Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Le féminisme est-il toujours pertinent ?

Une histoire souvent inconnue et pas encore enseignée.

À chaque année, autour de la Journée internationale des femmes, plusieurs se posent encore la question de la pertinence du féminisme. Pourtant, on ne questionne pas la pertinence de souligner le jour de la Terre ou la Semaine de prévention du sui­cide parce qu’on sait très bien qu’un monde sans pollution ou sans souffrance n’est pas chose du passé. Est-ce qu’un monde sans discrimination envers les femmes est vrai­ment chose faite ?

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L’écrivaine Marie Cardinal a déjà dit que les hommes ne connaissent pas le féminisme, à la limite, ça peut se comprendre. Mais que les femmes ne s’intéressent pas à leur propre histoire alors que leurs droits sont récents, et donc fragiles, c’est un grave problème. Mais inutile de culpabiliser parce que l’oubli, ça se répare. Il y a des livres à lire, des articles comme celui-ci à écrire, des grand-mères et des mères à jaser. Souligner la Journée internationale des femmes chaque année, c’est pour se souvenir, c’est pour comprendre ce qu’il reste à faire et pourquoi pas aussi célébrer ? Il y a encore tant de choses à faire pour atteindre l’égalité de droit et de fait, autant dans les lois que dans les cerveaux des hommes et des femmes.

On parle ici des lois votées par des parle­ments sans femmes, lois que les femmes ont dû contester et détricoter patiemment pour arriver, par exemple, à faire considé­rer le viol ou la violence conjugale comme un problème de société et un crime. Autre exemple : les dernières statistiques sur le travail nous disent que, au début de leur vie professionnelle, donc dans la vingtaine, les jeunes hommes gagnent d’emblée encore 30% de plus que les jeunes femmes, même si celles-ci étudient maintenant plus long­temps. Certes, nous avons une loi sur l’équité salariale depuis 1996, mais les femmes, en dehors de la fonction publique ou certaines syndiquées de l’entreprise privée, ne l’ont pas encore. Et la pauvreté se conjugue tou­jours au féminin en 2011.

« À simplement regarder un peu en arrière, notre vie change », nous disait Mme Pedneault. « On ne se sent plus seule. On sent qu’on fait partie d’une longue lignée de grands-mères et de mères dont nous sommes les héritières. Je parle de ces femmes qui ont vécu au temps où le silence était la langue officielle des femmes. Au temps où l’histoire officielle effaçait les femmes et ne prenait même pas la peine d’inclure les combats des femmes et les noms de celles qui ont
osé aller à contre-courant de la soumission, du silence et de l’absence quasi-totale de droits ». Si l’on montre du doigt avec mépris, des féministes qui auraient brûlé symboli­quement des brassières devant un concours de miss aux États-Unis, de cette persistante légende urbaine, mais dites-moi où est le crime ? « Le féminisme n’a jamais tué per­sonne ! » (Benoîte Groulx)

Prenons votre grand-mère, appelons-la Huguette qui, en 2011 est âgée de 88 ans, vous apprendrez ceci en lui parlant : quand elle est née en 1923 elle n’était pas une per­sonne. Selon la loi, elle est devenue une personne en 1929 alors qu’elle avait 6 ans. Sa mère, séparée de son père, devait dire qu’elle était veuve pour qu’un propriétaire accepte de lui louer un logement pour elle et ses trois filles. Sa mère a pu voter pour la première fois, après 50 ans de luttes achar­nées, quand Huguette a eu 17 ans, en 1940, mais pas aux élections municipales car elle n’était pas propriétaire. Quand Huguette s’est mariée en 1950, en plus d’avoir à jurer obéissance à son mari, elle était obligée de quitter son emploi. Une fois, elle a fait une des plus belles colères de sa vie dans un hôpital qui refusait d’opérer ses enfants pour les amygdales parce que leur père, qui était en voyage, ne pouvait pas signer l’autorisation ! Évidemment, son couple s’est endetté à cause des amygdales et des accouchements car l’assurance-maladie n’est arrivé qu’en 1969. Heureusement, depuis 1955, elle avait le droit de se séparer pour adultère sans devoir endurer la maitresse de son mari sous son propre toit ! Elle n’aura pas de chèque d’aide sociale avant 1969 tout en étant toujours responsable de ces dettes à lui ! Et si son mari la battait, c’était un problème de couple et s’il l’avait violée, elle ne pourra se plaindre de sa conduite criminelle qu’à partir de 1983.

Ça fait seulement 45 ans que les femmes peuvent jouir de tous leurs droits sur le plan juridique, à l’égal des hommes. Mais ça ne veut pas dire que la situation des femmes a changé du jour au lendemain dans la tête des hommes et des femmes ! Ça résiste encore dans certaines têtes et certains milieux : à preuve, le mouvement Desjardins vient d’élire à sa présidence, Monique Leroux, première femme AU CANADA à la tête d’une institution financière de cette envergure. Les acquis des femmes sont fragiles parce qu’ils sont récents. Les racines de leurs droits ne sont pas profondes.

