Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Crise d’octobre 1970

Les événements d'Octobre 1970, d'hier à aujourd'hui

Présentation pour le webinaire de Socialist Action Canada du premier octobre 2020

1. En 1970, la question nationale et la question sociale étaient fusionnées (surtout à Montréal). Les grands « boss » étaient anglais. L’exploité était opprimé et vice-versa. Langues d’affichage, de travail et raison sociale étaient l’anglais.

2. La « révolution tranquille » prolétarienne (1966-76), dont le zénith fut la grève générale de 1972 avec ses brefs moments pré-révolutionnaires et qui a été préparée par la « révolution tranquille » petite bourgeoise (1960-1966), a été vaincue par l’hégémonie du petit-bourgeois PQ dont le projet de société était l’édification de Québec Inc. ce qui a momentanément à demi réussi... avec le concours d’Ottawa soutenant par exemple Bombardier et SNC-Lavallin.

3. Les événements d’Octobre 1970 expriment l’échec appréhendé du projet prolétarien, mais inarticulé, de libération nationale conjuguée à l’émancipation sociale. Le succès électoral relatif du RIN indépendantiste de gauche de 1966 (6% des voix) cède la place au PQ avec son orientation souveraineté-association de droite. Le PQ a d’abord absorbé la droite indépendantiste RN puis, contre la volonté de sa gauche, le RIN, ce qui lui a permis de recueillir 23% des voix lors de l’élection du printemps 1970. La répression anti-manifestation du maire de Montréal a fait le reste créant l’illusion d’un Québec « Cuba du Nord » dans la lignée des luttes armées de libération nationale de l’époque.

4. Cette analyse très impressionniste, présente dans le livre fétiche de l’époque, « Nègres blancs d’Amérique » de Pierre Vallières, ne fait pas la différence entre les Afro-américains ayant subi l’esclavage et le système Jim Crow et le peuple blanc québécois qui est pris entre le marteau de l’oppression fédéraliste suite à la conquête de 1760 et la défaite de la révolution nationale-démocratique de 1837-38 et l’enclume de sa propre participation à l’oppression autochtone et à l’impérialisme canadien comme partenaire junior.

5. La consolidation du marché mondial de l’ère néolibérale a réduit les prétentions de Québec Inc. encore plus que de Canada Inc. Par exemple, dans le secteur alimentaire, Provigo et IGA ont été rachetés par les canadiennes Loblaws et Sobey, dans la quincaillerie RONA par l’étasunienne Lowe’s, dans l’informatique s’est établi la dominance de la française Ubisoft pour les jeux vidéos et des étasuniennes Microsoft et Google pour l’intelligence artificielle, dans le divertissement le Cirque du soleil vient d’être racheté par ses créanciers anglo-canadiens et étasuniens. Ajoutons la débandade de Bombardier au profit de Airbus et Alstom et de SNC-Lavallin engouffré par des scandales financiers. Reste la finance (Desjardins, Banque nationale) et les ressources naturelles (Hydro-Québec).

6. Canada Inc. a perdu Nortel et Blackberry conservant les cinq grandes banques et l’industrie pétrolière, de plus en plus délaissée par les investisseurs étrangers, tout en privatisant Pétro-Canada.]

7. La chute de Québec Inc. a entraîné dans son sillage celle du PQ qui tente en vain de se maintenir par un retour au nationalisme identitaire de la Grande noirceur de l’ère Duplessis (1936-1960 excepté durant la Seconde guerre mondiale) tout en prétendant être resté indépendantiste.

8. Mais ce n’est pas le « Back to the future ». Le peuple québécois n’est plus le scieur de bois et le porteur d’eau de jadis se perpétuant par la revanche des berceaux. Il est devenu un peuple « moderne » connaissant toutes les contradictions d’une société néolibérale y compris un très bas taux de naissance qui pose la question de la nécessité de l’immigration, intégrée majoritairement en français, pour sa survie.

9. A émergé une centre-urbaine couche instruite, cosmopolite et progressiste mais plutôt à revenus modestes — est-ce un nouveau prolétariat ou une nouvelle classe moyenne, un débat à faire ? — qui a trouvé son parti en Québec solidaire (QS) même si le transfert du PQ vers QS n’est pas achevé, ce qui explique le relatif succès électoral du vote concentré de QS (10 député-e-s pour 16% du vote) par rapport au PQ de 1970 (7 député-e-s pour 23% du vote) mais plus lent à émerger électoralement... et sans garantie future.

10. La partie plus traditionnelle du PQ, provenant des banlieues et des régions, se transfère vers la CAQ. La partie la plus âgée et la moins exposée au pluralisme ethnique et social du peuple québécois lui préfère majoritairement la fédéraliste CAQ, authentique héritier de l’Union nationale de Duplessis à idéologie identitaire « canadienne-française » en nette contradiction avec un Québec devenant multiethnique, spécialement dans le Grand Montréal.

