Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Non à la guerre - L’ « autre histoire » du Canada

De 1914 à 1918, les puissances impérialistes s’affrontent pour s’arracher des pans de leurs empires. L’Empire britannique, celui qui est alors le plus fort, veut empêcher l’Allemagne d’« émerger ». Des centaines de milliers de pauvres sont mobilisés, non seulement en Angleterre mais aussi dans les colonies pour préserver le système de pillage britannique qui s’étend des Amériques à l’Afrique en passant par l’Asie. On cherche à imposer cette conscription avec les arguments mensongers habituels. Le colonialisme anglais est « civilisateur », il apporte la sécurité et la prospérité. En Inde, le message passe très mal, d’où une grande révolte qui se met en marche avec Gandhi, notamment. En Afrique, il est difficile de convaincre les semi esclaves qui alimentent l’industrie anglaise de venir à la rescousse de leurs maîtres. Même en Angleterre, en Allemagne et en France, beaucoup de gens finissent par rejeter une pseudo unité de la « nation » qui envoie à la boucherie des milliers de jeunes gens.

Au Canada, une classe dominante anglo-canadienne vorace se contente d’agir comme des subalternes de l’empire. Elle se dit ravie de participer à la défense de l’empire. Dès le début de la guerre, le gouvernement fédéral mobilise des « volontaires » qui proviennent des milieux anglophones (plusieurs sont des immigrés récents), et qui veulent défendre la mère-patrie. Du côté du Québec, pratiquement personne n’embarque dans cette sale aventure, tant du côté des nationalistes (Henri Bourassa) que du côté libéral (Wilfrid Laurier)

Mais quelques années plus tard, le conflit est enlisé. Le pouvoir impérial à Londres demande à ses alliés-subalternes d’en faire plus. Lors de l’élection fédérale de 1916, les Conservateurs gagnent et promettent d’imposer la conscription (ils n’ont que 3 élus au Québec, tous dans des comtés anglophones). Au début de 1918, 400 000 jeunes hommes reçoivent leur convocation. Dans le Canada dit anglais, la conscription est acceptée par la majorité de la population, mais au Québec, c’est une autre histoire. Paysans comme ouvriers, dans les grandes villes comme dans les petites, c’est une opposition massive. Défendre l’Empire britannique, non vraiment, cela ne passe pas !

À la fin de 1917, le nouveau Parti ouvrier au Québec met en place une grande campagne. Des manifestations ont lieu un peu partout, à Lachine, Sainte-Scolastique, Grand-Mère, Trois-Rivières, Sherbrooke, Rimouski et bien sûr, Montréal. Albert Saint-Martin, un des porte-parole socialistes explique : « La guerre, c’est pour le profit des marchands de munitions ». Des défenseurs de la guerre sont visés, comme High Graham, le propriétaire du Montreal Star, dont la maison à Cartierville est dynamitée ! Les intellectuels (le journal Le Devoir), les élus libéraux et même les curés à la base prennent la parole contre la guerre car , autrement, ils savent qu’ils seront la risée du peuple.

En mars 1918, des affrontements ont lieu à Québec lorsque des gens empêchent la police d’arrêter Joseph Mercier (23 ans), qu’on soupçonne d’avoir évité l’enrôlement dans l’armée, comme plusieurs milliers d’autres. Quelques jours plus tard, ils sont des milliers à tenter de brûler les bâtiments où se trouvent les dossiers des conscrits. L’administration municipale, et également les services de police, sont soupçonnés par Ottawa d’être du côté des manifestants.

Fait à noter, la hiérarchie catholique condamne la résistance, comme elle l’a fait en 1837-38. Le cardinal Bégin oblige les curés à lire une lettre pastorale : « il faut respecter la loi et l’ordre ».

Le 1er avril, l’armée renforcée par l’arrivée de plusieurs détachements, installe des mitrailleuses et finalement, elle tire dans le tas : 4 morts et 75 blessés. Des proclamations sont affichées : l’ordre est « shoot to kill ». Une enquête est instituée pour évaluer la tuerie, mais aucune accusation ne sera jamais portée contre les responsables militaires et les familles des victimes ne seront jamais indemnisées.

Après ces évènements, les mouvements de gauche poursuivent leur campagne. L’Empire britannique voudrait continuer la guerre (l’Allemagne accepte la défaite) en attaquant la Russie. Des milliers de soldats des pays impérialistes débarquent pour écraser le nouveau pouvoir basé sur les conseils (soviets) ouvriers et paysans. Mais dans plusieurs pays, l’opposition est intense. Des soldats se mutinent. À Montréal, Albert Saint-Martin s’agite dans plusieurs milieux où les socialistes ont une influence, dans les quartiers populaires de l’est de Montréal. Ils sont pourchassés par la police et l’armée et également attaqués par des bandes d’émeutiers catholiques. Saint-Martin lui-même est violemment agressé et envoyé à l’hôpital par des étudiants de l’Université de Montréal qui crient : « Mort aux socialistes et mort aux juifs » !

À la suite de ces évènements, la poussée de la gauche est ralentie, du fait de l’alliance inavouable entre l’État canadien et l’Église catholique. Le sentiment anti-impérialiste au Québec demeure cependant intact. Le Canada reste polarisé, avec une majorité québécoise hostile à l’État et au capitalisme anglo-canadien, mais confinée par le dispositif. Celui-ci se projette dans le monde politique sous le couvert du nationalisme ethnique et frileux qui prend forme sous l’influence du chanoine Lionel Groulx et plus tard de Duplessis.

100 ans plus tard, le Québec n’est plus la même société, même s’il y a des constantes. On ne peut pas dire que le nationalisme réactionnaire a le même rôle, mais on ne peut pas dire non plus que cette vision soit totalement sortie de nos consciences. Pour les progressistes en tout cas, résister à la guerre demeure un grand enjeu où on peut se rassembler et faire échec aux puissants.

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