Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les défis de la gauche canadienne

La gauche radicale dans le ROC est peu connue au Québec. Mais devrait-on dire, elle est également peu connue au Canada. Avant et après la Deuxième Guerre mondiale, le Parti communiste (PCC) avait cependant une certaine implantation, surtout dans les milieux ouvriers et l’immigration, notamment en Ontario et en Colombie britannique, de même qu’à Winnipeg où existait une tradition ouvrière radicale depuis la grève générale de 1919. Par contre, le PCC ne put prendre racine au Québec, en partie à cause de la gouvernance réactionnaire de Maurice Duplessis, en partie à cause de son incapacité de reconnaître le fait national québécois. Dans les années 1960, la gauche québécoise a pris son envol séparément, tant à travers les mouvements sociaux que via diverses initiatives politiques. Pendant ce temps, le PCC est devenu une secte sans que les divers projets d’extrême gauche ne puissent réellement se créer une base de masse. Quelques exceptions sont quand même survenues, dont le mouvement social ontarien de 1995 (les « days of action »), de même que la tentative de « radicaliser » le NPD à travers l’initiative du réseau « New Politics » (début des années 2000). Mais ni dans un cas ni dans l’autre, on n’a pas pu renouveler une gauche à la fois socialement et politiquement active. Et donc, un projet comme celui de Québec Solidaire est présentement impensable dans le ROC. Est-ce que cela pourrait changer ?

Une galaxie éparpillée

La gauche radicale canadienne est actuellement éparpillée entre plusieurs petits groupes dont l’influence est plutôt limitée. Probablement que l’organisation la plus consistante est le Socialist Project (http://www.socialistproject.ca/), mise sur pied par l’ex-syndicaliste Sam Gindin et un noyau intellectuel autour de l’Université York. Gindin dont l’audience reste forte dans le mouvement syndical a pris l’initiative de convoquer les « Workers’ Assembly » qui sont en quelque sorte un regroupement militant explicitement anticapitaliste et dédié à l’action à la base. Après un départ assez encourageant, SP n’a cependant pas réussi à dépasser le cercle habituel des militants-es radicaux. Outre les tentatives de constituer des collectifs ouvriers, l’action de SP est concentrée sur des travaux théoriques dont l’inspiration vient beaucoup des expériences en cours en Amérique latine. Parallèlement, il y a dans plusieurs villes, de petits collectifs anticapitalistes, notamment à Vancouver (Ecosocialist Group), Halifax (Solidarity), de même qu’à London, Regina (Saskatchewan) et ailleurs. Ils s’affichent communistes ou anarcho-communistes. Ils regroupent des jeunes qui sont orientés vers l’action directe, parfois à travers des mouvements comme OCAP (voir article précédent). Il y a enfin quelques partis de tradition communiste ou trotskiste, parmi lesquels les héritiers du PCC (qui portent le même nom), de même que les International Socialists et d’autres groupes généralement composés de noyaux militants assez restreints. Les différences entre ces groupes sont vives et s’expriment par de nombreuses polémiques entre eux, comme on en avait au Québec dans les années 1970.

Être ou ne pas être dans le NPD

Seule formation politique de centre-gauche ayant une audience importante, le NPD est souvent considéré par une partie de la gauche comme le seul lieu où on peut s’investir politiquement. À diverses époques, la « tendance » de gauche du NPD a pris de l’importance, comme avec les jeunes radicaux du « Waffle » dans les années 1970. Plus récemment, la militante féministe Judy Rebick et plusieurs autres ont tenté de pousser le parti vers la gauche en tentant de convaincre les mouvements populaires de se réinvestir. Lorsqu’il a été élu chef du NPD en 2003, Jack Layton a semblé aller dans ce sens, mais sous la pression de sa base parlementaire et des branches provinciales du NPD dans l’ouest, il s’est recentré dans la tradition modérée et laissé de côté les éléments de gauche comme les députés Sven Robinson et Libby Davies. Lors de l’élection de Thomas Mulcair en 2012, ces éléments ont tenté de se liguer contre ce qu’ils considéraient comme un nouvel abandon des principes constitutifs du NPD, mais leur éparpillement les a empêchés de réussir, et ce malgré l’arrivée dans le décor de plusieurs élu-es du Québec liés aux mouvements sociaux et à Québec Solidaire.

Le dilemme

Être de gauche dans le ROC, c’est quand même assez difficile. Culturellement parlant, ce n’est pas une forte tradition, tant est dominante l’idéologie capitaliste qui ressemble (sans être totalement identique) aux mythes états-uniens. Il y a également la dispersion géographique et démographique, d’où la permanence de fortes communautés « identitaristes » qui se définissent encore par la filiation ethnolinguistique, comme les groupes depuis longtemps implantés au Canada (Italiens, Portugais, Grecs), mais aussi les nouveaux arrivés (Indiens, Africains, Chinois). Ces communautés qui prospèrent dans le cadre de la gestion multiculturelle de l’État canadien sont relativement hermétiques et peu ouvertes aux idées de la transformation sociale. À cela s’ajoute la grande fracture qui divise la gauche du ROC de celle du Québec, dans une quasi indifférence mutuelle. La gauche canadienne n’a pratiquement jamais compris que la question québécoise était autre chose qu’un nationalisme frileux. Certes depuis quelques années, le droit à l’autodétermination du Québec est plus ou moins accepté comme principe, mais cela ne se traduit pas par une lutte politique active pour contrer l’offensive anti-québécoise de l’état fédéral.

Le piège de l’ultra-radicalisme

Souvent isolée, une certaine gauche très radicale du ROC aime s’entendre parler de projets « anticapitalistes » et « anarcho-écologistes » qui ont peu d’impact, mais qui ont le mérite de satisfaire le désir d’identité de certains militants. Il est frappant d’entendre des radicaux du ROC, y compris des intellectuels se disant informés, dénoncer Québec Solidaire qui est à leurs yeux « trop modéré ». L’idée que la mise en place d’une grande coalition progressiste soit un pas en avant semble leur échapper. La fascination pour l’anarchisme, les Black Blocs, l’action dite « directe » (qui signifie souvent le cassage de vitrines) fait partie de ce bagage culturel qui confine à l’isolement. On se réfère beaucoup, sans être toujours bien informés, aux luttes radicales ailleurs dans le monde, notamment en Amérique latine, sans que le lien entre ces luttes et le contexte canadien soit bien expliqué. Évidemment, les initiatives visant la transformation du NPD leur apparaissent comme un dangereux piège, voire une « trahison ».

Une nouvelle ouverture

Depuis quelques temps, la situation évolue un peu du côté de la gauche canadienne. Il y a un sentiment d’urgence qui découle de la « révolution » de droite entamée par les néoconservateurs, surtout parmi les syndicats et les groupes populaires. À cela s’ajoute un certain réveil à l’endroit du Québec, que les mobilisations étudiantes et les Carrés rouges ont stimulé. La revue Canadian Dimension (publiée à Winnipeg, elle est cependant bien diffusée partout au ROC) joue un rôle important dans ce contexte pour faire comprendre ce qui se passe au Québec, en donnant la parole à des militantes et des militants du Québec comme Andréa Levy, André Frappier, Gabriel Nadeau-Dubois, etc. Ce sont des passerelles de plus qui permettront éventuellement de construire de nouvelles stratégies. Le Forum social des peuples, prévu à Ottawa en août prochain, sera certainement un espace où ce dialogue pourra aller plus loin.

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