Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Le congrès de Québec solidaire : rassembler la gauche indépendantiste pour en faire une alternative véritable

Le 13e congrès de Québec solidaire tenu du 1er au 3 décembre dernier aura été un moment fort dans la construction du parti, qui cette dernière année a atteint un sommet tant au niveau des adhésions qu’il a connues qu’au niveau de l’élargissement de son impact social et politique dans la société québécoise. Le vote à 80% pour soutenir la perspective de fusion avec Option nationale qui devrait se concrétiser avec le vote de ce parti au cours de la prochaine fin de semaine marque un pas en avant dans le processus de rassemblement de la gauche indépendantiste. La discussion de la plate-forme a donné lieu à de multiples débats et à l’adoption de nombreuses propositions devant guider l’action d’un éventuel gouvernement solidaire permettant d’articuler la lutte pour l’indépendance à la lutte pour un Québec indépendant pluriel, solidaire et égalitaire.

L’accueil des députées catalanes a été un moment fort du congrès. Leur présence aura nourri la juste indignation face à la répression de l’État espagnol et à la complicité honteuse des gouvernements de l’Union européenne et du gouvernement Trudeau qui ont défendu les politiques répressives du gouvernement Rajoy. Leurs présentations et les échanges qui les ont suivies ont fait rejaillir le souffle de la mobilisation du peuple catalan et de sa détermination sur le congrès.

La fusion avec Option nationale : enthousiasme et réticences

Dans son discours d’ouverture, Gabriel Nadeau Dubois avait défini l’importance et la nécessité de cette fusion. Il s’agit « d’unir dans une seule maison tous les gens qui veulent redonner ce pays aux gens qui l’habitent et le construisent ».

Québec solidaire, particulièrement dans son travail d’élaboration programmatique, s’est donné beaucoup de temps. Prendre son temps, c’est souvent la condition de la participation du plus grand nombre dans les discussions et les tournants du parti. Pas étonnant qu’étant donné la culture du parti, le processus de négociation et de décision sur une entente de fusion qui devait être acceptée en bloc ait rencontré un certain nombre de réticences et d’interrogations sur le caractère pleinement démocratique du processus. Mais l’importance de l’enjeu de cette fusion, sa signification politique comme marche en avant dans le rassemblement de la gauche indépendantiste l’a largement emporté sur ces considérations et sur les concessions organisationnelles présentes dans l’entente.

Pourtant, il faut bien comprendre que le vote pour l’entente de fusion, même si le congrès d’Option nationale devait également adopter cette entente, ne termine pas le processus de fusion, mais l’entame. La fusion offre un cadre de débats et d’actions communes à la gauche indépendantiste, elle ne ferme pas les débats politiques, elle ne constitue pas une réponse toute faite aux questions stratégiques et tactiques qui vont se poser à l’avenir. Cela est bel et bien le cas puisque la tenue d’un congrès est prévue suite à l’élection de 2018 sur la « révision de l’ensemble du programme, notamment (mais non exclusivement) dans une optique d’arrimage avec le programme d’Option nationale » [1]. Les débats s’esquissent déjà. Comment assurer la viabilité financière d’un Québec indépendant ? Comment assurer une véritable transition énergétique et renverser les défenseurs des énergies fossiles ? Comment articuler le projet de société à la perspective d’indépendance ? Comment définir un droit à l’autodétermination des peuples autochtones ? Quelle place donner à la nécessaire rupture avec le capitalisme dans le discours comme dans les pratiques du nouveau parti ? Quelle doit être la place des mouvements sociaux dans la lutte pour une majorité indépendantiste ? Quelle est la position de Québec solidaire dans la feuille de route, et particulièrement la place de la constituante dans ce processus ? Comment définir un Québec indépendant, pluriel, solidaire et égalitaire ? Nous ne pouvons douter que ce sont ces débats qui vont devenir le creuset de la fusion.

En plus des réticences organisationnelles et démocratiques, il faudra bien revenir sur le débat sur la nature de la constituante que Québec solidaire devra défendre. Particulièrement, si le vote d’Option nationale n’est pas favorable. En effet, si tel est le cas, nous reviendrons (ou pas ?) à la position antérieure de Québec solidaire. Le changement sur la tâche essentielle de la constituante devra de toute façon être rediscuté pour qu’il soit le résultat d’une clarification issue de débats pleinement assumés.

