Édition du 14 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les sirènes du populisme

Notre monde actuellement est assommé par la contre-révolution néolibérale. Des parties de l’Europe, voire des États-Unis sont dans la dérive, ce qui est mille fois pire dans ce vaste « arc des crises » qui traverse l’Asie, le Moyen-Orient, jusqu’aux confins de l’Afrique. Les gouvernants sont mal aimés, incapables de résister au chaos, prêts à tous les renoncements, tromperies, arnaques. Cette interminable descente est un territoire fertile pour la démagogie et les « aventuriers » en tous genres. Les démagos ont l’avantage de pouvoir dénoncer tout le monde. Ils s’attaquent aux dominants, au 1%. Ils dénoncent les dissidents, la gauche, les mouvements populaires et les intellectuels progressistes. Et ils disent alors, « nous avons LA solution ».

Ce discours s’accompagne d’un autre volet. Durant de longues décennies, les démagos ont ciblé les immigrants, surtout les Juifs, dépeints comme de « dangereux communistes », ou encore, comme des « profiteurs capitalistes ». Aujourd’hui, cela continue sous la forme de l’islamophobie et du profilage des immigrant-es et réfugié-es. Ce populisme de droite vient chercher des appuis au sein des couches populaires et moyennes, désarçonnées par la crise. La droite et même l’extrême de la droite font des gains. Un « néonationalisme de droite prend forme, pas tellement contre les systèmes impérialistes qui emprisonnent les peuples, mais contre les « autres », ces infiltrés voleurs de job et hostiles à « nos » valeurs.

Au Québec, on a connu cela durant la grande noirceur avec Maurice Duplessis. Dans les années de la révolution tranquille cependant, la cause de l’émancipation sociale a rencontré celle de l’émancipation nationale avec un projet progressiste porté à la fois par une nouvelle élite moderniste (le PQ en gros) et les mouvements populaires. Le nationalisme était surtout « civique » et non « ethnique », le problème n’étant pas « les Anglais », mais un système politique et économique perverti. Les défaites de ce projet ont été le résultat d’une violente contre-offensive des dominants organisés autour de l’État fédéral et du 1%. Dernièrement, le PQ a perdu pied sans être capable de se réaligner vers une stratégie de lutte prolongée. D’où d’énormes frustrations qui permettent à de nouveaux projets d’émerger.

Si celui de Québec Solidaire est plus porteur, on constate cependant la « réinvention » du nationalisme de droite, que les Mario Dumont et François Legault tentent de canaliser, avec l’appui indéfectible des médias-poubelles qui cherchent à détourner la colère légitime des gens, contre les syndicats, les immigrant-es, les jeunes. Une partie importante du PQ n’est pas loin de cette perspective, dans le sillon d’un langage mensonger sur le « nous » et les « autres ». Le triste débat sur la « charte des valeurs » est devenu une occasion pour faire ressortir les vieux démons, les Musulmans ayant remplacé les Juifs dans un imaginaire mensonger et démagogique. Dans cette perspective, on cherche à désancrer l’émancipation nationale de l’émancipation sociale, le projet d’un État indépendant n’étant « ni de gauche, ni de droite » comme l’affirmait récemment l’ancien Premier Ministre Landry. En attendant, la priorité est de réaffirmer les « valeurs nationales ».

Dans ce contexte chaotique et frustrant, bien des gens pourraient en venir à penser que l’adversaire est le dépanneur chinois au coin de la rue ou la femme voilée dans les CPE. Certes, la prédominance de la langue française doit être réaffirmée et défendue. Mais est-ce à dire que les non-francophones ne font pas partie de ces « valeurs nationales » ? Dans ce contexte, les ardeurs indépendantistes ne doivent pas être canalisées dans une perspective qui considère les enjeux sociaux et environnementaux comme « secondaires ». Il ne s’agit pas, comme le dit le nouveau chef du Bloc Québécois, d’ « éduquer » les gens sur l’importance de l’indépendance, comme si en soi, cette nécessité résumait l’essentiel de la confrontation actuelle. L’indépendance avec la justice sociale, c’est comme notre mère et notre père. On ne choisit pas entre les deux.

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