour le bénéfice de leurs maîtres : le « plan nord », la privatisation accélérée de la santé et de l’éducation etc. Des commentateurs patentés ont de la compassion pour les truands, Liza Frulla par exemple.

Pas étonnant qu’avec tout cela, le monde devienne écœuré de la « politique »…

Une fois dit cela, il y a un piège avec Sergio Leone. Génial et comique, c’est aussi un cynique qui pense comme d’autres que rien ne peut changer. Ce cynisme, c’est le « plan b » des dominants. Quand ils ont perdu toute légitimité (c’est presque le cas maintenant), c’est la porte de sortie. Ils nous disent alors, « Oui le système est pourri, mais on ne peut rien y faire ». De temps en temps, on fait sortir le mal de dent par des shows (la Commission Charbonneau), mais le message reste le même. Des moralistes nostalgiques d’autorité et d’« ordre », Denise Bombardier par exemple, vont dire que c’est dans la nature humaine …

Petit détail cependant, Leone (et les autres cyniques) se trompe. De temps en temps, notre société, comme l’humanité ailleurs, sort de la prison mentale dans laquelle les dominants tentent de l’enfermer. Il y a plein de révolutions pas-si-tranquilles à la carré rouge qui parsèment notre histoire et qui surgissent et resurgissent, inlassables, insolentes, défiantes. Les efforts des humbles font parfois basculer les choses. Sait-on que les travailleurs et les travailleuses de l’hôtellerie au Québec ont dompté leurs patrons mondialiseurs pour imposer des conditions qui ont un peu d’allure ? Se souvient-on que les Québécoises qui étaient il y a à peine 50 ans des servantes (à part quelques exceptions) se sont battues avec tellement de patience qu’elles ont changé le monde ? Est-ce qu’il n’y a pas un terrible aveu d’impuissance quand les grands-prêtres lucides tels Lucien Bouchard disent ne plus comprendre ce qui se passe ? Certes, les batailles ne sont pas terminées (elles ne le sont jamais), mais ce n’est pas vrai que les dominés sont d’éternels dupes. Ce n’est pas vrai qu’il faut se résigner à être coincés entre le bon, la brute et le truand.

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