OUI QUÉBEC- La feuille de route des OUI-Québec : explications et bilan

Le Comité de Coordination Nationale (CCN) a présenté un rapport [2] qui répond à de nombreux questionnements soulevés concernant les décisions du CCN au sujet de la feuille de route conjointe d’accession à l’indépendance du Québec par les OUI-Québec. Malheureusement, le rapport ne rappelle pas le mandat du Conseil national à la délégation [3]. Ce mandat représente cependant un guide. Car si le congrès a tranché en faveur d’une constituante à mandat indépendantiste, cela ne résume pas la position que le parti a élaborée sur la feuille de route.

De plus, toute la rhétorique sur la « grande famille souverainiste » qui nous a été parfois présentée dans ce congrès devra être clarifiée. Nous ne devons quand même pas oublier que la direction péquiste a utilisé ce genre de discours pour défendre sa domination sur le mouvement indépendantiste dans les dernières décennies. Cette rhétorique a embrouillé la perspective indépendantiste en la travestissant en souveraineté-association, nouvelle alliance, souveraineté-partenariat, gouvernance souverainiste… sans oublier la campagne pour le libre-échange menée par ces élites nationalistes. Car si les partis fédéralistes et néolibéraux de Legault et Couillard sont les défenseurs de l’oligarchie qui pillent et ruinent le Québec, nous ne pouvons pas oublier que le Parti québécois a aussi mené des politiques d’austérité, de déréglementation environnementale et de soutien aux énergies fossiles quand il était au pouvoir. En effet, l’indépendance a une dimension anti-impérialiste qui donne un tout nouveau sens à la lutte pour l’indépendance. Elle doit être assumée pour préciser les alliances que nous devons nouer avec les classes ouvrières et populaires et les nations autochtones opprimées dans l’État canadien. Le ralliement à l’indépendance passe également par là.

Stratégie électorale : avancées et débats incontournables

Québec solidaire a peaufiné d’une élection à l’autre son expertise sur l’art de mener une campagne électorale tant au niveau du choix des candidat-e-s que d’attribution les ressources. Sa capacité d’assurer la parité hommes/femmes parmi ses candidatures n’est pas la moindre de ses réussites. Encore une fois, la préparation d’un guide féministe et la perspective de construire des équipes électorales féministes marquent un nouveau pas en avant dans cette direction. La systématisation de l’emploi des médias sociaux et la constitution d’un instrument de mobilisation par ces moyens marquent un nouveau pas en avant. Les membres et sympathisant-e-s auront la possibilité de prendre des initiatives dans le cadre de la campagne électorale.

Pourtant la longue plate-forme électorale discutée par les congressistes présentait une multitude de propositions et d’amendements suggérant une foule de débats d’inégale importance. Le caractère en grande partie aléatoire des temps accordés à ces différents débats, le plus souvent très courts, ne permettait pas d’éclairer véritablement les enjeux, leurs tenants et aboutissants. Les votes succédaient aux votes à un rythme tel que beaucoup en perdaient la logique et le fil.

Plus grave, le congrès n’a pas été appelé à discuter les principaux enjeux politiques de la période. Le choix des thèmes et les propositions auraient dû découler de cette analyse et cela aurait permis une identification des propositions les plus pertinentes à avancer dans la campagne électorale qui vient. En fait, il a été dit que cette discussion sur une véritable plate-forme déterminant les revendications essentielles à mettre de l’avant ne devait pas se faire à ce congrès. Ces discussions relèveraient de la stratégie et la stratégie ne se discute pas publiquement. C’est confondre les priorités politiques avec les lignes de communication. Pourtant, ce sont de telles discussions qui permettent le mieux de bien outiller les membres dans un processus d’appropriation des réponses de Québec solidaire. Il faut le plus rapidement faire percoler nos priorités avec les argumentaires qui les accompagnent vers les membres, car c’est là la condition d’un large travail de diffusion en direction de la population.

