Édition du 23 avril 2024

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Syndicalisme

Négociation du secteur public : confrontation entre le mouvement syndical et la CAQ ?

Nous avons dit récemment qu’il y avait des raisons historiques pour expliquer la faible riposte du mouvement syndical contre les attaques du gouvernement dans le cadre des négociations du secteur public. De multiples divisions et une certaine crainte à se confronter directement contre l’État peuvent expliquer cette faiblesse. Nous allons vérifier ces hypothèses à la lumière des demandes syndicales qui ont été déposés il y a deux semaines. Nous allons chercher aussi à anticiper les coups qui seront portés par le gouvernement Legault. Tout ça dans une perspective où le monde du travail en général a le droit, voire même le devoir de se mêler des négociations dans le secteur public.

Le nouveau Front commun [1] a déposé une demande qui se situe autour de 9% d’augmentation salariale pour ses membres. Le Front commun demande un mécanisme garantissant de manière permanente l’indexation annuelle selon l’indice des prix à la consommation à chaque année. Lors de la première année, le Front commun réclame une hausse de salaire équivalente à l’IPC et 2% supplémentaire ou une augmentation de 100 $ par semaine, selon ce qui est le plus avantageux pour chaque employé. Pour les plus petits salariés de l’État, cette majoration pourrait se hisser à 13 à 14 %.

La FIIQ est plus gourmande : elle exige 18%. La FIQ réclame une mise à niveau de 6 % pour compenser l’inflation des derniers mois. Les membres demandent également une hausse salariale de 4 % par an en 2023, 2024 et 2025, en plus de bonifications pour compenser le travail effectué la fin de semaine, lors d’un congé férié et en heures supplémentaires.

Autant dans le cas du Front commun que du côté de la FIIQ, en plus d’une forte demande salariale, on exige des mesures exceptionnelles pour contrer les effets néfastes de l’inflation sur les travailleurs.e.s du secteur public québécois. En peu de temps, l’inflation démesurée est devenue le point central du travail des organisations syndicales. Du côté du Front commun, on demande même à ce qu’un mécanisme puisse garantir d’une manière permanente cette indexation. C’est donc dire comment l’inflation cause des tourments à la classe ouvrière et la classe moyenne québécoise. La réaction syndicale est tout à fait pertinente dans la mesure où ce sont les travailleurs et les travailleuses qui paient la note des mesures gouvernementales alors que les plus riches s’enrichissent. Quoi de mieux que de s’attaquer à l’État pour corriger le tir.

C’est aussi dans un contexte de sortie de pandémie que l’ensemble de ces demandes sont déposées. En quelque sorte, l’heure est aux règlements de comptes. Les anges gardiens ne veulent plus être seulement remerciés en public. Les soins et services auraient été plus efficaces si le secteur public n’aurait pas été amoché, voir dévasté depuis 30 ans. Une valorisation réelle du secteur public est devenue une priorité. La FIIQ dénonce la gestion incohérente du réseau de la santé et « l’absence d’un véritable exercice de planification de la main-d’œuvre. [2] À cela, il faut également ajouter la compétition déloyale qui s’opère entre les agences privées de placement, financées à coups de contrats faramineux fortement encouragés par le gouvernement de la CAQ. Le discours général qui ressort du Front commun est « qu’après des années d’austérité, de compressions budgétaires et de pandémie, l’heure est au rattrapage et à la mobilisation collective pour gagner. » [3]

Sommes-nous dans un contexte de confrontation entre le mouvement syndical et le gouvernement caquiste ? Il semble, pour l’instant, que le discours actuel du Front commun s’éloigne des appels à la concertation lancée par les directions syndicales pour relancer l’économie en début de pandémie. Du côté de la FIIQ, ses demandes et son analyse n’empruntent pas le discours de syndicalisme de proposition que nous sommes habitués d’entendre. Mais il s’agit bien sûr d’un début de négociation. Le gouvernement de la CAQ n’a pas répondu encore à ces demandes. La CAQ avait déjà laissé entendre que la dernière négociation n’était qu’une période d’essai pour la ronde actuelle. Nous verrons alors comment va réagir le mouvement syndical. Nous verrons si le discours un peu plus combatif va se transformer en une pratique réelle.

La posture de la CAQ

Nous avons déjà dit que les représentants du gouvernement caquiste avaient une bonne expérience des négociations du secteur public. Le Premier Ministre avait été capable, à lui seul, de déboulonner les demandes syndicales lors de la dernière négociation du secteur public. Sera-t-il en mesure de faire la même chose ? À la lumière de ce que nous pouvons observer ces dernières années, nous croyons que trois enjeux seront cruciaux dans cette négociation du secteur public : la récession, la négociation différenciée entre les travailleur.es du secteur public et l’augmentation du temps de travail.

Tentons ici d’appréhender le discours de la CAQ dans le contexte des négociations. Il pourra dire que le gouvernement a dépensé beaucoup depuis le début de la pandémie, il ne reste lui grand-chose à dépenser. C’est pour cette raison qu’il devra faire des choix, de cibler certaines catégories de travailleurs.e.s, comme il l’avait fait lors de la dernière négociation. Mais, si les travailleurs.e.s veulent plus d’argent, ils devront travailler davantage pour combler la pénurie de personnel.

En ce qui concerne la récession, les organisations syndicales dans le secteur public ont trouvé, pensons-nous, la bonne clé pour y remédier. Exiger de l’État de prendre les mesures nécessaire est la seule manière de gagner cette lutte.

Pour ce qui est de la différenciation parmi les travailleurs.e.s, un travail d’unification des travailleurs.e.s sera nécessaire, c’est-à-dire de rompre avec le corporatisme professionnel et l’émulation syndicale. Un pas est franchi avec la mise en place d’un Front commun mais il faudra s’assurer qu’il tienne bon.

Mais, nous pensons qu’un élément crucial pourrait prendre plus de place encore dans les négociations actuelles. Nous parlons ici d’une volonté certaine d’augmenter les heures de travail dans certaines catégories de travailleurs.e.s. Dans la dernière convention collective de l’APTS, on constate que certains postes peuvent passer de 35 à 37 heures, si le travailleur ou la travailleuse accepte l’augmentation. [4] Ce qui s’avère un dangereux précédent. L’influent et l’ancien Ministre Gaetan Barrette a déjà préconisé des horaires de 12 heures comme alternative au temps supplémentaire obligatoire. [5] Sans le dire ouvertement, le gouvernement de la CAQ cherche peut-être à nous faire perdre un gain historique important dans le mouvement syndical québécois : la diminution du temps de travail.

René Charest


[1Le nouveau Front commun est composé de la CSN, la CSQ, la FTQ et de l’APTS.

[4Lettre d’entente no 12 de la convention collective de l’APTS.

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