Édition du 14 mai 2024

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Le projet de Trudeau

Tous conviennent que Justin a eu un gros avantage dans sa capture du Parti libéral du Canada (PLC) : son nom ! Mais cet atout est aussi une vulnérabilité. Tout le monde, à commencer par Harper, l’attend au tournant. Le personnage a peu d’envergure intellectuelle. Son expérience politique est superficielle et il a tendance à dire n’importe quoi, parfois par ignorance, parfois par arrogance. Plusieurs questions sont en suspens : dans quelle mesure son intronisation va-t-elle changer la donne ? Quelles sont ses chances de vaincre Harper et Mulcair ?

L’héritage

Basées à Toronto parmi la grande bourgeoisie et à Montréal parmi les cercles fédéralistes subalternes, les élites politique et économique du Canada ont historiquement bien profité de la gestion du PLC. Alliance fluctuante entre le centre et le centre-droit, le PLC a pu garder sa base électorale stable parmi les couches moyennes et populaires un peu partout au Canada. Sous l’égide des politiques keynésiennes d’après-guerre, une sorte de consensus a été établi (incluant même le Parti qui s’appelait à l’époque « progressiste-conservateur » pour ne pas être catalogué trop à droite). Également, le PLC était le parti qui « gérait » les contradictions avec le Québec, en comptant sur la bourgeoisie québécoise contente de jouer les seconds violons dans le contexte du capitalisme canadien.

Confrontations

Mais dès la fin des années 1970, le PLC a entrepris de liquider l’héritage keynésien. Trudeau a confronté le mouvement syndical pour imposer le gel des salaires (1978). Il a par la suite adouci le ton « nationaliste-canadien » pour se rapprocher des États-Unis. Plus tard, les successeurs de Trudeau revenus au pouvoir (1993) ont mis en œuvre le projet de l’ALÉNA (qu’ils avaient promis de démanteler). Ils ont orchestré un agressif programme d’austérité contre les chômeurs et le secteur public, tout en sabrant dans les transferts vers les provinces en matière de santé et d’éducation. Ce virage a fait du PLC le champion des élites canadiennes. Parallèlement, le PLC a continué de jouer son rôle pour « mâter » le Québec, à travers les grandes manœuvres post-1976, le rapatriement de la constitution (1982), le refus de considérer tout « accommodement raisonnable » avec le Québec (projet dit du Lac Meech) et finalement, la sale opération pour contrer le deuxième référendum (1995). Le PLC a ainsi été conforté dans son rôle de parti de la gouvernance.

Le déplacement des plaques tectoniques

Quelques décennies plus tard, que reste-il de cette aventure ? Sur le plan de ce qu’on pourrait appeler les politiques « fondamentales », le PLC ne représente plus le même attrait pour les dominants. Avec la réorganisation des Conservateurs sous Stephen Harper, une nouvelle alliance est en place, avec les grandes élites économiques d’une part, et une base populaire ancrée sur les couches moyennes de l’Ouest et de l’Ontario. Comme on l’a vu en 2011, cette équation s’impose électoralement. Entre-temps, le PLC ne peut réconcilier ses politiques traditionnelles et les orientations de centre-droit qui correspondent davantage à la réalité contemporaine. Justin peut parler de « compassion » envers les pauvres, de « valeurs canadiennes » (non-définies), mais il ne peut confronter Harper sur la restructuration en cours, de peur de perdre l’appui des Desmarais et autres « kingpins » de l’ombre. Il ne dira rien de la gestion macro-économique, de l’affaiblissement des programmes sociaux, du virage en cours pour faire du Canada une « puissance énergétique », car s’il le disait, il s’aliénerait les dominants qui ne lui pardonneraient pas de dévier du néolibéralisme. Certes, le discours « soft » de Trudeau peut attirer certains électeurs hors-Québec, inquiets ou lassés de Harper, et qui pourraient voter « stratégique », ce qui veut dire pour le PLC et non pour le NPD.

« Sauver le Canada »

Comme son père, Justin va se présenter comme le chevalier du Canada. Cette imagerie va lui redonner le vote fédéraliste au Québec, celui des anglophones, de la majorité des communautés culturelles et des francophones fédéralistes qui tous ensemble, ne l’oublions pas, font 30% de l’électorat québécois. Le NPD pourrait perdre une partie de son électorat (ouest de Montréal, Laval, Outaouais, Québec-Appalaches). Mais cela ne sera pas suffisant. Justin doit convaincre la population hors-Québec que la « menace séparatiste » est encore en vie. C’est difficile (compte tenu de l’état du PQ), mais pas impossible. Dans un sens pervers, Harper, pour affaiblir la menace potentielle, pourrait faire d’autres entourloupettes pour favoriser, sans le dire évidemment, la remontée du Bloc Québécois. Je sais que certains n’aimeront pas cela que je dise cela, mais la stratégie harpérienne compte sur la fragmentation du vote. Trudeau devant cela pourra alors dire, « je suis le seul qui s’oppose aux méchants séparatisses… ». Est-ce que cela sera assez pour gagner ? Pas sûr.

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