11. Comme il y a quelque temps avant le mouvement « #me too », beaucoup de jeunes femmes ne ressentaient plus le besoin du féminisme, une partie de la jeunesse urbaine francophone, même progressiste, influencée par le néolibéralisme ne ressent plus le besoin de défendre le français. On est loin du mouvement McGill français ou de St-Léonard qui avait conduit aux événements d’Octobre 1970. En découle que cette jeunesse n’est plus prête à se mobiliser directement pour l’indépendance malgré que la non-reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise reste totale, tout comme le Quebec bashing connaît de beaux jours au Canada anglais et que le français connaît, lui, des jours difficiles particulièrement dans le Grand Montréal où vit 50% de la population du Québec.

12. La jeunesse, angoissée par son avenir, se préoccupe avant tout d’écologie, en particulier des crises climatique et de la biodiversité et maintenant de la crise pandémique combinée à celle économique. Sa partie progressiste veut construire l’unité pluraliste des peuples contre le très concentré et mondialisé capitalisme financier (le 1%) d’où sa préoccupation démocratique surtout vis-à-vis les personnes racisées et les nations autochtones et celle redistributive anti-inégalité et anti-pauvreté. En découle une méfiance envers le nationalisme, devenant de plus en plus ethnique, qui avec le PQ et la CAQ dominent largement l’évanescent mouvement national dont sa composante indépendantiste.

13. Québec solidaire (QS) devrait être le contrepoids de cette tendance lourde qui n’est pas que québécoise mais mondiale tant sous sa forme chauvine de grande nation que de nationalisme étroit en réaction au globalisme néolibéral mais qui se répercute sur l’internationalisme induit par la lutte écologique.

14. QS s’affiche clairement comme écologiste et indépendantiste mais les deux aspects sont désarticulés. Son écologisme est nettement réformiste d’où découlent des politiques molles tout-électricité, pro entreprises et s’accommodant du marché, lesquelles politiques ne requièrent aucun bris stratégique avec l’axe Toronto-Calgary mais est réalisable dans le cadre du provincialisme. Son indépendantisme, inspiré du collectif Option nationale venant de l’aile ultra nationaliste du PQ, relève du nationalisme d’un Québec indépendant plus compétitif sur le marché mondial grâce à ses ressources naturelles facilitant le capitalisme vert (hydro-électricité, filière du lithium, fabrication de batteries, véhicules hydroélectriques).

15. Cette faiblesse programmatique de l’absence d’une politique climatique garante des cibles GIEC enrichie de la critique de Greta Thunberg, laquelle faiblesse se répercute sur le fonctionnement démocratique du parti et sur la grande priorité accordée au travail parlementaire, crée un vide à gauche. Ce vide se manifeste par la montée de l’extrême-droite dans la rue surfant sur les contradictions de la politique pandémique de la CAQ forcée à plus de répression suite à l’échec de sa politique de réouverture accélérée de l’économie.

16. Au dernier conseil national de QS (12 septembre), surfant sur le mécontentement des personnes déléguées face à la politique anti-pandémie du parti à la remorque de la CAQ dont la gestion fut catastrophique et le demeure (deuxième vague qui paraît fulgurante), la gauche du parti, par l’intermédiaire de sa commission politique, a réussi à effectuer une brèche vers une société alternative de prendre soin (care) en proposant « l’embauche de 250 000 personnes dans le secteur public et par la nationalisation les secteurs de transport collectif, des secteurs privés de santé et d’éducation » à la suggestion de l’IRIS, le think-tank de la gauche québécoise.

17. Mais le rapport de forces demeure à ce point favorable à la direction du parti, qu’elle ignore complètement cette résolution allant même jusqu’à ne pas participer à la version montréalaise de la manifestation mondiale pour la justice climatique du 25 septembre dont les revendications lui paraissaient trop radicales.

18. Pour employer une expression de Paul Rose, au centre des événements d’Octobre 1970, libération nationale et émancipation sociale, à requalifier aujourd’hui comme émancipation socio-écologique, spontanément joints il y a 50 ans, doivent l’être politiquement aujourd’hui. Faute d’y arriver, la lutte nationale du peuple québécois sera récupérée par la droite dont le drapeau des Patriotes par l’extrême droite comme on le constate depuis quelque temps.

19. La mobilisation des nationalités racisées et des peuples autochtones fournit l’occasion de construire une alliance des peuples opprimés du Canada laquelle combinée avec le prolétariat, particulièrement celui jeune porté à la radicalité écologique et démocratique, a le potentiel de renverser la bourgeoisie canadienne en se servant du levier de l’indépendance du Québec et de l’autodétermination autochtone.

Marc Bonhomme, 2 octobre 2020
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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