Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Les actions étudiantes sont-elles légitimes ?

Face au silence du gouvernement devant les revendications étudiantes, le mouvement de grève ne démord pas. Les actions et manifestations de toutes sortes se multiplient elles aussi. De la décoration du mobilier urbain avec du tissu rouge aux actions de perturbation, en passant par les blocages de ponts et de centres névralgiques de l’économie, le gouvernement est de plus en plus dépassé par les évènements. La question de la légitimité de ces actions soulève de nombreux débats au sein de la population en général, mais aussi dans les assemblées étudiantes. Ce qui est illégal est-il toujours illégitime ? Tentative de réponse d’un point de vue étudiant.

La grève, contre-pouvoir démocratique

Il faut rappeler que la présente grève générale n’est pas un mouvement précipité. De nombreuses autres actions ont été préalablement posées dans le but de faire reculer le gouvernement. Le 22 mars dernier, la mobilisation a même culminé lors d’une manifestation historique rassemblant plus de 200 000 personnes. Si les étudiants et étudiantes doivent aujourd’hui envahir les rues tous les jours au lieu de se retrouver sur les bancs d’école, c’est en raison de l’absence de réaction des élus libéraux.

Ce mutisme se prolonge alors que des dizaines de milliers d’étudiants et étudiantes sont en grève depuis près de deux mois et que le mouvement récolte de nombreux appuis parmi la population québécoise (parents, professeur-e-s, syndicats, groupes communautaires, artistes, etc...). Le gouvernement, lui, refuse toujours de négocier. Il prétend qu’il a été élu démocratiquement pour prendre cette décision. Par la grève, les étudiants et étudiantes défendent une autre conception de la démocratie. Les grévistes refusent en effet de donner un chèque en blanc à un gouvernement tous les quatre ans, au moment des élections. La grève générale se veut un contre-pouvoir ayant pour but de défendre les intérêts populaires contre ceux d’une élite politique corrompue.

Un dialogue de sourds

Contrairement aux patrons et aux actionnaires, le mouvement étudiant ne dispose pas naturellement d’un poids économique significatif pour faire valoir ses revendications au gouvernement. Par contre, grâce à la force de la solidarité, les étudiants et étudiantes peuvent mener des actions de perturbations et de désobéissance civile qui exercent une pression importante. Ces actions ne sont donc pas gratuites : elles ont toujours une portée politique. Si les grévistes emploient les grands moyens, c’est bien parce que le dialogue est impossible.

Non seulement le gouvernement ne veut-il pas négocier, mais même s’il voulait négocier, le mouvement étudiant ne pourrait lui faire entendre raison : on ne parle pas la même langue. Le gouvernement parle la langue des économistes, de la « croissance », de l’« économie du savoir » et de la « dette publique ». « L’économie d’abord ! » disaient les libéraux lors de leur dernière élection. Les étudiants et étudiantes parlent la langue de la dignité humaine, de la justice, de la solidarité sociale, du partage de la richesse et de la transmission du patrimoine culturel et scientifique.

Quand les deux parties prétendent défendre la juste cause, seule la force peut trancher en faveur d’un vainqueur. Le gouvernement a, lui, des forces policières lourdement armées et autorisées à faire des arrestations ainsi qu’à distribuer des contraventions pour casser la grève étudiante. Quant au mouvement étudiant, il a la force du nombre, la force de ses membres qui ont le courage de se tenir bras-dessus bras-dessous pour lui opposer une résistance physique, bloquer l’accès à un édifice ou à une rue, dans le but de faire reculer le gouvernement.

Des actions illégales ciblées

Le mouvement étudiant sait pertinemment que ses actions sont dérangeantes et souvent illégales. Si elles ne l’étaient pas, le mouvement étudiant pourrait déjà concéder la victoire au gouvernement et rentrer en classe. C’est précisément parce que les grévistes refusent le quotidien qu’on leur impose qu’ils et elles perturbent l’ordre social, qu’ils et elles bravent la loi. Face à une injustice, on ne peut laisser la routine nous faire oublier notre devoir de défendre la dignité humaine.

Si les actions étudiantes sont souvent illégales, elles ne sont pas pour autant illégitimes. Elles ne visent en effet jamais l’intégrité physique des personnes, contrairement à la police anti-émeute. Les actions étudiantes ciblent des institutions, des objets et des axes de communications qui sont impliqués dans le débat sur l’éducation. Le mouvement étudiant ne s’attaque pas à des individus, mais à un système économique et politique injuste.

Généralement, les actions ciblent des acteurs et actrices politiques ou économiques d’importance, qui se sont positionné sur la question ou qui ont des intérêts dans l’actuelle privatisation des universités. Parfois, des travailleurs et des travailleuses sont affecté-e-s par les actions étudiantes. Mais il faut bien comprendre que ces actions ne visent pas directement à nuire aux travailleurs et travailleuses, bien au contraire, mais plutôt à perturber le cours normal de l’économie.

Un travailleur ou une travailleuse qui ne peut se rendre à son travail en raison d’un blocage étudiant ne peut être tenu-e responsable de son absence. Ce sont les patrons et patronnes, les gestionnaires et les actionnaires qui ont le plus à perdre dans le fait que leur entreprise ne fonctionne pas pendant une journée à cause d’une action étudiante. Rappelons que ce sont ces mêmes patrons qui défendent ardemment la hausse des frais de scolarité.

D’autre part, en s’immiscant dans le quotidien des gens, les étudiants et étudiantes forcent la prise de position politique. Les grévistes espèrent ainsi que les personnes affectées vont tenter de se renseigner afin de comprendre les raisons profondes qui les poussent à poser de tels gestes. D’abord et avant tout, les grévistes luttent contre l’ignorance et l’indifférence.

Texte tiré du journal L’Ultimatum du 5 avril 2012

Les auteurEs sont respectivement étudiante en histoire de l’art et étudiant en philosophie

Arnaud Theurillat-Cloutier

membre de l’ASSÉ

Anna Perreault

étudiante en histoire de l’art

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