Ce que nous devrions pouvoir connaître le plus rapidement possible ce sont les principales propositions que nous pourrons présenter à la population et qui auront la possibilité de devenir audible et de mobiliser. L’élaboration d’une véritable plate-forme doit identifier les points de rupture avec le pouvoir de l’oligarchie régnante. Elle doit focaliser sur les privilèges des élites : leur irresponsabilité criminelle face à l’environnement, leur refus de payer leur part, leur accaparement des richesses créées par la majorité populaire, leur travestissement de la démocratie et la corruption dans laquelle, elles pataugent, leur utilisation de sexisme et du racisme pour diviser le peuple...

C’est autour de ces lignes de faille, nous semble-t-il, que peut-être construite une véritable plate-forme.

Si nous avons bien compris, on nous a dit que les campagnes sur les hydrocarbures ou le 15$ n’étaient plus à l’ordre du jour durant cette campagne. Pourtant, on ne pourra donner un coup d’arrêt à l’offensive des partis néolibéraux sur ces différents enjeux qu’en comptant sur les grandes mobilisations. Le mouvement contre l’austérité (la Coalition main rouge, la Coalition pour le 15$ de l’heure, de nombreux syndicats) va utiliser la période électorale pour dénoncer le gouvernement et les partis qui veulent en découdre avec les intérêts populaires. Ce mouvement va aussi lutter pour la réforme de la fiscalité et les réinvestissements massifs dans le secteur public. De même, le mouvement contre les hydrocarbures compte bien sur la période électorale pour confronter le gouvernement et s’opposer aux règlements sur la fracturation. Pour ces mouvements, les élections seront une occasion de mobilisation. Nous devons également être de ces combats, car c’est dans ce cadre que nos réponses politiques et programmatiques connaîtront le plus grand écho. Il faut retraduire nos campagnes dans un cadre de notre campagne électorale, confronter les candidat-e-s des partis néolibéraux en lien avec les mouvements sociaux, car cela est un moyen de renforcer notre audience et notre crédibilité. La perspective (votez pour moi, je m’occupe du reste et je construis pour vous un Québec où il fait bon vivre) relève d’une incompréhension des tâches concrètes qui sont devant nous comme devant les mouvements de résistance aux partis néolibéraux.

Militantes et militants de Québec solidaire : au travail

Voilà l’invitation que Gabriel Nadeau-Dubois a lancé aux congressistes. Il faut, nous a-t-il dit, parler à des centaines de milliers de personnes, pour faire connaître nos réponses à leurs difficultés actuelles et démontrer que Québec solidaire est la seule véritable alternative politique porteuse d’un réel changement social pour la majorité de la population. Ce congrès a permis que souffle sur les membres l’urgence d’agir et la nécessité de se tourner vers l’action, car la responsabilité de construire une alternative de transformation sociale est d’abord dans nos mains.


[1Entente de principe entre Option nationale et Québec solidaire adoptée par le 13e congrès.

[2La feuille de route des OUI-Québec : explications et bilan

[3Voici ce mandat : Il est proposé :
a) Que Québec solidaire participe à la première étape du dialogue proposé par OUI Québec portant sur une feuille de route visant l’indépendance du Québec et réunissant QS, le PQ et ON ;
b) Que Québec solidaire défende le principe de l’Assemblée constituante et travaille à le faire adopter par l’ensemble des partis souverainistes ;
c) Que QS défende la nécessité d’inclure les principes suivants dans le projet d’une constitution d’un Québec indépendant :
A. La pleine justice sociale et fiscale qui assure le maintien et le développement de services publics universels et accessibles ainsi que des programmes sociaux dispensés par l’État ;
B. Une transition écologique exigeant une diminution progressive et résolue de la production et de la consommation des énergies fossiles ;
C. La mise en place d’un système électoral comportant des éléments de proportionnalité qui assurent l’égalité des votes et permettent de refléter la volonté populaire exprimée dans les urnes et la représentation équitable des femmes et des régions ;
D. L’abandon de toute politique identitaire qui stigmatise des minorités ;
d) Qu’un prochain congrès de QS prenne acte des résultats des travaux accomplis lors de cette première étape, approuve ou non ses conclusions et décide des suites en cette matière ;
e) Qu’aucun pacte électoral sous aucune forme ne soit abordé dans les discussions portant sur la feuille de route de OUI Québec, le débat devant porter strictement sur un mode d’accession à la souveraineté.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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