1- Le contrôle de notre corps et de notre sexualité : hier, on a posé les bases de l’accès à l’avortement, la contraception et permis l’expression de la sexualité des femmes en dehors du cadre aliénant mère-femme-putain ; aujourd’hui, d’autres enjeux se posent par le mouvement queer, le travail du sexe, l’hypersexualisation de la publicité et de la société. Aussi, les récentes tentatives du gouvernement Harper de restreindre et de recriminaliser l’avortement - et de la droite étatsunienne et canadienne demandent une constante vigilance.

2- Le droit et l’accès à l’éducation et au tra­vail dans toutes les sphères de la société : hier, c’était favoriser l’accès des femmes à l’université ou aux métiers non tradition­nels ; aujourd’hui on parle encore des choix professionnels des filles toujours forte­ment influencés par les stéréotypes qui les mènent à la pauvreté et l’appauvrissement, ou encore, la gratuité scolaire menacée, la conciliation famille-travail-étude, le non-emploi des sages-femmes, le manque de femmes dans les hautes sphères de l’admi­nistration publique, la finance et l’entreprise privée, etc.

3- L’établissement d’un nouveau rapport à la sphère familiale dont les rapports égali­taires et le partage des tâches domestiques et des responsabilités familiales : hier, il fallait des lois criminalisant le viol et la violence conjugale et la mise en place de services aux femmes de même que des politiques familiales et fiscales : aujourd’hui ; la tari­fication et la privatisation grandissante du système de santé public ramènent les femmes dans le travail gratuit des soins aux proches dépendants ; l’appauvrissement et l’épuisement des familles, l’écart grandis­sant entre riches et pauvres, le contrôle et la violence amoureuse toujours présente dans les couples.

« Le plus grand problème, avec la cause des femmes, » lançait Hélène Pedneault lors d’un congrès des centres de femmes en 2008, « c’est que c’est la seule cause au monde où croit-on, à tort, que « l’adversaire » entre guillemets, est non seulement dans la même maison que vous, mais il est dans le même lit et que vous êtes en amour avec ! »

Farce à part, on ne parle pas ici de votre conjoint, votre père, votre frère, votre fils PERSONNELLEMENT, on parle d’un monde, d’une société, d’un système capitaliste et patriarcal qu’une minorité d’hommes, blancs, hétérosexuels, fortunés et instruits ont érigé au fil des siècles. La mondialisation et le libre-échange ne font actuellement que renforcer cette domination en piéti­nant les lois environnementales, syndicales et sociales, au nom du profit, renforçant les inégalités, cachant des milliards dans des paradis fiscaux quand ils ne sont pas car­rément dans la fraude, le délit d’initié ou la fuite au détriment des peuples opprimés et autochtones, et dont la moitié du monde est une femme...


« Moi, mon mari, y’a jamais réussi à prendre le féminisme historique, il l’a toujours pris person­nel » (Tirée d’un sketch des Folles Aliiées, humoristes féministes québécoises années ‘80)
« Que veulent les féministes ? Des rapports entre les êtres humains fondés sur le respect de l’autre et de sa dignité, sur l’égalité et la liberté. Voilà qui est révolutionnaire mais les moyens qu’elles prennent sont et ont toujours été uniquement pacifiques ». Voilà qui est sans exemple dans l’histoire des mouvements sociaux. » (Florence Montreynaud, historienne féministe française)

« Dire que le féminisme induit la haine des hommes, c’est comme affirmer que le mouvement anti-Apartheid en Afrique du Sud avait pour but la haine des Blancs et non la libération des Noirs. » (Francis Dupuis Déry, chercheur en études féministes) »

« C’est Simone de Beauvoir qui m’a donné le mot indignation lors d’une entrevue avec elle en 1983. Elle m’a dit : « Si je me porte bien dans ma vieillesse, c’est certainement parce que je suis encore capable de passion, d’indignation et d’amitié ». En fait, l’indignation nous fait sortir du MOI-JE pour arriver au NOUS dans la conscience d’être uni à d’autres qui souffrent d’injustice, d’oubli ou de mépris. J’aime l’indignation, j’aime les indigné-e-s ! J’aime cette énergie à la fois haut-le-coeur et remède. Si la colère est une allumette, l’indignation est une flamme olympique ».

(Hélène Pedneault, écrivaine et journaliste)


France Lavigne, coordonnatrice des communications et de la vie associative au Centre de femmes de Shawinigan, membre du CA de la Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie.

Cet article a été tiré du journal La Galère, été 2011, qui nous a été gracieusement envoyé.
"Le journal La Galère a pour mission première d’améliorer les conditions des hommes et des femmes et de favoriser à la fois le développement de l’autonomie et le sentiment d’appartenance à la communauté."

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[1*Texte inspiré d’une conférence d’Hélène Pedneault, écrivaine féministe québécoise (1952-2008)

France Lavigne

France Lavigne, coordonnatrice des communications et de la vie associative au Centre de femmes de Shawinigan, membre du CA de la Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie

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