Édition du 21 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le retour

J’imagine que plusieurs d’entre vous ont vu une ou deux versions du même film d’Hollywood, dans lequel on voit des pépés « revenir au front ». Des anciens cowboys, des anciens flics, des anciens bandits, des anciens astronautes, viennent « sauver la mise ». Ils sortent de leurs chaises berçantes et en passant par-dessus leur maux de dos, ils viennent faire la job que leurs descendants ne peuvent pas faire. C’est souvent comique avec un petit fond nostalgique et pathétique. Ça vous fait penser à quelque chose ?!?!?

On peut reprocher à Gilles Duceppe beaucoup de choses, mais certainement pas d’être un mauvais stratège. Il s’est fait avoir quelques fois (notamment lors de la dernière élection fédérale), mais habituellement, il se faufile dans les sentiers tordus de la politique. En clair, je ne pense pas que son retour soit seulement improvisé. On peut penser aussi que cela a été pensé par PKP dans une vaste opération qui vise à relancer le camp péquiste.

Dans le fonds, PKP n’avait pas beaucoup de choix. Avec Duceppe, on peut penser éviter l’effondrement prévu et annoncé du Bloc, un effondrement qui aurait pu renforcer cette impression que le PQ est en phase terminale. Autre effet collatéral, une victoire de Mulcair contre le mal-aimé Harper (au Québec) irait également dans le sens de démontrer la viabilité d’un Canada fédéraliste. Tant d’un côté que de l’autre, c’est inacceptable du point de vue PKP.

Pour autant, que faire pour renverser la tendance ? Le retour des pépés est certainement une opération d’urgence risquée. Au minimum, si Duceppe va chercher 25 % du vote, on pourra dire que le camp nationaliste aura sauvé les meubles. Ce n’est pas impensable, mais ce n’est pas assuré. S’il glisse en dessous de cela, cela sera une dure défaite. S’il passe par-dessus 30%, Duceppe et PKP vont présenter cela comme un triomphe. D’une manière ou d’une autre, le team PKP-Duceppe sait très bien que la bataille sera dure et prolongée, quel que soit le résultat du scrutin fédéral. Encore là, toutes les options sont risquées.

PKP estime qu’il doit replacer le PQ au centre-droit de l’échiquier politique. Ce sont ses valeurs, sa vision du monde après tout. D’un point de vue stratégique, c’est l’hypothèse de ramener les « nationalistes mous » vers le PQ, donc d’avaler l’essentiel de la CAQ. Avec cela, il pourrait penser regagner les élections et éventuellement entamer un autre processus référendaire. Logique et rationnelle, cette opération n’est cependant pas sans risque. Dans le PQ et ses traditionnels alliés (syndicaux notamment), il y a des forces de centre-gauche non négligeables. Certes, les membres (dont le nombre décline) se sont fait convaincre que PKP était le seul « cheuf » possible. Mais cela ne veut pas dire qu’ils vont accepter la liquidation entière du PQ tel qu’historiquement défini, souverainiste et de centre-gauche. On a vu le PQ « profond » se soulever à quelques reprises, notamment contre Pierre Marc Johnson dans les années 1980.

Autrement, PKP a vraiment un défi très considérable. Sur la question de la souveraineté, il comprend que dans les circonstances actuelles, il n’y a pas les conditions pour une avancée du côté de Québec inc. La situation est totalement différente de celle qui existait en 1995, après l’échec du compromis du Lac Meech et au moment où des capitalistes québécois se questionnaient sérieusement sur les avantages et les désavantages de la souveraineté. Aujourd’hui et à moins d’un virage spectaculaire, il n’y a plus d’ambiguïté. Les capitalistes québécois sont relativement à l’aise dans leur rôle de bourgeoisie provinciale. Ils sont tournés davantage vers l’intégration continentale, ou disons-le plus simplement, vers les États-Unis et ils ne veulent d’aucune manière perturber cet « ordre » capitaliste. Enfin, comme leurs partenaires capitalistes dans le monde, les bourgeois québécois sont enthousiastes à l’idée de procéder à la grande réingénierie néolibérale, de briser les acquis arrachés par les classes populaires dans les années 1960-70 et de procéder le plus rapidement et le plus systématiquement possible à l’alignement du Québec sur le « modèle américain ». Ce projet ou ce programme, c’est le PLQ avec son ancrage sur l’État fédéral qui lui donne sa force. Comment se démêler alors ? Troquer la cause souverainiste pour la cause provincialiste, rassurer la bourgeoisie québécoise, rallier les nationalistes mous, serait le chemin « naturel » pour parvenir au pouvoir. Mais pour cela, il faut non seulement prendre le contrôle, mais liquider le PQ et le projet de souveraineté.

À court terme, il est probable que PKP cherche à ménager la chèvre et le chou. Comme il l’a d’ailleurs fait lors de la campagne au leadership. « Ni de droite ni ne gauche ». Comme il est dans l’opposition, il est facile de se distinguer de la droite dure au pouvoir. Quant au référendum, il se préviendra de s’imposer un agenda strict. Il sera patient et il attendra d’une façon ou d’une autre que les astres s’alignent. Si jamais Harper revient au pouvoir, il n’est pas dit que l’implosion du Canada ne sera pas encore une fois au rendez-vous.

Dans ce contexte, le retour des pépés du Bloc serait un autre avantage pour PKP. Duceppe et son équipe ont toujours bien joué le jeu. Étant l’éternelle opposition, il ne leur coûte pas cher d’avoir des politiques de centre-gauche, ce qui les met sur le même terrain, fondamentalement, que celui du NPD. Tout en se présentant comme la « voix du Québec » à Ottawa, de manière à rallier les nationalistes « mous ». Cela a fonctionné pendant plusieurs années jusqu’à temps que des circonstances imprévisibles surviennent (l’effet Jack Layton). En attendant, Duceppe rappelle la population au grand consensus national : c’est un peu mince. Mais comme on le dit souvent, la politique est l’art de l’imprévisible. Il y a de la place pour des erreurs, des bifurcations, des rebondissements.

D’un point de vue du mouvement populaire et de la gauche, le terrain est glissant. Le ralliement à PKP est une voie sans issue, terriblement dangereuse tant à court qu’à long terme. Le ralliement au Bloc et à l’ancien syndicaliste Duceppe pourrait être un autre chemin sans sortie nous coinçant de plusieurs manières.

Quelles sont les alternatives ? Un appui « tactique » au NPD n’est pas une panacée. Cela ne serait pas la première (et la dernière !) fois que des partis qui se présentent comme progressistes gagnent les élections pour reconduire l’essentiel de la politique de la droite. Parlez-en aux Français, aux Anglais, aux Américains même. Parlez-en même aux partisans du NPD dans les provinces où ils ont été élus. Certes, il y a des progressistes dans le NPD (comme il y en a dans le PQ et le Bloc). Dans certains comptés, je n’hésiterais pas à voter pour Alexandre Boulerice ou Nycole Turmel, par exemple. Il se peut qu’on soit forcé de temps en temps à voter « utile ». À la limite, tout-contre-Harper est la meilleure posture, la « plus moins pire » dirait Jean Chrétien.

Sur le fonds, il faut construire notre force et c’est ce qui est fait dans le mouvement populaire et avec Québec Solidaire. Si ces avancées peuvent « contaminer » les autres régions et susciter la mise en place d’un « Canada solidaire », on sera encore mieux placés. Ce n’est pas pour demain, mais nous aussi, on est patients…

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